VI - EUROPE CENTRALE ET DE L’EST, BALKANS, TURQUIE et invasions mongoles

4. DE LA RUS’ DE KIEV (RUTHÉNIE) AU ROYAUME DE MOSCOVIE

La Rus’ (ou Rous) de Kiev, appelée aussi Ruthénie prémongole, est la première grande principauté slave orientale, la plus ancienne entité politique commune à l’histoire de la Biélorussie, de la Russie et de l’Ukraine modernes. A la fin du IXe siècle, les Vikings (ou Varègues) arrivent à Kiev et s’y assimilent avec les Polianes slaves d’Ukraine centrale. Jusqu’alors, les Polianes étaient dépendants des Khazars, un peuple turc semi-nomade, mais en 864, les premiers souverains nordiques s’imposent avec les princes Askold et Dir. Le prince Oleg le Sage dépose ces derniers en 882 et choisit Kiev comme capitale. La dynastie d’origine scandinave est rapidement slavisée tandis que le polythéisme slavo-nordique est remplacé par le christianisme orthodoxe (dépendant du patriarcat de Constantinople) qui devient la religion officielle en 988, notamment par l’intermédiaire du missionnaire grec Cyrille. C’est donc de la rencontre d’une dynastie scandinave et d’une religion venue de Byzance que naissent en même temps l’État et la chrétienté ruthènes. Sous les règnes de Vladimir le Grand (980-1015) et de son fils Iaroslav le Sage (1019-1054), la Rus’ de Kiev vit son âge d’or : c’est l’État d’Europe le plus étendu, atteignant la mer Noire, la Volga, ainsi que le royaume de Pologne et le futur grand-duché de Lituanie. On y trouve les premiers écrits en langue slave (liturgie et codes juridiques), une princesse kiévienne devient même reine de France, épouse du monarque capétien Henri Ier. Cet essor est dû aux voies commerciales par le Dniepr entre la mer Baltique et l’Empire byzantin, puis par la Volga avec l’Orient en passant par la mer Caspienne. À la base de la société se trouve un nombre important d’esclaves, et il existe aussi une classe de paysans tributaires de leur seigneurs, proches des serfs, mais le caractère généralisé du servage n’existe pas dans la Rus’, à la différence de l’Europe occidentale ou, plus tard, dans l’Empire russe : la plus grande classe sociale de la Rus’ est composée de paysans libres. Mais au XIIe siècle, les conflits entre les différentes principautés issues de la gouvernance kiévienne et les antagonismes dynastiques successifs mènent la Rus’ au déclin : le trône de Kiev est convoité successivement par la principauté de Vladimir-Souzdal, la très puissante République libre de Novgorod (gouvernée par la Vece, une oligarchie locale de commerçants), les principautés de Galicie, de Volhynie, de Smolensk, etc. En 1240, les Mongols de Batou Khan, petit-fils de Gengis Khan, s’emparent de la capitale affaiblie et les Kieviens doivent, comme la majorité des autres principautés slaves orientales, se soumettre à la Horde d’Or mongole pour deux siècles et demi.
A ce moment, Moscou n’est encore qu’un avant-poste commercial négligeable dans la principauté de Vladimir-Souzdal. Même si les Mongols brûlent Moscou pendant l’hiver 1238 et la pillent en 1293, son site dans la forêt lui offre une certaine sécurité avec accès aux routes commerciales. En tant que dirigeant de la grande-principauté de Vladimir-Souzdal, Alexandre Nevski est le premier prince à ordonner au peuple moscovite de se soumettre à la Horde d’Or tatare (c’est d’ailleurs sous son règne que le nom de Moscou apparaît pour la première fois dans les chroniques). En 1327, la ville rebelle de Tver et conquise par les forces conjointes des Mongols et des Moscovites d’Ivan Ier de Russie, campagne lucrative qui permet à ce dernier de construire des églises de pierre dans le kremlin de Moscou. Son petit-fils Dimitri Ier Donskoï remporte une première victoire importante sur les Tatars à Kulikovo en 1380. Les années relatives de paix permettent à Vassili Ier d’annexer Nijni Novgorod et Souzdal en 1392. L’expansion de la Moscovie aux XIVe et XVe siècles est accompagnée d’une consolidation interne. Ainsi, Ivan III le Grand contraint les divers princes à reconnaître son autorité militaire, judiciaire et diplomatique, puis annexe la république de Novgorod (1478), libère définitivement Moscou du joug mongol (1480), conquiert le grand-duché de Lituanie (1503) et étend sa grande-principauté dans l’ouest de l’ancienne Rus’ de Kiev, parachevant ainsi la centralisation de son État.
Son petit-fils Ivan IV dit le Terrible (ou le Redoutable) s’autocouronne « tsar (roi) de toutes les Russies » en 1547. Les premières années de son règne sont consacrées à la modernisation du pays, plaçant aux postes clefs de petites gens qui lui sont acquis plutôt que les boyards (nobles et chefs militaires). Mais le régime de l'autocrate se durcit à partir de 1560 quand il généralise le servage dans la paysannerie, puis introduit un régime de terreur mené par sa police spéciale des opritchniks, dirigé en particulier contre les boyards. Il fait même assassiner le métropolite Philippe II de Moscou qui n’approuve pas sa cruauté. Il conquiert Kazan, capitale du khanat tatare, et massacre la population de Novgorod accusée de comploter contre son autorité, tandis que son général Ermak atteint l’Oural, puis la Sibérie. À la fin de son règne, le tsarat de Moscou se trouve dévasté par 25 ans d’une guerre perdue contre une coalition formée par la Pologne, la Suède, la Lituanie et les chevaliers teutoniques de Livonie. Fou de rage, il tue son fils aîné en le frappant de son sceptre, avant de décéder en 1584 dans des circonstances inexpliquées. Régent puis durant sept ans tsar sous le nom de Boris Ier, Boris Godounov assume vainement (et au prix de sa vie) la gestion chaotique du royaume, au début d’une crise de succession prolongée qu’on appellera « le Temps des troubles » et qui se terminera seulement en 1613 par l’accession au trône du premier des Romanov.

Nota bene : ce n’est qu’en 1721 que le tsar Pierre le Grand rebaptisera son royaume de Moscovie du nom d’Empire russe, ou de Russie.

4.1. Les Slaves orientaux aux VIe-XVIe siècles

1906L'Espionne (FR) de Lucien Nonguet
Pathé Frères S.A. (Paris), 130 m./4,20 min. - av. Louis Paglieri. – Au XVIe siècle, Véra, fille d’un hetman cosaque en Ukraine aime un jeune chef tatar de Crimée. Elle découvre un plan de guerre pour anéantir le clan tatar et le dérobe, mais son père la punit cruellement pour cette trahison en l’attachant à la queue d’un cheval indompté ; son bien-aimé peine à reconnaître le cadavre atrocement mutilé de sa bien-aimée. – US : The Female Spy.
1909Dimitry Donskoy / Epizod iz zhizni: Epohi - Dmitriya Donskogo [=Épisode de la vie de Dimitri Donskoï] (RU/FR) de Kai Hansen
Le Film Russe/Pathé Rouss (Moskva)-Pathé Frères (Paris) no. 3217, 230m. (dont 208 m. en couleurs). – av. Kuz’ma Matveyev (le prince Dimitri Donskoï), I. Langfeld (le paysan Trepoff), Vladimir Karine (son fils), Nina Rutkovskaia (sa fille), Vladimir Save’lev (l’oncle), P. Voinoff (un Tartare). – Les Trepoff sont de pauvres bûcherons russes que des Mongols capturent et emmènent devant leur chef. Le khan exige que le fils Trepoff abjure sa foi chrétienne, mais ce dernier refuse, jette le Coran au sol et est tué sur place. Son père s’évade durant la nuit, puis, ayant assisté impuissant à l’enlèvement de leur fille, il appelle au secours le prince Dimitri à Moscou. Celui-ci réunit son armée, envahit le camp mongol et récupère la fille Trepoff. - Dimitri Ier Donskoï (1350-1389), grand prince de Moscou et de Vladimir, est considéré par l’Église orthodoxe russe comme un saint ; il a fortifié Moscou et construit le Kremlin. Profitant de l’anarchie dans laquelle s’enfonce la Horde d’Or, Dimitri cesse de lui payer le tribut et, le 8 septembre 1380, il remporte sur l’émir Mamay la bataille de Koulikovo sur les bords du Don (d’où son surnom de Donskoï), bataille à laquelle le film du pionnier du cinéma muet russe Kai Hansen fait référence. Post-scriptum : deux ans plus tard, les Mongols dévasteront Moscou et contraindront Dimitri à repayer tribut.
Une belle veuve tourne la tête du prince de Novgorod et de son fils (« L’Enchanteresse », 1909).
1909Charodieika / Nizhegorodskoe predanie (L’Enchanteresse / Une légende de Nijny Novgorod) (RU) de Vassilij Goncharov et Pyotr Chardynin
Aleksandr Khanzhonkov & Co., 365 m. (7 scènes)/12 min. - av. Lyubov Varyagina (Nastasia), Pyotr Chardynin (le prince Nikita Danilyth Kourliatev), E. Faadeva (la princesse Eupraxie Romanovna, sa femme), Andrei Gromov (Youri, leur fils), Alexandra Gontcharova (la servante de Nastasia).
Dans les parages de Nijni Novgorod au XVe siècle. Nastasia, une belle veuve, vit une vie libre au bord de la rivière, attirant jeunes et vieux par sa beauté, son esprit et sa gaieté. Certains la croient sorcière. Le vieux prince Nikita Kourliatev, gouverneur de la cité, oublie maison, femme et enfants avec elle, mais Nastasia le repousse. Même son fils Youri, qui a pourtant juré de venger sa mère, la princesse Eupraxie, est conquis par l’enchanteresse et les deux, tombés amoureux, décident de fuguer. Entretemps, Eupraxie n’en dort pas, se déguise en pèlerin, pénètre chez sa rivale et l’empoisonne ; Nastasia décède dans les bras de Youri. Le prince Nikita, furieux se précipite avec un poignard sur sa femme, mais son fils se jette devant sa mère pour la protéger et périt à sa place. - Une mise en images de l’opéra tragique éponyme en 4 actes de Piotr Illitch Tchaïkovsky sur un livret d’Ippolit V. Chpazhinsky, créé en 1887 au théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg.
1910Martha Posadnitza / Marfa Posadnitsa - Padenie Novgoroda velikogo [=La Chute de Novgorod la Grande] (FR/RU) de Maurice André Maître
Le Film d’Art Russe-Pathé Rouss (Moskva)/Série d’Art Pathé Frères (SAPF Paris), 545 m. - av. Arkadieva Rustanova (Marfa Boretskaya), Z. Mamonova (Kseniya, sa fille), Nicolaï Vassiliev (le tsar Ivan III), S. Lazarev (l’ermite Feodoski), Nicolaï Vekov (l’orphelin Miroslav), A. Lesnogorski (un étranger). – En 1471, résolu à annexer la ville libre de Novgorod à sa couronne, le grand prince de Moscou Ivan III y envoie par un émissaire l’ordre de se soumettre. Mais Martha/Marfa Boretskaya (dite « Posadnitsa », la gouverneure), âme de la résistance locale et partisane d’une alliance républicaine avec le grand-duché de Lituanie, pousse ses concitoyens à chasser l’ambassadeur. Furieux, Ivan III assiège la cité et le fiancé de Martha, Miroslav, tente une sortie contre les Moscovites, mais il est tué au combat. Le Conseil des Prévôts apprend à Martha que la ville, réduite à la famine, est contrainte de se soumettre. Martha, dont la résistance a exaspéré le tsar, est décapitée à Moscou en 1478. Une adaptation du roman Marfa-posadnitsa de Nikolaï Karamzin (1802). - GB/US : The Fall of Novgorod the Great.
A la veille du mariage (« La Fille du Boyard », 1911).
1911Boyarskaya Doch’ / Vol’naya volyushka [=La Fille du Boyard] (RU) de Pyotr Chardynin
Aleksandr Khanzhonkov & Co., 225 m. - av. Aleksandra Goncharova (Antonina), Vassily Stepanov (le boyard Shalygine, son père), Pavel Biryukov (l’ataman brigand). – Au XVIe siècle. Sévère et souvent mal luné, le boyard veuf Shalygine adore, comme toute sa maisonnée, sa fille Antonina. Sauf la vieille nourrice qui révèle au père l’amour secret d’Antonina pour un jeune ataman cosaque. Shalygine fait chasser le jeune homme et offre sa fille en mariage à un vieillard de la noblesse locale. L’ataman et ses acolytes prennent sa datcha d’assaut, détruisent les lieux et enlèvent la fille. Ayant cherché du renfort, Shalygine anéantit le campement de l’ataman et voulant tuer ce dernier, il poignarde par erreur sa propre fille. Une intrigue tirée d’une pièce d’Ippolit Shpazhinsky.
1912Pesn o veshehem Olege (Le Chant du prophète d’Oleg) (RU) de Iakov Protazanov
(Paul) Thiemann & (Friedrich) Reinhardt (Moskva), 285 m. - av. S. Tarasov (le prince Oleg), Iakov Protazanov.
La mort d’Oleg le Sage, prince varègue (viking) de la Rus’ de Kiev, en 912. Première figure historique attestée de l’histoire russe et fondateur de la Russ’ (Ruthénie) kiévienne, il s’attaque à Byzance en 907 à la tête d’une douzaine de tribus et de guerriers vikings et obtient de force une paix qui leur accorde le droit de commercer librement. Le décès du prince, célébré dans une ballade d’Alexandre Pouchkine, puis dans une cantate de Nikolaï Rimsky-Korsakov (1899), tient de la légende : pour échapper à la prédiction d’un mage lui annonçant que sa mort viendrait de son cheval favori, Oleg abandonne sa monture pour la guerre. De retour, il apprend la mort de son cheval. Maudissant le mage et sa fausse prédiction, il se rend près de la rivière où gisent les os de la bête, desquels sort un serpent venimeux qui mord Oleg.
1929Zakhar Berkout (RSSU – République socialiste soviétique d’Ukraine) de Josef Rona
Pavlo Netchès/VUFKU (Direction générale de la Photo-Cinématographie d’Ukraine), Studio d’Odessa. – Au XIIIe siècle, Zakhar Berkut, l’héroïque doyen d’une communauté dans les Carpathes ukrainiennes, combat le boyard félon Touhar Vovk et anéantit des envahisseurs mongols de la Horde d’Or. - Un film inspiré par le roman homonyme d’Ivan Franko (1883), tourné en Ukraine par le chef opérateur autrichien Joseph Rona. Le film est resté inédit (peut-être même inachevé, « encombré d’exotisme, non distribué pour insuffisance artistique et, plus encore, pour intention régionaliste » (Lubomir Husejko), un péché majeur aux yeux de l’URSS « internationaliste ». Après avoir photographié et/ou réalisé une quinzaine de films à Berlin entre 1915 et 1926, puis sept en Ukraine jusqu’en 1931, Rona disparaît des radars. Séquelles de la révolution ou des grandes famines staliniennes ? Détails biographiques sur Ivan Franko et le synopsis, cf. infra, le remake soviétique de 1971 et surtout la version ukraïno-américaine de 2019.
1938** Aleksandr Nevskiy (Alexandre Nevski) (SU) de Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein
Mosfilm (Moskva), 112 min. - av. Nicolaï Tcherkassov (Alexandre Yaroslavitch Nevski, grand-prince de Novgorod et de Vladimir), Nicolas Okhlopkov (Vassili Bouslaï), Andreï Abrikossov (Gavrilo Oleksitch), Valentina Ivacheva (Olga Danilovna, la jeune fille de Novgorod), Aleksandra Danilova (Vassilissa Pavcha, fille du gouverneur de Pskov), Dmitri Orlov (Ignat/Ignace, le maître-armurier de Novgorod), Vladimir Yerchov (Andreas von Felben, Grand-Maître de l’Ordre Teutonique), Vassili Novikov (Pavcha, gouverneur de Pskov), Nikolaï Arsky (Domash Tverdislavich, boyard de Novgorod), Varvara Massalitinova (Amelfa Timofeievna, la mère de Vassili Bouslaï), Nikita Lian-Kun (Batou Khan, chef de la Horde d’Or), Sergueï Blinnikov (le traître Tverdilo Ivanovitch, nouveau gouverneur de Pskov), Nikolaï Vitortov (le chevalier Hubertus, nouveau prince de Pskov), Nikolaï Tarasov (le chevalier Dietlieb, nouveau prince de Pskov), Pavel Pashkov (Mikula), Avenir Gulkovskij (un chevalier teutonique), Lev Fenin (l’archevêque), Ivan Lagutin (le moine Anani), Naoum Rogojine (le moine organiste en noir), Leonid Youdov (Savka), Boris Belyakov (un chevalier), Nikolaï Aparine (Mikhalka), Ivan Klyukvin (un guerrier de Pskov), Fedor Odinokov.
Synopsis : Pendant la première moitié du XIIIe siècle, le pays est dévasté par la Horde d’Or tataro-mongole ; les champs incendiés sont jonchés d’ossements et de crânes, les habitations calcinées. Le prince Alexandre Nevski de Novgorod (1220-1263) vit retiré sur ses terres à Pereslavl-Zalesski, au milieu de ses amis pêcheurs, mais lorsque leur village est rançonné par les Tatars de Batou Khan, le prince leur tient tête et les amadoue. Après leur départ, il avertit ses sujets : « Un ennemi bien plus dangereux vient de l’Ouest : l’Allemand ! ». Pskov vient de tomber, livrée aux cruels chevaliers de l’Ordre Teutonique par des traîtres sur place et qui répandent la terreur dans la cité. Des innocents sont massacrés, des nourrissons brûlés vifs dans le bûcher sur la grande place, avec la bénédiction d’un sinistre moine organiste vêtu de noir. Du haut de la potence, Pavcha, le gouverneur déchu, appelle l’aide du prince Alexandre, jadis vainqueur des Suédois sur la Neva (d’où son surnom « Nevski », cf. infra le film de 2008). Celui-ci accepte de prendre en main la défense du pays, pour autant qu’on lui accorde les pleins pouvoirs. Novgorod est sous le choc, la population prend les armes. Au marché, le robuste Vassili Bouslaï choisit une hache à sa mesure, puis lui et son ami Gavrilo Oleksitch attendent avec anxiété la réponse de la belle Olga : lequel d’entre eux choisira-t-elle pour époux ? L’enthousiasme guerrier et patriotique gagne le petit peuple, mais l’avant-garde russe est prise en embuscade. À la veille du 5 avril 1242, une histoire racontée par un de ses soldats (le conte du petit lapin poursuivi par la belette) donne à Alexandre l’idée de prendre l’ennemi en tenaille en l’attirant sur le lac gelé de Peïpous (ou Tchoudsk) et en se rabattant sur ses flancs au moment propice. Lancés à grande vitesse, les chevaliers chargent, Vassili cède le terrain et attire l’ennemi dans le piège où l’attendent Gavrilo et Nevski. Le combat est meurtrier, la discipline militaire allemande est effrayante, une muraille de boucliers et de casques appelée « la phalange macédonienne » est mise sur place pour briser les assauts russes. Newski provoque le Grand Maître de l’Ordre en combat singulier et le vainc. Sous le poids de la lourde cavalerie cuirassée de l’envahisseur, la glace finit par céder et l’infanterie russe, plus légère, a le dessus. Paniqués, les Teutoniques enfermés dans leurs armures se noient pitoyablement ou fuient en désordre. Leur camp est détruit, les prêtres sont exécutés et Vassilissa, fille du maire supplicié de Pskov, capture l’horrible moine noir. La victoire est totale. Deux guerriers se sont particulièrement distingués au combat : Gavrilo et Vassili ; ils trouvent chacun une femme qui les attend (Olga pour l’un, Vassilissa pour l’autre), tandis que dans la Pskov libérée, Alexandre Nevski donne le signal de la liesse populaire, laisse la foule châtier les traîtres, échange les chefs teutons contre du savon (sic), libère les simples soldats et lance un avertissement solennel à ceux qui songeraient désormais à envahir la patrie : « Qui vient chez nous avec l’épée périra par l’épée ».
➤ Sur le plan strictement historique, le contexte géopolitique est le suivant : avec le soutien du pape Grégoire IX et de l’empereur du Saint-Empire romain germanique, les chevaliers teutoniques tentèrent d’étendre leur domination, sous couvert de religion, vers l’est, aidés par les Danois qui venaient de conquérir l’Estonie. Leur objectif était Novgorod, de religion orthodoxe et vassal indocile de la Horde d’Or, et qu’on voulait convertir de force au catholicisme. Ce que le film ne dit pas, et pour cause : les agresseurs – 2600 hommes - regroupaient l’Ordre de Livonie (les Porte-Glaive, branche des Teutoniques), le royaume de Danemark, le duché d’Estonie et l’évêché de Dorpat. Les agressés - 5000 hommes – étaient la République de Novgorod (Nevski), la Principauté de Vladimir (sous les ordres du grand-prince André II Iaroslavitch) et la Horde d’Or dont les flèches mongoles firent des ravages dans les rangs des Teutoniques ! De surcroît, d’après les historiens récents (dont Donald Ostrowski en 2006), la glace du lac ne se serait en réalité jamais rompue, c’est une invention géniale du cinéaste. Neuf ans plus tard, en 1251, le pape Innocent IV envoya deux légats à Nevski l’invitant - en vain - à se convertir au catholicisme. Inféodé aux Mongols comme son père à partir de 1238 et lié d’amitié avec le khan Sartak, Nevski fut officiellement investi comme grand-prince de Kiev par le khan Batou, petit-fils de Gengis Khan qui le reçut à la Horde d’Or en 1249 – où il fut peut-être empoisonné. Il deviendra moine sur son lit de mort et sera canonisé par l’Église orthodoxe en 1547, sous Ivan le Terrible. En 1919, ses reliques seront saisies par le gouvernement communiste et placées dans un musée de l’athéisme jusqu’en 1989...
 Mais la conception du film a une préhistoire singulière : en mai 1932, à son retour d’un long séjour d’étude en Europe de l’Ouest, à Hollywood, puis au Mexique (avec la débâcle de Que Viva Mexico !), l’auteur mondialement acclamé du stupéfiant Cuirassé Potemkine (1925) est accusé par le Soiuzkino de formalisme décadent, d’excès de symbolisme et de subjectivisme en opposition idéologique radicale au morne « réalisme socialiste » qui s’est imposé dans tout le cinéma soviétique. À la veille des purges et grands procès de Moscou, Staline, le NKVD et la nomenklatura du parti se méfient désormais du réalisateur jadis le plus célèbre de l’URSS. Tourné entre 1935 et 1937, son Pré de Béjine est détruit avant son achèvement en raison d’« erreurs artistiques, sociales et politiques ». Son ami et mentor révéré au théâtre, le grand Vsevolod Meyerhold, est torturé et exécuté, son épouse assassinée par la police secrète. Ce n’est qu’une des 44'000 condamnations à mort sur aveux fabriqués dont sont alors victimes les héros soviétiques de la première heure, en plus des 35'000 officiers de l’Armée rouge, fusillés entre 1935 et 1938 dans une embarrassante apathie générale et laissant le dictateur seul maître à bord. L’« internationalisme révolutionnaire » a vécu, seul compte à présent la nation russe. Survivant en enseignant à l’École du cinéma (VGIK) où il peut continuer à développer ses fascinantes théories sur le 7ème art, Eisenstein est contraint de faire son autocritique dans la presse, puis propose de réaliser un film sur la formation de l’Armée rouge intitulé Nous le peuple russe, jusqu’à ce que, les relations germano-soviétiques devenant de plus en plus tendues, la Mosfilm l’attelle à ce qui deviendra Alexandre Nevski. Car le vent tourne, la célébration des héros « progressistes » du panthéon national, luminaires qui renforcent le rôle de l’individu dans l’Histoire, s’impose sur les écrans : Vladimir Petrov vient de terminer Pierre le Grand, fresque en deux parties glorifiant Staline en perruque et costume du XVIIIe siècle, avec Nicolaï Tcherkassov, 35 ans et de haute taille (1,98 m.), dans le rôle du tsarévitch Alexis. Sommé de choisir à son tour un sujet historique, Eisenstein a d’abord proposé le poème épique médiéval Le Dit de la campagne d’Igor, œuvre littéraire russo-ukrainienne datant de la fin du XIIe siècle et mis en musique par Alexandre Borodine (1890), mais la matière tragique a été rejetée catégoriquement. En juillet 1937, Eisenstein, résigné, développe donc avec Piotr Pavlenko (membre du KGB) le script d’un film qui porte d’abord les titres provisoires de Rus, de Le Prince de Novgorod (Gospodin Velikii Novgorod) puis de La Bataille sur la glace (Ledovoe poboishche), et en fixe graphiquement les grandes lignes avec ses stupéfiants dessins. Le fait que les historiens savent très peu de choses sur l’authentique prince (pas un seul portrait et des hagiographies bien tardives) a conditionné son acceptation, même s’il jugera plus tard qu’Alexandre Nevski est la plus superficielle et la moins personnelle de ses œuvres (une manière de masquer sa servilité ?). Ce n’est pas Nevski qui en est le sujet, dira-t-il, c’est notre patriotisme, et Tcherkassov, membre du Soviet Suprême à Leningrad, devra exprimer en tant que guide et sauveur providentiel « le feu retenu par la sagesse, la fusion des deux ». C’est le premier film soviétique qui se déroule au Moyen Age. Le Politbureau, qui a fixé d’avance la sortie publique du film à la fin février 1939, exige toutefois d’accentuer la présence du petit peuple et de la paysannerie destinés à écraser l’agresseur occidental, d’éliminer toute référence à la vassalité sous les Mongols et à leur embarrassante participation à la bataille, au rôle de l’église et du christianisme russes ainsi qu’à l’épouse, la vie de famille et le décès suspect (?) du prince. Enfin, le Newski soviétique ne doit pas vivre dans un palais comme un noble mais très simplement, proche de ses pêcheurs (une absurdité sur le plan historique). En mai 1938, le cinéaste, dont c’est le premier film sonore, demande à Sergueï Prokofiev d’en composer la partition (un mélange de musique symphonique et de chorale) ; Eisenstein reconnaît d’emblée la capacité exceptionnelle de Prokofiev d’« entendre une image plastique » et la rare « plasticité de ses compositions » ; certains épisodes seront même montés à partir de la bande originale enregistrée, la musique déterminant la cadence des plans et leur nature. Ainsi, l’opéra se fait cinématographe. La cantate Alexandre Nevski, réinstrumentée en sept mouvements, deviendra par la suite une œuvre à part entière, la plus populaire du musicien après Pierre et le Loup.
