IV - ESPAGNE ET PORTUGAL

Les « Rois Catholiques » dans la série « Isabel » (2012-14).

2. L’ESPAGNE UNIFIÉE SOUS LES « ROIS CATHOLIQUES »

En 1469, l’héritière de la couronne de Castille épouse secrètement l’héritier de la couronne d’Aragon, inaugurant ainsi un siècle d’or, de feu et de sang.
ISABELLE Ière DE CASTILLE / ISABEL I DE CASTILLA la Católica (1451-1504) est fille de Juan II et sœur d’Henri IV de Castille. Son époux FERDINAND II D’ARAGON / FERNANDO II DE ARAGON el Católico (1452-1516) est fils du roi aveugle Juan II d’Aragon. En 1474, Isabelle monte sur le trône de Castille et León, et dix ans plus tard, en 1479, Ferdinand devient roi d’Aragon. Le pape espagnol Alexandre VI Borgia leur confère le titre honorifique de « Rois Catholiques », à défaut de rois d’Espagne, l’Espagne étant alors une expression géographique générale qui inclut aussi le Portugal. Avec six millions d’habitants, la Castille (et le castillan) occupe dans la monarchie une position prépondérante qu’elle doit à sa centralité et à sa vitalité. Les deux ensembles territoriaux ont désormais les mêmes souverains (ils sont cousins au troisième degré), et ceux-ci décident que leurs sujets doivent être soumis aux mêmes lois, aux mêmes obligations et pratiquer la religion de leurs rois pour assurer la cohésion du corps social. En 1478, ils instaurent à Séville l’INQUISITION ESPAGNOLE (autorisée par une bulle du pape Sixte IV), tribunal d’exception permanent qui exerce de manière souveraine et s’érige par la suite en inquisition d’État. En 1483, le roi Ferdinand, monarque machiavélien auquel la religion a donné un prétexte pour mener à bien ses propres desseins politiques, nomme TOMAS DE TORQUEMADA (1420-1498), dominicain paranoïaque pourtant issu d’une grande famille de convertis juifs, organisateur général du Saint-Office et Grand Inquisiteur d’Aragon, de Valence et de Catalogne.
La Reconquista des derniers territoires non encore christianisés reprend dès 1481. Avec la chute de Grenade en février 1492, ultime enclave musulmane dans la péninsule après plus de 780 années de présence arabe, suivie de l’expulsion immédiate de 25'000 juifs de la cité, Isabelle et Ferdinand ambitionnent de faire du royaume enfin unifié une terre "plus catholique que l’Italie". Quoique s’étant engagés initialement à respecter les croyances et les coutumes de leurs nouveaux sujets, le 31 mars 1492, ils font publier le Décret d’Alhambra ordonnant la conversion ou le départ forcé de tous les musulmans et juifs d’Espagne, de ses territoires et de ses possessions. Les monarques inventent ainsi le racisme d’État, promis à un bel avenir : en quittant le Moyen Âge et en entrant dans la Renaissance, l’Espagne passe insensiblement de l’antijudaïsme médiéval à l’antisémitisme moderne. Au 31 juillet, plus aucun non-catholique ne pouvant demeurer dans le pays « purifié » sous peine de mort, les communautés menacées commencent à se disperser dans le Maghreb, l’Europe méridionale et le Moyen Orient. Plusieurs milliers de victimes sont livrées aux flammes (il n’existe aucune recension fiable à ce sujet). Mais la conversion à la religion catholique ne sauve pas, les conversos juifs sont espionnés, traqués, soupçonnés de pratiquer secrètement leur religion antérieure, leurs aveux faux ou réels sont extorqués sous la torture en attendant le bûcher. La « solution finale » se fait par étapes, car HERNANDO DE TALAVARA (1430-1507), confesseur des Rois Catholiques et évêque de Grenade, est un homme tolérant qui s’oppose aux conversions forcées. Mais il est remplacé en 1499 sur ordre royal par le cardinal réformateur JIMÉNEZ DE CISNEROS (1436-1517) qui met la machine à broyer en marche. Constatant que sept ans après sa capitulation, la population grenadine reste toujours majoritairement musulmane et refuse l’assimilation, les monarques chargent en vain ce dernier d’accélérer l’évangélisation. Les méthodes brutales de l’archevêque provoquent un soulèvement armé qui, en février 1502, donne prétexte aux Rois de décréter que tous les musulmans de la couronne de Castille doivent se convertir ou quitter l’Espagne. La mesure est étendue en 1516 à la Navarre, en 1526 à Aragon. En 1609, afin de protéger « la race », Felipe III ordonnera l’expulsion du royaume de tous les moriscos, plus de 500'000 Maures convertis de force au catholicisme. La langue arabe est interdite dans tout le royaume.
C’est sous les « Rois Catholiques » et fort de leur soutien que le navigateur génois Christophe Colomb et ses trois caravelles partent à la découverte du Nouveau Monde (août-octobre 1492), marquant le début de la colonisation européenne outre-Atlantique ; Isabelle se réserve le bénéfice de toutes les découvertes maritimes. L’Espagne s’enorgueillit alors d’être touchée par la grâce et récompensée par l’or des Amériques, mais si ses galions reviendront chargés de trésors après avoir soumis ou annihilé les populations indigènes, les statuts de la pureté de sang (limpieza de sangre) bloquent tout esprit d’entreprise et signent en fait son déclin tant intellectuel que scientifique ; ces statuts d’impureté vont par la suite s’étendre parmi les métis des nouvelles colonies. Pendant trois siècles, l’obsession de savoir qui sont les vrais ou les faux chrétiens va gangréner la société espagnole. Pas d’hérétiques, pas de déviants, pas d’opposants : tout l’espace social est désormais surveillé, l’Inquisition entraînant la société chrétienne hispanique dans un jeu compliqué d’aveux et de dénonciations sans exemple dans l’Histoire avant le XXe siècle.
Autoritaire, Fernando renforce le pouvoir de la Couronne, détruit l’indépendance de la noblesse, réprime avec sévérité les guerres privées et, la lutte contre les Maures étant achevée, ordonne la destruction de tous les châteaux forts. Après le décès d’Isabelle en 1504, la démence de leur fille Jeanne la Folle et le décès inopiné de leur gendre Philippe le Beau (cf. chap. 2.2) lui permettent de reprendre le pouvoir en Castille et d’y renforcer l’absolutisme. Il se remarie avec Germaine de Foix, 18 ans, nièce de Louis XII, puis achève l’unité territoriale par l’annexion de la Navarre à l’Espagne en 1512. Il décède quatre ans plus tard, laissant le trône à son petit-fils, le futur Charles Quint.
Pour Christophe Colomb, cf. chap. 7 : « L’Âge des conquistadors ».