IV - ESPAGNE ET PORTUGAL

5. LE ROYAUME DU PORTUGAL

En l'an 714, l’ancienne Lusitanie romano-wisigothe est intégrée dans l’empire omeyyade (gharb al-Andalûs) et devient un royaume musulman avec de nombreux convertis wisigoths. Lors de la période de rois de taïfas (Muluk al tawa’if), sa plus grande partie relève du taïfa de Badajoz. En 1095, Alfonso VI de Castille et de León annexe la Galice et le comté de Portugal. En 1139, après une victoire éclatante sur les musulmans à Ouraque, le comte de Portugal, fils d’Alfonso VI de Castille, gagne son indépendance et se fait proclamer premier roi de Portugal sous le nom de ALPHONSE Ier « le Conquérant » (AFONSO ENRIQUES). Pendant plusieurs siècles, soutenus par les Templiers et les Hospitaliers, les souverains portugais poursuivent leur Reconquista vers le Sud, tout en pratiquant une politique très tolérante vis-à-vis de leurs communautés juives et mauresques, afin de sauvegarder la paix civile et les avantages financiers et technologiques. En 1249, la prise de Faro, à l’ouest de Gibraltar, par Afonso III achève la Reconquista portugaise. En 1496, à l’occasion du mariage du roi Manoel Ier avec l’infante d’Espagne Isabel, l’Inquisition s’introduit dans le royaume sur insistance des Rois Catholiques espagnols.
Au XVe siècle, le royaume lusitanien devient une des principales puissances d’Europe occidentale - en juin 1494 à Tordesillas, l’Espagne et le Portugal se partagent le monde avec la bénédiction papale -, jouant un rôle majeur dans les Grandes Découvertes (Vasco de Gama) et se constituant un vaste empire colonial en Afrique (avec la conquête de Ceuta au Maroc en 1415 par João Ier et la reddition de Tanger en 1463 par Afonso V dit « l’Africain »), en Asie, en Océanie et en Amérique du Sud. Les Portugais explorent les routes maritimes menant à l'Inde afin de ravir aux Arabes la monopole du commerce des épices. En 1485, João II laisse passer une belle opportunité en refusant de financer le voyage de Christophe Colomb, dont tout le profit reviendra aux rois espagnols. Enfin, en 1578, le jeune roi Sebastião Ier, exalté et pieux, entreprend une grande « croisade africaine » contre les infidèles au Maroc, expédition militaire qui tourne au désastre lors de la « bataille des Trois Rois » à Alcazar-Quivir. La fleur de la noblesse portugaise périt aux côtés de son souverain, dont on ne retrouvera pas le corps. Le roi disparu n’étant pas marié et n’ayant pas d’héritiers directs, c’est son oncle âgé et sans enfants, le cardinal Henri/Henrique de Portugal dit « le Chaste », qui monte sur le trône. Après sa mort deux ans plus tard, Philippe II d’Espagne fait valoir ses droits de succession, étant petit-fils maternel de Manoel Ier de Portugal et oncle de Sebastião Ier. Il envahit le pays, réfractaire mais surendetté et démoralisé, avec une armée de 40'000 hommes commandée par le duc d’Albe, bat les troupes d’Antonio, prieur de Crato, à la bataille d’Alcântara et se fait introniser sous le nom de Philippe Ier en 1581. Le Portugal est annexé par son voisin, à une condition près : le royaume et ses colonies ne peuvent pas devenir des provinces espagnoles. Formant ensemble l’Union ibérique, l’Espagne et le Portugal obéissent désormais au même roi, soit un Habsbourg à Madrid, et ce jusqu’en 1640.

5.1. Un royaume aussi ambitieux que fragile

1910La mort de Camoëns (FR) de Louis Feuillade (ou Etienne Arnaud)
Établissements Gaumont S.A. (Paris), 207 m. - av. Georges Wague (le poète portugais Louis de Camoëns / Luís de Camões), Renée Carl. – Le célèbre poète portugais meurt dans la misère et la tristesse le 10 juin 1580 à Lisbonne, trois ans après le désastre de la bataille des Trois Rois au Maroc qui coûta la vie au souverain, mit fin à l’« âge d’or » du Portugal et provoqua l’annexion du pays par l’Espagne.
1910Il capitano (IT)
Aquila Films, Torino, 223 m. - En 1580, les troupes espagnoles conduites par le duc d’Albe envahissent le Portugal. Des paysans portugais piègent un officier espagnol qui se montre sensible à la séduction de leur fille, mais le militaire émeut la famille, fait la paix et épouse la tentatrice.
1911Giovanna di Braganza (IT)
Itala Film, Torino, 283 m. – En 1580, l’Espagnol Don José est fiancé avec la fille du commandant Michele di Braganza, qui défend Lisbonne contre les troupes espagnoles de Philippe II. L’armée portugaise est défaite, Braganza est tué au combat et Don José apporte la tragique nouvelle à sa fiancée ; plutôt que de participer à un complot pour assassiner le vice-roi espagnol, celle-ci se retire dans un couvent. - GB/US : Joanna of Braganza.
1913Guiomar Teixeira – A filha de Tristão das Damas (PT) de João Reis Gomes
J. R. Gomes Prod.-Companhia Cinematográfica de Portugal (Lisboa), 116 m./5 min. - Siège et prise de la place forte sarrasine de Safi (en portugais Safim) en 1488, épisode de la conquête ibérique du littoral marocain par l’armée portugaise sous Guiomar Teixeira (1447- ?). João Reis Gomes célèbre cette victoire dans son roman historique intitulé A Filha de Tristão das Damas et tourne son film en mai 1913 à Cancella, sur l’île de Madeira, avec une soixantaine de cavaliers. La projection est commentée par un bonimenteur. Dès 1541, les Portugais, qui ont perdu la ville d’Agadir, évacueront volontairement Safi.
1931O milagre da rainha [Le miracle de la reine] (PT) d’António Leitão
Sociedade Universal de Superfilmes (SUS), 65 min. – av. Fernanda Dinis (Isabel/Élisabeth d’Aragon), Armando de Carvalho (roi Dionisio/Dinis/Denis de Portugal, son époux), Regina Fróis (Salomé), Dina Fontoura, António Fagim, Machado Correia, Maria Helena, Eugénio Santos, Heloísa Clara, Mário Duarte, Santos Júnior.