Le tournage - inhabituellement rapide pour Eisenstein - débute en plein été, le 5 juin aux studios de la Mosfilm à Vorobyovy Gory près du village de Potylikha, puis à Gorodichtche, Protopotovo et Pereslavl-Zalesski, à côté du lac Plesheyevo. La bataille elle-même, qui ne dure pas moins de 37 minutes (soit près d’un tiers du film !), est reconstituée en juillet sur un terrain adjacent du studio faisant 30'000 m2 : la neige y est du sable blanc apporté de la mer Baltique couvert d’un vernis de naphtaline pout la brillance, les branches des arbres peintes en blanc sont enveloppées de ouate, les acteurs aspergés de sel ; deux grands panneaux haut de 4 mètres et couverts de poussière de marbre sont utilisés pour marquer l’horizon. Enfin, les décors de Pskov et Novgorod sont reconstruits aux portes de la capitale. Visuellement, ce Moyen Âge slave est fortement influencé par les tableaux de Nicolas Roerich, créateur des décors et costumes du Prince Igor de Borodine et ceux des Ballets russes de Diaghilev. Pour les combats, Eisenstein s’inspire des descriptions tirées du roman polonais Les Chevaliers teutoniques (1900) de Henryk Sienkiewicz et se fait seconder par le directeur du studio Dimitri Vasiliev, un protégé de Staline qui assistera aussi Vsevolod Poudovkine en orchestrant les batailles (guerre de Crimée) et la seconde équipe de L’Amiral Nakhimov en 1947. L’affrontement décisif entre les armées est traité comme un somptueux ballet, une cantate héroïque enrobée dans une polyphonie parfaite de ciels blafards, d’horizons embrumés et froids. Les mouvements de caméra sont rares, seuls comptent les volumes, leurs configurations et leurs déplacements traumatisants. Assemblés en un ordre rigoureusement géométrique, engoncés dans leurs lourdes armures, leurs tuniques blanches ornées d’une grande croix (bonjour l’anticléricalisme) et leurs effrayants heaumes cylindriques masquant les visages et surplombés de cornes monstrueuses, les chevaliers apparaissent comme la préfiguration d’une légion de robots ou, plus proche, celle des redoutables panzers du général Guderian. Les historiens médiévistes russes ont vainement insisté sur le fait que les chevaliers allemands ne brûlaient pas les prisonniers, mais la fameuse séquence de l’incinération des enfants à Pskov s’est hélas révélée prophétiques : les atrocités nazies ont dépassé tous les fantasmes des cinéastes d’avant-guerre. On ne peut qu’admirer la méthode eisensteinienne du typage pour peindre la puissance et la cruauté des Teutons, avec leurs profils de rapaces, leurs trompettes sinistres, leurs immenses orgues à soufflets qui annoncent l’anéantissement sans pitié de l’adversaire... En octobre enfin, Eisenstein s’attelle au montage très complexe du film, émotionnellement aussi capital dans la structure de son récit que les cadrages expressionnistes saisis par son fidèle chef-opérateur Edouard Tissé.
 Le film est terminé début novembre 1938, après 115 jours de travail (au lieu des 198 accordés) et, une fois approuvé par Staline, sort en salle à Moscou le 23, où il obtient un grand succès et propulse Nikolaï Tcherkassov au zénith des acteurs soviétiques. Très satisfait, Staline tape sur l’épaule du cinéaste en disant « Vous êtes quand-même un bon bolchévik ! » Le réalisateur retrouve ainsi son statut des années vingt. On a tiré d’emblée 800 copies, le film est vu le premier jour par 45'000 spectateurs dans sept salles de la capitale. Une pluie d’expositions thématiques, de lectures et de conférences accompagne l’événement tandis que le cinéaste et sa vedette reçoivent l’Ordre de Lénine (la plus haute distinction d’État de l’URSS) et le Prix Staline 1ère classe ; nommé directeur artistique de la Mosfilm, le réalisateur obtient même un doctorat en histoire de l’art sans soutenir de thèse. Le 22 mars 1939, son film sort aux États-Unis, à New York (suivi d’une projection à la Maison Blanche à Washington qui aurait ému Roosevelt), puis est exploité en Belgique, en Suisse et en Grande-Bretagne. Mais le vent tourne avec la signature par Molotov et Ribbentrop du pacte de non-agression entre Moscou et Berlin le 23 août 1939, et la fresque bien sûr violemment antiallemande est retirée de l’affiche partout en URSS. Les artistes aux ordres du tyran au Kremlin feignent d’ignorer que la Finlande, la Pologne et les pays baltes paient le prix sanglant de ce pacte fumeux. Quant à Eisenstein, il est sommé d’oublier l’ennemi fasciste qu’il vient de dénoncer à l’écran et de mettre en scène Die Walküre de Richard Wagner, une des œuvres favorites de Hitler, au Théâtre Bolchoï. Mais vingt-deux mois plus tard, son film refait surface pour galvaniser la population après le déclenchement de l’« opération Barbarossa », l’attaque surprise des nazis, le 23 juin 1941. La semaine suivante, le ciné-journal de l’Armée Rouge projette un court-métrage dans lequel les chevaliers de Nevski font trembler le Führer… En juillet 1942, Staline instaurera l’Ordre d’Alexandre Newski, une décoration militaire destinée aux officiers audacieux (avec le profil de Tcherkassov en médaillon). Après-guerre, Alexandre Nevski restera - sans surprise - inédit en Allemagne de l’Ouest jusqu’en 1966 - mis à part la brève distribution d’une version quasi surréaliste en 1963, mutilée de 34 minutes et qui présente les Teutoniques comme des victimes de l’Est ! En France, la copie d’exploitation parlée français est amputée de 36 minutes.
 L’accueil de l’intelligentsia russe n’est toutefois pas unanime, en 1938 comme après la chute d’Hitler ou la mort du « petit-père des peuples ». Ainsi, déjà en février 1940, le poète-cinéaste ukrainien Alexandre Dovjenko dénonce un pathos excessif, « la volonté obséquieuse de rapprocher l’histoire de nous-même, de confondre les propos des personnages avec les discours des dirigeants actuels. Il s’avère, dit-il, qu’Alexandre Nevski peut, à juste titre, être nommé secrétaire du comité régional de Pskov » ! (Iskusstvo kino, 1964, no.3, p. 4ss). Des propos insolents que le Parti - dont il a été exclu - ne lui pardonnera jamais et en 1945, à la fin de la « Grande guerre patriotique », il sera relevé de la direction des studios de Kiev. Par la suite, plusieurs critiques russes dénonceront les simplifications clairement « fascistes » de Nevski, sa constante « théâtralité » et ses « clichés d’opéra » avec l’effet de rendre le héros en titre froid et distant. Tcherkassov se serait souvent plaint de ne pouvoir développer la psychologie de son personnage. Ce sont pourtant des effets recherchés par Eisenstein, qui font partie de sa stupéfiante évolution créative et théorique, mais dont l’application n’est hélas pas innocente. Certes, le film est d’actualité en 1938 et se veut un avertissement à l’Allemagne nazie et ses velléités d’expansionnisme (le discours final du prince Nevski est sans ambages sur ce point-là). D’autre part, le culte de la personnalité atteint ici son apogée : dans chaque plan se dégage l’idée de l’unité du peuple derrière ses chefs nobles, purs et calmes et la formidable photogénie de Tcherkassov contribue à l’intensité du message. Le film suscitera d’ailleurs aussi l’enthousiasme - paradoxal en apparence seulement - des nationalistes hors de l’URSS. Ainsi, le tandem français des écrivains et historiens du cinéma Maurice Bardèche et Robert Brasillach (fusillé pour collaboration en 1945), ouvertement fascistes et fervents admirateurs d’Adolf Hitler, écrivent-ils dans les réimpressions remaniées de leur Histoire du cinéma (Paris 1935, 1942, 1943, 1948 ss.) : « Avec toutes ses résonances germaniques, avec son culte du héros et des signes d’autrefois, Alexandre Nevski est en réalité le plus beau, le plus émouvant des films « nationalistes ». Plus rien ne passe du marxisme dans ce chant de guerre du peuple slave, et le héros blond du film prend sa place dans notre mémoire, non pas auprès de Lénine, ni même de Pierre le Grand, mais auprès de Roland, de Siegfried, de Perceval. C’est le film que l’Allemagne national-socialiste aurait dû inventer si elle avait eu le génie du cinéma ».
Qu’aujourd’hui le film « date » fortement ne fait donc pas l’ombre d’un doute : il datait déjà du temps de Khrouchtchev, de Brejnev puis de Gorbatchev. Que son idéologie soit « un brin manichéenne » et qu’il faut surtout retenir sa mise en scène grandiose, véritable symphonie visuelle, comme le formulera une majorité de cinéphiles et critiques dans l’Hexagone (dont forcément les proches du PCF), relève, dans le meilleur des cas, de la litote. Car sans vouloir s’en rendre compte (?), Eisenstein, dans son scénario-prétexte, reproche paradoxalement aux Teutoniques à l’écran de se comporter comme Staline dans la vraie vie. Les dialogues et le vocabulaire sont ceux de 1938 : la sacro-sainte notion de « terre russe » dont on abreuve le public toutes les dix minutes à l’écran n’existait pas au XIIIe siècle, les Novgorodiens n’étaient pas indistinctement des « hommes libres » mais des vassaux à divers titres, les Mongols au début apparaissent comme un ersatz raciste des Japonais antisoviétiques qui viennent d’envahir la Chine en juin 1937, etc. Dans son précieux Dictionnaire du cinéma (Paris, 1992, p. 28), Jacques Lourcelles remarque à raison qu’Eisenstein néglige tout dialogue dramatique, ses personnages sont fortement typifiés, parfois à la limite de la caricature (les clowneries issues du théâtre populaire d’un Vassili et de son ami Gavrilo, leurs amours puériles), car le jeu affecté des comédiens devient un élément de cet esthétisme exacerbé. En fait, ce ne sont pas les hommes qui intéressent le cinéaste (ils ne servent ici qu’à déclamer leurs convictions idéologiques comme un tract verbal), mais le sonore (les chœurs chantés) placé en contre-point des tableaux, soit la stratégie abstraite et l’esthétique des affrontements. Vus de plus près, les engagements armés ne sont guère réalistes (on cabosse beaucoup d’heaumes, brise des lances, échange des coups à tout vent mais le sang ne coule pas), de sorte que l’indéniable beauté formelle de cette cantate héroïque n’exclut pas la répétition, parfois même un zeste de lassitude.
Alexandre Soljenitsyne fera dire à l’une des victimes du goulag dans son roman Une journée d’Ivan Denissovitch (1962): « Eisenstein est un lèche-cul aux ordres d’un chien vicieux. Les génies n’adaptent pas leur création au goût des tyrans ! » En fin de compte, et au vu de ce bilan complexe, on peut se demander avec l’historien John Aberth (A Knight at the Movies, New York-London, 2003, p. 120) si S. M. Eisenstein, malgré son indéniable génie, n’a pas été en quelque sorte le pendant russe (en moins chanceux) d’un autre grand talent cinématographique pleinement et primordialement préoccupé par des considérations esthétiques, au point d’en oublier ou d’ignorer sciemment la nature monstrueuse et criminelle de ses commanditaires : la réalisatrice allemande Leni Riefenstahl. Certes, la dame n’avait pas le format artistique et intellectuel d’Eisenstein, mais il ne fait pas de doute que si elle l’avait voulu, elle aurait fait une fort belle carrière à la Mosfilm. Une parallèle sacrilège, vraiment ?
1951Bolshoy Kontsert / Velky Concert (Le Grand Concert) : Knyaz Igor [=Le Prince Igor] (SU) de Vera Stroyeva
Mosfilm/Bolshoï Teatr (Moskva), 45 min. (durée totale : 108 min.) – av. Alexandr Pirogov (le prince Igor Sviatoslavitch), Yevgeniya Smolenskaya (Jaroslavna, son épouse), Maxim Mikhaïlov (le khan Konchak), Olga Lepeshinskaya (une danseuse). – L’histoire du Bolchoï en Magicolor avec des extraits des grands opéras qui ont fait sa renommée, dont une mise en scène du Prince Igor d’Alexandre Borodine (1890). – Cf. infra, film de 1969.
Un marchand aventurier de Moscou découvre le continent indien (« Le Voyage des trois mers »).
1957Khozhdeniye za tri Morya / Pardesi / The Foreigner (Le Voyage des trois mers) (SU/IN) de Vassili Pronine et Khwaja Ahmad Abbas
Khwaja Ahmad Abbas/Mosfilm (Moskva)-Naya Sansar International Prod. (Bombay), 152 min./110 min./97 min./76 min. (URSS). - av. Oleg Strijenov (Afanassi Nikitine), Nargis Dutt (Champa), Prithviraji Kapoor (Mehmud Gawan), Leonid Topchiyev (le tsar Ivan III), Balraj Sahni (Sakharam), Padmini (Lakshmi), David Abraham (Asad Khan), Paidi Jairaj (Hassan Beg Khurasani), Manmohan Krishna (le père de Champa), Achala Sachdev (la mère de Champa), Vitaliy Belyakov (Mikhailo Zamkov), Oleg Strizhenov (Afanasi Nikitin), Boris Terentyev (son père), Rashid Khan (le scribe), Stepan Kayukov (Yevsey Ivanovich), Padmini (la danseuse), Ilya Arepina, Varvara Obukhova.
Parti en 1466, Afanassi Nikitine, un jeune marchand de chevaux originaire de Tver près de Moscou, est le premier Russe connu à pénétrer en Inde (avant même Vasco de Gama) en bravant pirates, brigands et la famine, et à y établir des contacts commerciaux. Pendant son séjour, il s’éprend d’une jeune paysanne indienne, Champa, qu’il finit par abandonner pour retourner dans sa patrie... - Nikitine, qui tenait un carnet de route où il développa l’idée de l’amitié entre les peuples, mourut sur le chemin de retour à Smolensk en 1472 ; son manuscrit fut récupéré à Moscou en 1475 et est considéré aujourd’hui comme un trésor littéraire russe. Produit de la période de l’amitié indo-soviétique sous Nehru et Khrouchtchev, cette grosse production de prestige en Sovscope et Sovcolor est tournée dans les studios de la Mosfilm et en Inde (e.a. Bidar, Vijaynagar), en deux versions, russe et hindi, portée par la musique du populaire Anil Biswas et la danse de Padmini. Présentée au Festival de Cannes 1958, la fresque s’avère sympathique mais lente, rendue confuse par de nombreux flash-backs et un montage maladroit. – DE : Fahrt über drei Meere, US : Journey Beyond Three Seas.
1961® I Tartari / The Tartars (Les Tartares) (IT/YU/US) de Richard Thorpe [et Ferdinando Baldi]. - av. Victor Mature (Oleg), Orson Welles (Burundaï), Folco Lulli (Togrul, son frère), Liana Orfei (Helga). - Au Xe siècle, les steppes russes sont sous la domination des Tartares (terme occidental ambigu, en fait des Tatars turco-mongols) qui ne permettent qu’aux Vikings varègues, en provenance des pays du nord, de passer. L’alliance est rompue lorsqu’Oleg, le chef des Vikings, refuse de se joindre au Tartare Togrul dans sa guerre contre les Slaves, car les deux peuples vivent en bonne intelligence depuis plus d’un siècle. Les Varègues est le nom donné par les Slaves orientaux aux Vikings suédois, danois ou norvégiens qui ont fondé entre le IXe et le XIe siècle Novgorod et l’État médiéval de la Rus’ de Kiev. Marchands, mercenaires et parfois pirates, ils empruntaient la Volga et la Caspienne, voire le Don, le Dniepr ou le Dniestr pour attaquer les villes byzantines. – Détails de production cf. 7. Invasions mongoles.
La chevalerie ukrainienne confrontée aux invasions kirghizes (« I lancieri neri », 1962).
1962I lancieri neri / Les Lanciers noirs / Crni kopljanici (IT/FR/YU) de Giacomo Gentilomo
Guido Giambartolomei, Jone Tuzi/Royal Film (Roma)-France Cinema Productions (Paris)-Gaumont (Paris)-C.F.S. Kosutnjak/Avala-Film (Beograd), 98 min. - av. Mel Ferrer (Andri, prince de Tula), Yvonne Furneaux (Iassa, reine des Kirghizes), Jean-Paul Claudio (Sergej, duc de Tula), Letitia Roman (la princesse Macha), Nando Tamberlani (le roi Stéphane/Étienne III), Annibale Ninchi (le prince Nikiev), Franco Silva (Gamul), Lorella De Luca (Samal), Arthuro Dominici (chef des Krévires), Renato De Carmine (un prince polonais), Claudio Biava, Giulo Battiferri.
L’Ukraine en l’an 1287, royaume des Terres Noires entre la vallée du Dniepr et celle de la Volga ; le roi Étienne III y a triomphé des tribus kirghizes musulmanes, chassées hors de leur territoire par les Mongols. L’ambitieux jeune prince polonais Serge de Tula se dirige vers Kharkov avec une escorte de ses invincibles Lanciers noirs, cité où se tiendra un tournoi entre les chefs des huit armées réunies afin de désigner leur commandant. Il devra aussi se battre contre son propre frère André, moins ambitieux que lui. En route, il est attaqué par des Kirghizes sortis de leurs frontières. Serge met la horde en déroute et capture sans s’en douter leur reine Iassa ainsi que la fille du chef de Krévires, Samal. À la fin du tournoi que les deux frères remportent, André refuse de se mesurer à Serge et c’est au Conseil du Royaume à attribuer le commandement des armées. Serge y voit une intrigue contre lui. Entre-temps, les deux prisonnières s’enfuient et les Krévires enlèvent la princesse Macha, fille d’Étienne III et l’amour de Serge qui aime secrètement André. Serge se rend à Dubno auprès de la reine Iassa pour demander la libération de la jeune femme et la punition des ravisseurs. Il réalise que la reine est son ancienne captive. Iassa le séduit et le pousse à prendre les armes contre son frère avec l’aide des Kirghizes et renverser le roi. André refuse de croire à la trahison de son frère et se rend auprès de Serge qui le fait arrêter. André s’enfuit de prison avec Macha, qui a été torturée, regagne Kharkov et, à la tête de ses Lanciers noirs, affronte l’armée kirghize commandée par Serge. Les Kirghizes sont écrasés, Iassa périt. Mourant, Serge demande pardon à son frère.
Du travail de routine pour spectateurs indulgents et peu renseignés (Kharkov fut fondée en 1654 et il n’y eut ni Krévires ni de roi Étienne dans les parages !). Images de batailles et accessoires sont empruntés partiellement à I Mongoli d’André de Toth et Riccardo Freda (cf. Pologne 1.1). Le tournage en Eastmancolor et Cinescope s’effectue aux studios Titanus Farnesina à Rome, en extérieurs à Belgrade. - US : Charge of the Black Lancers, DE : Die schwarzen Reiter von Tula, ES : Los lanceros negros.
Moine et peintre d’icônes en quête de paix intérieure, André Roublev traverse un pays ravagé.
1966-1969*** Andrej Rubljov (André Roublev) / Strasti po Andreyu [=La Passion selon André]) (SU) d’Andreï Tarkovski
Tamara Ogorodnikova/Mosfilm-Tvorcheskoe Obedinienie Pisateley i Kinorabotnikov/ Association créative des écrivains et cinéastes (Moskva), 206 min./189 min. - av. Anatolij Solonizyn (André Roublev), Nicolaï Sergueïev (Théophane le Grec, son mentor), Nicolaï Grinko (le moine Daniil Tchiorny), Ivan Lapikov (le moine Kirill), Irma Raush (Duroshka, l’innocente sourde-muette), Nikolaï Bourliaïev (Boriska, le jeune fondeur de cloche), Youri Nazarov (le grand-prince de Moscou Vassili Ier Dmitrievitch et son frère Youri), Bolot Beishenaliev (le khan tatare Edigueï), Rolan Bykov (le bouffon), Stepan Krylov (le chef des fondeurs de cloche), Youri Nikouline (le moine Patrikey), Nikolaï Grabbe (Stepan, centurion du grand-duc), Mikhaïl Kononov (l’apprenti), Nellie Sneguina (Marfa, la païenne), Igor Donskoï (le Christ), Irina Mirochitchenko (Marie-Madeleine), Nikolaï Glazkov (Efim), Vladimir Titov (Sergueï), Mikhaïl Kononov (Forma), Asanbek Umuraliev (le Tatar qui emmène Duroshka).
Un objet martien dans le paysage du cinéma soviétique, tant par son sujet que par sa forme : on y illustre divers épisodes de la vie du moine et peintre d’icônes André Roublev (v.1360-1430), canonisé en 1988, date du millénaire de la foi chrétienne en Russie. - Découpé en 8 tableaux dont 7 en scope noir et blanc, l’œuvre commence par un prologue représentant l’audace créatrice (à l’instar de la fabrication d’une cloche, de la peinture innovatrice d’icônes … ou du tournage d’un film « différent ») : près d’un petit village, le paysan Efim prépare un ballon à air chaud (trois siècles avant les frères Montgolfier !), survole les prairies, l’église de l’Intercession-de-la-Vierge sur la Nerl (à Bogolioubovo) et le couvent de l’Intercession à Souzdal, puis chute et se tue. – 1. « Le Bouffon » (été 1400) : Un histrion amuse la population dans une hutte à l’abri de la pluie en se moquant des boyards avec des propos blasphématoires et carnavalesques. Trois moines peintres d’icônes en route pour Moscou, Andréï, Kirill et Daniil (D. Tchiorny, dit Daniel le Noir, v.1360-1430), assistent à la scène. Suite à la dénonciation de Kirill, des cavaliers aux ordres de la principauté de Dmitrov arrivent, assomment le bouffon contre un arbre et l’emmènent en prison après avoir brisé son instrument. La pluie ayant cessé, les trois moines reprennent leur route.
2. « Théophane le Grec (été 1405-été 1406) » : A Moscou, Kirill rend visite au vieux peintre Théophane dit le Grec (v.1340-v.1410), d’origine byzantine, et lui fait l’éloge de Roublev. Puis il tente de le convaincre de l’accepter, lui, dans son atelier pour réaliser les fresques de la cathédrale de la Sainte-Annonciation. Mais arrivé au monastère Andronikov, Andreï apprend que c’est lui qui est invité à rejoindre Théophane à Moscou. Jaloux et dépité, Kirill quitte la vie monastique et ses « marchands du temple » pour le monde séculier tandis qu’Andreï et son jeune apprenti Foma suivent l’appel du vieux Grec qui va devenir son mentor.
3. « La Passion selon Andreï » : Marchant dans une forêt de Moscou, Andreï et Foma discutent des aspects techniques de leur métier ; ils rejoignent Théophane, celui-ci disserte sur les vices et la méchanceté des hommes, affirmant qu’aujourd’hui, Jésus serait à nouveau crucifié, tandis que dans une vision intime apparaît une reconstitution du martyr du Christ sous la neige.
4. « La Fête (1408) » : Lors d’une promenade nocturne au solstice d’été, non loin d’un village isolé, Andreï rencontre dans les bois un groupe de païens nus dont le rituel festif et sensuel l’attire. Ils le capturent et l’attachent dans une grange avec l’intention de le noyer. Marfa, une jeune femme couverte seulement d’un manteau, s’approche de lui, se dévêtit, l’embrasse puis le libère. Au lendemain de la bacchanale, alors que des soldats du prince s’en prennent aux païens et qu’Andreï traverse le fleuve en barque, Marfa s’enfuit à la nage. Andreï détourne les yeux de honte.
