IV - ESPAGNE ET PORTUGAL

Philippe II (Montagu Love) domine une partie de l’Europe et des Amériques (« The Sea Hawk » de M. Curtiz, 1940).
4. PHILIPPE II, PRINCE DE LA CONTRE-RÉFORME
Né en 1527, FELIPE II est le fils aîné de Charles Quint et d’Isabelle de Portugal. Il se marie quatre fois, en 1543 avec Maria de Portugal (†1545), la mère du malheureux Don Carlos ; en 1554 avec Mary Tudor dite « la sanglante » (†1558), reine catholique d’Angleterre, ce qui le fait pour quatre ans roi consort d’Angleterre ; en 1559 avec Elisabeth de Valois ou de France (†1568) et en 1570 avec Anne d’Autriche (†1580), mère de son successeur Philippe III. Il monte sur le trône avec l’abdication de son père, en 1556. Madrid devient la nouvelle capitale en 1562. En tant que roi d’Espagne (8 millions d’habitants), alors le pays le plus puissant de la terre, Philippe II est à la tête des possessions les plus étendues qu’aucun pays n’ait jamais possédées. En Europe, elles comprennent une partie de la France (Franche-Comté, Roussillon), les Pays-Bas, l’essentiel de l’Italie (Milanais, Royaume de Naples, Sicile et Sardaigne, indirectement Parme, Savoie, Toscane). Hors d’Europe, l’Espagne possède toute l’Amérique centrale (dont le pillage lui assure des ressources considérables), une bonne part de l’Amérique du Sud et quelques lambeaux de celle du Nord (Floride), les Philippines (nommées ainsi en l’honneur du monarque) et les Antilles. En 1580, il devient également roi de Portugal, territoire annexé de force après la débâcle portugaise à la bataille « des trois rois » d’Alcazar-Quivir, victoire des Marocains où périt le jeune monarque lusitanien et l’extinction consécutive de la maison d’Aviz (cf. chap. 5.1) ; lui reviennent donc aussi les possessions portugaises en Afrique, au Brésil et en Asie. Jeune, il apprend les langues de son futur empire : l’espagnol, le portugais, le latin, l’italien et le français. Il instaure un système bureaucratique complexe, fameux pour sa lenteur, qui lui vaut les surnoms de « rey Prudente » ou « rey Papelero » et gouverne la moitié du monde en maître absolu.
Obsédé, comme son père, de réconcilier la chrétienté autour de l’Église catholique romaine et ardent promoteur de la reprise des discussions au Concile de Trente (élaboration, structuration et renforcement musclée de la Contre-Réforme) pour anéantir le protestantisme, sa politique religieuse d’une implacable dureté devient la clé de voûte de son règne. L’Inquisition maintient et renforce même sa puissance dans tous les recoins de la société, poursuivant sa politique raciale sous l’égide du cardinal Juan Martínez Silíceo, le plus grand antisémite espagnol du XVIe siècle, ex-aumônier et confesseur du roi dans sa jeunesse. L’Espagne compte alors 9000 couvents où vivent 32'000 franciscains et dominicains, tandis que le nombre de jésuites ne cesse de s’accroître. Dans ce contexte, Philippe II forge avec Venise et Rome la coalition de la Sainte-Ligue dont la flotte écrase celle des Ottomans à la bataille de Lépante en 1571, mettant fin à la domination turque en Méditerranée.
Mais dans les deux décennies qui suivent, Philippe II perd sa « prudence » et se lance dans une série de conflits en dépit de tout bon sens politique et qui s’avéreront souvent désastreux : la « rébellion des Gueux » aux Pays-Bas, provinces riches qui constituaient le moteur de l’empire de Charles Quint et que le duc d’Albe tente vainement d’écraser par une répression traumatisante, aboutit à la perte de la partie nord du territoire, devenue Province-Unies grâce aux armées protestantes de Guillaume d’Orange en 1581 (cf. chap. 8.2). Philippe II perd dans ce conflit son propre fils et alors seul héritier, Don Carlos, qui avait promis son soutien à la rébellion ; arrêté par l’Inquisition, il meurt en prison dans des circonstances non élucidées qui vont durablement entacher la Couronne. En Angleterre, Élisabeth Ière accueille les réfugiés flamands et hollandais persécutés par les troupes espagnoles et ferme les yeux sur les actes de piraterie anglais contre les vaisseaux hispaniques. En août 1588, l’« Invincible Armada », gigantesque flotte destinée à envahir l’Angleterre avec 132 navires et hourques transportant 20'000 soldats et 10'000 marins, est défaite dans la Manche par les navires britanniques. C’est une victoire éclatante du nationalisme anglais et de la cause protestante, même si la flotte de Philippe II ne perd aucun navire lourd durant le combat. L’échec de l’Armada sera d’ailleurs suivi de deux autres tentatives d’invasion ratées en 1596 et en 1597.
