III - L’ITALIE

5. ROME ET LES ÉTATS PONTIFICAUX

Carola Höhn condamnée à mort dans « Beatrice Cenci » (1941) de Guido Brignone.

5.3. Le parricide de Beatrice Cenci (1599)

Chronique judiciaire de 1598/99, sous le pape Clément VIII : à la forteresse de Rocca Petrella dans les Abruzzes, Beatrix/Beatrice Cenci (1577-1599), une fille abusée et humiliée de la petite noblesse, est accusée d'avoir tué son père tyrannique, pervers et débauché, le comte romain Francesco Cenci (1549-1598), dont le corps a été retrouvé dans un ravin, sous la fenêtre de sa chambre. L'infâme brute s'est mis tous les membres de sa famille à dos et les soupçons se concentrent sur eux en priorité, le meurtre aurait été camouflé en accident tragique. Beatrix étant la seule à s'être opposée ouvertement à l'autorité de son père, le pape la fait condamner en priorité. Elle subit la question et périt sur l'échafaud avec ses deux frères Giacomo et Bernardo, et sa belle-mère Lucrezia Petroni le 11 septembre 1599 sur la place du Pont-Saint-Ange.
L'histoire romantique de la " belle parricide " a marqué poètes, dramaturges et musiciens : Percy B. Shelley (poème The Cenci, 1819), Astolphe de Custine (pièce 1833), Stendhal (nouvelle Les Cenci. Chroniques italiennes, 1837), Juliusz Slowacki (pièce 1839), Alexandre Dumas (récit Les crimes célèbres. Les Cenci 1840), Francesco Domenico Guerrazzi (roman 1854), Giuseppe Rota (pièce 1863), Stefan Zweig (l'essai Legende und Wahrheit der Beatrice Cenci 1926), Antonin Artaud (pièce Les Cenci 1935), Alberto Moravia (pièce 1955), Frederic Prokosch (Beatrice Cenci. A Tale for Midnight, roman 1955), Sabrina Gatti (Il trono dei poveri, pièce 2010) et trois opéras de Berthold Goldschmidt (1950), Alberto Ginastera (1971) et Alessandro Londei et Brunalla Caronti (2006).
1908Béatrix Cenci (FR) d'Albert Capellani
Pathé Frères S. A. (Paris) no. 2224, 225 m. - av. Stacia Napierkowska (Beatrice Cenci), Henri Desfontaines (Francesco Cenci). - Tournage aux studios de Joinville-le-Pont avec, dans le rôle-titre, la danseuse franco-polonaise Stacia Napierkowska - qui sera la première Antinéa, l'héroïne léthale de Pierre Benoit, dans L'Atlantide de Jacques Feyder (1921).
1909Beatrice Cenci (Béatrice Cenci) (IT) de Mario Caserini
Società Italiana Cines (Roma), 315 m. - av. Fernanda Negri Pouget (Beatrice Cenci), Maria Caserini Gasparini (Lucrezia Petroni), Ettore Pesci, Alessandro Rinaldi, Renato De Grais. - Le Turinois Caserini, directeur artistique de la Cines, adapte le roman de Francesco Guerrazzi (1854), filmé dans les nouveaux studios de la Via Appia Nuova. La toute jeune Fernanda Negri Pouget porte la chemise et la coiffure de Beatrice telle que le peintre Guido Reni l'a immortalisée (v. 1600) et l'exécution de la malheureuse est filmée sur les lieux de sa mort, devant le château Saint-Ange.
1926Beatrice Cenci (IT) de Baldassare Negroni
Stefano Pittaluga/S. A. Pittaluga-film, Torino, 2785 m. - av. Maria Jacobini (Beatrice Cenci), Raimondo van Riel (Francesco Cenci), Franz Sala (Marzio Savelli), Gino Talamo (Olimpio Calvetti), Ugo Gracci (le Catalan), Gemma De Santis (Lucrezia Petroni), Lillian Lyl (Bernardo Cenci), Camillo De Rossi (Marco Sciarra), Maria De Valencia (Dianora Apolloni), Augusto Bandini (Cipoletta), Ida Marus, Nino Beltrame, Tranquillo Bianco, Felice Minotti. - Une superproduction avec la diva Maria Jacobini, tournée à grands frais par le comte Negroni et avec des décors luxueux aux studios FERT (Madonna di Campagna) à Turin et sonorisée en juillet 1930.