La légende du miracle de la reine sainte Elisabeth de Portugal (1271-1336), un modèle d’humilité qui ne tint pas rigueur à son époux, Dom Denis Ier, de ses infidélités et se chargea même de l’éducation de ses enfants illégitimes. Dénoncée pour ses « dissipations du trésor royal » qu’elle dépense en aumônes et soins auprès des indigents, elle est surprise un jour d’hiver par le roi courroucé et n’a que le temps de cacher sa bourse sous son manteau. Le roi lui ayant demandé ce qu’elle dissimule, elle répond que ce sont des roses pour garnir l’autel de la chapelle qu’elle a fait construire. Le roi réplique qu’il n’y a pas de roses en janvier et lui intime l’ordre de se découvrir. La reine ouvre son manteau devant la suite royale et laisse apparaître un magnifique bouquet de roses. Son époux, y reconnaissant un acte miraculeux, se repent et laisse désormais à sa femme toute liberté de gérer elle-même ses actes charitables. (Elle sera canonisée en 1625.) - Cf. Reina santa, film de 1947.
1946* Camões - Erros meus, má fortuna, amor ardente / Camoens (Camoëns) (PT/ES) de José Leitão de Barros
Produções Antonio López Ribeiro/SPAC, 118 min. - av. António Vilar (Luís Vaz de Camões/Camoëns), José Amaro (le roi Dom Manuel Ier de Portugal dit le Fortuné), Jõa Villaret (le roi Dom João/Jean III de Portugal dit le Pieux), Armando Martins (Dom Sebastião/Sébastien Ier de Portugal dit le Désiré), Maria Brandñao (Doña Catarina de Castilla, reine de Portugal, épouse de João III), Julieta Castelo (l’infante Dona Maria), Igrejas Caeiro (André Falcão de Resende), Idalina Guimarães (Inês), Paiva Raposo (Pero de Andrade Caminha), Leonor Maia (Leonor), Dina Salazar (une bourgeoise de Coimbra), Manuel Lereno, Júlio Pereira, Carlos Moutinho et Eduardo Machado (les amis de Caminha), Jõao Amaro, Baltasar de Azevedo et Carlos Velosa (les amis de Camões), Cassilda de Albuquerque (Isabel), Virgínia de Vilhena (Luisa), Joselina Andrade (une cousine), Vasco Santana (Mal-Cozinhado), José Vitor (le frère Bartolomeu Ferreira), António Góis (Pedro Nunes), Eunice Muñoz (Beatriz da Silva), Lucia Mariani (Guimar Blasfé), Carmen Dolores (Catarina de Ataide), Mário Santos et Josefina Silva (les parents de Natércia), Assis Pavcheco (Dom João da Silva), José Paulo (Jorge da Silva), Costinha [Augusto Costa] (Gaspar Borges), Sales Ribeiro (l’imprimeur António Gonçalves), António Silva (le chef des Meirinhos), Ferreira da Cunha (le peintre).
Une biographie aventureuse et très romancée de Luís Vaz de Camões / Camoëns (1525-1580), le plus important poète épique et apologétique portugais dont Leitão de Barros illustre « les erreurs, la malchance et l’amour brûlant » (sous-titre). Le récit commence à Coimbra en 1542, au Colégio de Santa Cruz où son oncle est prieur, et enchaîne à l’université de Lisbonne ; Camoëns y est un étudiant turbulent, à l’âme romantique, perpétuellement amoureux et adoré du sexe faible auquel il déclame avec ferveur ses poèmes. Ses vers séduisent la Cour où il s’éprend d’une dame de compagnie de la reine, puis de l’infante Doña Maria, sœur de João II. Une rixe le fait exiler pour six mois en province à Ribatejo. Engagé dans la milice d’outre-mer, il arrive à Ceuta, au Maroc, en 1549 où il perd l’œil droit en combattant les Maures. Trois ans plus tard, de retour à Lisbonne, il est incarcéré pour avoir blessé un gentilhomme de la maison royale lors d’une autre rixe. Condamné à une lourde amende et trois ans de service militaire en Orient, il part en 1553 pour Goa, à l’ouest de l’Inde, empruntant la voie de Vasco de Gama. À partir de là, le film doit se contenter (budget minimal oblige) de résumer par fondus-enchaînés, surimpressions, tableaux et écrits ses péripéties orientales, escamotant 15 ans de péripéties : batailles sur la côte Malabar et la route maritime entre l’Égypte et l’Inde, séjour à Macao en Chine, naufrage dans le delta du Mékong où se noie sa maîtresse chinoise et où – épisode célèbre - il parvient à sauver le manuscrit de son œuvre-maîtresse, le poème épique Os Lusiadas (Les Lusiades), en nageant d’une seule main. C’est un homme vieilli avant l’âge qui rentre à Lisbonne en 1570. Il y publie enfin son poème, une épopée en dix chants qui fixe l’histoire du pays - l’Inquisition en censure certains passages, irritée par la sollicitation poétique des dieux de l’Antiquité -, et le dédie au nouveau roi, le jeune Sebastião Ier. Très impressionné, ce dernier lui accorde une minuscule pension avant de s’embarquer avec son armée pour le Maroc ... et la mort, suivie de l’annexion du Portugal par son voisin-rival espagnol. Le film montre quelques passages de la « bataille des Trois Rois », avec d’impressionnantes charges de cavalerie, affrontement qui scelle la fin provisoire du royaume portugais (cf. infra, La batalla de los Tres Reyes, 1990). Réduit à la misère, le vieux poète borgne se laisse mourir de chagrin. Alors qu’il expire, le film fait dérouler en surimpression le drapeau lusitanien en berne et quatre dates sans commentaires : 1640 (guerre de Restauration contre l’Espagne) – 1810 (résistance à Napoléon) – 1895 (élection du ministre monarchiste Ribeiro) – 1940 (confirmation du Pacte Ibérique entre Salazar et Franco).
Un « film d’intérêt public » décrète le gouvernement Salazar (la fête nationale portugaise coïncide avec la date du décès de Camoëns) car, on l’aura compris, Les Lusiades, considérée unanimement comme l’œuvre la plus importante du patrimoine littéraire portugais, raconte et glorifie la naissance et le destin de la nation et de l’Empire. Le scénario est sans surprises, Leitão de Barros se contentant d’évoquer les faits biographiques connus sans chercher à creuser la psychologie de son héros. Sa mise en scène, en revanche, surprend par une inventivité visuelle souvent turbulente, une fluidité narrative et un montage astucieux qui font mouche et expliquent pourquoi Camões fut invité en compétition à Cannes en 1946 en dépit de son emphase et d’une exaltation nationaliste chauvine, aujourd’hui bien vieillotte. Tourné aux studios de Lisboa Filme et de la Companhia Portuguesa de Filmes à Lisbonne, le film révèle le jeune Antonio Vilar qui fera une jolie carrière dans le cinéma latin (on se souvient de lui en amant de Brigitte Bardot dans La Femme et le pantin de Julien Duvivier en 1958).