L’augmentation de la charge fiscale pour financer ces diverses guerres se traduit par un durcissement du régime. En 1568, de sérieux troubles ont éclaté dans le royaume de Grenade lors de la révolte des Alpujarras : les morisques, musulmans convertis de force au catholicisme, se sont opposés à la loi leur interdisant désormais l’usage de leur culture et de leur langue ; écrasée dans le sang, l’insurrection s’est terminée par une déportation massive des éléments les plus actifs de la nation. Avec l’expulsion des juifs en 1492, cette mesure a placé le commerce espagnol entre les mains des marchands hollandais ou génois, entraînant la fuite des capitaux à l’étranger. Madrid a dès lors du mal à assumer ses dépenses dues à la construction de palais, à l’entretien ruineux des grands d’Espagne et aux conflits armés. Or, les arrivées de métal précieux sont intermittentes : il faut extraire l’argent des mines du Potosi (Bolivie), l’acheminer jusqu’à la mer et le charger sur des galions qui doivent affronter les tempêtes et les corsaires anglais ou français. Trois banqueroutes en 1557, 1575 (suite à la guerre navale contre les Turcs) et 1598 font trembler la finance espagnole et le monde bancaire européen. Tout comme ses successeurs directs, Philippe II peine à honorer ses dettes, car la fiscalité dépend depuis le XIIe siècle de l’accord des Cortès, l’assemblée des dix-huit principales villes de Castille. Pour n’avoir pas voulu mettre à contribution les plus riches du royaume ni su stimuler sa production intérieure, l’Espagne du XVIe siècle s’enfonce dans la crise et sera, au siècle suivant, dépassée par les pays de l’Europe du Nord.
Philippe II meurt en 1598 au palais-monastère ascétique et sévère de l’Escurial à l’âge de 71 ans. Son long règne – 42 ans - est entaché par une légende noire soigneusement entretenue par la propagande de ses ennemis anglo-flamands. Si son siècle représente le sommet de la puissance de l’Espagne – on parle de « Siècle d’or » -, illuminé par des artistes comme Miguel de Cervantès, Lope de Vega, Francisco de Quevedo, Francisco Delicado, le peintre El Greco, des religieux comme Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix, voire des personnalités originales comme la princesse borgne d’Eboli – son règne est devenu au fil des siècles synonyme d’obscurantisme, de rigidité et de déclin.
Nota bene : Tous les films relatant l’échec naval de l’Armada espagnole en 1588 ont été produits par des studios anglo-américains (cf. Angleterre, chap. 17). – Précisons cependant à ce propos que parmi ce lot, les films tournés dans les années 1930-1945 ne visent pas tant l’Espagne de Philippe II ou celle de Franco, mais un adversaire autrement plus menaçant : Adolf Hitler. Quant à la « Sainte » Inquisition, elle est alors assimilée à la Gestapo.
Obsédé, comme son père, de réconcilier la chrétienté autour de l’Église catholique romaine et ardent promoteur de la reprise des discussions au Concile de Trente (élaboration, structuration et renforcement musclée de la Contre-Réforme) pour anéantir le protestantisme, sa politique religieuse d’une implacable dureté devient la clé de voûte de son règne. L’Inquisition maintient et renforce même sa puissance dans tous les recoins de la société, poursuivant sa politique raciale sous l’égide du cardinal Juan Martínez Silíceo, le plus grand antisémite espagnol du XVIe siècle, ex-aumônier et confesseur du roi dans sa jeunesse. L’Espagne compte alors 9000 couvents où vivent 32'000 franciscains et dominicains, tandis que le nombre de jésuites ne cesse de s’accroître. Dans ce contexte, Philippe II forge avec Venise et Rome la coalition de la Sainte-Ligue dont la flotte écrase celle des Ottomans à la bataille de Lépante en 1571, mettant fin à la domination turque en Méditerranée.