1941Beatrice Cenci / Mordsache Cenci (Béatrice Cenci) (IT/DE) de Guido Brignone
Giulio Manenti/Manenti Film Sp.A., 82 min. - av. Carola Höhn (Beatrice Cenci), Giulio Donadio (Francesco Cenci), Tina Lattanzi (Lucrezia Petroni), Osvaldo Valenti (Giacomo Cenci), Elli Parvo (Angela), Enzo Fiermonte (Olimpio Calvetti), Sandro Ruffini (Moscato), Luigi Pavese (Catalano), Marcello Giorda (le président du tribunal), Arturo Bragaglia (Don Lorenzo), Pina Gallini (la gouvernante de Don Lorenzo). - Une reconstitution très sage dont la majeure partie se déroule au tribunal à Rome et qui innocente (trop tard) Beatrice, filmée au Centro Sperimentale de Cinematografia à Rome et dans le Latium avec la vedette allemande Carola Höhn (découverte en 1937 dans Zu neuen Ufern / Paramatta, bagne de femmes de Douglas Sirk), ici triste et mélancolique. - DE : Mordsache Cenci, ES : Vidas sangrientas.
1956** Beatrice Cenci / Le Château des amants maudits / I maledetti (IT/FR) de Riccardo Freda
Attilio Riccio/Electra Compagnia Cinematografica (Roma)-Franco London Films (Paris), 98 min. - av. Micheline Presle (Lucrezia Petroni), Gino Cervi (Francesco Cenci), Mireille Granelli (Beatrice Cenci), Fausto Tozzi (Olimpio Calvetti), Frank Villard (le juge Ranieri), Claudine Dupuis (Martina), Anthony Steffen [=Antonio De Teffè] (Giacomo Cenci), Emilio Petacci (Marzio Catalano), Guido Barbarisi (un juge), Mimmo Poli (serviteur des Cenci), Vittorio Vaser (un juge), Isabella Raffi, Carlo Mazzoni, Maurizia Ranzi.
Le remake de Riccardo Freda - coproduit avec la France qui met en avant Micheline Presle en belle-mère fière et fielleuse de l'innocente Beatrice - brille en particulier par son traitement intense de la photo (Gábor Pogány), par la composition picturale influencée par Véronèse, Vittore Carpaccio, le Tintoret et les maniéristes, mariant éclairages bleus, séquences nocturnes et décors imposants (en Cinémascope et Eastmancolor) qu'enrichissent les trucages et extérieurs miniatures de Mario Bava (Saint-Ange, les foules augmentées par jeu de miroir, etc.) ; le château de Rocca Petrella est riche d'une architecture labyrinthique débridée. Le tournage s'est effectué à Cinecittà, complété par quelques images au château de Rocca dei Borgia à Nepi (Viterbo) pour Rocca Petrella. On est frappé par l'utilisation souveraine de l'écran large pour arpenter les espaces et la profondeur de champ, parsemés de touches de gothique, de surréalisme qui annoncent I vampiri (1956) et l'entrée du cinéma-bis italien dans le fantastique horrifique. Ainsi le plan séquence initial en extérieur nuit, avec l'adolescente Beatrice qui court dans la forêt suivie à la grue, la frayeur dans les yeux, l'orage qui gronde (musique : Symphonie no. 6 de Beethoven), des cavaliers munis de torches flambeaux à ses trousses, jusqu'à ce qu'un chevalier inconnu la ramène au château de son géniteur, véritable tyran néronien. Son sauveur momentané, Olimpio, le seul homme qu'elle aimera, provoquera sans s'en douter aussi sa mort, et l'exécution finale se fera au son de la Symphonie pathétique de Tchaikovski.
