I - LE ROYAUME DE FRANCE

6 . LES « ROIS MAUDITS »: PHILIPPE LE BEL ET SA DESCENDANCE (1285 à 1328)

Marguerite de Bourgogne et Buridan (Silvana Pampanini et Pierre Brasseur) dans « La Tour de Nesle » (1955) d'Abel Gance, d'après Alexandre Dumas.

6 .2 . Le scandale de la Tour de Nesle (1314)

Au mois de mai 1314. une nouvelle éclate comme un coup de tonnerre au sein de la cour de France : les princesses royales Marguerite de Bourgogne (fille du duc Robert II de Bourgogne) et sa cousine Blanche (fille du comte palatin de Bourgogne Otton IV et de la comtesse Mahaut d’Artois) sont convaincues d’adultère. Jeanne (comtesse de Bourgogne et d’Artois), la sœur de cette dernière, est accusée d’avoir observé un silence complice sur ces liaisons. C’est Isabelle qui a tout révélé à son père, Philippe le Bel : ses trois fils sont cocus depuis deux ans. Deux chevaliers normands, Philippe et Gautier d’Aunay, avouent la turpitude des brus sous la torture. Bafoué dans son orgueil par un scandale qui ébranle les fondements de la monarchie capétienne, Philippe le Bel (qui décèdera six mois plus tard) exige un châtiment exemplaire. Tondues, humiliées publiquement, ses belles-filles sont enfermées à la forteresse normande de Château-Gaillard ; Marguerite y meurt de froid ou étranglée sur ordre de son époux en 1315. Blanche prendra le voile après sept ans d’incarcération. Condamnés pour crime de lèse-majesté, les frères d’Aunay sont écartelés et écorchés vifs.
De ce psychodrame naît un siècle plus tard la légende extravagante de la Tour de Nesle, bâtiment sinistre de l’ancienne enceinte de Paris, sur la rive gauche, qui aurait abrité dans ses murs humides les amours coupables des princesses de Bourgogne et que la rumeur, puis la littérature romantique vont transformer en lieu de débauches et de crimes – les amants de ces dames étant assassinés au lever du jour et repêchés dans la Seine.
Se greffe là-dessus le personnage haut en couleurs de Jean Buridan (Joannes Buridanus, 1292-1363), un philosophe et docteur scolastique qui fut l’instigateur du libre arbitre en Europe, préparant la voie pour Galilée. Persécuté par des collègues, il se retira en Allemagne et enseigna à Vienne. Buridan avait la réputation d’être une figure brillante et mystérieuse à Paris et de nombreuses histoires apocryphes circulent à propos de ses aventures amoureuses. Ainsi, selon une vague tradition populaire (reprise par François Villon dans sa "Ballade des dames du temps jadis" en 1461), Buridan aurait dans sa jeunesse été introduit dans la Tour de Nesle auprès de Jeanne de Bourgogne et aurait failli être victime de son imprudence. En fait, Buridan (recteur de l’université de Paris en 1327 et en 1340) n’avait que 14 ans lors du procès des princesses.
Qu’importe, Alexandre Dumas se sert de cette légende pour "La Tour de Nesle", une tragédie en cinq actes et neuf tableaux coécrite avec Frédéric Gaillardet et Jules Janin (1832), qui devient carrément le prototype du mélo historique sanglant. En réalité, Dumas n’a fait que corriger et réécrire (à la demande du Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris) une pièce maladroite de Gaillardet ; le public lui attribua bientôt tout le mérite de son succès retentissant, provoquant même un duel entre les deux auteurs. Le triomphe de la pièce (avec la célèbre Mademoiselle George, protégée de Bonaparte et du tsar Alexandre Ier, dans le rôle de la reine) lui évita la censure de Thiers en 1836, mais le texte fut néanmoins interdit entre 1853 et 1861. L’action est déplacée à début décembre 1314, au moment où Louis X le Hutin accède au trône : Marguerite de Bourgogne n’est alors plus princesse, mais reine de France, ce qui rend la chose plus croustillante encore !
Michel Zévaco en fera de même avec son roman "Buridan, héros de la Tour de Nesle" en 1911 (cf. film de 1923).

