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et précaire pour tous. Où la moindre infraction aux lois entraîne la peine capitale, où la compassion est rare,
les pots-de-vin vont de soi et les inégalités sont criantes. Où seuls la citoyenneté, les clans de famille et le culte
des ancêtres font loi (les Romains ne faisaient pas de différence entre moralité et politique : était juste ce qui
servait la société, c’est-à-dire dirigeants et possédants). En un clin d’œil, les revers de fortune entraînent ruine
ou annihilation dans l’esclavage. Les quartiers plébéiens, grouillants et crasseux comme une casbah nord-afri-
caine, sont régis par des organisations proto-mafieuses, les légionnaires démobilisés condamnés à des emplois
de tueurs. La liberté et la polymorphie sexuelles sont, elles aussi, fort éloignées de l’éthique judéo-chrétienne.
A l’occasion, les réalisateurs gomment les codes éthiques sévères en vigueur dans le patriciat, forcent le trait,
suscitant la protestation de certains. «On a oublié que les Romains bougaient, parlaient, entendaient, voyaient
autrement que des Occidentaux du XXI
e
siècle, s’écrie Florence Dupont, que leurs rapports à l’espace et au
temps, à leur corps et à celui des autres n’étaient pas les nôtres » 
9
. Une évidence que ne contredit pas la série,
malgré quelques concessions à la dramaturgie et aux spectateurs d’aujourd’hui. L’effet d’étrangeté provoqué par
le
Satyricon
de Fellini se retrouve ici sous des dehors plus prosaïques, moins fantasques. Pour la première fois à
l’écran, l’attachement profond des Romains à leurs dieux et l’accomplissement journalier de leurs devoirs reli-
gieux (l’athéisme est alors mal vu), les prescriptions et purifications rituelles jusqu’alors oblitérées ou ridiculisées
au nom du christianisme, sont dépeints scrupuleusement, sans parti pris ni moralisme. Pareille reconstitution
eût encore été impensable quelques décennies plus tôt, et il faut l’avènement d’une mondialisation affranchie
de credo moral, un âge de désillusion et de cynisme pour la concrétiser. Les téléspectateurs italiens refusent en
bloc, et même avec véhémence, ce tableau si naturaliste de leurs ancêtres qui a le tort de trop se démarquer des
« nobles » poncifs hérités du XIX 
e
siècle
10
.
 1
Quoique issu du grec « peplon ». Le terme est lancé en 1960 dans le cercle du ciné-club parisien Nickel-Odéon, cf. « Le mot et la chose », l’amusante
recherche étymologique de Claude Aziza in :
CinémAction
no. 89 (« Le péplum : l’Antiquité au cinéma »), Paris 1998, pp. 7-11.
 2
Cf. l’analyse de Maria Wyke,
Projecting the Past. Ancient Rome, Cinema and History
(ch. 2, «Projecting Ancient Rome »), Routledge, New York, Lon-
don 1997, p. 14 ss.
 3
Jérôme Bimbenet,
Film et histoire
, Armand Colin, Paris 2007, p. 185.
 4
Michael Wood,
America in the Movies
, Secker and Warburg, London 1975, pp. 184-185.
 5
« Ben-Hur, une bible américaine», in :
Positif
no. 468, février 2000 (dossier « L’Antiquité à Hollywood »).
 6
Jean-Loup Bourget, « Plutarque à Hollywood. La représentation de l’Antiquité au cinéma », in :
Positif
no. 468, février 2000, p. 85.
 7
Cf. Sandrine Gouazé,
L’image de Scipion l’Africain, César, Caligula et Néron au cinéma
, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Toulouse-Le
Mirail, octobre 1995, p. 205.
 8
Bourget,
op. cit
.
 9
Florence Dupont, «Rome, ton univers impitoyable ... », in :
Le Monde diplomatique
, avril 2007; cf. la réponse pertinente de Denys Corel et Antoine
de Froberville, «Rome ... Malheur à celui qui n’a pas compris. De la confusion des genres entre fiction et Histoire », sur http ://denyscorel.over-blog.
com/article-10713193-6.html (« Sruggling Writer. Fiction et Narration »).
10
Cf. l’impressionnant dossier analytique de Michel Eloy consacré à cette série sur
(2007). Bertrand Marcuzzi en dé-
taille les exactitudes et inexactitudes dans son mémoire
L’antiquité romaine dans l’audiovisuel anglo-saxon: la République romaine dans la série «Rome
»
(sous la dir. du prof. Yves Perrin), Université Jean Monnet, Saint-Etienne 2008 (144 p.).
La Rome républicaine vue par Stanley Kubrick dans
Spartacus
(1960), avec des trucages optiques de Peter Ellenshaw
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