 Le script - titre de travail : I maledetti - s'inspire du roman de F. D. Guerrazzi et de Stendhal, mais le cinéaste tient à transformer sa Beatrice en victime ingénue, broyée par une machination familiale. " Avec un budget très moyen auquel il sait donner l'apparence de la magnificence, Freda célèbre en images somptueuses les noces du mélodrame et de l'Histoire, résume Jacques Lourcelles. Ce que l'Histoire perd en véracité, le mélodrame le regagne en fébrilité, en lyrisme, en intensité dans la peinture d'un passé revécu au présent. Beatrice est métamorphosée ici en sublime héroïne de mélodrame et la continuité du récit offre, à la manière d'un opéra, une juxtaposition lyrique et plastique de moments forts piqués sur la trame de son destin inexorablement tragique " (Dictionnaire du cinéma, 1992). L'élégance inusitée du récit passe inaperçue en Italie, mais frappe les cinéphiles et futurs cinéastes français comme Bertrand Tavernier, grand promoteur de Freda dans l'Hexagone, ou Yves Boisset (" sa splendeur nous fait penser à Visconti "). " Plus on avance dans cette fresque à la flamboyance figée, à la violence étouffée, plus est exacerbé le sentiment d'une injustice implacable, d'un destin fatal. La fin tombe d'ailleurs comme un couperet. Tellement brutale et sèche qu'on reste sans voix " (Jacques Morice, Télérama, 14.10.1998). Nul doute que Freda, fer de lance du cinéma populaire italien, réussit ici un de ses meilleurs films, avec l'inventif Le sette spade del vendicatore (Sept épées pour le roi, 1961). - DE: Ein zarter Hals für den Henker, US : Castle of the Banned Lovers.
1969Beatrice Cenci /La vera storia di Beatrice Cenci (Béatrice Cenci - Liens d'amour et de sang) (IT) de Lucio Fulci
Giorgio Agliani/Produzione Filmena S.R.L., 99 min. - av. Tomas Milian (Olimpio Calvetti), Adrienne La Russa (Beatrice Cenci), Georges Wilson (Francesco Cenci), Raymond Pellegrin (le cardinal Lanciani), Mavie Bardanzellu (Lucrezia), Antonio Casagrande (Don Giacomo Cenci), Ignazio Spalla (le bandit Catalano), Steffen Zacharias (Prospero Fadinacco), Massimo Sarchielli (Gasparro), Maciej Rayzacher (un juge).
Lucio Fulci, le pape italien du film " gore " grand-guignolesque, tente de réunir ici la Série Noire (le " giallo "), le film d'horreur et le drame en costumes afin d'échapper à sa notoriété de barbouilleur sanguinolent et d'être enfin reconnu par la critique dite sérieuse. Ainsi, sa Béatrice devient une icône vipérine du féminisme, la critique du paternalisme tyrannique et des réactionnaires corrompus s'accorde aux slogans de la militance post-soixante-huitarde ; Béatrice est tout sauf innocente, fille dégénérée d'un père dégénéré et non pas un agneau sacrifié. Elle est jouée par une starlette de télévision new-yorkaise qui n'en fait qu'à sa tête et se fâche avec tout le monde. À l'arrivée, cela donne un film d'une empreinte certes forte et historiquement plus sérieux que les versions précédentes, mais bancal, desservi par un trop de flash-backs, une narration désordonnée et une surenchère dans la violence graphique (les interminables scènes de " question " dans les geôles pontificales) qui étouffe la critique sociale. Pour Fulci, l'ellipse est une notion inconnue. Curieusement, il ne filme pas l'exécution et la censure fait couper la scène du viol paternel. Tourné de juillet à septembre 1969 en Eastmancolor, principalement aux studios IN.CI.R.-De Paolis à Rome, avec quelques images furtives des châteaux d'Isola Farnese, d'Odescalchi à Bracciano, d'Orsini di Nerola et du parc régional de Véies, le film ne trouve pas les faveurs du public ni celles de la critique (" le film convient au public adulte non impressionnable ", avertit la presse). De surcroît, il est condamné par l'Eglise catholique qui se trouve offensée par l'image négative qu'il véhicule : selon Fulci (auteur du scénario), la justice pontificale - représentée surtout par son art de la torture - n'aurait pas seulement voulu punir le parricide et il semble que la convoitise pour la considérable fortune des Cenci ait été pour quelque chose dans la décision finale du Saint-Siège. Le pape Clément VIII apparaît deux fois à l'écran, mais le nom de l'acteur qui l'interprète est rayé du générique. Intéressés davantage par le patrimoine des Cenci que par la punition des coupables, les juges et le pape lui-même cherchèrent " à impliquer la famille toute entière dans le crime afin de pouvoir ensuite, après sa complète élimination, confisquer les biens qu'elle possèdait au-delà des frontières de l'Ètat pontifical. Francesco Cenci qui s'était rendu coupable à plusieurs reprises de crimes abjects avait toujours réussi à obtenir l'impunité en cédant une part de ses immenses biens fonciers à la Chambre apostolique " (Vittorio Martinelli, 1895, déc. 1998). - Le film de Fulci prend de vitesse un autre projet, d'envergure lui : cette même année, le producteur Dino De Laurentiis prépare à grand frais un Beatrice Cenci réalisé par Florestano Vancini, avec la Suédoise Pia Degermark, découverte par Bo Widerberg, dans le rôle-titre et Christopher Plummer (Francesco Cenci), à réaliser à Dinocittà. Le producteur renonce. - DE : Die Nackte und der Cardinal, US : The Conspiracy of Torture.