- Henri Demesse a tiré de la pièce de Dumas, Gaillardet et Janin un roman de plus de 1700 pages en 1880. Notons, en outre, "La Mort de Marguerite de Bourgogne", un drame d’Éliacin Jourdain (Paris, 1845) et la parodie-vaudeville "La Tour de Nesle à Pont-à-Mousson" de Théodore Cogniard et Clainville (Paris, 1861).
La reine de France (Andrée Mégard) ordonne à Buridan d'assassiner dans son sommeil son propre père, le duc de Bourgogne, qui a surpris les deux amants (1909). ©INA
1909La Tour de Nesle (FR) d’André Calmettes
Paul Gavault/Le Film d'Art-Pathé Frères S.A. (Paris) no. 2981, 380m./env. 30 min. – av. Henry Krauss (Jehan Buridan), Andrée Mégard (Marguerite de Bourgogne), René Alexandre, Paul Capellani.
Résumé du drame d’Alexandre Dumas, Frédéric Gaillardet et Jules Janin : Tous les matins, des cadavres sont retrouvés à proximité de la Tour de Nesle, à Paris. A l’origine du mystère, la reine Marguerite de Bourgogne qui, avec deux amies masquées, les princesses Blanche et Jeanne, organise de véritables orgies au terme desquelles leurs amants d’une nuit sont égorgés par des sbires à la solde de la reine. Attiré dans ce piège mortel avec Philippe d’Aulnay, le capitaine Buridan en réchappe alors que Philippe périt. Buridan, qui fut autrefois l’amant de la reine (sous le nom de Lyonnet de Bournonville), la menace de tout révéler. Il se fait nommer Premier ministre, car il possède des lettres compromettantes dans lesquelles elle avoue ses crimes. Entre autres choses, d’avoir fait assassiner son père par Buridan lui-même, alors que, enceinte, elle était menacée de couvent. Buridan conseille à la reine de se séparer de son amant, Gaultier d’Aulnay. Devant son refus, il lui tend un piège en attirant dans la tour le favori de la reine qui subira le même sort que son frère. Buridan et Marguerite s’aperçoivent trop tard que les frères d’Aulnay sont leurs deux fils. Orsini, tueur payé par Marguerite pour faire disparaître la preuve de son adultère, les avait épargnés vingt ans plus tôt. La reine sombre dans la folie sur le corps de Gaultier, au moment où les gardes royaux de Louis X viennent procéder à son arrestation et à celle de Buridan.

L’exécuteur testamentaire de Dumas en est aussi le premier adaptateur
André Calmettes, responsable du fameux « Assassinat du duc de Guise » l’année précédente, tourne son film dans les ateliers du Film d’Art à Neuilly (décors en toile peinte), avec Henry Krauss (du Théâtre Sarah Bernhardt), le Harry Baur des années dix, en Buridan imposant. Alexandre vient de la Comédie-Française, Andrée Mégard du Théâtre Antoine. C’est l’écrivain et historien militaire Ernest d’Hauterive (exécuteur testamentaire de Dumas père et fils) qui, le premier, adapte le texte au cinéma, en le condensant en 21 tableaux, avec quelques variantes. Son prologue montre comment Marguerite de Bourgogne pousse son amant Buridan à assassiner le duc, son père qui a surpris le secret de leurs amours, et ordonne la mort de ses deux enfants illégitimes. Landry, chargé de cette sinistre mission, abandonne les nourrissons sur le parvis de Notre-Dame. Vingt ans passent, Marguerite est devenue reine de France, Buridan rentre de guerre et festoie avec Philippe et Gaultier d’Aulnay, dont il ignore que ce sont ses propres fils. Dans l’antre d’Orsini, le tavernier du diable du quartier du Louvre, on recrute chaque jour trois volontaires pour le plaisir de « belles dames sans mercy ». La nuit, Buridan, Philippe et Hector de Chevreuse se rendent à la tour de Nesle, où, après une nuit de débauche, la reine et ses sœurs font poignarder les deux derniers ; Buridan, qui a reconnu Marguerite, réussit à s’échapper. Il révèle à Gaultier l’assassinat de son frère sur ordre de la reine, mais celle-ci désigne Buridan pour l’assassin. Jeté en prison au Châtelet, Buridan menace de transmettre au roi d’anciennes lettres de Marguerite avec la preuve de ses crimes. La reine le libère et l’invite à la tour où elle lui tend un guet-apens. Amoureux, Gaultier s’y rend à la place de son géniteur. Lorsque Buridan apprend par Landry l’identité réelle de Philippe et de Gaultier, il est trop tard. Jusqu’en 1968, ce « digest » de Calmettes sera l’unique version de « La Tour de Nesle » exploitée aux États-Unis, où la pudibonderie fait loi. – US : The Tower of Nesle.