5. « Le Jugement dernier » (été 1408) : Andreï et Daniil décorent la cathédrale de l’Assomption à Vladimir, mais le travail n’avance pas, Andreï doute, refuse d’intimider ou effrayer les gens avec une représentation apocalyptique du Jugement dernier et se souvient du temps où il peignait pour Vassili Ier Dmitrievitch, grand-prince de Vladimir et de Moscou, qui fit crever les yeux des artisans à l’achèvement des travaux afin de les empêcher de reproduire ailleurs les œuvres qu’ils venaient de créer.
Le sac de la ville de Vladimir par les Tatars et le massacre de sa population ébranlent Roublev.
 6. « Le Sac (automne 1408) : alors que le prince Vassili Ier est en Lituanie, son frère cadet Youri IV Dmitrievitch, humilié et félon, cherche à s’emparer du trône et invite ses amis Tatars dirigés par Edigueï Khan, chef de la Horde Nogaï, à dévaster la ville de Vladimir, car Moscou n’a pas payé le tribut qui lui était dû. Ceux-ci pillent, incendient, assassinent, enfin ravagent la cathédrale (icônes d’Andreï comprises) où la population s’est réfugiée et torturent un pope à mort. En voulant empêcher le viol de Durochka, une sourde-muette simple d’esprit, Andreï tue son agresseur avec une hache, puis, ébranlé et pénitent, ses aides disparus ou massacrés, il abandonne la peinture et fait vœu de silence.
7. « Le Silence » (hiver 1412) : Revenu s’établir au monastère Andronikov, Andreï vit isolé et se tait pendant dix ans. Lors d’une disette, sa protégée Durochka, affamée, part avec les Tatars, tandis que Kirill revient et supplie le père supérieur de le réintégrer.
8. « La Cloche » (printemps 1423-printemps 1424) : À proximité de Souzdal, bourgade ravagée par la peste, l’adolescent Boriska, un des rares survivants, fils inexpérimenté du décédé maître-fondeur de cloches, se charge de trouver l’argile adéquat et d’organiser le moulage et la fonte d’une immense cloche financée par le grand-duc de Moscou, tout en dirigeant avec beaucoup de cran et à ses risques une équipe d’une centaine d’ouvriers sceptiques. Lorsque le battant de cloche est enfin mis en branle et donne un son parfait, Boriska tombe en pleurs et avoue dans les bras de Roublev (qui a assisté de loin aux manœuvres) que son père, « cette charogne », ne lui avait pas transmis le moindre secret de fabrication. Devant cette manifestation de la miséricorde divine, le peintre rompt son vœu de silence et invite Boriska à venir travailler avec lui dans l’église de la Trinité où il peindra sa fameuse icône. – Épilogue en couleurs : les icônes de Roublev se succèdent à l’écran, abîmées par le temps mais dorées, lumineuses, chatoyantes. Le film se termine par des plans de chevaux broutant sous la pluie.

Deuxième film d’Andreï Tarkovski après L’Enfance d’Ivan (lauréat du Lion d’or à Venise 1962), Andreï Roublev repose sur un scénario conçu entre 1962 et 1964, rédigé conjointement avec le prolifique cinéaste moscovite Andreï Mikhalkov-Kontchalovski, alors représentant de la « nouvelle vague » russe. Ce dernier a été révélé par Le Premier Maître en 1965, puis s’est imposé internationalement avec des films comme Esclave de l’amour en 1976, la fresque Sibériade en 1979 ou Maria’s Lovers (en exil aux USA, 1984). Tarkovski a soumis son projet sur Roublev aux autorités en 1961, avant même son premier long métrage. Le script est approuvé par la Mosfilm en avril 1964 sous le titre provisoire de Strasti po Andreyu (La Passion selon Andreï), plus tard aussi le titre de la reconstruction du film. Mais l’exaltation d’un peintre d’icônes parcourant au péril de sa vie et de sa foi un pays écrasé par l’ignorance, le fanatisme, la famine, le froid, les épidémies, les invasions sanguinaires et l’arbitraire des princes ne suscite pas exactement l’enthousiasme en haut lieu, et le budget initialement alloué subit de sérieuses coupes – il passe de 1,6 millions de roubles à 1 million (au même moment, le Guerre et Paix de 8 heures signé Sergueï Bondartchouk coûte 8,5 millions) - , ce qui entraîne entre autres la suppression de la séquence d’ouverture prévue, du grand spectacle illustrant la bataille de Koulikovo, victoire du grand-prince de Moscou sur les Mongols de la Horde d’Or en 1380. Grand admirateur de Robert Bresson, Tarkovski choisit des interprètes pas ou peu connus comme l’acteur de théâtre Anatolij Solonizyn dans le rôle du peintre, et confie à sa jeune vedette de L’Enfance d’Ivan, Nikolaï Bourlaïev, celui du fondeur de cloche. On tourne de septembre 1964 à novembre 1965, puis d’avril à mai 1966 dans la région de Pskov, à Izborsk, Petchory et Sergiyev Possad, puis à Souzdal près du monastère Spaso-Evfimiev, à Moscou (monastère Andronikov) et à Serguiev Possad ex-Zagorsk (monastère de la Trinité-Saint-Serge), enfin à Vladimir (cathédrale de la Dormition) et sur rives adjacentes de la Nerl.
Le film est terminé en hiver 1966 dans sa première version de 195 minutes et projeté le 16 décembre au Dom Kino à Léningrad. S’apercevant que le film représente esthétiquement l’antithèse même du réalisme socialiste « petit-bourgeois » de l’URSS et qu’il est par conséquent en complète contradiction avec l’idéologie du régime, Léonid Brejnev quitte la projection privée organisée à son intention avant la fin. L’organisme de production cinématographique du Goskino en interdit la projection, prétextant des excès de violence et de noirceur, son naturalisme excessif, ses images de nudité, sa cruauté envers les animaux (point très controversé), enfin et surtout son caractère « antihistorique » et « antipatriotique ». Mis au ban, Tarkovski voit tous ses projets suivants refusés jusqu’en 1972. Entretemps, toutefois, une première projection publique de son film a lieu à Moscou le 18 février 1969, suivie d’une invitation officielle au Festival de Cannes en mai ; Moscou, furieux, y envoie l’œuvre hors-compétition, amputée de 20 minutes et projeté au milieu de la nuit du dernier jour des projections. En vain : Andreï Roublev fait sensation et remporte le Prix FIPRESCI de la Critique internationale (qui ouvre la porte à la diffusion à l’étranger), suivi en 1970 du Prix Léon-Moussinac à Paris. Dès lors, plus rien n’arrête sa carrière hors de l’URSS (où il reste néanmoins interdit jusqu’en décembre 1971). Une première diffusion à la télévision russe suit en 1973 dans une mini-version de 101 minutes que désapprouve bien sûr le cinéaste (il y manque notamment les païens nus et les Tatars à Vladimir). Las des tracasseries et des pressions, Tarkovski quittera l’URSS en 1982 et, actif jusqu’à la fin, il mourra d’un cancer à Paris quatre ans plus tard. La Russie de Boris Eltsine lui attribuera le Prix Lénine à titre posthume en avril 1990. En 1995, les membres de l’Académie européenne du cinéma et de télévision (AEC Berlin) classeront le film à la 8e place des meilleurs films du cinéma mondial.
➤ Il ne s’agit pas ici d’analyser l’œuvre et le style spécifique de Tarkovski, une pléiade de critiques fort savants ont déjà produit de quoi remplir des bibliothèques, répétant à satiété le credo d’un artiste qui estime que « tout ce qui n’a pas de fondement spirituel n’a aucun rapport avec l’art » et s’affirme réfractaire à toute trace d’obscurantisme jdanovien. Or clairement, son Roublev est à la recherche de réponses à une époque où la dimension, voire la perception métaphysique de l’existence semble s’être perdue. Sorti tout jeune du monastère, son Roublev n’a d’abord qu’un but : peindre la beauté qui rendra gloire au Créateur. Mais il est bientôt confronté à la délation, à la lâcheté, au mensonge, à la trahison, à la bestialité, à la souffrance et à la mort, ainsi qu’à un pouvoir qui s’approprie le religieux pour maintenir le peuple dans un état de terreur permanent. « Le peuple russe est ignare et bête et mérite la violence exercée contre lui », estime quant à lui son mentor Théophane. Si Roublev ne quitte jamais l’action des yeux, on ne le voit non plus la peindre : la barbarie ou la beauté évoquées deviennent ici le panorama d’une expérience de vie qui conduit à la création. Déçu par ses semblables, Roublev croit un temps qu’il n’a plus rien à dire, plus rien à exprimer, et entame sa longue traversée muette. En réalité, malgré un décorum emprunté au XVe siècle, la trajectoire du film n’a rien d’historisant, elle est de hier comme d’aujourd’hui, questionnant la place de l’artiste dans la société, confronté aux trop nombreux satrapes de ce monde. Avant son arrestation et son expulsion de l’URSS en 1974, l’écrivain dissident Alexandre Soljenitsyne, qui détestait le film, reprocha à Tarkovski d’y dresser le portrait des temps présents avec sa « cruauté et de son manque de cœur » tout en le faisant passer pour un Moyen Âge qu’il ne connaît pas et dont on sait peu de choses.
Peut-être, mais qu’importe, le miracle de cette œuvre pas toujours facile d’accès est ailleurs : plongeant le spectateur sans explication ni préparation aucune dans trois heures d’un maelstrom fascinant d’images et de son, Tarkovski, 34 ans, se révèle dès son deuxième long métrage un maître de la mise en scène, un cinéaste-né capable de faire passer une vision à la fois intimiste, portée sur la symbolique (les diverses rimes visuelles, les chevaux, la pluie, la boue), les compositions élégiaques (la forêt de conte où dansent des torches et des lucioles illuminant la nuit), mais aussi des tableaux épiques d’une imagination et d’une puissance dramatique peu communes. On reste stupéfait devant cette appréhension majestueuse de l’espace, survolé par une caméra à écran large d’une élégante et constante agilité et offrant des suites de plans-séquence mémorables. Tarkovski s’arroge le droit de dresser des panoramas pris de haut, d’un réalisme féroce, quasi apocalyptiques (l’effroyable sac de Vladimir, l’aveuglement des artisans décorateurs) sans ne jamais tomber dans la facilité du sanglant ou du gros plan horrifique, car sa distance invite plus à la réflexion qu’à l’émotion facile. Il sait, au contraire, transcender esthétiquement la frénésie par le poétique (le ralentis de l’apprenti Foma transformé en ange à l’instant où une flèche tatare le transperce) et, sans discours, donner de la profondeur à ses tableaux, comme en témoigne le dernier chapitre du récit, où l’humanité si souvent éprouvée se fond au son des cloches dans de vastes et harmonieux paysages.
L’architecte génial, son amour de jeunesse et le tsar de Georgie (« Didostatis Marjvena », 1969).
1969Didostatis Marjvena [=La Main droite du grand Maître] (SU/GE) de Vakhtang Tabliachvili et Devi Abachidzé
G. Gvenetadze, Vakhtang Oziashvili/Gruzia-Film (Tbilisi), 180 min./151 min. - av. Tenghiz Artchvadzé (Constantin Arsakidzé/Arsoukisdzé), Lali Badourachvili (Shorena), Otar Megvinétoukhoutsessi (le roi Georgij Ier), Irine Magalashvili (la reine Mariam), Juansher Jurkhadze (Zviad Spasalari), Akaki Vasadze (Parsmani), Giorgi Gelovani (Chiaber Eristavi), Davit Mchedlidze (Talagva Kolonkelidze), Liana Asatiani (Gurandukhti), Veriko Anjaparidze (la mère de Constantin), Dodo Abashidze (Hamamze Eristavi), Tengiz Mushkudiani (Chiaberi), Sesilia Takaishvili (Bordokhani), Leila Abashidze (Vardisakhari), Amiran Takidze (Shavleg Tokhaisdze), Spartak Bagashvili (Kalundauri), Mikheil Sultanishvili (le ministre), Kote Daushvili (Bodokia), Givi Tokhadze (Rejdeni), Zurab Kapianidze (Pipa).
Conçu comme une vaste toile historique consacrée à la tragédie de l’artiste dans la Géorgie médiévale, ce film est l’adaptation du roman du même nom (1939) signé par l’académicien, poète et diplomate Constantin Gamsakhourdia, le père du dissident et premier président de la République de Georgie, Zviad Gamsakhourdia, assassiné ou suicidé en 1993. Au XIe siècle, le tsar Georgij Ier doit combattre deux ennemis à la fois : les princes séparatistes du pays et l'armée byzantine. Riche et puissant, il s’éprend de la belle Shorena, fille du prince rebelle Kolonkelidze, et ordonne d'empoisonner son fiancé, Chiaber Eristavi, afin de se débarrasser simultanément de son rival amoureux et d’un adversaire politique. Puis il charge l'architecte Constantin Arsakidzé de diriger la construction de la cathédrale de Svétitskhovéli à Mtskheta, le plus grand bâtiment ecclésiastique géorgien parvenu jusqu’à nos jours (hauteur : 54 m.), véritable centre de la Géorgie chrétienne érigé durant les années 1010 et 1029. Arsakidzé est l’ami d’enfance de Shorena, l’amour de sa vie qu’il ne peut épouser, le cousinage étant trop proche. La noblesse locale n’apprécie pas la nomination d’un roturier tel qu’Arsakidzé à ce poste prestigieux, en particulier un courtisan follement jaloux, jadis disciple du catholicos-patriarche Melkhisedek Ier qui supervisa les travaux et qui intrigue contre lui en haut lieux. Lorsque, dix-neuf ans plus tard, le grand architecte termine son chef-d'œuvre, le cruel tsar ordonne de lui couper la main droite afin que le maître ne puisse rien créer de similaire pour les monarques voisins. Shorena, qui a refusé d'épouser le roi, finit ses jours enfermée dans un monastère. - Quoique tournée en été 1969 en Sovscope noir et blanc aux studios Georgia/Gruzia Film à Tbilissi, cette production soviético-georgienne, lente et hiératique, ne sortira à Moscou qu’en janvier 1972. - US : The Right Hand of the Great Master.
Le prince ukrainien Igor affronte les nomades turcophones dans l’opéra filmé d’après Alexandre Borodine (1969).
1969* Knyaz Igor (Le Prince Igor) (SU) de Roman Tikhomirov
Lenfilm (Leningrad), 115 min. - av. Boris Khmelnitski [chant : Vladimir Fiodorovitch Kiniaïev] (le prince Igor Sviatoslavitch), Nelli Nikolaïevna Pchionnaïa [chant : Tamara Milachkina] (Jaroslavna, son épouse), Boris Tokarev [chant : Virgilijus Noreika] (le prince Vladimir Igorevitch, son fils), Aleksandr Slastin [chant : Valeri Malychev] (Vladimir Jaroslavitch, prince de Galicie), Bimbolat Zaourbekovitch Vataïev [chant : Yevgeni Nesterenko] (Kontchak, khan des Polovtsiens), Inveta Ourousbievna Morgoïeva [chant : Irina Bogatcheva] (Kontchakovna, fille du khan), Moustafa Akhounbaïev (Ovlour), Pyotr Merkurev (Jerochka, le déserteur), Berik Karimovitch Alimbaev (un danseur), Maïrbek Sidamonovitch Ikaïev (le khan Gzak).
A Poutivlyé en Ukraine en avril 1185, plusieurs villes ont été pillées par les Polovtsiens du khan Kontchak, des nomades turcophones païens, mais le prince Igor, fils du Viking varègue Sviatoslav, hésite à partir en campagne. Le prince Galitski, beau-frère d’Igor, soudoie alors les soudards Skoula et Jerochka afin d’inciter Igor à ignorer les mises en garde de sa femme Jaroslavna et de son peuple (l’éclipse récente est un mauvais présage). Fataliste, Igor part en guerre. Cherchant à s’emparer du trône, le déloyal Galitski assure l’intérim, épaulé par les deux soudards ; il enlève une jeune femme pour son plaisir tandis que ses hommes terrorisent les villages voisins. Jaroslavna, pleine de mauvais pressentiments, se languit en l’absence de son époux et, soutenue par les boyards, elle menace de dénoncer publiquement son frère comme traître. Les troupes d’Igor sont défaites par le khan Kontchak, le prince et son fils capturés tandis que l’armée ennemie, dirigée à présent par le khan Gzak, marche sur Poutivlyé. Chez les Polovtsiens, alors qu’Igor rumine sa défaite et sa condition de prisonnier, une idylle naît entre la fille du khan Kontchak, Kontchakovna, et Vladimir, le fils d’Igor. Kontchak songe à un mariage ainsi qu’à un accord de paix, mais Igor refuse la cessation des combats, ce qui lui vaut l’estime de son ennemi. Profitant de la beuverie triomphale des vainqueurs, le prince parvient à s’échapper. Les Polovtsiens enragent, mais Kontchak prend Vladimir sous sa protection et le laisse épouser sa fille. De retour à Poutivlyé, Igor est accueilli et traité en sauveur par sa femme et son peuple. Les cloches sonnent, l’espoir est à nouveau permis.
Un ambitieux film-opéra en Sovscope 70 et Sovcolor qui est bien sûr inspiré par l’opéra éponyme en 3 actes d’Alexandre Borodine (1890) et le poème épique Le Dit de la campagne d’Igor, la plus ancienne œuvre littéraire des slaves orientaux (XIIe siècle). L’œuvre de Borodine étant inachevée à la mort du compositeur, celle-ci a été complétée par Alexandre Glazounov et Nikolaï Rimski-Korsakov. Le film est tourné aux studios de la Lenfilm à Leningrad, mais surtout en de réels extérieurs dans les pénéplaines du sud de la Russie, avec forêts, villages et églises ainsi qu’une vaste figuration, des incendies, poursuites nocturnes, batailles et charges de cavalerie dans les steppes, bref, une version dynamique qui fait oublier le caractère statique des représentations sur scène. L’œuvre de Borodine est légèrement abrégée (l’original fait près de 4 heures), certains airs sont présentés comme des monologues mentaux. C’est le troisième opéra filmé par le surdoué Roman Tikhomirov, après Eugène Onéguine en 1958 et La Dame de Pique en 1960 (de Tchaïkovski) ; Tikhomirov est directeur général du prestigieux théâtre Kirov à Léningrad (anciennement Théâtre Mariinsky de Saint-Petersbourg), où l’œuvre de Borodine a été créé, et, pour ce tout premier transfert à l’écran, il bénéficie en particulier de la troupe (qui double les acteurs pour le chant), du ballet (dans la mise en scène originale de Fokine) et de l’orchestre de son théâtre. - DE-RDA : Fürst Igor, GB/US : Prince Igor.
1970Ya, Frantsisk Skorina… [=Moi, Francis Skorina…] (SU) de Boris Stepanov
Belarusfilm (Minsk), 97 min. - av. Oleg Jankovski (Franciscus/Frantsisk [Grigorij] Skorina), Nicolaï Grizenko (Reichenberg), Gunta Virkava (Margarita, sa fille), Gediminas Karka (un jésuite), Rostislav Jankovsky (Ivan Skorina), Boris Gitin (Vatslav), Stefania Stanyuta (l’abbesse), Vladimir Dedyushko (Messer), Eduard Kuzora (l’associé de Skarina), Abram Treppel (Shinkar), Vladimir Tsoppi (le recteur de l’université Jagellonienne à Cracovie), Arkady Trusov (l’instigateur du massacre des fous), Styapas Yukna (professeur à Padoue), Janis Grantish.
Biopic sur le médecin biélorusse Franciscus Skorina/Francysk Skaryna (1486 ?-1541 ?), homme de lettres slavophone du grand-duché de Lituanie, célèbre pour avoir crée la première imprimerie en Russie et avoir été le premier à traduire et à imprimer entre 1517 et 1519 la Bible en biélorusse ancien. Diplomé de l’université (catholique) de Cracovie malgré son appartenance à l’Église orthodoxe, il souffre des intrigues du professeur Reicheberg, dont il aime la fille Margarita, mais lorsqu’il s’oppose à l’Inquisition et à la pratique de dénonciation, il doit s’enfuir à Padoue où il étudie la médecine. De retour à Vilna, il ouvre un hôpital pour les pauvres et, la nuit, installe une imprimerie. Reichenberg essayant de l’en empêcher, il déménage à Prague, mais son ennemi l’attire à Vilna sous prétexte de lui donner la main de sa fille Margarita. Une fois mariée, les Jésuites l’enferment dans un monastère afin de forcer Skorina à travailler exclusivement pour eux et selon leurs exigences. Devenu fou, Reichenberg tue le grand maître des Jésuites, tandis que Skorina parvient à quitter le pays avec sa traduction imprimée de la Bible. - Une adaptation violemment anticléricale du roman Georgy Skaryna (1951) de Nikolaï Sadkovich (aussi scénariste) et E. Lvov, dont les extérieurs sont tournés à Prague. Skorina empêché de publier des ouvrages … voilà qui a peut-être fait sourire Alexandre Soljenitsyne, lauréat du prix Nobel de littérature l’année-même où sort ce film. - DE-RDA : Der Scholar von Krakow.
1971Zakhar Berkout (SU) de Leonid Ossyka
Kievskaya kinostudiya imeny A. P. Dovzenko (Kyiv), 122 min./97 min. - av. Vassilij Simchich (Zakhar Berkout), Ivan Garvilyuk (Maxime), Konstantin Stepankov (le boyard Touhar Vovk), Antonia Leftiy (Miroslava Vovk, sa fille), Ivan Mikolaichuk (Lyubomir), Fedor Panassenko (Dmitri Voïak), Bolot Beichanaliev (Peta), Korislav Brondoukov (le khan mongol Burundaï), Fyodor Panasenko (Dmitro Voyak), Vladimir Prokofyev (l’interprète Tolmach), Vladimir Alekseyenko (Stareyshina), Bolot Beichénaliev (Peta), Liliya Gurova (la folle).
Dans une vallée reculée des Carpathes ukrainiennes enneigées en 1241, Zakhar Berkout, doyen et guérisseur légendaire, dirige la communauté slave libre des Boyks, microsociété patriarcale ayant résisté aux féodaux de Kiev comme à la propagation du christianisme. Son fils cadet Maxime convoite la belle Miroslava Vovk, fille du voïvode félon Touhar Vovk ; Maxime l’ayant sauvée des griffes d’un ours, elle se donne à lui. Mais lorsque les Tatars et Mongols du khan Burundaï envahissent des Carpathes sur le chemin de la Hongrie, Touhar pactise secrètement avec eux. Il est dénoncé au Conseil des Anciens, nie sa trahison, tue Dmitro Voiak qui connaît la vérité et s’enfuit en emmenant Miroslava. Maxime est capturé par les Mongols qui lui laissent la vie, car, comme l’affirme Touhar, il connaît bien la région. Maxime charge Miroslava, qui s’est rendu compte que son géniteur est un traître, d’aller trouver Zakhar Berkout et lui dire par quels chemins les Mongols de la Horde d’Or comptent envahir le pays. Berkout incendie son village pour que les ennemis n’y trouvent rien à emporter et qu’ils tombent dans l’embuscade mortelle qu’il leur tend dans un col perdu dans les montagnes, les gorges de Toukhla qu’il fait inonder. Guidés par Maxime, les Mongols de Burundaï y sont exterminés.
Une minifresque visuellement assez réussie, ayant pour but d’opposer la paysannerie héroïque et la noblesse décadente, le monde barbare des chamanes mongols contre les chrétiens orthodoxes, le tout tiré du roman éponyme de l’Ukrainien Ivan Franko (1883), en prenant toutefois passablement de libertés. Le tournage en Sovscope 70 mm et Sovcolor se déroule bien sûr dans la République soviétique d’Ukraine, notamment aux studios Dovzhenko à Kiev, dans les Carpathes et les montagnes du Kirghistan. Plusieurs collaborateurs du film sont officiellement en disgrâce à Moscou, comme l’historien Mikhaïlo Braïtchevskiy ou la costumière « dissidente » Lyudmila Semikina, et c’est la première fois que les caméras ukrainiennes se concentrent entièrement sur une matière provenant de l’ancienne Rus’. - Le sujet a déjà été abordé dans un film muet ukrainien du même titre en 1929, réalisé par le chef-opérateur d’origine autrichienne Joseph Rona, mais dont toute trace a disparu (comme son auteur, d’ailleurs). Remake ukraïno-américain en 2019 sous le titre de Zakhar Berkout/The Rising Hawk (cf. infra). - DE-RDA : Entscheidung im Felsental – Sachar Berkut.
Le long voyage d’Anne de Kiev pour devenir reine de France (1978).