1946/47Reina Santa / Rainha Santa (La Reine sainte) (ES/PT) de Rafael Gil, Henrique Campos, Aníbal Contreiras et Luna de Oliveira
Cesáreo González, Aníbal Contreiras, Manuel J. Goyanes/Suevia Films (Madrid)-Filmes Albuquerque-Cesáreo González Producciones Cinematográficas, 109 min. - av. Maruchi Fresno (le reine Isabel/Elisabeth d'Aragon), António Vilar (le roi Dionisio/Dinis/Denis Ier de Portugal, son époux), Fernando Rey (l’infant Don Alfonso), Luis Peña (Nuño de Lara), Fernan Fernández de Córdoba (Pedro III d’Aragon), José Nieto (Vasco Peres), Maruja Asquerino (Leonor), Mery Martín (Blanca), Juan Espantaleón (Frère Pedro), Barreto Poeira (Dom Alvaro, conseiller royal), Emilio G. Ruíz (l’infant Pedro).
La très vertueuse princesse Isabel/Élisabeth d’Aragon (1271-1336), fille du roi Pedro III d’Aragon et de Sicile, épouse à douze ans en 1282, le roi Dom Diniz/Denis de Portugal. Sa nouvelle patrie est troublée par les luttes sociales et les intrigues de cour. Mère de deux enfants, elle ne tient rigueur à son mari ni de ses nombreuses maîtresses ni des enfants illégitimes qu’elles lui donnent, allant jusqu’à élever ces derniers à l’égal des siens. Elle négocie à deux reprises une trêve entre les factions guerrières du roi et celles de leur fils révolté Alfonso, successeur légitime au trône, en s’interposant entre les armées, un crucifix à la main. Modèle d’humilité, Isabel suscite l’amour de ses sujets, notamment des pauvres qu’elle aide avec largesse, suscitant la colère de son époux qui lui a interdit de « dissiper le trésor royal en aumônes » et de distribuer du pain aux paysans affamés. Pour apaiser son conjoint, elle fait un miracle en changeant sa bourse qu’elle cachait sous son manteau en un bouquet de roses. Reconnaissant un acte surnaturel, le monarque se repent et laisse dorénavant à sa femme toute liberté de gérer elle-même ses actes charitables. Après la mort de Diniz en 1325, elle entre dans un couvent de clarisses et dépose sa couronne sur le tombeau de Saint-Jacques, à Compostelle. Elle sera canonisée en 1625.
Cette coproduction hispano-portugaise, réalisée en deux versions dans le cadre du Pacte Ibérique de 1939, est tournée sur les terrains du studio de la Sevilla Films à Madrid, puis présentée à la Mostra de Venise en 1947. Rafael Gil est seul responsable de la version parlée espagnol. Le rôle de sainte Élisabeth était initialement prévu pour la star anglo-irlandaise Madeleine Carroll (née O’Carroll), jadis vedette d’Alfred Hitchcock (The 39 Steps, 1935), à Hollywood de John Cromwell (The Prisoner of Zenda, 1937) et de William Dieterle (Blockade, 1938) ; sa participation à ce dernier film, en faveur des républicains dans la guerre civile espagnole, pourrait expliquer son éviction du générique. Maruchi Fresno la remplace avec beaucoup de justesse, dans le cadre d’un récit qui cherche moins à souligner la sainteté de la reine qu’une existence humainement exemplaire – tout en brossant l’image de la femme idéale selon la politique du moment : passive, pieuse, pure, soumise et maternelle, dont la seule voie, à en croire le discours patriarcal et machiste en place, se résume à l’abnégation. Film historico-religieux hybride, il montre d’une part la militance du national-catholicisme dans le régime (pas si catholique...) de Franco et développe d’autre part la métaphore d’une Mère-Patrie obsédée par l’idée du pardon et de la réconciliation. En ce sens, presque un film contestataire, le cinéma franquiste illustrant majoritairement la lutte de l’Espagne contre l’anti-Espagne et prônant la répression sans pitié de toute dissidence. Un grand succès populaire, film proclamé « d’intérêt national » et lauréat de divers prix du gouvernement franquiste (dont celui du Sindicato Nacional del Espectáculo). – IT : Regina santa, GB/US : The Holy Queen.
1950* Frei Luís de Sousa (Frère Luis de Sousa) (PT) d’António Lopes Ribeiro
Lisboa Filme-Fundo do Cinema Nacional (Lisbonne), 113 min. – av. Raul de Carvalho (Dom Manuel da Sousa Coutinho /Frère Luís de Sousa), María Sampaio (Doña Madalena de Vilhena), María Dulce (Doña María de Noronha, leur fille), João Villaret (Telmo Pais), Tomás de Macedo (Frère Jorge da Sousa Coutinho), Barreto Poeira (le pèlerin / Dom João de Portugal), José Amaro (Miranda), María Olguim (Doroteia / Aia), Jaime Santos (le prieur de Benfica), José Vitor (frère convers).
La tragédie d’une famille d’aristocrates portugais, adaptation du drame éponyme en trois actes d’Almeida Garrett (1843) tournée aux studios de Lisboa Filme et Tobis Portuguesa à Lisbonne. - Au Maroc en août 1578, sur le champ de bataille d’Alcazar-Quivir jonché de cadavres et survolé d’une nuée de vautours, le valet Telmo Pais cherche vainement le cadavre de son maître Dom João de Portugal – un seigneur parti avec son roi, Dom Sebastião Ier, et depuis lors porté disparu, comme le jeune monarque. Après sept ans, sa veuve, Doña Madalena de Vilhena, se remarie avec le chevalier Manuel de Sousa Coutinho et met au monde une fille, Maria, atteinte d’une maladie incurable. Dom Manuel accepte mal la domination espagnole, tandis que Madalena vit secrètement dans la crainte que son premier époux ne soit pas vraiment mort ; les domestiques murmurent derrière son dos. Seul Telmo Pais conserve l’espoir que Dom João est vivant. En 1599, Dom Manuel, patriote fervent, refuse l’arbitraire de Philippe II et incendie son propre palais à Almada lorsque le roi castillan émet le souhait de s’y établir pour échapper à la peste qui sévit à Lisbonne. Le couple vit dans l’ancienne demeure de Dom João quand un jour, un mystérieux pèlerin venu de Terre Sainte frappe à la porte et affirme que Dom João serait toujours en vie, puis laisse entendre que ce serait lui. Bouleversés, Madalena et Manuel décident de se séparer et d’entrer dans les ordres pour expier leur faute ; leur fille Maria ne survit pas à cet abandon, elle décède aux pieds de ses parents.
