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  l’antiquité au cinéma
vérité « simple » qui ne doive quasiment rien à la reconsti-
tution historique (tournage aux studios romains IN.CI.R.-
De Paolis, àViterbo dans le Latium, puis en décors naturels
en Calabre, notamment à Sassi di Matera, à Potenza, à
Gioia Tauro et sur les flancs de l’Etna) donnent à son film
une sécheresse documentaire, une intensité et une humilité
empreintes de poésie. La vibration de l’air, la chaleur et les
odeurs y deviennent perceptibles. Pasolini échappe aux cli-
chés et au pompiérisme de tant de fresques religieuses. Les
moindres accessoires, les décors apparaissent justes tout en
n’étant pas rattachés à une époque précise. Les paysans et
acteurs non professionnels utilisés, tous sans maquillage,
ont des visages qui s’enracinent naturellement dans la terre,
et que la caméra de Pasolini transforme en personnages
de Piero Della Francesca, Cosimo Tura ou Mantegna (les
casques de la soldatesque font d’ailleurs très Renaissance).
L’étudiant basque Enrique Irazoqui campe un Christ au
regard noir, les traits burinés, maigre, les joues creusées et
rongées de barbe (accusé en Espagne franquiste d’avoir joué
dans un film communiste, il sera suspendu pour une année
de l’université). Judas est joué par un camionneur romain
et la Vierge par la propre mère du cinéaste.
A l’instar de Matthieu, Pasolini donne du Messie et de
son entourage une peinture dépourvue de suavité embel-
lissante, de douceur sanctifiée ; incrédule, la population de
Nazareth le rejette, et Jésus apostrophe sèchement la Vierge
en lui demandant « qui est ma mère ? » (12 : 48). Refusant
tout hiératisme et toute dramatisation des faits miraculeux,
Pasolini met en avant le Christ « agitateur », celui qui ap-
porte « non pas la paix, mais l’épée », dénonçant les riches
et défendant les pauvres et les opprimés. Un Christ contre
les bien-pensants, Jésus en héros révolutionnaire furieux,
fiévreux, brûlé de l’intérieur, criant ses Béatitudes devant
un panorama de montagnes désertiques, irradiées par la
lumière. Décrits comme un clan de mafieux, les Pharisiens
portent des coiffes proches des mitres pontificales et les sol-
dats d’Hérode évoquent la racaille fasciste. La résurrection
n’est que suggérée. « Je ne cherche pas le scandale, déclare
le cinéaste, Dieu est le scandale de ce monde. Le Christ,
s’il revenait, serait de nouveau le scandale, il l’a déjà été de
son temps » (Jean A. Gili,
Le cinéma italien
, éd. La Mar-
tinière, Paris 1996). Pasolini affirme vouloir « rendre le
Christ au peuple », mais, symptomatiquement, son Naza-
réen prolétaire est surtout acclamé par la classe qu’il déni-
gre. On ne peut s’empêcher d’y voir de la religiosité assai-
sonnée pour bourgeois cultivés (musique : Bach, Mozart,
Prokofiev, Weber et Negro Spirituals), ceux qui méprisent
le cinéma populaire, donc les péplums. Un film pour les
agnostiques séduits par l’esthétisme idéologisant. L’œuvre
est couronnée par le prix de l’Office catholique interna-
tional du cinéma et le prix spécial du jury à Venise. A la
veille de son assassinat crapuleux dans un bidonville près
d’Ostie en 1975, Pasolini travaillera encore à un scénario
sur
*Santo Paolo
, dit « l’apôtre des gentils ».
1965
The Greatest Story Ever Told
(La plus grande histoire
jamais contée)
(US) George Stevens [et David Lean,
Jean Negulesco] ; United Artists, 227 min. – av. Max
von Sydow (Jésus-Christ), Dorothy McGuire (Marie),
Enrique Irazoqui fait un Christ dérangeant, pourfendeur des hypocrisies de la société (
Il Vangelo secondo Matteo
de P. P. Pasolini, 1964)
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