1978Yaroslavna, koroleva Frantsii [=Yaroslavna, reine de France] (SU/PL) d’Igor Maslennikov
Lenfilm (Leningrad)-Pervoe Tvorcheskoe Obedinenie-Zespol Filmowy Kadr (Lodz), 98 min. - av. Elena Koreneva (Anna Yaroslavna / Anne de Kiev), Kirill Lavrov (le grand-duc Yaroslav Vladimirovitch le Sage, son père), Victor Evgrafov (le moine Daniil), Hanka Micuc (Yanka, la servante), Sergei Martinson (Roger, évêque de Châlons-sur-Marne), Vassily Livanov (Bénedictus), Armen Djigarkhanian (le métropolitain Théopompte), Veslav Golas (Casimir Ier le Restaurateur, roi de Pologne), Bozhena Dikel (la princesse polonaise Maria Dobregneva, sa fille), Nikolaï Karachentsov (Slat, garde du corps de la reine), Vladimir Izotov (Romuald), Igor Dmitriev (Chalzedoniy le Byzantin), Marek Dovmunt (le Chevalier Noir), Aleksandr Susnin (Ragnwald).
Synopsis : En l’an 1048, Roger, évêque de Châlons-sur-Marne et ambassadeur du roi des Francs, le Capétien Henri Ier, arrive à Kiev pour demander au prince ukrainien Yaroslav le Sage la main de sa fille cadette Anne. Soucieux de s’allier aux monarchies d’Europe, Yaroslav a déjà marié ses deux autres filles au roi de Norvège et au roi de Hongrie. La princesse voyage pendant presque un an de Kiev à Paris, accompagnée de l’évêque, d’une poignée de chevaliers français et de guerriers russes sous la direction du vaillant Slat. Durant ce périple semé de péripéties et de menaces (Vikings et Polonais hostiles), son précepteur Daniil lui confesse son amour et Anne doit se décider entre ses sentiments et la raison d’État. Aveuglé par sa passion, Daniil tente d’empêcher la princesse d’atteindre la France. Il se fait acheter par un espion, Chalzedoniy, délégué par Byzance pour saboter l’alliance russo-franque. Ensemble, ils organisent l’attaque des brigands du Chevalier Noir, mais Slat les met en déroute. Anne est contrainte de faire exécuter Daniil. Le voyage métamorphose la jeune femme, fortifie ses convictions et son sens politique... A la cour de France où elle deviendra reine en épousant Henri Ier en mai 1051 à Reims, Anne de Kiev sera victime de diverses intrigues, découvrira avec stupéfaction les mœurs et traditions étranges de son pays d’adoption et éprouvera la loyauté de ses nouveaux amis.
Un film peu connu (inédit en dehors du bloc communiste) pour un épisode de l’histoire de France qui l’est encore moins. Son auteur, Igor Maslennikov, se fera remarquer dès l’année suivante avec une dizaine de téléfilms soviétiques très populaires sur Sherlock Holmes, le détective étant interprété par Vasily Livanov (ici le moine Bénedictus). Le film adapte la première partie de la biographie Anna Yaroslavna, reine de France, écrite par le poète ukrainien Antonin Petrovitch Ladinski, mais, avec P. Tolotchko au générique, un conseiller formé à l’école stalinienne d’historiographie, le récit s’arrête prudemment aux portes du royaume de France, histoire d’éviter des comparaisons embarrassantes : la dernière image du film montre l’arrivée de la délégation royale capétienne à la frontière et le sourire de la future reine. La production est tournée en Sovcolor et en Sovscope 70 mm dans les ateliers Lenfilm de l’Aquarium Theater à Saint-Pétersbourg, sur les rives de la Neva et en Pologne, d’automne 1977 à l’hiver 1978. La presse plutôt négative lui reproche ses lenteurs et la superficialité de ses portraits psychologiques. Du reste, le mariage royal en question ne fut pas aussi simple que le suggère ce film : l’évêque Roger dut faire quatre fois le voyage – deux allers et retours – pour obtenir gain de cause à Kiev et ramener dans le malheureux royaume franc ravagé par les guerres et les famines cette princesse d’une grande beauté, âgée de vingt-sept ans … qui emporta avec elle, dans de nombreux chariots, une dot considérable en belles pièces d’or frappées à Byzance. À la mort de son époux en 1060, la reine Anne (qui était à moitié scandinave par sa mère, Ingrid de Suède) fut régente jusqu’en 1063, date de son remariage avec le comte de Valois, Raoul de Crépy. Celui-ci ayant répudié son épouse légitime, cette union suscita la colère des évêques et le couple fut excommunié en 1064. Anne introduisit le nom de Philippe à la cour en le donnant au fils aîné de son premier mariage. Première régente de l’histoire de France (son fils étant trop jeune), Anne fit construire une église à Senlis (1065), puis un ensemble abbatial, l’abbaye Saint-Vincent. - DE-RDA : Verheiratet nach Frankreich / Jaroslawna, Königin von Frankreich.
1981(vd-mus) Knyaz Igor (Le Prince Igor) (SU) d’O. Moralyov [=Oleg Mikhaïlovitch Moralev]
Bolshoï Teatr (Moskva),183 min. - av. Evgeny Nesterenko (le prince Igor Sviatoslavitch), Elena Kurovskaya (Yaroslavna), Aleksandr Vedernikov (Galitsky), Boris Morosov (Khan Konchak), Tamara Sinyavskaya (Konchakovna). – Captation télévisuelle en couleurs de l’opéra d’Alexandre Borodine au Théâtre Bolchoï à Moscou. – Cf. supra, film de 1969.
Iaroslav, grand-prince de Kiev, et son épouse suédoise (« Yaroslav Mudry », 1982).
1981/82Yaroslav Mudry (Iaroslav le Sage) (SU) de Grigorij Kokhan
Kievskaya kinostudiya imeny A.P. Dovzenko (Kyev)-Mosfilm (Moskva)-Biélorus Film (2 parties), 89+98 min. 187 min./156 min. - av. Yuri Muravitsky (le grand-prince Yaroslav le Sage, fils de Vladimir le Grand), Lyudmila Smorodina (Ingigerd de Suède, sa femme), Tatiana Kondyreva (Lyubava, mère de Nezhdana), Piotr Veliyaminov (Vladimir Svyatoslavich, grand-prince de Kiev, père de Yaroslav), Konstantin Stepankov (le prince Mstislav Vladimirovich, prince de Technigov, frère de Yaroslav), Oleg Fedorov (le métropolite de Byzance), Nikolaï Grinko (l’annaliste Nikon), Leonid Filatov (le gouverneur Tverdislav), Oleg Drach (Boris Vladimirovitch, prince de Rostov, frère de Yaroslav), Nikolaï Bely (Gleb Vladimirovich, frère de Yaroslav), Nikolaï Babenko (Svyatopolk Okayanny, prince de Turov, frère de Yaroslav), Leonid Filatov (le voïvode Tverdislav), Vsevolod Gavrilov (Voineg), Boris Stavitsky (le boyard Kosnyatin), Andreï Kharitonov (Yasnook, peintre d’icônes), Vatslav Dvorzhetsky (le métropolite Hilarion de Kiev), Lembit Ulfsak (le Viking Eymund), Aleksandr Bystrushkin (Polulik), Viktor Shulgin (Radim), Aleksandr Karin (Rubach), Alekseï Kolesnik (Luka), Igor Slobodskoy (Tord), Nikolaï Zadnesprovsky (le voïvode de Svyatopolk), Bimbolat Vataev (Kudzhi, chef des Pechenegs), Raisa Nedashkovskaya (Rogneda, mère de Yaroslav), Mark Gres (Yaroslav enfant), Yury Borev (l’ambassadeur byzantin), Oleg Fedulov (le tireur d’élite).
En 988, le grand-duc Vladimir, maître de la Rus’ de Kiev, s’est converti au christianisme byzantin, répudiant par conséquent ses épouses « païennes », y compris la Varangienne Rogneda de Polotsk dont le jeune fils Yaroslav (978-1054), est faible sur ses jambes ; il claudique, mais son intelligence est perçante. Tandis que Rogneda est persuadée de la destinée exceptionnelle qui attend son rejeton, celui-ci déteste son père pour avoir négligé sa mère. En 1014, après le décès de son frère aîné, Yaroslav devient prince de Novgorod. On le surnomme déjà « le sage », mais il souffre de ne pouvoir épouser son amour Lubava, fille du peuple (épisode inventé), et refuse de payer le tribut annuel à son géniteur à Kiev. Celui-ci veut remettre son rejeton à l’ordre, mais doit défendre Kiev contre une attaque des nomades péchenègues et décède une année plus tard. Par ancienneté, le trône de Kiev est alors occupé par le frère de Yaroslav, le féroce Sviatopolk Ier dit « le Maudit » ; d’autres frères convoitent la couronne et la famille se déchire dans une lutte sanglante, tandis qu’à Novgorod, Yaroslav renforce ses liens de parenté avec les Suédois (il est descendant du Normand Riourik), se marie avec la princesse Ingigerd (fille du roi de Suède), puis réorganise en profondeur son armée varangienne. Sviatopolk assassine ses deux cousins, les frères Boris et Gleb (princes canonisés) en 1015 et meurt en fuite, traqué par Iaroslav qui monte sur le trône de Kiev en 1019. Il se réconcilie avec son frère Mstislav de Tchernigov qui l’a détrôné pour quelques mois. Rêvant d’éclipser Byzance, le nouveau souverain ordonne la construction de la Porte d’or et des cathédrales Sainte-Sophie de Kiev et de Novgorod selon des canons slavo-byzantins, fait acheter des livres, traduire des manuscrits grecs par des clercs bulgares, ouvre des écoles et promulgue le code de justice dit « Vérité russe », tout premier acte législatif du pays, très proche du droit germanique. Le film s’achève sur l’écrasante défaite militaire d’un ennemi de plus d’un siècle, les Pechénègues nomades.
Ce biopic scolaire et pédestre d’une personnalité centrale de l’histoire russo-ukrainienne est mis en chantier pour célébrer le 1500e anniversaire de la fondation de Kiev en 1982. On mobilise 24'000 figurants et filme en Sovscope 70 et Sovcolor aux studios Dovzhenko à Kiev où sont reconstruits à grands frais des quartiers entiers des deux anciennes capitales. Le résultat, en deux parties (jeunesse et âge mûr), présente Yaroslav comme un monarque juste et sage, obsédé en priorité par l'unité de l'État : il parvient à surmonter le morcellement féodal de l’ancienne Russie quatre siècles avant sa centralisation de facto, tout en proclamant et observant les principes de bon voisinage, de souveraineté, d’attachement à la paix et d’esprit civilisateur. La Russ’ de Kiev, qui a connu son apogée sous son règne, réunit les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses. Le film soviétique veut y voir un reflet du programme officiel de l’URSS de Léonid Brejnev et sa « souveraineté limitée » dans le cadre du pacte de Varsovie. Une superproduction qui « précipite, une fois de plus, le cinéma soviétique dans la pathologie grand-russienne au service d’un panslavisme russo-biélorusso-ukrainien triomphant » (Lubomir Hosejko, Histoire du cinéma ukrainien, 2001, p. 300). Le scénario néglige par conséquent les fondements religieux et sociaux de la principauté, puis surtout le regard diplomatique de Iaroslav (et de son père Vladimir) vers l’Occident, son mariage suédois, puis le fait qu’il donna sa sœur Marie à Casimir de Pologne, ses filles Elisabeth à Harold de Norvège, Anne à Henri Ier , roi des Francs, et Anastasie à André de Hongrie. - Pour la jeunesse du prince, cf. aussi infra, le film Prince Yaroslav (2010). - DE-RDA/RFA : Jaroslaw der Weise.
Les aventures de Vassili Bouslaïev à Byzance et contre la Horde d’Or (1983)
1982/83Vasili Buslayev (Vassili Bouslaïev) (SU) de Gennady Vassilev
Gorki Filmstudios/Kinostudiya imeni M. Gorkogo (Moskva)-Trete Tvorcheskoe Obedinenie (2 parties), 78 min. + 103 min./76 min. - av. Dimitri Zolotukhin (Vassili Bouslaïev), Lyudmila Khityaeva (Manefa Timofeevna, sa mère), Irina Alférova (la princesse Xenia). Dimitri Matveyev (Kostia Novotorjenine), Vitali Yakovlev (son frère), Alexei Zaytsev (Potanya), Valery Nosik (Filka, le Saint Fou), Natalya Krachkovskaya (Okulikha), Mikhail Kokshenov (Gavrila), Matliyuba Alimova (Irène, impératrice de Byzance), Boris Jadanovsky (le basileus de Byzance), Nikolay Pogodin (Ankundim), Dmitry Orlovsky (Andron Mnoletichtche), Andrey Martynov (Okulov), Mikhail Rozanov (Elistrat), Lyubov Rudenko (Agniya).
À Novgorod, capitale de la république du même nom, vers 1250 : Vassili, le fils du gouverneur Bouslaïev, s’en prend aux riches et aux marchands de la cité. Mais son impudence, son esprit farceur et sa force physique peu ordinaire ainsi que son amitié pour les gens simples suscitent la colère des possédants. Le jeune boyard indiscipliné se transforme en défenseur de la mère-patrie : ayant appris la défaite et la capture des troupes du prince Gleb de Polotsk, vendus comme esclaves à Constantinople (ou Tsargrad), il réunit une bande d’audacieux camarades et part délivrer le prince, accompagné par Xenia, la fille de ce dernier. Sur place, il sauve la vie de l’impératrice byzantine Irène, mais son époux, le basileus, refuse de libérer les prisonniers russes, à moins qu’il ne sorte vainqueur d’un tournoi truqué. Déjouant les manœuvres meurtrières des Byzantins avec l’aide de Xenia, Vassili libère ses compatriotes captifs. Mourant, le prince Gleb lui révèle l’arrivée prochaine d’un péril inattendu pour le pays, les Tatars de la Horde d’Or. Ayant échappé à leurs flèches, la troupe arrive à Novgorod où elle doit d’abord affronter l’ennemi de l’intérieur, tout aussi dangereux : lors de leur mariage, Vassili et Xenia échappent au poison que leur sert Okulov, chef de la milice marchande. Celle-ci est anéantie et la nouvelle de l’arrivée imminente des Tatars réconcilie tous les opposants. À la tête de l’armée, Vassili sort pour défendre la terre natale. Novgorod ne sera jamais prise…
Un gentil film d’aventures en Sovscope et Sovcolor tourné dans les studios Gorki à Moscou et inspiré par les vieilles légendes des récits épiques des Bogatyrs (textes 40-42), une sorte de chevaliers errants dont aurait aussi fait partie le fameux Ilya Mouromets (cf. chap. 4.4), et où Vassili est décrit comme un incorrigible voyou. L’écrivain Sergueï Norovchatov a rédigé un poème qui lui sert de base pour son propre scénario et qui veut illustrer « la grandeur de l’esprit russe » placée au service des idéaux soviétiques. Nota bene : le héros en titre, Vassili Bouslaïev, apparaît également dans Alexandre Nevski de S. M. Eisenstein (1939), interprété par Nicolas Okhlopkov. – DE-RDA : Kühne Recken von Nowgorod / Wassili, der kühne Recke von Nowgorod (tv).
1983/84* Legenda o knyagine Olge [=La Légende de la princesse Olga] (SU) de Youri Illienko
Kievskaya kinostudiya imeny A.P. Dovzenko-Vremya (Kiev), 2 parties, 84 + 85 min./128 min. - av. Lyudmila Efimenko (la princesse Olga), Ivan Mikolaitchouk (Vladimir Ier, grand-duc de Kiev, petit-fils d’Olga), Les Serdyuk (le prince Svyatoslav Igorevitch, fils d’Olga), Vanya Ivanov (le jeune prince Vladimir, son fils), Konstantin Stepankov (le voïvode Sveneld), Ivan Gavrilyuk (Rus, l’amant d’Olga tué sur ordre d’Igor), Nikolai Olyalin (le prince prophète Oleg), Dmitri Mirgorodskiy (le Grec Arefa, le moine noir), Svetlana Romashko (la servante-économe Maloucha, mère de Vladimir Ier), Georgi Moroziuij (le messager de Weaver), Oleksandr Denysenko (le prince Igor, époux d’Olga), Viktor Demertash (Mal, prince des Drevliens), Leonid Obolensky (Ilm, le magicien), Ivan Savkin (le voïvode de Novgorod) .
Comme Iaroslav le Sage (cf. supra), ce film veut célébrer le 1500e anniversaire de Kiev en 1982, mais avec un retard de deux ans. L’intrigue commence en 1015, alors que le vieux prince Vladimir dit « Soleil rouge » se meurt et se remémore sa vie depuis son enfance jusqu’à son arrivée à Novgorod pour y régner. Plusieurs portraits de personnes ayant meublé sa carrière se succèdent, basés sur les souvenirs de leurs contemporains. Tout particulièrement celui de sa grand-mère, la légendaire Olga, personnage contradictoire et complexe. Olga de Kiev (890-969) ou sainte Olga, née de parents vikings à Pskov, puis épouse du grand-duc Igor Ier de Kiev, est régente de la principauté de Kiev et mère du prince Sviatoslav Ier. Femme farouche et fière, elle a inauguré sa régence en protégeant son fils de trois ans, puis en vengeant l’assassinat de son cupide époux, tué par des membres de la tribu voisine des Drevliens lors d’une collecte d’impôts. Utilisant la ruse, elle a feint d’accepter la demande en mariage du prince devlien Mal, puis fait exterminer toute la tribu par l’épée, le feu ou l’eau ; Korosten, la capitale devlienne, a été réduite en cendres, ses ambassadeurs sont enterrés vivants. Olga s’impose ensuite comme la première femme-diplomate de la Rus’ kiévienne, établissant des rapports avec Byzance, la Bulgarie et l’Empire germanique. Plus tard, baptisée par saint Polyeucte à Constantinople, elle deviendra la première souveraine slave chrétienne, reconnue aujourd’hui comme l’une plus grandes saintes de l’orthodoxie orientale, « l’égale des Apôtres », en christianisant tout le pays.
Ami et chef-opérateur de Sergej Paradjanov pour les éblouissants Chevaux de feu (1965), Youri Illienko n’est guère apprécié par le régime et plusieurs de ses réalisations comme L’Oiseau blanc marqué de noir (1970), soupçonnées de véhiculer des messages antisoviétiques, seront bannies en URSS malgré une avalanche de prix internationaux. Son style baptisé « réalisme magique », une sorte de kaléidoscope poétique, illumine ici le récit biographique rédigé par le moine grec Arèphe/Arefa. C’est une dramaturgie non linéaire à travers laquelle le cinéaste ukrainien tente de restituer la personnalité complexe et contradictoire de la régente, tantôt tendre, tantôt cruelle, voire despotique. Lui-même la glorifie, la servante Maloucha reste perplexe, un vieux païen la maudit, mais Illienko ne tranche pas, il laisse le spectateur choisir. Réalisé en Sovscope 70 et Sovcolor aux studios Dovshenko à Kiev, Olga bénéficie des décors et costumes coûteux de Iaroslav le Sage, sorti deux ans plus tôt ; la musique est signée Evguei Stankovitch qui créa le ballet en 2 actes Olga composé en 1981 pour les célébrations kiéviennes. Le film est vu dans sa version russe par 11 millions de spectateurs en URSS, mais demeure interdit de doublage en ukrainien jusqu’en 2004, date de la « révolution orange » initiée sur la place Maïdan à Kiev. À la télévision ukrainienne ICTV (chaîne créée avec la participation de la société américaine Universal), il est diffusé pour la première fois le 24 août 2015, jour de l’indépendance nationale (en pleine guerre du Donbass). Déclarée « patronne de la résistance et de la vengeance », la princesse Olga sera choisie après 2022 comme patronne des résistants ukrainiens de Volodymir Zelenski face aux chars russes de Poutine. - DE-RFA : Die Legende von der Fürstin Olga, CA : Legend of Princess Olga.
1985[Animation : Skaz o Evpaty Kolovrate [=Le Conte d’Eupatius Kolovrat] (SU) de Roman Davydov ; Soyuzmultfilm, 20 min. – Le chevalier Evpaty Kolovrat (v.1200-1238) s’attaque héroïquement aux Tatars de Batou Khan qui ont incendié Ryazan l’année précédente et y laisse la vie ; récit de propagande nationaliste en couleurs, adapté d’une ancienne légende. Cf. infra, le film de fiction Furious/La Légende de Kolovrat (2017).]
1985I na kamniakh rastout derevia / Plennik Dragona / Dragens fange (Le Prisonnier des Vikings) [=Les Arbres poussent aussi sur les rochers / Le Prisonnier du Dragon]) (SU/NO) de Stanislav Rostotski et Knut Andersen
Gorki Filmstudio (Kinostudiya imeni M. Gorkogo) (Moskva)-Norsk Film A/S (Baerum)-Sovinfilm, 2 parties, 143 min. - av. Torgeir Fonnlid (Sigurd le Berserk), Alexandre Timochkine (Kuksja), Petronella Barker (Signy), Mikhaïl Glouzskiy (Fleinskallen), Tor Stokke (Torir), Jon Andresen (Harald), Lise Fjeldstad (Tyra), Viktor Shulgin (Olav Herse), Per Sunderland (Guttorm), Valentina Titova (la mère de Kuksja), Valeri Klassen (Einar), Sasja Timoskin.
Au Xe siècle dans l’ancienne Gardarika (nom que les Scandinaves donnaient à la partie Nord-Ouest de la Russie), Kuksja, un jeune Russe est capturé par les Vikings et, ayant admiré son courage, lui laissent la vie sauve. Torir adopte le jeune homme et l’emmène en Norvège où ils passent l’hiver dans une grande ferme. Le chef Olav Herse étant sur son lit de mort, c’est sa femme Tyra et son ami Guttorm qui dirigent le domaine. Kuksja se lie d’amitié avec les enfants d’Olav, Harald et la belle Signy qui est promise à Sigurd le sauvage, un berserk, guerrier protégé par les dieux, ce qui le rend invincible. Mais leur amour ne suffit pas à retenir Kuksja, qui rêve de retourner dans son pays. - Une coproduction avec la Norvège, en couleurs, onéreuse et très soignée, destinée pour la jeunesse, exaltant les paysages naturels, le chant des saisons, l’amour de la mère-patrie. Sage et ennuyeux.
DE-RDA : Die Liebe des Wikingers, ES : Eirik : Corazón de Vikingo.
Les tribus slavo-russes s’unissent pour résister à l’hégémonie de Byzance et marchent sur Constantinople (1985/86).
1986Russ iznatchalnaïa [=Russie antique / Les sources de la Russie] (SU) de Gennadi Vassiliev
Gorki Filmstudio (Kinostudiya imeni M. Gorkogo) (Moskva), 145 min. - av. Boris Nevzorov (le voïvode Vsevlav), Vladimir Antonik (Ross Ratibor), Innokenti Smoktunovski (Justinien, empereur de Byzance), Margarita Terekhova (Theodora de Byzance), Elgoudja Bourdouli (le général Bélisaire), Youri Katin-Jartsev (Procope de Césarée), Igor Dmitriev (Tribonien), Vladimir Antonik (Ratibor), Ludmila Tchursina (Aneïa, sa mère), Elena Kondulaïnen (Mlava, son épouse), Vladimir Talachko (le prêtre Demetrius), Yevgeni Steblov (Hypatios), Amis Litsitis (Malkh), A. Kendjaiev (Sounika Ermija), Viktor Gogolev (Velimoudr), Aleksandr Karin (Torop), Irina Safronova (Krassa), S. Plotnikov (Gorobaï), D. Orlovskij (Beljaï), V. Trechtchalov (Moujylo), Vladimir Episkoposian (le khan Egan Saul), Murat Kentemirov (le khan Chamuel Zartl).
En 532, alors que Byzance est paralysée par l’insurrection de Nika, la ville de Kiev en Ukraine prend son essor. Apprenant que le vieux chef Vseslav rassemble les tribus slavo-russes et enseigne aux jeunes l’art de la guerre, l’empereur Justinien et son épouse Théodora de Byzance leur livrent bataille par nomades Khazars interposés. Mais les Slaves battent les Khazars et exécutent leur khan. Justinien propose alors à Vseslav d’intégrer l’empire byzantin. À son refus, le voïvode est foudroyé par le vin empoisonné que lui a offert un envoyé du couple impérial. Admis au rang des guerriers les plus valeureux, le jeune Ratibor devient son successeur. Sous sa direction, les Slaves se lèvent en masse pour venger l’assassinat de leur vieux chef et marchent sur Constantinople. Ratibor s’empare de la forteresse de Topor à la frontière de l’empire byzantin et Justinien, impressionné par la soif de liberté et l’ardeur combattive des Slaves, s’empresse de conclure la paix.