L’authentique Manuel de Sousa Coutinho (1555-1632), devenu moine et écrivain sous le nom de Frère Luís de Sousa, survécut bel et bien à la bataille d’Alcazar-Quivir, épousa Madalena et s’opposa à la couronne espagnole. En 1613, il entra effectivement au couvent dominicain de Benfica tandis que son épouse devint nonne à Alcantara, comme le raconte Garrett. Mais la rumeur selon laquelle la séparation du couple aurait fait suite à la nouvelle (jamais confirmée) que le premier époux de Doña Madalena était toujours en vie ne semble être qu’une légende popularisée plus tard par la littérature et l’imaginaire romantique du XIXe siècle. Soutenu par le Fond du Cinéma National, le film, intense et émouvant, qui restitue très fidèlement et sans fioritures la pièce à l’écran, est un immense succès au cinéma, permettant ainsi à toute la population de découvrir un grand classique du théâtre portugais (œuvre traduite en anglais sous le titre The Pilgrim). Le cinéaste fut encouragé à le porter à l’écran en découvrant à Londres les films Henry V (1944) et Hamlet (1948) de Laurence Olivier.
1954O Cerro dos Enforcados [La Colline des pendus] (PT) de Fernando Garcia
Domingos de Mascarenhas/Nacional Filmes-Fundo do Cinema Nacional (Lisboa), 118 min./107 min. – av. Alves da Costa (Dom Afonso de Lara), Helga Liné (Doña Leonor de Lara), Artur Semedo (Dom Rui de Cardena), Raul de Carvalho (Gonçalo), Brunilde Júdice (Mécia), Lucilia Maio (Rosalia), Lili Neves (Vendedeira), Isa Olguim (Isabel), José Viana (Bras), Carlos Wallenstein (l’intendant), Constantino de Carvalho, José Victor. – Dom Afonso de Lara, vieux noble d’une jalousie maladive, surveille sa femme Doña Leonor, dont la beauté a ébloui Dom Rui. Il fait évacuer les rues par ses soldats chaque fois qu’elle se rend à la messe, puis décide de poignarder lui-même son rival dans la nuit. Cependant, le cadavre de Dom Rui disparaît mystérieusement, car par la grâce divine, un pendu à son gibet a pris la place de la victime. Don Alfonso ne survit pas au choc... Drame conjugal aux accents fantastiques situé au XVe siècle, d’après le conte gothique O Defunto de José Maria Eça de Queirós (1895), filmé aux studios Cinelândia.
1959(tv) Frei Luís de Sousa (PT) de Nuno Fradique
Radiotelevisão Portuguesa (RTP) Lisboa (RTP 30.6.59). – av. Cândida Lacerda (Doña Madalena de Vilhena), Pedro Bandeira-Freire, Carlos Costa, Rodolfo Neves, Manuel de Oliveira, João Perry, Glicínia Quartin, António Teixeira. – Le drame d’Almeida Garrett (1843), cf. film de 1950.
1961(tv) Rei Sebastião (PT) de José Régio
Radiotelevisão Portuguesa, Lisboa (RTP 1.11.61). – av. Manuel Correia, Alves da Costa, Raul de Carvalho, Alvaro Benamor, Brunilde Júdice, Manuel Lereno, Assis Pacheco, Andrade e Silva, Alexandre Vieira.
La pièce El-Rei Sebastião de José Régio (1949), « poème spectaculaire en trois actes » sur le mythe du "roi caché", Sébastien Ier, porté disparu après l’écrasante défaite d’Alcazar-Quivir en 1578. Cf. infra, le film Quinto Império (2005) de Manoel de Oliveira.
1967(tv) Frei Luís de Sousa (PT) de Jorge Listopad
Radiotelevisão Portuguesa (RTP) Lisboa (RTP 10.5.67), 100 min. – av. Carmen Dolores (Doña Madalena de Vilhena), Luís Santos (Telmo Pais), Ana de Sá (Maria de Noronha), Couto Viana (Frère Jorge de Sousa Coutinho), Mário Sargedas (Miranda), Jacinto Ramos (Dom Manuel de Sousa Coutinho / Frère Luis de Sousa), Branco Alves (Romeiro), Curado Riberio (le prêtre). – Le drame d’Almeida Garrett (1843), cf. film de 1950.
1978Veredas (PT) de João César Monteiro
Instituto Portughès de Cinema, 121 min. – av. Cármen Duarte (Branca Flor), Margarida Gil (une jeune femme / l’épouse du diable), António Mendes (le voyageur), Francisco Domingues (le conteur d’histoires), Luis de Sousa Costa (le prêtre), Virgilio Branco (le démon), Manuela de Freitas (Aena), João César Monteiro, José Pequeno, Fernando Araújo, Leonor Seixas, Silvia Ferreira. – Une sorte d’anthropologie visuelle de l’univers médiéval : un couple fuyant des pères tyranniques voyagent de Trás-os-Montes à la côte atlantique et découvrent au cours de leur périple des légendes, des créatures de la mythologie populaire et des lieux mystérieux. Le premier film de fiction du très controversé poète-provocateur Monteiro.
Maria de Medeiros dans « Silvestre » (1981) de J. C. Monteiro.
1981Silvestre (PT) de João César Monteiro
Paulo Branco/V.O. Filmes (Lisboa), 118 min. - av. Maria de Medeiros (Silvia / Silvestre), Teresa Madruga (Susana), Luís Miguel Cintra (le pèlerin / le chevalier / Dom Raimundo de Montenegro), Jorge Silva Melo (Dom Paio de Ayres), João Guedes (Dom Rodrigo), Xosé Maria Straviz (le lieutenant), Ruy Furtado (Matias), Raquel Maria (Marta), Cucha Carvalheiro (Elsa), Afonso Vasconselos (le bossu), João César Monteiro (le roi de Portugal), João Perry (le bouffon / narration).