A l’insu du public français, Pierre Marodon érige sa Tour de Nesle à Vienne, sur les rives du Danube (1924).
1923/24Buridan, le héros de la Tour de Nesle / Buridan, der Held des Turmes von Nesle (FR/AT) de Pierre Marodon
Les Films Marodon-Ave Film Antonio Wulz (6 épis.), 9878m. – av. Marthe Lenclud (Marguerite de Bourgogne), Robert Valbert (Jehan Buridan), Harry Fleming (Louis X le Hutin), Joë Lars (Charles de Valois), Hanns Melzer (Enguerrand de Marigny), Hector Bragny (Gaultier d'Aulnay), Otto Hilde (Philippe d’Aulnay), Mani Keller (Anne de Dramans / Mabel), Stefano Rosty (Lancelot Bigorne, le valet de Buridan), Jean Lamy (Stragildo), Fritzi Gaert-Grünwald (Jeanne de Poitiers), Olga Matcheko-Träger (Blanche de la Marche), Tomy Brany (Simon Malingre), Loe Lars (Guillaume Bourrasque), Lilly Bredow, Rocca Angellini, Eugen Preiss, Polly Genrich, William Link.
Synopsis (d’après Michel Zévaco) : Paris est en liesse, pour la première fois depuis son accession au trône, Louis X le Hutin se montre à son bon peuple. Au premier rang, trois « escholiers en Sorbonne » : Jehan Buridan et ses camarades Philippe et Gaultier d’Aulnay. Face au roi, ils accusent Enguerrand de Marigny, ministre du royaume, d’avoir fait assassiner les parents d’Aulnay, et d’avoir édifié sa fortune sur la misère publique. La reine Marguerite de Bourgogne invite les trois insolents à un rendez-vous nocturne à la Tour de Nesle. Buridan arrive en retard et sauve de la noyade ses deux amis évanouis, jetés dans un sac depuis la Tour. Buridan, dont la reine est éperdument amoureuse, est fiancé à Myrtille, qui est, sans le savoir, la fille naturelle d’Enguerrand et de Marguerite, confiée depuis sa tendre enfance aux soins d’Anne de Dramans. Marguerite fait enfermer Myrtille, sa fille et à présent rivale en amour, au Temple, puis arrêter Buridan (qui lui résiste) et ses deux amis. Buridan échappe de justesse à un empoisonnement organisé par Anne de Dramans qui ignore qu’il est en réalité son propre enfant, conçu secrètement avec Charles de Valois (oncle du roi) et dont Marguerite, jalouse, avait ordonné la noyade. Son domestique Lancelot, à présent valet de Buridan, avait désobéi. Valois fait incarcérer son ennemi Enguerrand, tandis que Stragildo, l’exécuteur des basses besognes de la reine informe Louis X au Louvre des turpitudes de son épouse. Elle est enfermée à la Tour sur ordre du roi, Enguerrand est jugé et pendu. Réalisant que Marguerite est la mère de sa bien-aimée, il assaillit la Tour à la tête des truands de la Cour des Miracles, mais n’y trouve qu’un cadavre : Charles de Valois a étranglé la reine avec ses propres cheveux. Buridan épouse Myrtille et devient recteur de l’université de Paris.