Le film est une curiosité censée illustrer l’enfance de la nation russe, pour l’édification de la jeunesse soviétique. Les premiers contacts entre la Slavie et Byzance : le sujet en soi est totalement inédit à l’écran. La production s’efforce de représenter les grands ancêtres comme des « édificateurs sages, travailleurs intelligents, guerriers honnêtes ignorant la rancune, hommes tenaces, optimistes dans le bonheur et dans le malheur, modestes et tolérants à l’égard de leurs voisins » (Le Film soviétique, 7/1986). Bref, des « saints païens » à l’image du bon communiste du XXe siècle. Le scénario précise qu’au Ve siècle, dans la vallée du Dniepr, les forêts et les steppes longeant la rivière Ross connaissent l’agriculture cinq millénaires avant l’apparition de la Russ’ de Kiev ; les autochtones y possédaient une langue écrite avant l’adoption du christianisme et de l’alphabet slave de Cyrille et Méthode (IXe s.). Quant à la « deuxième Rome » voisine (Byzance), ses mercenaires passaient leur temps à exterminer les hérétiques et à dévaster l’Asie Mineure. Pour bien marquer leur infâme occidentalité, le film les désigne comme « Romains » ; leur empereur est lâche, rusé, cruel et impitoyable, dresse les Khazars contre les Slaves, tente d’assujettir la « Russie » en la soumettant au christianisme avec l’aide de Demetrius, un prêtre rusé et intrigant (mais inconnu au régiment). Les images positives des Romains sont représentées - sans surprise - par les simples travailleurs asservis de l’empire et quelques intellectuels comme Procope de Césarée qui raconterait fidèlement les exploits des Slaves dans ses Annales (Histoire secrète de Justinien) ou l’énigmatique philosophe libre-penseur Manichaeus Malchus, un auteur qui, selon le film, aurait renié le système de l’esclavage et se serait rallié aux princes russes. Quant au héros, il porte le nom d’une ville de Haute-Silésie fondée selon la légende par un certain Racibor ou Ratibor, chef d’une communauté slave. Ce discours idéologique nationaliste date du tout début de l’ère Gorbatchev – fraîchement au pouvoir depuis mars 1985 - mais semble encore très empreint de l’ère d’Andreï Gromyko (alors chef d’État) qui avait, l’année précédente, intensifié les actions militaires en Afghanistan et boycotté les Jeux olympiques à Los Angeles. Le fait que le scénario soit tiré d’un roman de Vsevolod V. Ivanov, écrivain banni sous Staline, pourrait toutefois être un signe annonciateur de la perestroïka. Le réalisateur Vassiliev a filmé, quatre ans plut tôt, la légende médiévale Vassili Bouslayev, du cinéma académique placé dans la totale dépendance du parti, et l’interprète de Justinien, Smoktounovski, fut le Hamlet mémorable de Grigorij Kozintsev (1964). Le tournage en écran large et Sovcolor a lieu en automne 1985 en Crimée, dans la forteresse de Soudak où l’on érige les rues et places de Constantinople, à Askania-Nova, dans la région de Vyborg (golfe de Finlande) pour le village slave et en intérieurs aux studios Maxim Gorki à Moscou. – DE-RDA : Die ursprüngliche Rus, titre internat. : Rus – the Beginning.
1987Daniil knyaz Galitskiy / Danylo, kniaz Halytsky (Daniel, chevalier de Galicie) (SU) de Yaroslav Lupy
Olga Senina/Odessa Film Studios, 99 min. – av. Victor Yevgrafov (le prince Daniel Romanovich Galitsky), Ivan Havrylouk (le prince Vassylko Volynski), Sergeij Bystritsky (Lev/Léon, fils de Daniel), Mikhail Gornostal (Vyshgorodsky), Nurmukhan Zhantourine (Batou Khan), Bolot Bejchenaliev (le chef mongol Kuremsa), Ernst Romanov (Bela IV, roi de Hongrie), Bogdan Stupka (le boyard Sudich), Yuri Grebenschchikov (Abdel), T. Gajduk (Praskovya), Vera Kuznetsova (la reine Euphrosine-Anne, mère de Daniel), M. Ioyel (le métropolite Cyrille), Stefan Mertsalo (l’imprimeur Nikifor), Konstantin Artyomenko (le voïvode Dionisi), Nikolaï Volkov (Dvorsky), Edgaras Savickis (l’ambassadeur de Hongrie), R. Fedorov (le chamane), Youri Votiakov (le prince Andrej Suzdalsky).
Ukraine au XIIIe s. Une biographie de Daniel (Daniil Romanovich, 1201-1264) dit Daniel de Galicie, souverain de la principauté double de Galicie-Volhynie, fondateur de la ville de Lviv, grand-duc de Kiev en 1240 et « Rex Russiae » à partir de 1253. - En 1241, la Galicie-Volhynie est ravagée par l’invasion mongole de l’Europe qui aboutit à la vassalisation des principautés slaves orientales. Quatre ans plus tard, à la demande de Batou Khan, petit-fils de Gengis Khan, le prince Daniel est contraint de se rendre dans la capitale de la Horde d’Or à Saraï, sur la basse Volga, où le khan, satisfait, le laisse rentrer et régner à Galitch. Mais de retour, Daniel commence en secret à se préparer à la guerre contre l’envahisseur. Il s’allie avec les Hongrois (son fils Lev épouse la fille du monarque hongrois), puis avec les Lituaniens, les Polonais, les Allemands du Saint-Empire et le pape Innocent IV à Rome, initiateur d’une « croisade catholique contre la Horde d’Or ». Mais le projet échoue. En 1252, Batou Khan ayant appris la conclusion de ces alliances hostiles, envoie son armée commandée par Kuremsa dans la région du Dniepr pour punir Daniel et ses alliés, parmi lesquels son frère le prince Vasilko de Volyn, ses fils Lev, Roman et Svaromir. En 1255, ces derniers écrasent seuls la puissante horde mongole… (ce qui n’empêchera pas la Horde d’Or de régner sur la Sibérie occidentale et le sud de la future Russie jusqu’à la fin du XVe siècle). Une fois de plus le portrait d’un politicien idéalisé du passé, tourné en Galicie et remodelé selon l’imagerie officielle de l’URSS : lutte vaillante contre l’oligarchie boyarde et contre l’envahisseur du dehors. Les studios s’ouvrent timidement à la perestroïka, et par conséquent au « régionalisme » ukrainien, mais le scénario alarme les apparatchiks de la bureaucratie communiste et subit huit ans de réécriture, car il « met en lumière le moment où la partie occidentale de l’Ukraine a failli devenir une place forte de l’Europe et restaurer l’autorité des princes kiéviens » (Lubomir Hosejko, Histoire du cinéma ukrainien, Paris, 2001, p. 339). Alors que les fondements de l’empire soviétique commencent à craquer, l’acteur Ivan Havrylouk, suspecté de « nationalisme », est pris à partie par le KGB. Suite en 2018 avec la production - non plus russe mais ukrainienne cette fois - de Korol Danylo / Le Roi Daniel de Taras Khymych (cf. infra). - DE-RFA : Daniel, Fürst von Galizien.
1990(vd-mus) Prince Igor (GB) d’Andrei Serban (th) et Humphrey Burton (tv)
Royal Opera House Prod. (London), 194 min. – av. Sergei Leiderkus (le prince Igor Sviatoslavitch), Anna Tomowa-Sintow (la princesse Yaroslavna), Alexei Steblianko (Vladimir), Paata Burchuladze (khan Kontchak), Elena Zaremba (Konchakovna), Nicola Ghiuselev (Galitzki), Francis Egerton (Jeroshka), Eric Garrett (Skula), Robin Leggate (Ovlur), Piers Gielgud (le danceur). – Captation télévisuelle en couleurs de l’opéra d’Alexandre Borodine au Royal Opera londonien. Cf. supra, film de 1969.
Les croisés de l’Ordre de Livonie affrontent la chevalerie de Novgorod (« Rytsarskiy Zamok », 1991).
1990/91Rytsarskiy Zamok [=Le Château du chevalier] (SU) de Sergueï Tarassov
Mosfilm-Studiya « Zhanr » (Moskva), 79 min. – av. Aleksandr Koznov (le voïvode Vseslav Sotnik), Olga Kabo (Emma von Norden, l’épouse de Romuald), Denis Trushko (Romuald von Norden), Evgeny Paramonov (Ewald von May), Boris Khimichev (Siegfried von May), Aleksandr Inshakov (Conrad), Lydia Annaev (Anna), Alexei Pankin (Andrey), Yuri Slobodenyuk (Pavel), Sergueï Nechayev (Sattar), Sergueï Tarassov (Manfred Wolf), Alekseï Kolesnik (Hans), Eugen Degtyareko (Richard).
En 1334, lors de la confrontation entre les croisés catholiques de l’Ordre de Livonie (une branche de l’Ordre Teutonique) et la soldatesque de la Russie du Nord-Ouest. Pendant une escarmouche devant Novgorod, le voïvode Vseslav Sotnik est capturé par le frère-chevalier Romuald von Norden et enfermé dans le château de Neuhausen où, traité en invité plus qu’en prisonnier, il attend sa libération par l’échange de captifs. La venue du brutal Teuton Ewald von May modifie le climat humain : il désire Emma von Norden, l’épouse de son hôte, et accessoirement sa demeure et ses biens. Il enlève Emma, mais Sotnik pénètre dans la forteresse des croisés, sauve la jeune femme et pourfend le félon en combat singulier. Bientôt, cependant, l’armée de Sotnik retrouve celle de Romuald en face à face sur le champ de bataille. La fin reste ouverte...
Un film d’aventures soigné, parfois même spectaculaire, adapté assez librement de la nouvelle Le Château de Neuhausen (cycle livonien, 1824) du décembriste romantique Aleksandr Bestuzhev-Marlinsky, auteur influencé par les romans médiévaux britanniques de Walter Scott et R. L. Stevenson. Une spécialité, justement, du réalisateur Sergueï Tarassov (le Michael Curtiz soviétique, en moins talentueux !) qui a signé dans le passé un Robin des Bois (1976), Ivanhoé (1983), La Flèche noire (1985) et Quentin Durward (1988). En réutilisant entre autres pour ses extérieurs, comme ici, la forteresse ukrainienne de Khotyn.
Alexandre Nevski, non le prince guerrier mais l’homme de foi canonisé (1991).
1991Zhitiye Aleksandra Nevskogo [=La Vie d’Alexandre Nevski] (RU) de Georgiy Kouznetsov
Studio Evrasiya/Eurasia (Sverdlovsk), 79 min. - av. Anatoly Gorgul (le prince Alexandre Nevski), Viktor Pomortsev (le père Tavrion), Vaclav Dvorzhetsky (le métropolite Kirill), Asanbek/Arsen Umuraliev (Khan Batou, chef de la Horde d’Or), Esbolgan Oteulinov (Berké Khan, son successeur), Aleksandr Cheskiov (Protase), Youri Alekseev, Piotr Yurchenkov, Lyudmila Karaouch, Sergueï Smetanine, Mentaï Utepbergenov, Alekseï Gorbounov, Aleksandr Danilchenko, Gennady Makayev, Vladimir Belusov, Georgy Bovykin, Boris Lapin, Igor Chpilev, Piotr Vaschitchi.
Une curiosité : alors que l’URSS agonise, une obscure société de production se penche sur le héros national Alexandre Nevski (1220-1263) non pour vanter les victoires militaires de sa jeunesse (comme le font Eisenstein en 1938 et Igor Kalionov avec Alexandre : La Bataille de la Neva en 2008), mais pour rappeler que le prince fut aussi un fervent chrétien qui a prononcé ses vœux monastiques sur son lit de mort et que l’Église orthodoxe a canonisé en 1547 (plusieurs cathédrales orthodoxes portent son nom). L’initiative du film est sans doute en rapport avec le fait qu’en 1989, les autorités soviétiques ont autorisé le retour des reliques du prince (reléguées dans un musée de l’athéisme en 1919) au monastère de la Sainte-Trinité-Alexandre-Nevski à Léningrad, ville rebaptisée Saint-Pétersbourg en 1991. Ayant séjourné 14 ans, de 1228 à 1252, à Saraï en tant qu’otage de la toute-puissante Horde d’Or, Nevski s’est lié d’amitié avec Khan Batou et est même devenu frère de sang du fils du khan, Sartaq. Il va jusqu’à Karakorum en 1248/49 pour recevoir l’investiture mongole pour la principauté de Kiev, suivi de celle de Vladimir-Souzdal ; la bataille du lac Peïpour contre les chevaliers Teutoniques sera gagnée avec l’appui de la cavalerie mongole (ce qu’Eisenstein et Staline en 1938 se garderont bien de rappeler !). Enfin en 1252, Nevski convainc les Mongols de ne pas lancer de représailles contre des principautés slaves qui se sont rebellées, les sauvant ainsi de l’annihilation, et c’est pour une action diplomatique similaire qu’il se rend dix ans plus tard à Karakorum auprès de Berké Khan, successeur de Batou. Sur le chemin de retour, en octobre-novembre 1263, Nevski tombe gravement malade et meurt à Gorodets à l’âge de 43 ans.
Le film – qui porte un titre abusif – se concentre en fait sur les derniers jours et semaines de Nevski, alors que, fiévreux, luttant contre la mort dans la semi-obscurité de son chariot bâché, il revoit des épisodes de son passé avec les Mongols (qui parlent en proverbes et en paraboles), les autorités religieuses de sa principauté (des théologiens sophistiqués) ou les émissaires de Rome (des « rusés marchands de foi »), voire une projection d’avenir avec sa canonisation. L’intrigue se résume à une longue suite de monologues et de flash-backs pas toujours évidents pour le spectateur lambda, ce qui explique l’exploitation ultraconfidentielle du film.
1991Derzhis’, kazak ! [=Courage, cosaque !] (SU) de Viktor Semaniv
Kievskaya kinostudiya imeny A.P. Dovzenko (Kyev), 66 min. - Av. Oksana Stetsenko (Arsen), Leonid Bukhtiyarov (Maxime), Galina Dolgozvyaga, Vladimir Volkov, Vladimir Tchoubarev, Leonid Ianovski, Igor Slobodskoï, Piotr Beniouk, Bogdan Beniouk.
Petite comédie d’aventures ironique mais fauchée : Le cosaque zaporogue Maxime et sa bien-aimée vêtue en homme, Arsen, fuient la captivité turque afin de regagner leur Ukraine natale et leur sitch, c’est-à-dire la capitale cosaque au bord du Dniepr. En cours de route, ils libèrent les enfants captifs volés par de vilains janissaires.
1991Kozaki ydut [=La Marche des Cosaques] (UA) de Sergueï Omelchuk
Centre national de production culturelle « Ros’ »/Natsional’no-kul’turnyy proizvodstvennyy tsentr « Ros’ » (Kyev), 94 min. – av. Mikhaïl Golubovich (Maxim Trituz), Inna Kapinos (Nastka), Oleg Maslennikov (Overko), Yuri Muravitsky (le jésuite), Aleksandr Zadneprovsky (Stas Malchevski), Andreï Borisenko (Talamara), Yuriy Mazhuga (Som), Vladimir Kolyada (Chovnyk), Yuri Potapenko (Cherkas), Aleksandr Litovchenko (Ivan Spudey), Vladimir Antonov (Torba), Vyacheslav Dubinin (Smatliy), Viktor Chernyakov (l’aubergiste Khoma), Nikolaï Abesimov (Sidor, père de Nastka), Vladimir Korshun (Pip), Daniil Narbut (Sicheniy), Lyubov Bogdan (Motrya).
Premiers signes de l’effondrement de l’URSS dans ses anciennes républiques : Au XVIe siècle, les cosaques zaporogues luttent contre les nombreux envahisseurs de leurs terres, les Turcs, les Tatars et la noblesse polonaise de la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie). L’ordre des jésuites, maître ès tortures sophistiquées, envoie l’armée et ses espions à la recherche des convois de poudre à canon fabriquée en Ukraine, poudre dont Maxim Trituz et ses cosaques se sont emparés pour les stocker dans leur sitch, la capitale cosaque au bord du Dniepr, en vue de défendre une Ukraine éprise de liberté, instruite, multilingue, mais aussi envahie par le catholicisme polonais. Un film prémonitoire déguisé en « western » local. Tourné avec un budget minimaliste dans les environs de Lviv et au château d’Olesko, il remporte sans surprise un prix au premier Festival du film panukrainien.
1991Fiofaniya, risuyuchtchaya smert / Theophany Drawing Death / Time of Darkness / The Clearing (Feofaniya peignant la mort / La Clairière) (RU/US) de Vladimir Alenikov
Vladimir Alenikov, Robert Kaplan, Rob Martin/Kodiak Films (Moskva)-Odessa Film Studio-Babylon Pictures, 104 min. - av. Tamara Tana (Théofaniya/Fiofaniya), Victor Repnikov (Nestor, son fils), Nikolaï Kochegarov (le père Agafangel), George Segal (Grigoriy/Grégoire), Natalya Silantyeva (Lyudmila), Nikolaï Dobrynine (Avdeï), Zhanna Tokarskaïa (Alena), Zoya Kaidanovskaya (Nastya, fille de Grigorij), Tatiana Novik (Anna), Mariya Korolyova (sa sœur), Tatiana Kouznetsova (la folle), Mikhaïl Tchigarev (le père d’Anna), Sergueï Kozovin (Ivan), Mikhaïl Myassoedov (Antin), Piotr Kudryashov (Nikolaï), Igor Rybokov (Vasily), Nikolaï Isenko (Hazlampy), Raïssa Nedachkovskaïa (la mère de Théofaniya), Tatiana Zakharova (Euphrosyne), Anna Terekhova (Apraxie), Igor Kosukhine (un paysan).
Dans un village russe au XIe siècle : Comme chaque année, la communauté sous la férule dictatoriale de Grigoriy, se prépare à célébrer le rituel orgiaque du solstice d’été en honneur de Perun, dieu slave de l’orage, du tonnerre et des guerriers, fête accompagnée de jeux et d’une orgie sexuelle. Mais Agafangel, le nouveau missionnaire, condamne la célébration païenne et menace le village des feux de l’enfer tandis que Grigoriy met publiquement sa virilité en doute. Feofania, la magicienne du village, trouve le corps mutilé d’une jeune fille violée : Anna, une convertie chrétienne qui refusait de participer aux plaisirs charnels. Grigoriy attribue la mort à un loup-garou et envoie ses hommes à la chasse du monstre. Mais Agafangel pense que la fille a été assassinée par un villageois et accuse Feofania, qu’il voudrait voir brûler pour sorcellerie. Grigoriy pense que la venue du loup-garou est due au fait que le prêtre exaspère Perun et il empêche Anna d’être enterrée dans le rite chrétien. Les vérités que découvre Feofania dérangent toute la collectivité. La prochaine victime est Lyudmila, Feofania est désignée comme coupable, sa cabane est incendiée, le bûcher l’attend, mais son fils Nestor l’aide à s’échapper. Dans la forêt, Nestor affronte Grigoriy, l’assassin, qui périt dans un piège à loups. Feofania et son fils quittent le village. – Une niaiserie tournée en août 1990 dans les parages de Moscou, avec l’Américain George Segal, un ancien d’Hollywood égaré en Russie, dans le rôle du méchant. – DE : Zeit der Finsternis.
1993Vladimir Svyatoy (Saint Vladimir) (RU) de Youri Tomochevsky
Yelna George, Viktor Kashin, Aleksandr Vasilevsky/Dalex-Neva-Lenfilm, 70 min. – av. Vladislav Strzelchik (saint Vladimir Ier, grand-duc de Kiev), Natalia Danilova (Rogneda, sa femme païenne), Igor Volkov, Anatoly Nasibulin et Youri Kalougin (ambassadeurs de Byzance), Sergey Dontsov/Dreyden (Iaropolk, frère aîné de Vladimir), Yelena Dzhordhz (Anna Porphyrogénète, princesse byzantine), Oleg Melnik (le prince Sviatoslav), Irina Arlachyova (la concubine Malooucha, mère de Vladimir), Igor Yakovlev et Alexey Filileev (les ambassadeurs du pape), Sergey Selin et Igor Pavlov (les ambassadeurs du prince Vladimir), Gennady Vernov et Andrey Evseenko (des boyards), Viktor Novaykin, Sergey Rajuk et Andrey Balachov (des juges), Anatoly Garichev (un moine), Yuri Hertzman (le Khazar juif), Vladimir Zumakalov (le missionnaire musulman).
Juillet 1015 dans le palais de Vychgorod. Le prince Vladimir de Kiev se retrouve seul face à la mort qui approche. Sa mémoire le ramène à ce qu'il a vécu et des visions du passé surgissent, peuplées de personnes disparues depuis longtemps : la lutte fratricide des héritiers de Sviatoslav le Brave, la prise de Novgorod avec l’aide des Vikings et celle de Kiev en 978, etc. Dans l'âme rebelle du prince se joue le dernier duel avec une épouse rebelle, la païenne Rogneda/Ragnhild de Polotsk, puis en 988 son propre renoncement au paganisme en épousant la princesse byzantine Anna, fille de Basile II et en optant l’orthodoxie après de longues hésitations. Même ce qui se passera peu après sa mort est révélé à Vladimir... Le film, à peine distribué, se présente comme une galerie de portraits en gros plans, une suite d’échanges oratoires sur un fond abstrait ou sombre. Deux ans après l’effondrement de l’URSS, tous les messages idéologiques véhiculées par le cinéma « historisant » ont disparu pour faire place à un kaleïdoscope aride de portraits psychologiques qui n’intéresse pas grand monde.
1993(vd-mus) Knyaz Igor (Le Prince Igor) (RU)
Théâtre Mariinsky (Saint Petersbourg), 194 min. – av. Nikolaï Putilin (le prince Igor Sviatoslavitch), Galina Gorchakova (Yaroslavna, son épouse), Jevegenij Akimov (Vladimir), Sergei Alexashki (Galitsky), Olga Borodina (Konchakovna), Vladimir Vaneev (le khan Konchak). - Captation vidéo en couleurs de l’opéra d’Alexandre Borodine au Théâtre Mariinsky/Kirov à Léningrad/Saint Petersbourg, avec la direction musicale de Verly Gergiev. – Cf. supra, film de 1969.
Le prince Dolgorouki, fondateur de la ville de Moscou (« Knyaz Yurij Dolgorouki », 1998).
1998Knyaz Yurij Dolgorukij [=Le Prince Youri Dolgorouki] (RU) de Sergueï Tarassov
Studio Tarkifilm-2, 107 min. - av. Boris Khimichev (le prince Youri Vladimirovitch Dolgorouki), Nikolay Olyalin (le prince Svyatoslav Olgovich), Aristarkh Livanov (Izyaslav, grand-prince de Kiev), Boris Nevzorov (le boyard Kouchka), Nikolaï Olyalin (le prince Sviatoslav), Lidia Fedossejeva-Shukshina (Efrosinia), Oksana Ignatova (Ulita), Mikhail Gluzsky (le boyard Shimanovich), Igor Volkov (l‘ambassadeur de Byzance), Evgeny Zharikov (Luca), Julia Silaeva (Svetlana), Yevgeni Zharikov (Luka), Oleg Kurtanidze (le messager), Rimma Markova (la soignante), Aleksandr Filippenko (le bouffon Filka), Aleksandr Ilyi. (le voïvode), Aleksandr Lenkov (le braconnier), Evgeny Paramonov (le prince Andreï), Vladimir Smirnov (le constructeur de ponts), Aleksandr Goloborddko (le messager de Sviatoslav), Aleksandr Sinyukov (le garde-chasse).
Au XIIe siècle, Youri Vladimirovitch Dolgorouki, prince de Rostov et de Souzdal (dit « Youri aux Longs Bras », 1095-1157), septième fils de Vladimir II Monomakh, tente d'unifier les terres russes en encourageant la colonisation et en cherchant à fonder une capitale, la future ville de Moscou. Ses aspirations se heurtent à l'opposition du boyard païen Kouchka, qui vit sur le territoire convoité, et de son fourbe rival Izyaslav, le grand-prince de Kiev. Après une tentative de négociation infructueuse, les guerriers du prince tuent Kouchka au cours d'une querelle. Dolgorouki annexe alors ses biens et commence à construire le Kremlin sur le site-même du village où sévissait boyard éliminé. La sœur et la fille de Kouchka, Ulita, bien-aimée d’Izyaslav, s’établissent à Souzdal d’où elles tissent des intrigues en faveur de l’ennemi à Kiev et essayent d'influencer le prince célibataire. La ruse féminine étant à l’œuvre, la sœur de Kouchka tente de séduire Dolgorouki, tandis qu’Ulita accepte d'épouser Andrey Bogolyoubsky, le fils du prince, qui est amoureux d'elle. Mais après une tentative d'empoisonnement au cours de laquelle la coupe mortelle destinée à Dolgorouki est bue par sa concubine préférée Svetlana, Dolgorouki prend les armes et écrase l’armée kièvoise d'Izyaslav. Cette victoire célèbre aussi la victoire décisive du christianisme et permet la fondation de Moscou.
Conformément à la nouvelle idéologie nationaliste qui pointe alors que Boris Eltsine va céder sa place à Vladimir Poutine (fin 1999), Dolgorouki est présenté comme l’« unificateur des terres russes », ce qui est abusif : le prince de Rostov-Souzdal visait en fait le trône de Kiev – d’où l’épithète « aux bras longs » - en renversant son souverain légitime (qui n’avait rien d’un perfide satrape) et qui poussa son armée jusqu’aux rives du Dniepr ; la bataille qui clôt le film ne figure dans aucune chronique et seule la fondation de Moscou sur le domaine de Kouchka, dans un pays très partiellement christianisé, est confirmée dans des annales datant de 1147. Quant à Dolgorouki, après s’être emparé de Kiev en 1149, il en fut chassé par son neveu Isyaslav (!) et mourut empoisonné par les boyards de la région, ce qu’on se garde bien de signaler… C’est dire le sérieux historique de ce film fabriqué pour célébrer le 850ème anniversaire de Moscou alors que le pays est en plein chaos économique et politique – et que les sujets contemporains n’ont rien de glorieux. Ceci peut expliquer les moyens modestes et le ton pathétique de cette évocation pseudo-historique signée Sergueï Tarassov, un habitué des aventures médiévales à l’écran (cf. supra, Rytsarskiy Zamok/Le Château du chevalier en 1990/91).