Synopsis: Le vieux Dom Rodrigo a quitté son manoir pour convier le roi aux noces de sa fille Silvia avec Dom Paio, un riche voisin dont le comportement grossier laisse toutefois à désirer. En prenant congé, il recommande à Silvia et à Susana, sa fille bâtarde, de n’ouvrir les portes à personne. Mais en son absence apparaît un pèlerin qui demande abri. Silvia, apitoyée, lui ouvre la porte et, autour de la cheminée, l’inconnu offre aux deux filles des oranges. Susana en mange tandis que Silvia ne fait que semblant. La nuit, sous les yeux de Silvia terrifiée et qui fait semblant de dormir, il viole Susana, droguée. Silvia parvient à trancher la main de l’intrus avec une épée, celui-ci disparaît en jurant de se venger. Les filles cachent l’incident à leur père, mais lors du banquet de noces, le faux pèlerin réapparaît sous les traits d’un chevalier et enlève Silvia qu’il compte tuer dans son château. Susana sauve sa sœur, puis apprend que leur père a été enlevé par des bandits. Silvia se fait passer pour un chevalier du nom de Silvestre et rejoint la troupe lancée à la poursuite des ravisseurs. Elle se bat courageusement, est blessée, son lieutenant la reconnaît et ils tombent amoureux. Dom Rodrigo libéré, le couple va se marier à la cour du roi. Lors du banquet nuptial apparaît Dom Raimondo, le faux pèlerin qui a fait un pacte avec le démon et que Susana démasque en révélant sa main tranchée ; le lieutenant le tue d’un coup de dague.
L’excentrique et inclassable Monteiro tente de capter « les mystères de l’âme médiévale lusitanienne » en plongeant son récit très lyrique, au rythme languide, en fusionnant deux étranges contes portugais, A Donzuela Que Vai à Guerra (XVe siècle) et Mão do Finado (tradition orale du cycle de Barbe Bleue). Le tout est filmé en Eastmancolor aux studios de Tobis Portuguesa à Lisbonne-Lumiar dans des décors de théâtre qui rappellent ceux de Perceval le Gallois (1978) d’Éric Rohmer, puis en extérieurs au château des Templiers à Almourol (sur une île rocheuse du Tage) et sur les rives du Rio Frio (Bragança). En tête d’affiche, Maria de Medeiros, 15 ans, fait ses débuts au cinéma dans le rôle de la vaillante et douce Silvia, avant d’entamer une carrière internationale d’actrice (pour Deville, Kaufman, Tachella, Tarantino), de cantatrice et de réalisatrice. Première mondiale au Festival de Venise 1981, projections aux festivals de Rotterdam et d’Anvers (1982). Monteiro encadre son long métrage médiévalisant de trois courts, Os dois soldados, O amor das Três Romãs et A Mães dans un ensemble intitulé « Série de contes traditionnels ».
1985 [sortie: 1994]A Moura encantada (PT) de Manuel Costa e Silva
Manuel Costa e Silva/C.e.S. Productions (Lisboa), 74 min. - av. Luís Varela (Abdal), Teresa Goucho (Nadia), Vitorino Salomé (le prince), José Bizarro (Abu Zakr), Aníbal Alves (l’ouléma), Claudio Torres (Mestre), Maria do Céu Guerra (Arradi), Artur Semedo (le conseiller du prince), Luís Couto (un conseiller), António Assunção, Luis Varela, Adelaide João, Rosa Barreto, Canto e Castro, Aurea Ferreira, Carlos Ferreiro, Rosario Gonzales, Carlos Guerreiro, Ricardo Pais, Manuela Queiroz, Antonio Ribeiro, Vitoriné Salomé, Luís Santos.
La présence des Maures entre le Tage et l’Èbre suscite passions et rivalités, crises et convulsions. Le film suit les rituels quotidiens, les coutumes et le commerce entre les diverses collectivités tout en évoquant l’amour tragique d’Abdal et de Nadia. Abdal périt au cours d’une bataille et les paysans de la région pillent les morts et s’emparent du butin, croix et croissants jonchent le sol... - Avec son premier long-métrage, le documentariste Manuel Costa e Silva se réfère à la légende de « la Maure enchantée » pour évoquer les vestiges enfouis ou passés sous silence de la présence arabo-musulmane au Portugal aux XIe-XIIIe siècles, tout en opérant de nombreux allers-retours entre le passé et le présent. Le tournage en 16 mm se fait dans la région d’Alentejo (à Mértola, Alandroal, Alvito, Barrancos, Borba, Castro Verde, Estremoz et Évora). Financé par la Fondation C. Gulbenkian, le film est projeté à la Cinémathèque portugaise à Lisbonne en 1985, obtient une mention honorifique au Festival d’Aveiro l’année suivante, mais ne sera exploité en salle qu’en 1994.
1989 [sortie: 1991](tv) A maldição do Marialva / La maldición de Maria Alva / La Malédiction de Maria Alva (PT/ES/IT/FR/DE) d’António de Maçedo
Luis Avelar, Federico Llano/Cinequanon-Radiotelevisão Portuguesa (RTP)-Radio-Televisión Española (RTVE)-Reteitalia-Beta Film-SFP-FR3, 82 min. - av. Lidia Franco (la sorcière Maria Alva), Carlos Daniel (Hélio), Carlos Antos (Don Grunefredo), Catarina Avelar (Doña Astrília), Fernando Candeias (Dom Goterre), José Eduardo (Viliulfo), Julie Sergeant (Lovesenda), Natália Luísa (Celeste), Raquel Maria (Arosinda), Rolando Alves (Arcipestre), Victor Teles (Lovegildo), Paulo Matos (Pero Godes).
Au Portugal septentrional (Portucalence), dans une localité vers la fin du Xe siècle : un roi wisigoth, qui a pris le pouvoir après avoir chassé les Maures, est à son tour destitué par la mystérieuse Maria Alva, une sorcière qui le fait assassiner. Alors qu’elle tente de prendre le contrôle des lieux, elle se heurte au sage Hélio... Adaptation d’un récit de l’écrivain romantique portugais Alexandre Herculano e Araújo paru en 1851 (A Dama Pé de Cabra / La Dame au pied de bouc), inspiré d’une vieille légende de la région de Beira Alta. Petit film d’épouvante filmé au Portugal (à Marialva, Guarda, et aux studios Tobis Portuguesa à Lisbonne), sorti dans la série télévisée intitulée « Sabbath » et projeté au MOTELX – Lisbon International Horror Film Festival. - GB/US : The Curse of Marialva.