1974(tv-th) Beatrice Cenci (IT) de Marco Leto
Radiotelevisione Italiana (RAI Due 5.7.74), 101 min. - av. Micaela Esdra (Beatrice Cenci), Gianni Santuccio (Francesco Cenci), Maria Grazia Marescalchi (Lucrezia), Nando Gazzolo (Olimpio Calvetti), Mario Catalano (Duilio Del Prete), Mario Laurentino (Carlo Tirone).
Adaptation télévisée de la tragédie d'Alberto Moravia (1955), qui se déroule dans la pièce centrale du château, où les protagonistes s'affrontent verbalement, tandis que l'action se déroule hors-champ. Francesco Cenci confronte violemment sa famille, ayant intercepté une lettre de Beatrice à son frère à Rome dans laquelle elle le supplie de l'aider avant qu'elle ne commette une lourde faute. La pièce a été montée à Rome (Ridotto del Teatro Eliseo le 22.4.58) avec Mario Piso (Cenci père) et Gabriella Adreini (Beatrice) dans une mise en scène de Vito Pandolfi.
1987[La Passion Béatrice / Quarto comandemento (FR/IT) de Bertrand Tavernier ; Little Bear-Scena, 131 min. - av. Julie Delpy (Béatrice de Cortemart [=Beatrice Cenci]), Pierre Donnadieu (François de Cortemart [=Francesco Cenci]), Nils Tavernier (Arnaud de Cortemart [=Giacomo Cenci], Monique Chaumette, Robert Dhéry. - À l'origine, en 1980, un scénario de Colo Tavernier-O'Hagan pour Riccardo Freda qui envisageait un remake de son film de 1956 ; le projet n'aboutit pas faute de financement et Bertrand Tavernier en reprend la trame de base, mais en la transposant en France en 1350. - Cf. France : Guerre de Cent Ans.]
2007® Caravaggio (IT) d'Angelo Longoni. - av. Maria Elena Vandone (Beatrice Cenci). - cf. chap. 8.6
2014® Vittima degli eventi (IT) de Claudio Di Baggio. - av. Arianna Del Grosso (Beatrice Cenci).
2018(vd-mus) Beatrice Cenci (AT) de Johannes Erath (th) et Felix Breisach (vd)
Johannes Erath/Bregenzer Festspiele-C Major Entertainment, 107 min. - av. Christoph Pohl (Francesco Cenci), Gal James (Beatrice Cenci), Dshamilja Kaiser (Lucrezia), Christina Bock (Bernardo), Per Bach Nissen (le cardinal Camillo), Michael Laurenz (Orsino), Wolfgang Stefan Scnwaiger (Marzio), Sébastien Soulès (Olimpio), Peter Marsh (le juge).
Captation de l'opéra du compositeur allemand exilé Berthold Goldschmidt (1949/50), sur un livret anglais de Martin Esslin, représenté au festival de Bregenz le 18.7.2018. Des passages de l'opéra " oublié " de Goldschmidt ont été représentés dans le documentaire The Lost Composer de Jonathan Fulford (BBC Two 8.5.88).