La princesse Slutskaya, la « Jeanne d’Arc biélorusse », défend la Lituanie contre la Horde d’Or (2003).
2003Anastasiya Slutskaya / Nanja Slutskaya [=La Princesse Anastasia Slutskaya] (BY) de Yury Yelkhov
National Film Studio « Belarusfilm » (Minsk)-Belarus Republic Ministry of Culture, 100 min./93 min./87 min. – av. Svetlana Zelenkovskaya (la princesse Anastasia Slutskaya), Gennady Davidyko (le prince Semyon Mikhaïlovitch, son époux), Anatoly Kot (le prince Vladimir Drutsky), Furka Faiziev (le khan tartare Bata-Giray), Aleksandr Peskov (le prince Mikhail Lvovich Glinsky), Nikolaï Kirichenko (Khodasevich), Vyacheslav Solodilov (Koreyski), Vitaly Redko (Arslan), Irina Narbekova (Sophia), Olga Vodchits (Eva), Ivan Maskevich (Timur), Dashuk-Nigmatulin (le frère de Bata-Giray), Evgenia Joukovich Petrova, Sergueï Gyushko, Piotr Yurchenko, Farhoot Abdullayev, Aleksandr Tkachenko.
La principauté chrétienne de Slutsk, dans le grand-duché de Lituanie, est située à l'intersection des routes commerciales. Or durant la fin du XVe siècle et la première moitié du XVIe, la Horde d’Or tatare dévaste les terres biélorusses depuis la Crimée, brûlant tout et réduisant la population en esclavage. Épouse de Semyon Mikhaïlovitch, prince de Slutsk, Anastasia Slutskaya (v.1470-v.1526) est surnommée la « Jeanne d'Arc biélorusse ». Avec son mari, elle dirige efficacement la défense de la ville fortifiée de Slutsk contre les Tatars du khan Bata-Giray. Puis, en armure et à cheval, elle en repousse l'assaut et met l’ennemi en fuite. Les Tatars assiègent à nouveau Slutsk en 1505 après le décès de Semyon, puis en 1506, avec le même résultat. Les hordes se retirent provisoirement à Kletsk après avoir dévasté le pays. Désormais régente, la belle veuve repousse les demandes en mariage de proéminents nobles lithuaniens, dont celle du prince Mikhail Lvovich Glinsky (avec lequel elle aurait eu une liaison). Enfin, en 1508, le prince Glinsky s’allie à Anastasia pour écraser définitivement l’armée de Bata-Giray à Kapyl. – Un film de commande sans nuances dû au patronage officiel d’Alexandre Loukachenko, président de la République de Biélorussie, afin de célébrer « l’amour de la patrie et la fierté de son glorieux passé ». Hélas, les moyens matériels ne sont pas au rendez-vous (Minsk ayant rejeté l’idée d’une coproduction avec l’étranger), le contrôle politique de Belarusfilm est paralysant et le réalisateur prévu, le Russe Vladimir Yankovskiy, outré, cède sa place au chef-opérateur Yury Yelkhov. Uzbekfilm met à disposition les costumes mongols et quelques comédiens bridés d’un Gengis Khan qui n’a jamais vu le jour. Quant à la Jeanne d’Arc locale, elle est interprétée par une comédienne du Théâtre national Yanka Kupala de Minsk.
2006(tv) Russia (US) de Sarah Hutt et Mark Cannon
Série « Engineering an Empire », épis. 6, Randy Martin/KPI Productions, New York-Kraylevich Productions Inc.-Mechanism Digital (History Channel 20.11.06), 60 min. - av. James Matthew Gallagher (Ivan III le Grand), Athena Kazantzis (la princesse Sophie), John B. Nelson Jr. (le faux prince Dimitri, successeur d’Ivan IV le Terrible), Ken Sandberg (le jeune amant), Michael Carroll (narration), Peter Weller. - Docu-fiction.
2006[Animation : Knyaz Vladimir (Prince Vladimir) (RU) de Yuri Batanin et Yuri Kulakov ; Solnechniy Dom-DM, 78 min. – av. Sergej Bezrukov (voix) dans le rôle du prince salvateur. Joli à regarder, mais noyé dans un racisme fâcheux (les beaux blonds chrétiens contre les vilains bridés et païens) et un nationalisme outrancier. Pas vraiment pour des enfants.]
Alexandre Newski s’apprête à surprendre l’envahisseur suédois sur les rives de la Néva (2008).
2008Aleksandr - Nevskaya bitva (Alexandre : La Bataille de la Néva) (RU) d’Igor Kalionov [ou Kalenov]
Evgemoy Grigorev/Nikola-Film (Moskva), 111 min. – av. Anton Pampouchny (le prince Alexandre Iaroslavitch dit Alexandre Nevski), Svetlana Bakoulina (la princesse Alexandra/Prascovia Bryachislav, son épouse), Bogdan Stupka (le prince Yaroslav), Igor Botvin (Ratmir), Yuliya Galkina (Darya, son amie), Dmitri Bykovskiy-Romashov (Birger Magnusson), Andrej Fyodortsov (Kornilyevo, le bouffon muet), Valeri Kuhareshin (Erik XI, roi de Suède), Pavel Trubiner (Dimitri), Sergej Lysov (le voïvode Micha), Sergueï Russkin (Gavrila Oleksich), Denis Shvedov (Sbyslav Yanukovich), Aleksandr Styopin (Andreas von Felben, chevalier de l’Ordre Teutonique), Valentin Zakharov (Savva),Toungychpaï Chamankoulov (l’ambassadeur mongol de Batou Khan), Nodari Djanelidsé (Iachka), Lev Ielisseïev (Fiodor Danilytch), Aleksandr Orlovski.
Alexandre Iaroslavitch, le jeune prince de la république de Novgorod (1220-1263), sauve la vie d’Andreas von Felben qu’attaquent des bandits ; il ignore que ce dernier est un chevalier catholique de l’Ordre de Livonie (allié des Teutoniques), artisan secret d’une croisade contre les Russes et qui veut rencontrer en secret les boyards rebelles à Novgorod afin d’obtenir une carte des rives de la Néva permettant d’établir des camps militaires. Peu après, lors du festin à l’occasion des noces du prince avec la princesse Alexandra, le bouffon Kornilyevo découvre que la coupe de vin princière et la viande du sanglier sont empoisonnés. Mais étant muet, il ne peut attirer l’attention d’Alexandre et se sacrifie en buvant à sa place. Absent, Ratmir, le meilleur ami du prince qui a un faible pour Alexandra, est soupçonné à tort de tentative de régicide. Entretemps, Felben rencontre Éric XI, le roi de Suède qui s’apprête concrètement à attaquer la Russie, et lui promet la carte de la Néva. L’évêque de Riga envoie deux moines pour qu’Alexandre, profondément orthodoxe, se convertisse au catholicisme, ce que celui-ci refuse, comme il refuse prudemment la protection des Mongols de la Horde d’Or. Mais les deux moines sont en réalité chargés de transporter les précieuses cartes géographiques que leur remettent les traîtres boyards. Pas dupe, Alexandre laisse ces derniers faire. Il fait arrêter son meilleur ami Ratmir qu’il soupçonne à tort, avant de démasquer le véritable responsable de l’attentat contre sa personne : Vyacheslav alias Dimitri, fils catholique d’un ennemi de son père Yaroslav Vsevolodovich. L’armée suédoise débarque secrètement sur la rive de la Néva où Alexandre la surprend à l’aube et l’écrase le 15 juillet 1240, après avoir incendié tentes et drakkars. Ratmir tue Dimitri, mais meurt au combat. Le prince est considéré comme un héros national et porte désormais le surnom de « Nevski » (de la Néva) en souvenir de sa victoire sur les rives du dit fleuve.
Le tout est réalisé par Igor Kalionov, jadis producteur de l’amusante mini-série Les Mousquetaires de Catherine II (2007) et d’une gentille romance télévisée entre le tsar Alexandre II et sa maîtresse Katia (Lyubov imperatora, 2002) qui a fait beaucoup pleurer dans les chaumières de la nostalgie chauvine. Sans surprise, la production se caractérise par son patriotisme et par l'exaltation de la figure du prince en grand héros russe qui a su résister aux croisés germano-suédois (cf. supra, Alexandre Nevski de S. M. Eisenstein en 1938) : en effet, lors d’un sondage public en 2006, Alexandre Nevski a été désigné comme le Russe le plus populaire de l’histoire nationale avec un peu plus d’un demi-million de voix, devant Piotr Stolypine (premier ministre du dernier tsar Nicolas II) et… Joseph Staline ! En 2010, Vladimir Poutine crée la distinction honorifique de l’« Ordre d’Alexandre Nevski » et donne le nom du saint russe au sous-marin nucléaire K-550. Mais faire de la carte géographique de la Néva la pièce maîtresse pour une invasion ennemie est grotesque, compte tenu que le fleuve fut pendant des siècles la route d’un intense commerce international, utilisée en particulier par les Scandinaves varègues, fondateurs de la Rus’ kiévienne ! Quant aux antagonistes locaux du prince Nevski, les boyards, certains d’entre eux ont choisi le catholicisme et veulent « vivre comme les gens à l’ouest ». Selon le film, l’ennemi unique de Novgorod – des « terres sauvages et indisciplinées » - sont la collectivité de ses voisins européens (pas un mot sur la concurrence féroce entre la Suède, la Livonie et le Danemark pour la domination de la Baltique orientale) ; cet ennemi est symbolisé à l’écran par les bouffons nains du roi de Suède, querelleurs, pitres et indécents, tandis que leur confrère russe sauve le prince au prix de sa vie. La flotte suédoise était commandée par le duc Birger Jarl (Magnusson), fondateur de Stockholm, mais ce dernier est inexistant au générique. Quant au prétendu espion Andreas von Felben (décédé après 1260), grand-maître de l’Ordre de Livonie en 1241/1242, on ne sait pas grand-chose de lui sinon qu’il assista plus tard, sans combattre, à la fameuse bataille du lac de Peïpus gagnée par Nevski et ses alliés mongols. Mais ni le talent – l’interprète principal est bien falot - ni le budget (3,2 millions $) avec sa cinquantaine de figurants sont à la hauteur des ambitions. Évoquant la fresque stalinienne de 1938, Kalionov a beau assurer qu’il ne cherche pas à filmer une épopée mais l’apprentissage d’un garçon qui entre dans l’âge adulte et apprend à survivre selon les règles dictées par la politique, on est artistiquement à des années-lumière d’Eisenstein. – DE (dvd) : Alexander der Kreuzritter [sic], US : Alexander. The Neva Battle.
2010Yaroslav. Tysyachu let nazad [=Yaroslav. Il y a mille ans] (Prince Yaroslav) (RU) de Dmitri Korobkin
Vadim Byrkin, Oleg Surkov, Anastasiya Pelevina/Anno Domini Co., 99 min. - av. Aleksandr Ivashkevich (le grand-prince Yaroslav), Svetlana Chuykina (Raïda), Alekseï Kravchenko (Harald le Viking), Viktor Verzhbitski (Sviatozar), Valeri Zolotoukhine (Tchourila), Pavel Khrulev (Wend), Elena Plaksina (Gelana), Fyodor Shuvalov (Ilyusha fils de Yaroslav), Boris Tokarev (Meleï), Vladimir Antonik (Vyshata), Youri Vaksman (Budy), Konstantin Milovanov (Budimir), Sergueï Genkin (Gorazd), Georgy Nazarenko (le père Feodor), Aleksandr Gizgizov (Aldan, chef des voleurs), Anora Khalmatova (Tuna, sa femme), AlekseÏ Dimitriev (Kird).
La Rus’ de Kiev vers l’an 1010. Âgé de 20 ans, Yaroslav, le jeune prince de Rostov, est chargé par son père de gérer les terres orientales de la haute Volga (au nord-est de la Russie), pays de profondes forêts où vivent des tribus finno-ougriennes pas encore converties au christianisme et quelques rares tribus slaves. Ces peuplades sont pacifiques, « ne connaissent pas les armes », ce pourquoi elles sont souvent capturées et vendues au sud comme esclaves par les princes et boyards russes et leurs voisins du sud-est, les Bulgares et les Khazars. Yaroslav rassemble une armée pour lutter contre ce trafic humain en protégeant en particulier le « Clan (fictif) des Ours » où il rencontre la belle princesse Raïda. Soutenu par les mercenaires nordiques du Viking Harald, des Varègues, il rassemble les clans païens autour de Rostov, répand le christianisme parmi eux et, événement central, fonde la ville de Yaroslav au bord de la Volga, ainsi que, aidé par le chamane converti du Clan des Ours, une église sur le site-même de l’ancien temple païen. Ces entreprises, dit le film, seraient à l’origine de la création de l’Etat de Russie.
Patriotisme magnifié et prosélytisme appuyé de l’Église orthodoxe russe (que dirige désormais l’allié de Poutine, Cyrille Ier, un ancien agent du KGB soviétique devenu – par autoproclamation - le patriarche corrompu de Moscou et de toutes les Russies, intronisé en 2009) sont les principaux ingrédients de ce spectacle confus et sans panache. Sa sortie a été programmée pour le 1000e anniversaire de Yaroslav le Sage, mais la crise économique a contraint la production (fondée « pour soutenir des projets socialement significatifs et patriotiques ») à réduire sérieusement son voilage. Le tournage s’est déroulé en 2009 dans l’oblast de Iaroslavl ; on y a construit une ville en bois en 6 mois, décoré grâce au soutien des musées de Iaroslavl et de Rostov, tandis que les habitants de Tutaïev et les théâtres locaux fournissaient la figuration ; la musique a été confiée au fameux chansonnier Sergueï Trofimov. Ces atouts ne trompent personne : destiné à raffermir la fierté nationale, le film fait un flop sans appel. – Sujet voisin, cf. le biopic de 1982. - DE: Ritterfürst Jaroslav - Angriff der Barbaren, GB: Iron Lord, ES: Yaroslav, el señor del acero, Internat.: Yaroslav: One Thousand Years Ago.
Un saint thaumaturge orthodoxe guérit la mère aveugle du Grand Khan (« Orda », 2012).
2012Orda (La Horde) (RU) d’Ândreï Prochkine
Natalya Gostiouchina, Sergueï Kravets/Pravoslavnaya Entsiklopediya (Moskva)-Rezo Films, 129 min. – av. Maxime Soukhanov (saint Alexis, métropolite de Kiev), Andreï Panine (le khan Tinibek), Innokenti Dakaiarov (le khan Janibek Taidul), Rosa Khairoullina (la khansha Taïdula, sa mère), Vitali Khaev (le prince Ivan II Ivanovitch le Rouge), Alekseï Chevtchenkov (Vassili), Aleksandr Yatsenko (Fedka, gardienne de cellule), Fedot Lvov (Timer), Alexeï Yegorov (Badakul), Moge Oorzhak (Berdibek, fils de Janibek), Romuald Andrzeh Klos (l’ambassadeur), Gennady Tourantaev (le marchand d’esclaves), Irina Nikiforova (la servante de Taïdula), Tolepbergen Baysakalov (Abilda), Daulet Abdygaporov (soldat de Janibek), Aleksandr Tsoï (le magicien chinois), Yuri Pronine (le prêtre), Sergueï Makarov.
Un épisode de la vie de saint Alexis (1292-1378), métropolite thaumaturge de Moscou et Kiev, alors que les principautés russes sont encore sous l’emprise des Mongols de la Horde d’Or. Leur capitale est la ville de Saraï-Batu (au nord d’Astrakhan), où le khan musulman Tinibek vient d’accueillir les ambassadeurs du Vatican de manière extrêmement hostile, les humiliant ainsi que le pape Innocent VI. Son frère, le khan Janibek (ou Jani-Beg, chef de la Horde d’Or de 1342 à 1357) règne en son absence et vient de fomenter son assassinat. Or la khansha Taïdula, mère des deux frères khans, est soudainement devenue aveugle, et toutes sortes de guérisseurs, magiciens et chamanes ont vainement tenté de lui redonner la vue. Elle semble tourmentée, hésitant à persécuter ou à bénir l’assassin fratricide qui vient de monter sur le trône. La Horde a entendu des rumeurs sur l’étonnant métropolite Alexis, grâce aux prières duquel des miracles ont été accomplis. En 1357, les ambassadeurs du khan arrivent donc à Moscou et exigent que le « vieil homme merveilleux » les accompagne à Saraï-Batu et guérisse la khansha. Sous la menace de l’anéantissement de Moscou et à la demande expresse du prince Ivan II le Rouge, Alexis est contraint d'entreprendre un long voyage, accompagné de la préposée aux cellules Fedka. Avant son départ, Alexis célèbre un service devant le tombeau de Piotr, quand soudain un cierge s’allume tout seul près du tombeau. Le métropolite décide d’emporter ce cierge avec lui. Arrivé à Saraï-Batu avec de l’eau sainte et ses prières, Alexis parvient à soigner Taïdula qui recouvre la vue. En souvenir de cet événement, en 1365 sera fondé à Moscou le monastère des Miracles (Tchoudov) où le saint sera inhumé. Rentré couvert de cadeaux et avec la promesse de garantir la sécurité de l’Église, le métropolite thaumaturge utilisera l’autorité acquise auprès de la Horde pour défendre et renforcer la future Russie, « le meilleur rempart de l’Europe contre les invasions mongoles »...
Produit par la nouvelle société de cinéma et télévision Orthodox Encyclopedia, une branche du Centre scientifique de l’Église orthodoxe russe ralliée à la politique récente du Kremlin, le film se base pour son scénario sur les descriptions des franciscains Giovanni Plano Carpini (1246/47) et Willem Rubrouck (1253/1255), premiers Européens à visiter l’Empire mongol, et de l’historien marocain Ibn Battuta. On notera que dans les films soviétiques, le clergé orthodoxe et non orthodoxe était également malveillant. La donnée change avec l’effondrement de l’URSS : à la mauvaise prêtrise européenne s'opposent désormais des ascètes orthodoxes capables d'exploits et de miracles. Dans le cinéma soviétique, les images positives des Européens étaient celles des masses opprimées et de l'intelligentsia contestataire. Dans le cinéma russe, en revanche, l'approche de classe disparaît. Le tournage – sous le premier titre de Svyatoy Aleksiy / Saint Alexis – se déroule de juin à décembre 2010 dans l’oblast d’Astrakhan (raïon de Kharabali), près du village de Selitrennoe et sur les rives de l’Akhtuba où sont reconstitués Saraï-Batu et des quartiers de l’ancien Moscou en grandeur nature, peuplés d’acteurs et figurants d’origines les plus diverses, Tatars, Kazakhs, Kirghizes, Touvans, Kalmouks, Yakoutes et Bouriates, parlant russe et karachay-balkar. Les intérieurs sont enregistrés aux studios de la Mosfilm. Mi-hagiographie, mi-épopée historique, le film est couvert de prix à sa sortie – dont le Prix de la meilleure réalisation (“Aigle d’or”) au Festival international du film de Moscou - , moins pour ses reconstitutions complexes d’un passé dont il ne reste en fait très peu de traces que pour son grand soin visuel et son habilité narrative. L’accueil est plus critique au Tatarstan où les médias vitupèrent contre la déformation malveillante de l'histoire et de la culture de la Horde. Depuis lors, le film dérange quelque peu l’officialité, car son interprète principal, Maxime Soukhanov, a signé plusieurs lettres ouvertes en faveur d’opposants politiques, s’est prononcé en 2014/15 contre la guerre dans l’est de l’Ukraine, a soutenu la marche pour la paix à Moscou en septembre 2013, a refusé le titre d’« Artiste du peuple », a traité Staline de « plus grand criminel » et a déménagé à Berlin. Quant au cinéaste Prochkine, il a signé en 2013 et 2023 des lettres contre la campagne ukrainienne et l’invasion de l’armée russe en Ukraine. - DE : Empire – Krieger der goldenen Horde, GB/US : The Horde.
2013® (ciné+tv) Cyril a Metodej – Apostolové Slovanu / Cyril and Methodius : The Apostles of the Slavs / Cyril a Metod - Apoštoli Slovanov (CZ/SK/RU/SI) de Petr Nikolaev. - av. Roman Zach (Méthode/Methodius), Ondrej Novák / Matyás Svoboda (Cyrille/Constantin le Philosophe). - Biographie des deux « Apôtres des Slaves », les frères Cyrille (v.826-869) et Méthode (v.815-885) qui ont évangélisé les peuples slaves de l’Europe centrale et conçu l’alphabet glagolitique, le plus ancien alphabet slave. – cf. chap. 2 Bohème.
2013(vd-mus) Le Prince Igor (FR) de Corentin Leconte (tv) et Yuriy Lyubimov (th)
François Duplat/Bel Air Media-Mezzo-France Télévisions-Kultura (16.6.13), 135 min. – av. Elchin Svyatoslavich (le prince Igor Sviatoslavitch), Elena Popovskaya (Yaroslavna, son épouse), Roman Shulakov (Vladimir Igorevich), Valery Gilmanov (le khan Konchak), Vladimir Matorin (VladiirYaroslavich), Svetlana Shilova (Konchakovna). - Captation télévisuelle en couleurs de l’opéra d’Alexandre Borodine au Théâtre Bolchoï à Moscou. – Cf. infra, film de 1969.
2015(tv) Druzina [=L'Escadron] /RU) télésérie de Mikhail Kolpatchev
Ilya Ognev, Mikhail Kolpatchev, Ivan Selyukov/VGTRK-Rossiya 2 (Moskva) (Rossiya-2 24.5.2015), 4 x 90 min. - av. Aleksandr Vontov (Iaroslav, prince de Novgorod), Nikita Morozov (le prince Alexandre, son fils), Sergeï Vorobiev (Godun), Mikhaïl Bogdanov (Kurgan), Aleksandr Erlich (Anikei), Gennady Kazachkov (Vyshen), Alekseï Parasevitch (Finist), Pavel Padyrov (Evpatiy), Roman Litvinov (Spiridon, archevêque de Novgorod), Alan Tomaev (le forgeron Merlin), Daria Tsiberkina (Lada), Oleg Khamitov (Prokhor), Sergeï Zanin (le père Nikon), Oleg Chugunov (Fofan), Sergeï Russkin (le Boyard Mstislav), Aleksandr Kolesnik (Sigurd), Samvel Muzhikyan (Volkwin von Winterstatten, cdt. de l'Ordre Teutonique), Sergeï Malyugov (Friedrich, ambassadeur de l'Ordre), Sergeï Sintsov (Olaf, chef des Normands), Sergeï Malakhov. (Gunnar), Alena Savastova (Mara), Dmitri Petruchkov (Perche), Alan Casico (le chasseur), Andreï Pogrebinski.
Une minisérie poutinienne visant à rappeler aux téléspectateurs le "glorieux passé de la nation russe", divisée en 4 parties, "La Croix Princière", "Varègues", "Le Temps du sacrifice" et "Le Destin du trône". En 1234, Novgorod est la proie de troubles divers, le vol et la pauvreté règnent. L'Ordre Teutonique veut s'emparer de ses terres et, à cette fin, empoisonne secrètement le prince Iaroslav, de sorte qu'il décède "de mort naturelle". Afin de sauver la cité, l'archevêque Spiridon ordonne à une escouade de ses meilleurs guerriers commandée par Godun de ramener le fils du prince, le jeune Alexandre, caché dans un endroit sûr avec son mentor. En cours de route, l'escadron doit faire face aux Varègues vikings, durs et impitoyables qui pillent et brûlent les villages, tuent les habitants et violent les femmes. Puis les héros sauvent le prince des griffes de tribus païennes qui s'apprêtent à le sacrifier dans leur temple, enfin ils participent à la bataille décisive qui va libérer Novgorod de la menace teutonique. Une série tournée partiellement dans le Kremlin de Pskov et qui ne s'embarrasse pas trop d'exactitude historique (on oublie que ce sont les Varègues qui ont fondé Novgorod et la Rus' de Kiev).
Le prince Vladimir de Novgorod et ses guerriers varègues dans « Viking » (2016).