Le pape Grégoire XIII (Fernando Rey, g.) voit d’un bon oeil la « croisade africaine » de Sébastien Ier de Portugal.
1990** (ciné+tv) La batalla de los Tres Reyes (Tambores de fuego) / The Battle of the Three Kings / La Bataille des Trois Rois (Les Cavaliers de la gloire / Tambours de Feu) / Tobul an-Nar (Forsan an-Naçr) / La battaglia dei tre tamburi di fuoco / Bytva tryokh koroley (ES/MA/IT/DZ/SU/FR) de Souheil Ben Barka [et Uchkun Nazarov]
Alo Khodzhiev, Jaime Maria de Oriol, Lopez Montenegro, Leo Pescarolo/Aries TV 92 S.A. (Madrid)-Centre Cinématographie Marocain (C.C.M. Rabat)-Le Dawliz S.A. (Casablanca)-Sovexport Film (Moscou)-Uzbekfilm (Tachkent)-Ellepi (Roma)-Sylicinéma (Paris), tv : 245 min./cinéma : 139 min./105 min. – av. Massimo Ghini (le sultan Abu Marwan Abd al-Malik), Angela Molina (Sofia), F. Murray Abraham (Osrain), Harvey Keitel (Frère Luis de Sandoval), Claudia Cardinale (Roxelane), Fernando Rey (le pape Grégoire XIII), Joaquín Hinojosa (Akalay), Ugo Tognazzi (Carlo di Palma), Javier Loyola (le cardinal Antoine Perrenot de Granvelle), Sergej Bondartchouk (le sultan ottoman Selim II), Francisco Guijar Cubero (Philippe II d’Espagne), Yokubjon Akhmedov (le Grand Amiral turc Piyali Pacha), José Lifante (le cardinal Pietro Aldobrandini), Salem Jaidi (Mateus Homem da Cunha de Eça), Alexanian Artaches (le missionnaire Juan de Puerto Carrero), Victor Boutov (le roi Dom Sebastião /Sébastien Ier de Portugal), Saturno Cerra (le duc João Ier de Barcelos et Bragance), Fekkak My Rachid (Ramiro Nuñez de Guzmán), Victor Cocuev (Miguel de Cervantes), Alexander Zuev (Don Juan d’Autriche), Saturno Serra (le comte de Barcelos), José Canalejas (Giovanni Soranzo), Mohammed Hassan El Joundi (le sultan Abou Abdallah Mohammed), Melis Abzalov (Ambar Aga), Khochim Godaev (Aghat Mora, gouverneur d’Algérie), Andrei Podochian (Ahmed al-Mansûr, roi du Maroc, frère d’Abd al-Malik), Mohamed Miftah (Zerkun), Souad Amidou (Meriem), Khochim Godaev (Aghat Mora), Oleg Fedorov (Père Tebaldo), Vera Krustokova (Rubina), Alexandra Fierro (Rosalia), Larbi Doghmi (Zeratti), Andrei Podochian (Ahmed), Chukrat Irgaechev (Randam), Ludmila Ksefontova (Dihayir), Albert Philosov (Hans Niberten), Yasmine Ben Barka (Meriem enfant), Leyla Ben Barka (Leyla).
Une vision maghrébine de la désastreuse intervention portugaise en Afrique du Nord, mégafresque mise sur pied au moyen d’une coproduction insolite impliquant six pays - le Maroc, l’Espagne, la France, l’Italie, l’URSS et l’Ouzbékistan – et réalisée par le meilleur, voire le plus ambitieux réalisateur marocain, Souhail Ben Barka. Synopsis : En 1557, banni par le sultan Abdallah al-Ghalib, son frère cadet qui a usurpé le trône, le jeune émir Abu Marwan Abd al-Malik, de la dynastie marocaine des Saâdiens, s’est enfui en Algérie où il a obtenu l’asile du gouverneur ottoman Aghat Mora, un corsaire de la Méditerranée hostile, comme lui, à la croissante hégémonie européenne (qui se traduit notamment par la présence portugaise à Agadir) et à toute forme d’intégrisme religieux. Il passe deux décennies en exil sur les mers, survivant à la bataille navale de Lépante (1571), allant de la prison d’Alicante à la prise de Tunis par Don Juan d’Autriche (1573), subissant les agressions des inquisiteurs espagnols et des despotes tunisiens avant de retrouver son pays en 1576, où il revient avec l’appui militaire des Turcs ottomans. Il chasse du trône son neveu Abou Abdallah Mohammed qu’il défait près de Fès ; ce dernier s’enfuit au Portugal où il demande de l’aide au jeune roi, Dom Sebastião Ier, un célibataire de 24 ans éduqué par des jésuites. Malgré les remontrances de sa mère Juana d’Autriche et de son oncle Philippe II d’Espagne (qui étaient devenus très prudents après la cuisante défaite de la flotte de l’Alliance chrétienne à Djerba en 1560), Dom Sebastião, immature et entêté, se lance tête baissée dans ce qu’il croit être une « grande croisade africaine » contre les infidèles, l’opportunité d’établir un vaste empire portugais au nom du Christ de l’autre côté de la Méditerranée. Il utilise une grande partie de la richesse impériale du Portugal pour équiper une flotte d’invasion de 500 navires et rassemble une armée de 18'000 hommes, dont des mercenaires d’Espagne, de Flandre, d’Allemagne, d’Italie et la fleur de la noblesse portugaise, qui sont rejoints par 6000 maghrébins d’Abou Abdallah. Entretemps, le sultan Abd al-Malik a réorganisé son armée avec l’aide des officiers turcs, combinant arquebusiers montés, infanterie armée de fusils, cavalerie légère, détachement d’artillerie, janissaires et des contingents berbères, au total plus de 60'000 hommes. L’affrontement a lieu le 4 août 1578 près de la ville de Ksar El-Kébir (ou d'Alcazar-Quivir/ Alcácer Quibir). Abd al-Malik a placé au centre de son dispositif des Maures qui avaient été chassés d’Espagne lors de la révolte morisque des Alpujarras (1568-70) et portaient ainsi une rancune particulière aux envahisseurs. Après quatre heures de combats acharnés, l’armée européenne est totalement écrasée, avec 8000 morts, y compris le massacre de la quasi-totalité de la noblesse portugaise et 15'000 captifs qui seront vendus comme esclaves. Le corps du roi Sebastião, qui a mené une charge au milieu de l’ennemi, n’a jamais été retrouvé. Son allié Abu Abdallah s’est noyé dans la rivière en tentant de s’enfuir. Quant à Abd al-Malik, gravement malade, il meurt d’épuisement pendant la bataille, mais la nouvelle est cachée jusqu’à ce que la victoire totale soit assurée. C’est son frère Ahmed al-Mansûr, présent aux combats, qui lui succède. Pour le Portugal, cette « bataille des Trois Rois » est une catastrophe et un traumatisme national : dans sa piété, Dom Sebastião a oublié de se marier et n’a donc pas d’héritier. Sa disparition suscite désespoir et incrédulité chez ses sujets, c’est la fin de la maison d’Aviz qui a gouverné le pays pendant deux siècles. Peu après, le royaume lusitanien est annexé par l’Espagne de Philippe II.