Mais dans les deux décennies qui suivent, Philippe II perd sa « prudence » et se lance dans une série de conflits en dépit de tout bon sens politique et qui s’avéreront souvent désastreux : la « rébellion des Gueux » aux Pays-Bas, provinces riches qui constituaient le moteur de l’empire de Charles Quint et que le duc d’Albe tente vainement d’écraser par une répression traumatisante, aboutit à la perte de la partie nord du territoire, devenue Province-Unies grâce aux armées protestantes de Guillaume d’Orange en 1581 (cf. chap. 8.2). Philippe II perd dans ce conflit son propre fils et alors seul héritier, Don Carlos, qui avait promis son soutien à la rébellion ; arrêté par l’Inquisition, il meurt en prison dans des circonstances non élucidées qui vont durablement entacher la Couronne. En Angleterre, Élisabeth Ière accueille les réfugiés flamands et hollandais persécutés par les troupes espagnoles et ferme les yeux sur les actes de piraterie anglais contre les vaisseaux hispaniques. En août 1588, l’« Invincible Armada », gigantesque flotte destinée à envahir l’Angleterre avec 132 navires et hourques transportant 20'000 soldats et 10'000 marins, est défaite dans la Manche par les navires britanniques. C’est une victoire éclatante du nationalisme anglais et de la cause protestante, même si la flotte de Philippe II ne perd aucun navire lourd durant le combat. L’échec de l’Armada sera d’ailleurs suivi de deux autres tentatives d’invasion ratées en 1596 et en 1597.
L’augmentation de la charge fiscale pour financer ces diverses guerres se traduit par un durcissement du régime. En 1568, de sérieux troubles ont éclaté dans le royaume de Grenade lors de la révolte des Alpujarras : les morisques, musulmans convertis de force au catholicisme, se sont opposés à la loi leur interdisant désormais l’usage de leur culture et de leur langue ; écrasée dans le sang, l’insurrection s’est terminée par une déportation massive des éléments les plus actifs de la nation. Avec l’expulsion des juifs en 1492, cette mesure a placé le commerce espagnol entre les mains des marchands hollandais ou génois, entraînant la fuite des capitaux à l’étranger. Madrid a dès lors du mal à assumer ses dépenses dues à la construction de palais, à l’entretien ruineux des grands d’Espagne et aux conflits armés. Or, les arrivées de métal précieux sont intermittentes : il faut extraire l’argent des mines du Potosi (Bolivie), l’acheminer jusqu’à la mer et le charger sur des galions qui doivent affronter les tempêtes et les corsaires anglais ou français. Trois banqueroutes en 1557, 1575 (suite à la guerre navale contre les Turcs) et 1598 font trembler la finance espagnole et le monde bancaire européen. Tout comme ses successeurs directs, Philippe II peine à honorer ses dettes, car la fiscalité dépend depuis le XIIe siècle de l’accord des Cortès, l’assemblée des dix-huit principales villes de Castille. Pour n’avoir pas voulu mettre à contribution les plus riches du royaume ni su stimuler sa production intérieure, l’Espagne du XVIe siècle s’enfonce dans la crise et sera, au siècle suivant, dépassée par les pays de l’Europe du Nord.
Philippe II meurt en 1598 au palais-monastère ascétique et sévère de l’Escurial à l’âge de 71 ans. Son long règne – 42 ans - est entaché par une légende noire soigneusement entretenue par la propagande de ses ennemis anglo-flamands. Si son siècle représente le sommet de la puissance de l’Espagne – on parle de « Siècle d’or » -, illuminé par des artistes comme Miguel de Cervantès, Lope de Vega, Francisco de Quevedo, Francisco Delicado, le peintre El Greco, des religieux comme Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix, voire des personnalités originales comme la princesse borgne d’Eboli – son règne est devenu au fil des siècles synonyme d’obscurantisme, de rigidité et de déclin.
Nota bene : Tous les films relatant l’échec naval de l’Armada espagnole en 1588 ont été produits par des studios anglo-américains (cf. Angleterre, chap. 17). – Précisons cependant à ce propos que parmi ce lot, les films tournés dans les années 1930-1945 ne visent pas tant l’Espagne de Philippe II ou celle de Franco, mais un adversaire autrement plus menaçant : Adolf Hitler. Quant à la « Sainte » Inquisition, elle est alors assimilée à la Gestapo.