2016* Viking (Viking. La Naissance d’une nation) (RU) d’Andreï Kravchuk
Konstantin Ernst, Anatoly Maksimov/Direktsiya kino-Dobro-Studio Trité, 143 min. – av. Danila Kozlovsky (Vladimir Sviatoslavich, prince de Novgorod, puis grand-duc de Kiev), Aleksandra Bortich (Rogneda Rogvolodovna, princesse de Polotsk, son épouse), Aleksandr Ustyugov (son demi-frère Yaropolk Sviatoslavich), Svetlana Khodchenkova (Irina, épouse byzantine de Yaropolk), Kirill Pletnev (Oleg Sviatoslavich, prince des Drevlyans), Andreï Smolyakov (Rogvolod, prince de Polotsk, père de Rogneda), Maxim Sukhanov (Sveneld, voïvode du grand-duc Sviatoslav Igorevich), Rostislav Berschauer (Blud, voïvode et boyard de Kiev), Vilen Babichev (Viking de Hevding), Nikolaï Kozak (Lyut), Igor Petrenko (Varyazhko), Vladimir Epifantsev (le varègue chrétien Fedor), Ivan Shmakov (Jan, son fils), Pawel Delong (le père Anastas, ecclésiastique de Korsun), Anton Adasinsky (le sorcier), Lidiya Kopina (Kobnitsa), Ioulia Pisarenko (une païenne), Alekseï Demidov (Samokha), Aleksandr Lobanov (Putyata), Joakim Natterquist (Hevding, chef viking), Harald Rosenström (Einar), Aleksandr Armer (Ulvar), Oleg Dobrovan (Valgard), Julia Pisarenko (Yazychnitsa), Natalya Rychkova (Zhena Svenelda), Pierre Bourel, Sergey Cherdantsev.
En l’an 980 dans la Rus’ de Kiev préchrétienne. Après le décès de son père Sviatoslav Ier, souverain des lieux, le jeune prince Vladimir de Novgorod (958-1015), âgé de 18 ans, est forcé à l’exil dans le grand nord, sur les rives de la mer de Barents en Scandinavie, pour échapper aux sbires de son demi-frère Yaropolk Ier, déjà responsable en 977 de l’assassinat à Polotsk de son autre frère Oleg et qui s’est emparé de tous les territoires varègues (vikings russes). Sur conseil du vieux voïvode Sveneld, Vladimir réunit une armada de drakkars varègues pour reconquérir Kiev et Novgorod, faire obstacle aux armées de Byzance qui menacent au sud et rétablir enfin la paix. En route et cherchant des alliés dans la ville varègue de Polotsk, il courtise la fière Rogneda, fille du prince Rogvold. Comme elle refuse avec mépris ses avances, Vladimir s’empare de la forteresse, puis viole publiquement et épouse Rogneda après avoir tué ses parents. Sur le Dniepr, il capture Irina, l’épouse byzantine de Yaropolk qui tente de s’enfuir vers son pays natal. Sa femme étant enceinte, Yaropolk accepte de négocier une paix à Kiev où Vladimir le fait assassiner (puis viole sa veuve Julie, épisode oublié par le scénariste). À présent seul maître de Kiev, il restaure le temple païen de Péroun, dieu de la guerre, puis assiste choqué, impuissant, au meurtre rituel de son commandant chrétien Fiodor. Avant de retourner dans son pays, Irina le console en le sensibilisant au message christique tandis que l’empereur de Byzance Basile/Vasily II couvre Kiev de cadeaux. En 988, Vladimir assiège Korsun/Chersonèse en Crimée byzantine où, la ville prise, il rencontre le père spirituel d’Irina, Anastas, qui le convainc de se faire baptiser après avoir confessé tous les crimes de son passé. Mais son gouverneur Sveneld ne partage pas son pacifisme et le pousse à présent à attaquer Byzance même. Devant son refus, il tente de le noyer, puis le provoque en duel. Mais Vladimir pose les armes, s’agenouille et prie. Sveneld renonce. Clap de la fin : le père Anastas baptise les habitants de Kiev dans les eaux du Dniepr.
➤ Les scénaristes ont dû marcher sur des braises, car les derniers épisodes sont inventés de toute pièce pour satisfaire Vladimir Poutine et son compère Cyrille II, le nouveau « patriarche de toutes les Russies » (lui aussi ex-membre du KGB), tous deux empêtrés dans leur « récit national-religieux ». Le film suscite un intense débat, car les nationalistes sont irrités par l’importance faite aux Vikings. On sait par ailleurs que, célébré comme saint par les Églises romaines et byzantines, l’authentique Vladimir renonça au paganisme et à la luxure, mais pas au sexe, étant connu sous le terme de « fornicator maximus » ! Sa deuxième épouse dès 988, la princesse impériale byzantine Anna Porphyrogénète, 25 ans, n’apparaît d’ailleurs pas au générique. Vladimir avait exigé sa main en échange d’aides militaires varègues, elle avait refusé, comme son frère qui se résolut à accepter le mariage contre la conversion du prince. Au bout d’un an, Vladimir renvoya donc ses épouses tchèques et bulgares et plusieurs centaines de concubines, fit abattre les idoles et ordonna à la population de se réunir pour un baptême collectif. Au XVIIIe siècle, l’impératrice Catherine II instituera en son honneur l’Ordre de Saint-Vladimir. Tant pour l’Histoire, le reste relève du conte de fées. Mais la production du film est d’envergure (coûts : 29 millions de $). Débuté en mars 2015 après sept ans de préparation, le tournage a surtout lieu en Crimée annexée et russifiée une année plus tôt (au réservoir Taïgan vers Belogorski, dans la forteresse génoise de Sudak, au village de Shkolnoye, à Bakhchisarai et au cap Fiolent), puis en Italie à San Vitale près de Ravenne et au Maroc ; les intérieurs sont enregistrés aux studios Glavkino à Krasnogorsk, près de Moscou. Les décors extérieurs en Crimée, particulièrement réussis, feront l’objet d’un parc thématique près du village de Perevalnoye. Comme de bien attendu, le 4 novembre 2016, Poutine inaugure au pied du Kremlin une statue monumentale (18 m.) du prince. Sorti un mois plus tard, le film est néanmoins un échec au box-office : la critique comme le public saluent ses remarquables reconstitutions, mais peinent à suivre le personnage en titre, dont la conversion ne convainc qu’à moitié après tant de violence et de sang versé. La principale erreur, toutefois, est le choix du titre même, qui n’a pas vraiment de rapport avec le sujet du film et trompe les attentes du spectateur lambda.
2016(tv) Sophia / Sofia Palaiologina / Sofiya (RU) télésérie d’Alexeï Andrianov (3-8) et Vyacheslav Ross (1-2)
Andreï Begunov, Maria Ushakova, Pyotr Shakhlevich/Kinokompaniya Moskino-Smilehood-Jennex Media-Vserossiyskaya Gosudarstvennaya Televizionnaya i Radioveshchatelnaya Kompaniya (VGTRK) (Russia-1 28.11.-8.12.16), 8 x 52 min. – av. Mariya Andreyeva (Sophie Paléologue, grande-duchesse de Moscou), Evgeniy Tsyganov (Ivan III, grand-duc de Moscou), Nadezhda Markina (la grande-duchesse Maria Yaroslavna, mère d’Ivan III), Pyotr Zaychenko (Philippe Ier, métropolite de Moscou et de Russ’), Boris Nevzorov (le boyard Grigoriy Mamonov), Miriam Sekhon (Laura, assistante de Sophia), Andreï Barilo (Andreï Palaiologos, frère de Sophia), Giuliano Di Capua (le diplomate Ivan Fryazin), Nikolay Kozak (le voïvode Fyodor Khromy), Sofia Nikitchuk (Elena Voloshanka de Moldavie, épouse d’Ivan le Jeune), Anatoly Uzdensky (Fyodor Kuritsyn, chroniqueur et trésorier), Aleksandr Baluev (Stéphane le Grand, hospodar de Moldavie), Sergueï Puskepalis (Casimir IV Jagellon, grand-duc de Lituanie), Amadu Mamadakov (Ahmed, khan de la Horde d’Or), Ivan Kolesnikov (Yuriy de Dmitrov, frère d’Ivan III), Sergueï Marin (Andrey Bolshoï de Staritsa, frère d’Ivan III), Ivan Vakulenko (Boris de Volok, frère d’Ivan III), Konstantin Topolaga (le chevalier Daniil de Kholm), Lidiya Babyrashevskaya (Marfa Boretskaya de Novgorod), Boris Tokarev (l’architecte italien Ridolfo Fioravanti dit Aristotele), Kirill Kozakov (le légat papal Antonio Bonombra), Semion Kreskunov (le futur Ivan IV le Terrible), Yuriy Nazarov (le metropolitain Macarius, son mentor), Egor Koreshkov (Pietro), Konstantin Topolaga (Daniil de Kholm), Ilya Ilinykh (Ivan le jeune, fils aîné d’Ivan III), Vilen Babichev (le bourreau Miron), Ksana Radchenko (Dasha), Ivan Vakoulenko (Boris Vasilyevich), Sergey Marin (Andreï Bolchoï), Vladislas Pavlov (frère Nikita), Mattia Sbragia (le pape Paul II), Vladas Bagdonas (le pape Sixte IV), Seydulla Moldakhanov (Timur Beklembey).
Constantinople a été conquise par les Ottomans en 1453. Sans le sou, la princesse Zoé Paléologue (v.1455-1503), nièce du dernier empereur byzantin Constantin XI, et sa proche famille ont pu se réfugier à Rome où, en 1469, le pape Paul II offre la princesse byzantine en mariage à Ivan III, le grand-duc de Moscovie, un veuf récent ; par cette union dynastique incongrue, le Saint Père espère voir entrer la grande-principauté de Moscou orthodoxe dans le giron catholique. Mais l’évêque romain qui dirige son escorte pendant son voyage à l’Est se voit interdire l’entrée à Moscou. Le mariage a lieu en novembre 1472 au Kremlin où Zoé prend le prénom de Sophie, mais ne songe pas à renoncer à sa foi orthodoxe. De son mariage naîtront 13 enfants, dont l’aîné Vassili III (1479-1505), grand-prince de Vladimir et de Moscou qui deviendra le père du premier tsar russe, Ivan IV dit le Terrible. Sophie est donc la grand-mère de ce dernier (qu’elle ne verra jamais, étant décédée avant sa naissance). La série se vante ainsi d’illustrer la formation de l’État russe, genèse à laquelle la Byzantine aurait apporté le meilleur de la civilisation européenne. Le règne d’Ivan III, soulignent d’ailleurs les producteurs, correspond à bien des égards à celui d’aujourd’hui (entendez : Poutine, l’homme fort, ayant hérité d’un empire fragmenté, reconstruit la « Russie éternelle »). Les personnages étant largement inconnus du grand public, il convient de compenser cette ignorance par des attraits visuels en tous genres. Appuyé financièrement par les ministères de la Culture et de la Défense, le tournage (sous le titre de travail de Sophia Palaiologina) débute dès novembre 2014 en République tchèque, sur les terrains des studios Barrandov à Prague (où s’est tourné la série Borgia), puis se poursuit en Italie (Rome), enfin en Russie, à Moscou (Kremlin et parc d’expositions de VDNKh), dans la citadelle de Krom à Pskov, dans l’oblast de Kalouga, à Borovsk, Obninsk, Veliki, Novgorod et dans la région d’Astrakhan.
Les chroniques russes mentionnent peu l’influence politique de Sophie Paléologue sur son époux, mais très ambitieuse, elle fit venir des artistes italiens (comme Ridolfo Fioravanti dit Aristote) qui furent les architectes de plusieurs cathédrales du Kremlin (notamment celle de l’Assomption) et des premiers bâtiments en pierre de la cité, fit construire un chantier pour couler des canons et installa une vaste bibliothèque. Sa présence aurait semé les graines de la libre pensée à l’Occidentale ; par ailleurs, elle apporta en dot le blason de l’Empire byzantin, à savoir l’aigle bicéphale des Paléologues, cet aigle à deux têtes qui devint un symbole national russe. Enfin, elle instaura divers rituels royaux incluant des femmes (qui auparavant devaient se cacher), des images du pouvoir avec cérémonials, étiquette, bijoux et garde-robe élaborée. Enfin, c’est elle qui aurait incité son époux sur l’oreiller à tenir tête à la Horde d’Or venue réclamer son tribut annuel, une victoire diplomatique décisive. Cependant aux yeux des producteurs, cette nouvelle série, première étape d’une vaste saga télévisuelle russe signée Alexeï Andrianov (cf. chap. 4.2, Godounov en 2918/19 et Grozny en 2020) doit surtout lorgner du côté de Game of Thrones (le fantastique trop appuyé en moins) et ignorer les scrupules de l’historien. Les scénaristes construisent leurs intrigues sur des spéculations et des fantasmes en tout genre (l’apparition surnaturelle de l’aigle à deux têtes, le pouvoir de sorcellerie d’Elena Voloshanka, l’épouse d’Ivan le Jeune). On apprend ainsi que le pape Sixte IV aurait tenté de punir la grande-duchesse qui n’a pas tenu ses engagements « religieux » envers Rome en envoyant des assassins pour l’empoisonner. Et surprise : les Tatars, les Lituaniens et les Polonais parlent un russe parfait (allusion subtile aux racines communes de ces ethnies ?). Enfin on nous raconte que Sophie a joué un rôle politique déterminant à Moscou alors que, pendant la plupart des 8 épisodes, la série la laisse en marge des innombrables intrigues de palais (les successeurs envisagés d’Ivan III comme Ivan le Jeune, sa femme Elena de Moldavie, puis leur fils Dmitry), des querelles politiques (Andreï Vassilievitch Bolchoï, Boris Vasilievich) et faits militaires (la guerre avec la République de Novgorod et le refus de verser un tribut annuel à la Horde d’Or). Sophie réapparaît vers la fin, en 1490, quand elle est soupçonnée d’avoir fait tuer Ivan le Jeune, le fils aîné du grand-duc, au profit de son propre rejeton. Ivan III la bannit de la cour et noie son désarroi dans la boisson. En 1502, alors que Giambattista, espion du Vatican, tente de la tuer, elle s’enfuit et se réfugie dans les bras de son époux repentant qui réalise qu’elle a été victime d’une terrible conspiration. Sophie le persuade de ne pas se venger par un bain de sang, mais de calmer les esprits en désignant officiellement leur fils commun Vassili comme héritier de la couronne. On oublie charitablement les détails peu glorieux de ces déchirements successoraux ainsi que la suite de sa vie (on avait initialement prévu 10 épisodes), mais bon, costumes et décors ne manquent pas d’allure et les interprètes sont à la hauteur du décorum. La série remporte plusieurs prix en Russie – notamment du prix spécial TEFI 2017 pour la meilleure reconstitution artistique de l’histoire nationale - et est diffusée internationalement. - US: Sophia.
2017Korol Danylo / King Danylo (Le Roi Danilo) (UA) de Taras Khymych
Olesya Galkanova-Lan/Invert Pictures Film Studio (Kyiv), 90 min. - av. Sergey Yarmoshenko (le roi Danilo/Daniel Ier de Galicie), Rinat Khairullin (Khan Batou), Oleg Sikirinsky (Gordiy Mstislavovich), Yuri Vykhovanets (Vassilko, frère de Danilo), Irina Nikitina (la princesse Anne de Novgorod, femme de Danilo), Viktor Lafarovych (Maître Bruno), Myroslava Rachynska (Euphrosyne/Anne de Byzance, mère de Danilo), Albina Sotnikva (Borakchin Khatun), Roman Muts (Ulv, mercenaire viking), Veronika Shostak (Evlampia), Eugenia Muts (Anna Mstislavna, épouse de Danilo), Ostap Shepherd (Orban), Pavel Tur (Irakli), Maxim Vershina (Ustim), Aleksandr Kuzmenko (Mircea), Piotr Benyuk (le pape Innocent IV), Alexander Nazarchuk (Ratibor), Dmitry Usov (Yarko), Denis Pasechny (Nikitka), Sergey Kozlovskiy (Mengu), Marina Mazur (Hilda), Vassily Nitsko (le boyard Vladislav Kormilchin), Sacha Manzel (Lev/Léon Danilovich, fils de Danilo).
En 1238, le prince Danilo (Daniel Romanovitch de Galicie, 1201-1264) et son frère Vassilko mobilisent leurs alliés pour repousser la puissante Horde d’Or de Batou Khan qui s’est attaqué à la Rus’ en 1237. Il ordonne la mobilisation et la création de villes-forteresses, une décision qui déplaît aux boyards galiciens, prêts à s’arranger avec les Tataro-Mongols pour pouvoir mener leurs propres affaires en toute tranquillité et qui font la guerre à Danilo en mobilisant des mercenaires. En 1239, Danilo prend de force la ville symbolique de Kiev, fief de ses ancêtres, mais l’année suivante, assiégée par Batou Khan, la ville ne peut résister aux catapultes mongoles, le bain de sang est épouvantable, 50'000 Ruthènes y perdent la vie. En 1245 à Iaroslav, Danilo écrase une coalition de Hongrois, de Polonais et de boyards déchus, victoire qui le rend enfin maître de toute la Galicie-Volhynie. Cette même année, les trois principaux princes de la Rus’, dont Danilo, sont convoqués à Saraï, capitale mongole de la Horde d’Or située dans les steppes de la Volga. Seul Danilo survit à cette périlleuse rencontre diplomatique, les deux autres princes sont exécutés. Obligé de reconnaître formellement l’autorité du khan, il prend secrètement contact avec le pape Innocent IV, lui faisant miroiter des avantages pour l’Église romaine en promesse d’une aide contre les Mongols. En 1253, le pape exhorte les chrétiens de Bohême, de Moravie, de Serbie, de Poméranie et de Prusse à lutter contre la Horde d’Or, mais l’aide militaire n’arrivera jamais. Acceptant symboliquement l’union avec Rome, Danylo est couronné officiellement par le pape Innocent IV et devient ainsi le premier roi ruthène - c’est-à-dire ukrainien - de la Rus’ de Galicie-Volhynie.
En réponse au film soviétique Le prince Danilo de 1987 (cf. supra), cette « suite » produite exclusivement par les Ukrainiens grâce à un financement participatif - au moment où la nouvelle Horde d’Or de Poutine menace aux frontières - peut être lue à la lumière de l’actualité politique. Après avoir échappé à l’anéantissement dans un passé récent (renvoi à l’Holodomor stalinien ?), Danilo parvient à se faire officiellement reconnaître par l’Ouest (la papauté) comme souverain à part entière et doit sa survie également menacée de l’intérieur (les boyards galiciens) grâce à son ingéniosité, à son réalisme et à sa stratégie prudente. Le film est marqué par la Révolution de Maïdan en février 2014 et l’annexion russe de la Crimée. Son tournage a lieu dans les Carpates, à Prykarpattia près de Lviv où sont érigés les décors d’une cité médiévale, ainsi que dans une trentaine de lieux en Podolie et en Ukraine centrale, y compris dans la région de Ternopil ; le réalisateur est surtout connu pour ses longs métrages consacrés à l’histoire du pays au XXe siècle. Mais l’exploitation du film en salle est minimale, ce sont principalement internet et le DVD qui le diffusent. Sur place, la presse à Kiev se lamente d’un certain amateurisme, des insuffisances budgétaires et de son esthétique « clip », mais jubile quant au message patriotique de haute actualité de la production. - DE (dvd) : König der Krieger, IT : King Danylo – L’onore del re, GB: King Danylo, US: Kingdom of Swords.
2017Legenda o Kolovrate [=La Légende de Kolovrat] (RU) de Dzhanik Fayziev et Ivan Shurkhovetsky
Dzhanik Fayziev, Pavel Stepanov, Rafael Minasbekyan/Central Partnership-Production Centre IVAN-Film Studio KIT, 117 min. – av. Ilya Malakov (le chevalier Evpaty Kolovrat), David Melkonyan (Evpaty jeune), Polina Chernyshova (Nastya), Diana Pentovich (Nastya jeune), Alekseï Serebryakov (le prince Youri de Riazan), Olga Drozdova (la princesse Agrafena, son épouse), Ilya Antonenko (le prince Fedor de Riazan), Mariya Fomina (la princesse Eupraxy, son épouse), Aleksandr Tsoy (Batou Khan, petit-fils de Gengis Khan), Aleksandr Ilyin Jr. (Karkun), Yulia Khlynina (Lada), Timofey Tribuntsev (le guérisseur Zakhar), Andreï Burkovsky (Rostislav, voïvode de Bryansk), Igor Savochkin (Ratmir, père de Nastya), Viktor Proskurin (le prêtre), Sergueï Koltakov (le voïvode Dobromir), Artyom Bordovskiy (Nikita), Marta Kessler (Zhdana, fille d’Evpaty Kolovrat), Artemy Padalka (Ivan, fils d’Evpaty Kolovrat), Gennady Solovyor (Nikifor), Anton Shpinkov (Danilo), Fyodor Lavrov (le prince Igor), Vladimir Lyubimov (Guryan Kurya), Aleksandr Marushev (le bouffon), Aleksey Vertkov (l’ermite Nestor), Darya Yartseva (la princesse Daria de Riazan), Daulet Abdygaporov (le général Subutaï), Georgi Pizzhelauri (le seigneur de guerre mongol Khostovrul).
En 1237, la Horde d’Or fondée et dirigée par Batou Khan, petit-fils de Gengis Khan, s’approche de la ville de Riazan, au sud-est de Moscou. Une délégation du prince Youri menée par Fedor Kolovrat se rend à Batya pour y négocier. Elle est massacrée, mais le frère de Fedor, Evpaty Kolovrat, ainsi qu’une poignée de guerriers échappent à la mort. En revenant, ils trouvent Riazan en cendres sous la neige – c’est la première ville russe à tomber sous le joug des Mongols - et décident de venger leur capitale et mener une guerilla sans pitié contre l’envahisseur, en attendant que les princes russes voisins rassemblent leurs troupes. Mais les renforts ne viennent pas et après plusieurs raids audacieux, Kolovrat est encerclé sur une colline fortifiée et y meurt en héros avec tous les siens, après avoir tué en combat singulier le redoutable Khostovrul. Impressionné, Batou Khan ordonne un enterrement princier en faisant construire une motte mortuaire. Epilogue : Cinq ans plus tard, Karkun, l’ami de Kolovrat chargé jadis d’évacuer les enfants lors du siège fatal, est intégré à l’armée d’Alexandre Nevski et participe à la bataille victorieuse contre les chevaliers de l’Ordre Teutonique sur le lac Peïpous – tout en se souvenant du sacrifice des siens contre la Horde d’Or.
Une mini-fresque aux accents ultra-héroïco-patriotiques qui prend de larges libertés avec l’Histoire. En réalité, le chevalier errant (« bogatyr ») Evpaty Kolovrat (v.1200-1238), célébré dans Le Récit de la destruction de Riazan par Batu (Povest’ o razorenii Riazami Batyem) publié en 1848 à partir de diverses sources manuscrites du XVIe siècle, serait mort de la peste à Tchernihiv (Ukraine) où il avait été envoyé pour demander de l’aide. Son armée de résistants ne comptait évidemment pas une dizaine de guerriers comme dans le film, mais quelque 1700 hommes. Mais en réduisant le nombre de résistants, on magnifie l’exploit et le courage de leur chef, que le film transforme en une sorte de Vercingétorix slave. Riazan en cendres sera reconstruite 50 km plus loin sous l'appellation de Pereslavl-Riazanski. Le tournage s’est fait entièrement à Moscou dès janvier 2016, dans les pavillons spécialement construits sur les terrains de l’usine d’automobiles ZIL (Zavod Imeni Liknatchiova), devenu le plus grand hall de production d’Europe et où des pans de décors réels sont très habilement intégrés aux océans d’effets visuels mis au point par Main Road Post. Ce tour de force technique confère au récit un côté imagerie de « vieille légende », avec Riazan sous la neige, stigmatisées par une tempête de flèches ennemies. A sa sortie en novembre 2017, le film bénéficie d’une projection spéciale organisée pour le président Poutine au Kremlin. Il rapporte 606 millions de roubles (soit presque le double de ses coûts) sur le marché russe. La matière à déjà fait l’objet d’un court métrage d’animation de Roman Davydov en 1985, Skaz o Evpatii Kolovrate / Le Conte d’Evrpaty Kolovrat (cf. supra). - DE : Die Legende von Kolovrat, Die letzten Krieger (dvd), IT : Furious - Gli ultimi guerrieri (tv), US/GB: Furious - Legend of Kolovrat.
2018(tv) Zolotaya Orda [=La Horde d’Or] (RU/KZ) télésérie de Timur Albatov
Len Blavatni, Elena Denisevich, Ruben Disdishyan, Aram Movsesyan, Nelly Yaralova/Amedia (Moskva)-Mars Media Entertainment (Perviy Kanal+Amazon Prime 12.-22.3.18), 16 x 52 min. - av. Aleksandr Ustyugov (Yaroslav Aleksandrovitch, grand-duc de Vladimir), Svetlana Kolpakova (la princesse Radmila, son épouse), Sanjar Madi (Mengu-Temir), Yuliya Peresild (la princesse Ustinia), Ramil Sabitov (Khan Berke, chef de la Horde d’Or), Sabina Akhmedova (Kehar), Karina Andolenko (Nastya), Aruzhan Jazilbekova (Nargiz), Saido Kurbanov (Houlagou, Ilkhan de Perse), Sergueï Puskepalis (le voïvode Yeremey), Evgeniya Dmitrieva (Matrena), Boris Kamorzin (Semyonitch), Turar Murataliev (Isu-Nogai), Artur Ivanov (le prince Boris de Souzdal, frère de Yaroslav), Henri David (Fiodor, prince de Tver), Vladimir Verevochkin (Vladimir Yaroslavich, prince de Novgorod), Dina Tasbulatova (Aizhan), Larisa Domaskina (Marfa), Anastasiya Tsoy (Minaldan), Vassily Bochkarev (le métropolite Filaret), Yuri Tarasov (le bouffon Grichka), Aruzhan Jazilbekova (Nastassia), Evgenia Dmitrieva (la servante Matriona), Boris Kamorzine (Semyonich), Stanislav Callas (le messager), Aleksey Takharov (le bourreau).