Formé à Rome, ami de Bertolucci, ex-assistant de Pasolini sur L’Évangile de St. Matthieu et Œdipe roi, Souheil Ben Barka est son propre producteur-distributeur, de surcroît Directeur du Centre cinématographique marocain à Rabat et créateur des studios de Ouarzazate. Ayant réuni les capitaux nécessaires et une affiche internationale de comédiens réputés – Harvey Keitel, Claudia Cardinale, Angela Solina, F. Murray Abraham, Fernando Rey, Ugo Tognazzi, Sergej Bondartchouk -, le cinéaste peut commencer le tournage de sa fresque en Eastmancolor et Technovision (scope) en été-automne 1989 au Maroc (Tétouan, Fez, Marrakech, Volubilis/Saquent, Er-Rachidia, Casa, Sahara) avec le concours massif de l’armée marocaine et la bénédiction du roi Hassan II, en URSS à Leningrad (palais Youssoupov) et en Crimée (Yalta, Bakhchi-Sarai, Soudak), puis en Espagne (palais de l’Escurial, Cáceres). C’est sans conteste le film le plus coûteux et le plus polémique de sa carrière, admiré par les uns, attaqué au Maroc même par des détracteurs acharnés contre sa manière de conduire l’histoire du prince Abd al-Malik aux dépens de la « bataille des Trois Rois ». Réalisateur profondément humaniste et engagé, Ben Barka fait en effet d’al-Malik son porte-parole, au risque de prendre quelques libertés avec l’Histoire et transcender l’orientation politique du propos. Son fougueux émir se met en apprentissage de la vie en nouant plusieurs amitiés – avec un prêtre chrétien, un médecin juif, un commandant d’armée turc - qui vont former son proche entourage et souligner sa lutte fondamentale contre intégrismes, racismes et toute violence religieuse. Bien que son défunt père ait été sauvagement assassiné par les Portugais, il prône un message de paix, d’amour et de tolérance. Au cours de ses pérégrinations, al-Malik défend un vieillard juif qui s’est fait humilier par un jeune algérois, suscitant l’opprobre des autorités ottomanes pour son acte généreux, ce qui ne lui sera pas pardonné : la maladie qui va l’emporter est (dans le scénario) un empoisonnement par ces mêmes Turcs qui l’ont jadis protégé et cautionné. Un clerc portugais qui avait béni l’armée de Sebastião s’écroule en pleurs devant les milliers de cadavres qui jonchent le sol, s’interrogeant sur les raisons « valables » d’un tel carnage.
Judaïsme, christianisme et islam se partagent une même affiche, phénomène peu courant dans le cinéma. Par ailleurs, Ben Barka intègre tant bien que mal la myriade d’éléments historiques dans son scénario, mais la surcharge de détails et scènes annexes fait parfois oublier l’essentiel du propos et le spectateur peu ou pas versé en la matière risque de perdre le fil. Certains critiques marocains, comme l’historien Mohamed Zniber, militant du mouvement national, lui reprochent de leur avoir donné « de belles images, avec une profusion de couleurs, de beaux palais où s’agitent de jolies femmes et des princes lascifs et sensuels » alors qu’aucun des personnages présentés serait authentique. Mais qu’importe, on reste frappé par la splendeur de la mise en scène et le film a d’abord le mérite d’exister. Sa longueur est certes un handicap, il fait 2h30 tandis qu’une version de plus de 4 heures est présentée à la télévision maghrébine sous forme d’une mini-série en 5 parties. Comble de malheur, les retombées de la guerre du Golfe suite à l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990/91 découragent beaucoup de distributeurs européens, réticents de montrer un héros positif arabe. Film non distribué au Portugal...
Au Maroc, le roi Sebastião Ier va au désastre : « Non ou la vaine gloire de commander » (1990).
1990** [épisode :] Non ou a vã glória de mandar / No o la vana gloria de mandar / Non ou la vaine gloire de commander (PT/ES/FR) de Manoel de Oliveira
Paulo Branco/Madragoa Filmes (Lisboa)-Tornasol Films-Gémini Films (Paris)-Société Générale de Gestion Cinématographique (SGGC, Paris)-Radiotelevisão Portuguesa (RTVP)-Radiotelevisión Española (RTVE), 112 min. - Luis Miguel Cintra (le lieutenant Cabrita / le roi Dom João II de Portugal / le chevalier cpt. Moreira), Lola Fornes (l’infante Isabelle d’Espagne, 1490), Raul Fraire (Dom Afonso, fils de João II, époux de Doña Isabel), Mateus Lorena (le roi Dom Sebastião / Sébastien Ier de Portugal), Paulo Matos (Vasco de Gama), Luis Mascarenhas (Dom Afonso V), Ruy de Carvalho (le capitaine suicidaire), Leonor Silveira (Tethys), João Bénard da Costa (João Lobo, baron d’Alvito), Teresa Meneses, Rui de Carvalho, Diogo Doria.
