III - L’ITALIE

Le doge reçoit les citoyens de Venise dans « Il ponte dei sospiri » (1940) de Mario Bonnard.

3. LA RÉPUBLIQUE SÉRÉNISSIME DE VENISE

Reconnus par l'Empire byzantin d'Orient en 584, les Vénitiens de la République se donnent un conseil de douze tribuns qui, en 697, élisent leur premier duc ou " doge " : Paolucio Anafesto, personnage aux confins de la légende et de l'histoire. En 991, Pietro Orseolo II devient doge et impose la domination de la république maritime sur l'Adriatique. Au XIe siècle, Venise s'émancipe de Byzance et choisit en 1054 l'obédience de Rome. Néanmoins, l'essor de la ville-État s'appuye d'abord sur ses relations commerciales avec Constantinople. Comme les trois autres grands ports d'Italie, Gênes, Pise et Amalfi, elle établit son pouvoir par la proximité maritime.

De 1202 à 1204, Venise détourne la Quatrième Croisade (destinée à récupérer Jérusalem) pour entreprendre à son profit le dépéçage de l'Empire byzantin en attaquant et pillant la très chrétienne Constantinople - qui ne s'en remettra pas et ne pourra résister aux Ottomans. Elle vole à cette occasion le fameux quadrige en cuivre coulé de Lysippe qui ornait autrefois l'hippodrome de la capitale byzantine pour le placer sur la place Saint-Marc. Cette vaste opération de brigandage menée par le doge Enrico Dandolo (1107-1205) rapporte aux Vénitiens - temporairement excommuniés par le pape Innocent III - de vastes territoires en Hongrie, plusieurs îles grecques et les trois-huitième de la ville de Constantinople. Ces positions lui assurent désormais le contrôle commercial de toute la Méditerranée orientale : jusque-là reine de l'Adriatique, elle devient un point de passage obligé entre l'Orient maritime et l'Occident continental. Le pillage éhonté de Constantinople fait de Venise une des villes les plus riches et puissantes de l'époque. Créée en 1310, le Conseil des Dix (en réalité 17 membres) devient l'institution judiciaire destinée à sanctionner les complots ourdis contre la République ; il dispose de pouvoirs particulièrement étendus, lui permettant même de destituer le doge (pourtant élu à vie). La " très séreine " République oligarchique s'enorgueillit de sa concorde civile : sans factions nobiliaires ni soulèvements populaires contre le doge et l'ordre patricien, elle parvient à maintenir une stabilité politique et religieuse favorable au commerce grâce à la multiplicité des assemblées où l'on débat du quotidien.

La Venise médiévale vit son apogée aux XII-XIVe siècles, marqués par des guerres persistantes contre les cités rivales de Gênes, puis de Florence. En 1381, Gênes et Florence, écrasées par leur endettement, incapables de financer leur combat, finissent par reconnaître la suprématie de la " cité des doges ", qui se concentre dès lors sur la lutte contre les Ottomans (1464/79). Grâce à son expansion et à la supériorité technique de ses galères, la Sérénissime contrôle Trieste et l'Istrie, la plupart des villes-États dalmates (Raguse/Dubrovnik, Spalato/Split, Zara), les îles Ioniennes (dont Corfou) et des îles de la mer Égée (dont la Crète et Chypre).

En 1400, la flotte marchande vénitienne compte vingt-cinq mille marins pour trois mille navires et la cité est défendue par trois cents navires de guerre. L'État se comporte comme une gigantesque compagnie de navigation, ses convois armés sillonnent les côtes jusqu'à la mer Noire, chargés de soie, de perles et d'épices. Le revenu par habitant est alors quinze fois plus élevé que celui des autres capitales européennes. Vers 1470, Venise devient aussi la capitale du livre en Occident, avec 500 éditeurs connus au cours du XVe siècle, plus de 15'000 titres, de 15 à 20 millions d'exemplaires, soit la moitié des livres publiés en Italie pendant cette période, ce qui suscite l'inquiétude pontificale en raison de l'" infection hérétique " du protestantisme. En mars 1516, les refugiés juifs sont acceuillis et regroupés dans un ghetto isolé du reste de la ville, à l'écart de la communauté chrétienne.

Toutefois, les guerres d'Italie à la fin du XVe siècle, avec l'irruption de grandes puissances étrangères comme la France, l'Espagne, l'Angleterre et la Hongrie, perturbent l'équilibre politique de la Péninsule. En 1509, le pape Jules II, dont le pouvoir temporel est menacé par les Vénitiens en Romagne, prononce l'excommunication de la République qui ne peut plus célébrer des offices religieux sur son territoire. Malgré l'écrasante défaite militaire des Vénitiens par une coalition franco-germano-hispano-papale à Agnadel/Ghiaradadda, la ville de Venise n'est pas prise et survit à l'invasion de la Vénétie sans subir de sac (contrairement à Rome). Elle perdra cependant progressivement sa suprématie commerciale et maritime avec les routes du monde qui se déplaçent de la Méditerranée à l'Atlantique, puis au Pacifique, ainsi qu'avec les nouvelles prétentions impériales de l'Espagne, de la France et des Turcs. En 1797, cédant aux menaces de Bonaparte, les nobles du Grand Conseil voteront l'abolition des institutions millémaires de la République.