Fin du XIIIe siècle. Le prince Yaroslav, grand-duc de Vladimir, rêve d’unifier les principautés de la Rus’ de Kiev pour chasser l’occupant tataro-mongol, mais Boris, son frère en disgrâce, et son fils aîné Vladimir sabotent ses efforts. Khan Berke, le chef déjà âgé de la Horde d’Or, cherche une nouvelle épouse qui lui donnera enfin un héritier. De retour dans sa capitale à Saraï, il apprend que son pire ennemi, le khan Houlagou, réunit une armée en Iran pour attaquer la Horde d’Or et prendre sa place. Khan Berke envoie donc son neveu Mengu-Temir dans la Rus’ de Kiev avec ordre d’y réunir 40'000 soldats. Sur place, ce dernier accepte de mobiliser un contingent militaire moins élevé si Yaroslav envoie à Saraï la princesse Ustinia, sa belle-sœur, épouse de Boris, pour donner un héritier au grand khan Berke. Boris la laisse partir pour l’Est, Yaroslav lui a demandé en vain de ne pas montrer son chagrin en public. En échange, Mengu-Temir lui fait cadeau d’un « trésor » du grand khan, un harem de plusieurs filles mongoles, dont la belle et jeune Nargiz, cadeau que ne tolère ni la population slave ni Radmila, l’épouse légitime du duc qui complote avec le métropolite Philaret. Nargiz est convoitée par le voïvode Eremey. Parmi les régiments slaves envoyés de force à l’Est se cache Nastassia, déguisée en homme pour tenter de récupérer son mari. Les conflits d’amour, de jalousies et d’intrigues de cour et surtout de harem se compliquent à mesure où la menace de l’armée d’Houlagou s’approche et qu’une épidémie de peste décime le camp mongol.
Une sorte de marivaudage tatare fantaisiste qui tient compte des différences culturelles, religieuses et éthniques entre les Slaves russophones et leurs anciens frères en République soviétique, musulmans ou autres. Le grand-duc Yaroslav est un personnage inventé et certains épisodes s’inspirent de la série Game of Thrones. Le tournage de 135 jours s’est déroulé à Moscou (studios Amedia) et en Crimée pour le Vladimir médiéval (réserve naturelle de Belogorsk et de Karadag) avec une figuration multinationale venant en particulier du Kazakhstan, pays coproducteur ; certains costumes opulents ont déjà servi dans les délicieux contes médiévaux d’Aleksandr Ptouchko, Sadko (1953) et Rouslan et Ludmila (1972) (cf. chap. 4.4). Les téléspectateurs sont charmés par le coloriage exotique d’une époque critique voire humiliante passée sous le joug asiatique, époque qui dura 240 ans mais qui reste encore peu connue en dehors des historiens. - GB/US : The Golden Horde.
2018(tv) Krescenie Rusi [=Le Baptême de la Rus'] (RU) minisérie de Maksim Bespaly
Valery Babich, Vladislav Ryashin, Sergeï Tininkov, Konstantin Ernst/Star Media (Moskva)-Babich Design (You Tubę/Russika-1 8.4.18), 4 x 45 min. - av. Anton Pampushny (le grand-prince Vladimir Ier), Eveniy Zhuravkin (Rurik, prince de Novgorod), Andreï Kourilov (le prince Oleg Sviatoslavitch), Aleksandr Denisenko (le prince Igor de Kiev), Anastasia Narbekova (la veuve d'Oleg), Ekaterina Finevich (sainte Olga, princesse de Kiev), Dmitri Mityuritch (le prince Sviatoslav le Brave), Sergeï Khalichenko (le prince Yaropolk Ier), Valeriy Loukianov (Vassili III), Julia Slepneva (l'Ange de la mort), Evgenia Rogvolodovna de Polotsk), Ivan Latouchko (Olaf Tryggvason), Oleg Dorokhine (un serf), Georgij Tarassov (Igor), Youri Pavlov (un guérisseur païen), Viktor Kuklin (le prêtre Georgij).
Un docu-fiction historiquement branlant qui illustre la transition de la Rus' de Kiev païenne en chrétienne aux Xe-XIe siècles tout en présentant les fondateurs varègues en barbares féroces et illettrés. Les téléspectateurs patriotards réagissent avec véhémence contre cette série qui a l'insolence d'éclairer les origines nordiques des princes fondateurs. No comment.
Les héros du roman d’Ivan Franko : Myroslava, Tugar Volk, Zakhar Berkout, Burunda Khan et Maxime (2019).
2019* Zakhar Berkout / The Rising Hawk : Battle for the Carpathians (UA/US) d’Akhtem Seitablayev et John Wynn
Egor Olesov, John Wynn, Raja Collins, Yuriy Karnovsky, Nathan Moore, Jeff Rice/Kinorob (Kyiv)-CinemaDay-Ukrainian State Film Agency, 125 min. – av. Robert Patrick (Zakhar Berkout), Alison Doody (sa femme Rada), Rocky Myers (Ivan, leur fils), Alex MacNicoll (Maxime, leur autre fils), Tommy Flanagan (le boyard Touhar Vovk), Poppy Drayton (Myroslava, sa fille), Tsegmid Tserenbold (Burunda Khan), Oliver Trevena (Bohun), Andreï Isayenko (le forgeron muet Piotr), Oleg Voloschenko (Gard), Alina Kovalenko (Rosana), Mykhaïlo Korzhenivsky (Bachchan), Stanislav Lozovsky (Sokill), Erzhan Nurymbet (Merke, conseiller du khan), Daulet Abdygaporov (Kung), Ayan Utepbergen (Mengyi), Daniyar Akhmetov (un commandant mongol), Viktor Zhdanov (Khorun), Oleg Stefan (Levko), Oleg Nevolnik (Bor), Jan Klipp (Yaropolk), Mykola Eismont (Kruk), Oleg Karpenko (le représentant de Kiev), Andrej Storozhyk (Maxime enfant), Solomiya Olesova (Rusa), Mikhailo Cherniakov (Sonko), Viktoria Klelshchenko-Pylypchuk (la mère de Sonko).
Synopsis : En 1241, le guérisseur Zakhar Berkout et son épouse Rada sont les autorités très respectées d’une petite communauté montagnarde près de Tukhla dans les Carpathes, mais leur existence pacifique est remise en question par la soldatesque du boyard Touhar Volk, le puissant satrape qui revendique leurs terres, affirmant que le prince Danilo les lui aurait légitimement transférées. Le litige incite le conseil communal des montagnards à convoquer Touhar Vovk à une réunion pour être jugé selon la loi et éventuellement chassé. Cependant, un danger bien plus grave menace avec l’arrivée massive des Tataro-Mongols de la Horde d’Or menés par Burunda Khan, des milliers de guerriers qui détruisent tout sur leur passage et ont ravagé plusieurs villes. La nuit, les deux fils de Zakhar Berkout, Ivan et Maxime, excellents chasseurs, s’infiltrent dans un des camps de l’envahisseur et libèrent les prisonniers, provoquant la rage du khan dont le propre fils a mordu la poussière ; il jure vengeance. Au conseil communal, Touhar Vovk promet de protéger Tukhla si l’on reconnaît son autorité sur la région. Maxime remporte un duel public contre Gard, le champion du boyard, et ce dernier accepte finalement le commandement de la troupe mobilisée contre les Mongols. Mais lorsque qu’il réalise que Maxime file le parfait amour avec sa fille Myroslava, une fière archère qu’il a sauvée des griffes d’un ours, le boyard tente tout pour séparer le couple. Chargé de venger la mort du fils du khan, le commandant mongol Merke s’acharne contre les montagnards, mais tous ses soldats périssent. Burunda Khan offre alors Tukhla et ses domaines à Touhar Vovk si celui-ci change de camp, ce qu’il accepte. Réalisant que son père est un traître, l’aristocrate Myroslava prend les armes et se range du côté du petit peuple. Le village fortifié de Zakhar Berkout est envahi par trahison et incendié : Ivan périt, mais Maxime et ses proches échappent de justesse dans les hauteurs. Le khan ordonne alors que Touhar Vovk lui serve de guide à travers les Carpathes en échange de sa vie. Mis au courant, Zakhar Berkout prend le commandement des résistants, ordonne de déserter Tukhla et d’abattre le rocher sacré, ce qui détruira le barrage, inondera la vallée et « coupera à jamais la route des Mongols vers l’ouest » ; l’ennemi est acculé dans l’étroit passage à l’est. La cavalerie mongole est anéantie par des pièges mais Zakhar Berkout est percé de flèches. Burunda Khan tue Touhar Vovk puis périt à son tour par l’épée de Maxime. Mourant, Zakhar Berkout lègue sa fonction de guide à son fils en lui rappelant que « l’unité est la clé de la victoire ».
➤ La matière a déjà été portée à l’écran en 1929 et 1971 en Union soviétique (cf. supra). Elle est tirée du roman éponyme de l’Ukrainien Ivan Franko (1883), écrivain et poète nationaliste, leader du mouvement socialiste révolutionnaire en Galicie austro-hongroise, ami d’Arthur Schnitzler, de Hermann Bahr et Theodore Herzl à Vienne, mort dans la misère, mais auquel on doit la traduction en ukrainien des œuvres de Shakespeare, Dante, Hugo, Goethe, Schiller et Byron ! Franko fut nominé en 1915 pour le prix Nobel quelques mois avant de décéder. C’est donc un ouvrage de prestige national qu’on décide d’adapter pour la troisième fois au cinéma, soutenu par la « Fondation internationale Ivan Franko » à Kiev que dirige le petit-fils de l’écrivain, Roland Franko. Mais l’initiative est cette fois clairement façonnée en fonction de l’actualité politico-militaire récente, l’invasion puis l’annexion de la péninsule de Crimée ukrainienne par la Russie de Poutine en février 2014 et les manœuvres permanentes de « l’ennemi intérieur » à l’Est du pays par les séparatistes pro-russes au Donbass. Ce fait suffit à expliquer pourquoi le film ne se perd pas dans des explications purement historiques sur les menaces du XIIIe siècle : le réel propos est ailleurs. Avec l’approbation de Roland Franko, le scénario ajoute quelques personnages non mentionnés dans le roman, comme Rada, l’épouse du héros. Le tournage en anglais (puis synchronisé en ukrainien) a lieu de juin à septembre 2018 à Synevyrska Polyana, à Zakarpattia, sur les rives du lac Synevyr et près de Kiev, sous la direction d’Akhtem Seitablayev, un acteur-réalisateur ouzbèque, et de l’Américain John Wynn, car le film est coproduit avec les États-Unis et son casting est international, provenant de Mongolie, du Kazakhstan, de Hollywood, de Grande-Bretagne, d’Irlande, d’Écosse et d’Allemagne. Les coûts reviennent à 113,5 millions d’euros. Les partenaires hollywoodiens assurent en premier lieu la promotion américaine et la distribution internationale. Sur place, on offre une réédition du roman avec photos du film, une pièce de monnaie et une série de timbres commémoratifs qui en reprennent les images, preuve que l’événement cinématographique ne relève pas simplement du show-business. Sorti en octobre 2019 en Ukraine (puis ensuite en Lettonie, Lituanie et Estonie, pays directement visés par le puissant voisin à l’Est), c’est un grand succès local, un spectacle certes au premier degré mais sans trop de fausses notes, efficace et intéressant à visionner, primé trois fois par l’Académie du Film à Kiev. La diffusion télévisuelle avec doublage ukrainien suit en octobre 2020 sur TRK Ukraine, tandis que des versions sur dvd ou blu-ray circulent dans le monde entier, jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. Message reçu. - ES: El vuelo del halcón, IT: L’ascesa del falco, GB : Fall of a Kingdom.
2019(tv-mus) Knyaz Igor (Le Prince Igor) (BY) d’Alena Martinovskaya (tv) et Galina Galkovskaya (th)
Beitelradiokompaniya (Minsk) (Telekanal Belarjsya-3 15.9.19), 153 min. – av. Vladimir Gromov (Igor Sviatoslavitch), Anastasia Moskvina (Yaroslavna, son épouse), Yuriy Gorodetskiy (Vladimir Igorevich), Vladimir Petrov (Vladimir Yaroslavich), Ali Askerov (le khan Konchak), Kirskentiya Stasenko (Konchakovna), Sergey Lazarevich (Skula), Yuriy Bolotyko (Yeroshka), Svetlana Marusevich (la nurse), Dmitriy Kapilov (Gzak), Diana Khrishanovich (une fille), Dmitriy Chervyakov (son père), Aleksandr Budkin (le prêtre). - Captation télévisuelle de l’opéra d’Alexandre Borodine par le Théâtre Bolshoï de Biélorussie à Minsk. – Cf. supra, film de 1969.
2019(tv-df) Ryurikovichi - Istoriya pervoy dinastii [=Leș Riourkides - Histoire de la première dynastie] (RU) télésérie de Maksim Bespaly
Evgeniya Doronkina, Vlad Ryashin, Valery Babich/Babich Design-Star Media (Russika-1 4.11.19), 8 x 45 min. - av. Ivan Petkov (le prince varègue Riourik), Dmitry Moguchev (Oleg le Sage), Vladimir Kuznetsov (Igor le vieux), Svetlana Bakulina (Olga enfant), Valentina Neimorovets (la princesse Olga adulte), Aleksandr Karpenko (Vladimir Krasnoe Solnyshko), Andrey Kamin (Svyatoslav), Yaroslav Gayvandov (Constantin VII, empereur de Byzance), Alekseï Frolov (Yaroslav le Sage), Piotr Loik (Svyatopolk Okayannyi), Sergeï Vasiliev (Mstislav le Grand), Vadim Melnikov (Oleg Gorislavich), Aleksei Belozertsev (Youri Dolgorouki), Alekseï Vidov (Alexandre Nevski), Said Dashuk (Batou Khan de la Horde d'Or), Nikolaï Prilutsky (Nauru, khan de la Horde d'Or), Egor Antonov (Andreï Yaroslavich), Youri Konovalov (le métropolite Piotr Volynets), Oleg Rebrov (le tsar Ivan III), Alexander Bargman (Aristote Fioravanti), Valeria Vataman (Sophia Paléologue), Maksim Evtikhiev (Akhmat Khan de la Horde d'Or), Viktor Bugakov (Ivan IV le Terrible), Dmitry Gudim (Andreï Kurbsky).
Une série docu-fictionnelle consacrée à la dynastie des Riourikides qui s'étire du prince varégo-viking Riourik à Ivan le Terrible, soit de l'an 882 jusqu'à la fin du XVIe siècle. Constituée de 8 chapitres, elle fait partie d'un vaste programme d'éducation nationale souhaitée par Poutine, soutenu bien entendu par le ministère de la Culture de la Fédération de Russie et de la Société historique militaire.
2021(tv) Slovania / The Slavs (SK/UA) télésérie de Peter Bebjak, Michal Blasko, Sergej Sanin et Oleg Stahursky
Andriy Yermak, Yuriy Karnovsky, Wanda Adamík Hrycová, Andreï Polikashkin, /European Partnership Media Group (Budapest), Wandal Production (Ljubljana), Slovenská produkcná (Bratislava)-Cinemaday-Ministre de la Culture ukrainienne (Kiev) (TV JOJ 10.3.21 /TV 1+1), 12 x 46 min. – av. Juraj Lom (Vlad alias Samo), Polina Nosykhina (Draha), Tomas Mastalir (Raduz), Jana Kvanitková (son épouse Lada), Marek Vasut (Slavomir), Dusan Cinkota (Carad, grand-prêtre de Grande Table), Makar Tikhomirov (Belo), Richard Autner (Bojan), Michal Rezny (Mojmir), Oleh Mosiichuk (Sokol, grand-prêtre de Furnau), Aleksandr Mavrits (Bohdan), Andrej Hryc (Horan), Zuzana Fialová (Bozidara), Aleksandr Rudynskiy (Zubaty), Alexeï Tritenko (Kazimir), Jana Labajová (Vlasta), David Hartl (Zubaty), Katerina Bursikova (Zirka), Kristína Svarinská, Anna Adamovitch, Mikhail Krishtal.
Draha, une jeune orpheline herboriste et magicienne de la colonie slave de Veliki Stil, établie entre la forteresse de la Grande Table et celle de Furnau, cherche un moyen de sauver son frère qui a été transformé en cerf par une force inconnue. Le cerf la conduit à un étranger battu presque à mort dans la forêt et qui a perdu la mémoire. Convaincue que l’étranger a été envoyé par les dieux et grâce à ses connaissances secrètes, Draha le sauve, lui donne le nom de Vlad et le fait entrer dans sa vie. Ensemble, ils essaient de découvrir qui il est, mais plus ils en apprennent, plus la menace qui pèse sur tous les habitants de Veliki Stil est grande, car les Avares, de dangereux nomades turco-mongols, s’approchent du village. D’abord écarté de la collectivité, Vlad devient populaire en raison de sa conduite héroïque face aux envahisseurs asiatiques : plutôt que fuir et se réfugier dans les montagnes, au risque d’y mourir de faim, il les incite à résister et livrer bataille. Mais la rivalité conflictuelle de Carad et Sokol, les deux grands-prêtres païens de Grande Table et Furnau, complique la situation, etc. …
L’action de cette série slovaco-ukrainienne (en deux langues) se déroule dans le bassin des Carpathes au VIIe siècle, alors que des tribus slaves dispersées se répandent en Europe sous la pression de nomades asiatiques belliqueux. Les réalisateurs cherchent à familiariser les téléspectateurs ukrainiens et slovènes avec l’histoire, la culture, les arts, la structure sociale et la mythologie des anciens Slaves avant l’apparition des premiers États, et et aussi avant l’adoption du christianisme. Certes, les Ukrainiens peuvent s’orienter avec la Rus’ de Kiev, Yaroslav le Sage et le prince Igor, les Slovaques avec les chroniques de la Grande Moravie, mais par ailleurs les connaissances relatives au quotidien et à l’imaginaire de ces premières peuplades sont maigrissimes. En ce sens, la série est une sorte de pendant du film soviétique Russ iznatchalnaïa (Russie antique) de Gennadi Vassiliev, vision marxiste de l’Histoire ancienne tournée en 1985/86 en Crimée (cf. supra), mais en y intégrant ça et là une dimension fantastique de légende et de folklore. L’ensemble est filmé principalement en Ukraine occidentale, dans la région de Jytomyr, et financé avec le soutien du Ministère ukrainien de la Culture et de la Politique de l’information : Andriy Yermak, le chef de cabinet de Volodymyr Zelensky, figure en tête de liste parmi les producteurs du film. On peut juste regretter que le réalisme en matière d’hygiène ne soit pas toujours au rendez-vous : ces ancêtres slaves et leurs accoutrements sont tous bien proprets.
La vassalisation de la Permie dans l’Oural par les princes moscovites dans « Serdtse Parmy » (2022).
2022Serdtse Parmy [=Le Cœur de Permie] (RU) d’Anton Megerdichev
Darya Lavrova, Vladyslav Riashyn, Igor Tolstunov, Anton Ziatopolskiy, Anna Krutova, Filipp Brusnikin/Profit-Russia 1-Star Media Production (Moskva), 160 min. – av. Aleksandr Gorbatov (le prince Vymski Yermolaï), Aleksandr Kuznetsov (Mikhaïl/Mishka Yermolaï, son fils, prince de Permie/Grande Perm), Yaroslav Beloborodov (le prince Mikhaïl/Mishka enfant) Elena Erbakova (la princesse Lamia Tichert, épouse de Mikhaïl), Milena Sophrona (la princesse Lamia Tichert enfant), Nikolaï Galliamov (le prince Matvey, fils de Mikhaïl et Lamia), Arsen Tychinin (le prince Matvey enfant), Evgueni Mironov (Jonas, évêque-baptiste de Perm), Fiodor Bondartchouk (Ivan III le Grand, grand-duc de Moscou), Ilya Malanin (le prince Ourosky Michkin), Sofia Choutkina (la princesse Uroska Michkin), Alekseï Kravtchenko (le prince Iskorsky Kachaim), Ramil Sabitov (Shiban Afkulsky Mansur), Amadou Mamadakov (le prince Cherdynsky Tanega), Valentin Jing (le khakan Assyka, grand-prince de Vogul), Sergueï Puskepalis (Polyud, gouverneur de Cherdyn), Vladimir Lyubimtsev (Burmotte, voïvode de Perm), Vladimir Svirski (le bâtisseur Vaska Kalina)Vitali Kitchenko (Fiodor Davydovitch Motley, prince Valetsky, chef de l’armée de Moscou), Islam Zafessov (Issour, shiban/voïvode tatare d’Afkul), Andrey Arzyaev (Svyashchennik), Natalya Berezina (Devushka), Emilia Becker (Anna Mikhaïlovna Vellikoperskaya, princesse de Grande Perm), Boris Romanov (Vassily II le Ténébreux, grand-duc de Moscou), Mikhaïl Evlanov (Danilo Venets), Aleksandr Khvan (le chamane), Alexeï Rozine (l’évêque martyr Pitirim), Rosa Khairullina (Aichel), Elena Panova (Tabarga Polyud), Igor Koulatchko (Savva), Sergueï Kolesnikov (le moine Denys), Miroslava Mikhaïlova (Macha), Anton Babushkin (Kudym Bayyeg), Ivan Borisov (Tolmach), Oleg Dobrovan (Priyatel Danily), Vadim Dzyuba (Ratnik), Ivan Efremov (Gonets), Sofya Ernst (Aksinya).
Synopsis : En 1455, envoyé à Perm par le grand-duc de Moscou Vassily II le Ténébreux, Vymsky Yermolaï, prince de Permie résidant à Ust-Vym, confie son rêve à son fils Mikhaïl : fonder à l’Est une vaste principauté indépendante qui unirait toutes les ethnies de cette lointaine région située aux pieds de l’Oural. Peu après, il est tué en bataille contre la tribu rebelle des Voguls et son fils et successeur Mikhaïl se retrouve partagé entre deux mondes, la Moscovie chrétienne et les habitants païens de Perm. Il épouse une fille locale, Tichert, mi-femme mi-magicienne, incarnation vivante de la déesse appelée « la Femme d’Or », la vierge solaire Sorni Nai. Selon la légende, quiconque possède l’effigie de la déesse contrôle toute la Permie. Diplomate talentueux, Mikhaïl trouve des alliés parmi les khans locaux à Tcherdyne, mais sa nouvelle puissance inquiète Moscou qui cherche à unifier le pays sous son unique autorité. En 1472, le grand-duc de Moscou Ivan III ayant exigé que les Tatars soient expulsés de Tcherdyne, Mikhaïl prend les armes contre lui mais perd la bataille. Il est fait prisonnier tandis que Tichert est enlevée par son ennemi Pelym Assyka, prince-sorcier des Voguls qui veut ainsi s’assurer les pouvoirs de la magicienne et chasser tous les Slaves de Perm. Mais en 1482, Mikhaïl, convaincu, se soumet au grand-duc moscovite, celui-ci lui ayant expliqué en prison que « le Christ a choisi la terre et le peuple russe comme seul bastion de la foi orthodoxe ». Convaincu, Mikhaïl revient en force à Perm comme gouverneur vassal, reconstruit Tcherdyne et récupère son épouse Tichert qui se libère de l’emprise païenne en brûlant la statue de la « Femme d’Or ». (La Moscovie déposera les princes locaux en 1505.)
L’argument du film est tiré du roman-fleuve Le Cœur de la parma ou Tcherdyne, princesse des montagnes d’Alexeï Ivanov, best-seller paru en 2003, primé et souvent réédité, aussi intitulé Le Cœur de la Taïga. L’écrivain y expose les prémisses politiques de la nation (les Moscovites sont appelés « rochiz », les Russes) tandis que « parma » désigne la taïga en langue komi. Depuis 2006, un festival baptisé « Cœur de Parme » rassemblant des milliers de participants se tient chaque année dans les environs de Tcherdyne (rebaptisé « Zov Parma » en 2010). Star Media achète les droits d’adaptation du livre en 2014 pour le réalisateur Sergueï Bodrov (auteur talentueux de Mongol en 2007, cf. chap. 7), qui participe à la rédaction du scénario mais renonce à la mise en scène. Le script se permet divers raccourcis et modifications (dans le roman, Mikhaïl et Tichert repoussent l’attaque finale d’Assyka mais succombent au combat). Le tournage s’effectue de juillet 2019 à février 2020 dans le village de Shchegolevo (district de Ramensky) près de Moscou et dans le village d’Usva dans la région de Perm, où l’on construit bâtiments, maisons sur piloris et fortifications en bois et en pierre. En août 2022, le film ouvre le 44e Festival international du film de Moscou et sort dans les salles russes avec d’excellentes critiques avant d’entamer une carrière internationale via Internet et dvd. - US/GB: Land of Legends, titre internat. : The Heart of Parma.