Ce film impensable, voire impossible avant la révolution des Œillets qui a entraîné la chute de la dictature salazariste (avril 1974) présente des épisodes de l’histoire militaire du Portugal contés en flash-backs par des soldats portugais de service au Sénégal en 1974, où, mobilisés pendant la dernière guerre coloniale du pays, ils combattent la guérilla locale tout en se demandant « Que faisons-nous ici ? Qu’est-ce que le patriotisme ? Où est la sincérité dans notre engagement colonial ? ». Le moral est au plus bas et le lieutenant Cabrita, plus historien que soldat, affirme que le rêve national portugais n’a essuyé que des échecs, à l’exception des grandes découvertes de ses navigateurs, comme Vasco de Gama. Il évoque la vaine résistance de Viriathe le Lusitanien contre Rome, du roi Afonso V qui affronte vainement la Castille à la bataille de Toro en 1476, de son successeur Dom João II qui rêva sans y parvenir d’unifier la péninsule ibérique au XVe siècle, puis, moment le plus cruel de l’histoire nationale, la défaite écrasante d’Alcazar-Quivir en 1578 face aux Marocains, une tragédie collective due à l’inconscience du jeune roi Sebastião Ier, mythomane ivre de gloire, irascible mais incapable de commander et disparu dans la bataille. Vers la fin du film, blessé à mort, agonisant sur son lit d’hôpital, l’officier-historien de 1974 est assailli par la vision de ce chevalier parmi les cadavres d’Alcazar-Quivir au Maroc criant « Non ! » au destin avant de se suicider... Une reconstitution rigoureuse et souvent spectaculaire (notamment avec la bataille des « Trois Rois » filmée fort habilement dans l’Alentejo malgré seulement 300 figurants et 80 chevaux, la production ayant dû renonçer aux trois-quarts de la figuration prévue en raison d’une épidémie), des séquences très inattendues de la part de l’austère Manoel de Oliveira, pour illustrer la vanité du pouvoir sous forme de chronique, de parabole, de poème, de vision mystique, de réflexion sur la civilisation et la notion de « grandeur ». Le cinéaste voit dans Non en quelque sorte l’inverse des Lusiades du mélancolique Camoëns car, dit-il, « les défaites sont plus riches que les victoires, elles attirent l’attention sur l’homme lui-même. » Une consécration internationale tardive pour Oliveira, 82 ans, qui obtient le Prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1990, où l’œuvre sort en première mondiale. - IT : No, la folle gloria del comando, DE : Non oder Der vergängliche Ruhm der Herrschaft, titre internat. : No, or The Vain Glory of Command.
1999(tv-df) Schwertbrüder. Der Templer-Coup von Portugal (L’Ordre des Templiers) (DE) de Gottfried Kirchner
Série « Terra » (saison 8, épis. 33) / « L’Aventure humaine », Zweites Deutsches Fernsehen-Arte (ZDF 31.10.99 / Arte 18.8.01), 43 min. – av. Gert Heidenreich (narration). - Docu-fiction avec reconstitutions et acteurs anonymes. Après la dissolution de l’Ordre en 1312 sur ordre de Philippe le Bel et du pape avignonnais Clément V, les Templiers survivants fuient la France, puis l’Espagne et se réfugient au Portugal, haut-lieu de l’Ordre depuis Afonso/Alphonse Ier le Conquérant (1157). Protégés par le roi-troubadour Denis Ier, les Templiers se replient dans la forteresse d’Almourol, au milieu du Tage, puis à Tomar, où, sous la direction du Grand-Maître João Lorenzo de Monsarraz, ils se réunissent en Ordre des Chevaliers du Christ, la « militia Christi » (de 1319 à 1789). Tomar deviendra un des foyers de la science vers 1420 (Henri le Navigateur, Vasco de Gama, Pedro A. Cabral sont passés par là).
2004* Quinto Império – o ontem como hoje / Le Cinquième Empire, hier comme aujourd’hui (PT/FR) de Manoel de Oliveira
Paulo Branco/Gémini Films (Paris)-Madragoa Filmes (Lisboa)-Radiotelevisão Portuguesa, 127 min. – av. Ricardo Trêpa (le roi Sebastião / Sébastien Ier de Portugal), Glória de Matos (la reine Doña Catarina, sa grand-mère), Luís Miguel Cintra (le cordonnier Santo Simão), Miguel Guilherme et David Almeida (les bouffons), Ruy de Carvalho, José Manuel Mendes et Luis Lima Barreto (les conseillers), Ramón Martínez et António Costa (deux nobles), Rogério Samora (le roi Dom Sancho Ier), José Wallenstein (le roi João Ier), Rui Morisson (le roi Dom Afonso IV), João Reis (le roi Dom João II), Filipe Cochofel (Dom Duarte), Carlos Gomes (Dom Manuel).
En 1578, le jeune roi Dom Sebastião Ier est en proie aux doutes : obstiné, contre l’avis de ses proches, contre sa noblesse et Simão, un mystérieux cordonnier, insultant ses conseillers trop prudents et se disputant avec sa grand-mère, Doña Catarina, il rêve de partir en Afrique du Nord pour se battre au nom du Christ, « écraser les ennemis de la divine foi catholique » et suivre les glorieuses traces de ses ancêtres. Persuadé d’avoir une mission divine à l’instar de Charles Quint, il aspire à la conquête d’un nouveau monde, de transformer son royaume aujourd’hui appauvri en « Cinquième Empire » apte à convertir au christianisme tous les peuples de la Terre. Mais ses troupes sont anéanties par les musulmans à la « bataille des Trois Rois » à Alcazar-Quivir. Lui-même disparaît sans laisser de traces (son corps ne fut jamais identifié parmi les victimes). Cette disparition tragique donne naissance au pseudo-mythe du « roi caché » (o encoberto) exalté aux XVIIe et XIXe siècles dans les cercles mystico-nationalistes (sermons du père Antonio Vieira, le philosophe Sampaio), rêverie folklorique – inspirée par les récits de la Table Ronde - selon laquelle le retour du monarque à la fin des temps sur un destrier blanc signifiera la victoire du Bien et le rétablissement de la paix entre les peuples. Au XXe siècle, le poète Fernando Pessõa et le philosophe José Marinho prendront la relève. Le doyen du cinéma occidental Manoel de Oliveira, 96 ans, illustre ici la pièce en 3 actes El-Rei Sebastião de José Régio (1949), déjà adaptée à la télévision RTP en 1961 (cf.), en appliquant son style déroutant de plans longs où la parole semble l’emporter sur l’image, pourtant très savamment composée et aux couleurs raffinées ; le tournage s’effectue au Convento de Cristo à Tomar. Terre à terre, Oliveira, rassuré par la disparition de la dictature de Salazar et de l’autonomie accordée aux colonies portugaises, voit dans l’unification de l’Europe un « Cinquième Empire » enfin rénové, démocratique et moderne. Première mondiale à la Mostra de Venise 2004, sortie en salle en janvier 2005. – IT : Il quinto impero - Ieri come oggi, US : The Fifth Empire.