La tour maudite et le vieux Paris érigés sur les rives du Danube
Cette grande « épopée en six époques » est adaptée de deux romans populaires de Michel Zévaco, Buridan, héros de la tour de Nesle et sa suite, La Reine sanglante, Marguerite de Bourgogne, parus en 1913/14. Par rapport à Dumas, Zévaco renchérit dans l’extravagant, faisant appel à tous les clichés du romanesque pseudo-médiéval. Il donne un rôle prépondérant à Charles de Valois (1270-1325), frère germain de Philippe le Bel et mentor de son fils Louis X le Hutin, et à son puissant ennemi, le légiste Enguerrand de Marigny, chambellan et trésorier royal. En 1315, le premier fera condamner à mort le second pour malversations et sorcellerie. Alors que le Buridan de Dumas est un aventurier indirectement complice de la reine, Zévaco en fait un héros immaculé. Pierre Marodon tourne sa fresque discrètement à Vienne (où Jean Buridan enseigna à l’université), aux ateliers Ave-Film, avec un casting franco-français, car l’inflation, le chômage et l’excellence des techniciens autrichiens permettent de sérieuses économies. Mais les médias parisiens ne soufflent mot de cette contribution étrangère, tant les ressentiments antigermaniques sont encore vifs parmi le public.
Réalisateur-producteur, Marodon fait édifier près de l’ancienne Reichsbrücke le profil du vieux Paris, puis, non loin de la Kagraner Brücke, une tour de 25 mètres de haut bordant le Danube, où Marguerite de Bourgogne aurait organisé ses débauches. 3000 figurants animent un Petit-Pont sur pilotis et la pointe de la cité. La forme du feuilleton se prête bien aux méandres de l’intrigue excessivement touffue du roman, avec ses révélations stupéfiantes, ses trahisons et revirements incessants, ne ratant ni la bataille rangée entre la Cour des Miracles et l’armée royale d’Enguerrand au Pré-aux-Clercs, ni la valse des faux filtres d’amour concoctés par la nourrice Mabel alias Anne de Dramans, morte-vivante, etc. La presse de l’époque vante en particulier les scènes situées à la Cour des Miracles qui seraient dignes de Goya ou des eaux-fortes d’un Jacques Callot. Le film est distribué en France par Louis Aubert, qui cofinancera pour Marodon en 1925 le méga-péplum « Salammbô » d’après Gustave Flaubert, également fabriqué à Vienne. – Episodes : 1. « La Provocation », 2. « Les Amours de Marguerite de Bourgogne », 3. « Le Combat du Pré-aux-Clercs », 4. « L’Élixir d’amour », 5. « La Fête des Fous », 6. « La Cour des Miracles ». – IT : Buridan, l’eroe della torre di Nesle, ES : La torre de Nesle.
1925La torre di Nesle (IT) de Febo Mari
Trinacria-film, 1288m. – av. Celio Bucchi (Jehan Buridan), Andrea Rekvieff (Marguerite de Bourgogne). – Cinéaste-romancier abonné aux démêlés avec la censure, Febo Mari a déjà choqué son public en montrant avec « Attila » un Hun trop séduisant (1918) et proposé une relecture érotisée des Saintes écritures avec « Judas » (1919). Mais quand il s’attaque aux dépravations de Marguerite de Bourgogne selon Alexandre Dumas (cf. film de 1909), la provocation tombe à plat : sorti à un moment où le cinéma italien est au plus mal, fabriqué avec des bouts de ficelle, son « Torre di Nesle » n’a qu’une distribution régionale et passe pratiquement inaperçu.
De bien innocentes turpitudes qui font enrager les censeurs dans « La Tour de Nesle » de Gaston Roudès (1937).
1937La Tour de Nesle (FR) de Gaston Roudès
Prod. Edmond Ratisbonne, 1h35 min. – av. Tania Fédor (Marguerite de Bourgogne), Jean Weber (Gaultier et Philippe d'Aulnay), Jacques Varennes (Jehan Buridan), Jacques Berlioz (Enguerrand de Marigny), Robert Ozanne (Louis X le Hutin), Meg Wanda (Jeanne de Bourgogne), Génia Vaury (Blanche d’Artois), Nicolas Amato (l’aubergiste Orsini), Madeleine Pagès (Charlotte), Pierre Morin (Savoisy), Alexandre Rignault (Landry), André Bertoux (de Pierrefonds), Julien Clément (Hector de Chevreuses), Jacques Christiany (Sire Raoul), Serjius (Jehan), Léo Renn (la duègne).
Rescapé du muet, réalisateur à tout faire, Gaston Roudès a jadis dirigé Sarah Bernhardt dans « Adrienne Lecouvreur » et « La Reine Elisabeth » (1912) ; il signe avec cette resucée d’Alexandre Dumas & Cie (cf. 1909) son avant-dernier film. La production, plutôt modeste, réunit Jean Weber, sociétaire de la Comédie-Française, ici dans le double rôle des frères Aulnay (ce qui implique de savants trucages photographiques) et la belle Tania Fédor qui fut Lady Beltham dans le « Fantômas » de Paul Fejos (1932) et Anne d’Autriche dans le « Jérôme Perreau » d’Abel Gance (1935). Le manuscrit illustré de La Légende de Saint-Denis (début du XIVe s.) aurait inspiré les costumes de Coco Chanel et les décors d’un autre vétéran, Robert-Jules Garnier (« Judex » et « Fantômas » de Feuillade), érigés aux studios de la Villette à Paris. Les images nocturnes des bouges et ruelles possèdent une certaine atmosphère, et Roudès s’applique à transformer le mélo dumasien en tragédie aux accents sobres. L’étalage des turpitudes médiévales sert de prétexte pour introduire à l’écran quelques corps féminins lascivement étalés, un sein qui guigne, une dame nue qui se fait lutiner par Buridan, des audaces timides mais suffisantes pour limiter l’exportation du produit. (Il sera banni dans plusieurs pays d’Europe.) Après avoir relevé la musique et les chansons écrites par Jean Lenoir, la presse française se contente de saluer un sujet que les Américains n’ont jamais abordé (et pour cause, la censure du Code Hays s’y serait opposée !) et dont l’époque n’a pas été défigurée par les décorateurs d’Hollywood.
1946[Anatole à la Tour de Nesle (FR) d’Albert Dubout ; Productions du Cygne, 11 min. – Dessin animé en Agfacolor.
A l’auberge du « Cul Sec », une dame dépose une étrange requête : Margot réclame un damoiseau ce soir même à la Tour de Nesle. Anatole, maigrelet gracieux, et son rival Sparadra, grand, chauve, bedonnant et obséquieux, déploient des trésors d’inventivité pour conquérir le cœur de la dépravée grassouillette qui se tord de rire et les fait disparaître dans les oubliettes.]
1952Buridan, héros de la Tour de Nesle (FR) d’Emile Couzinet
E. Couzinet/Burgus Films, 1h34 min. – av. Jacques Torrens (Jehan Buridan), Clarisse Deudon (Marguerite de Bourgogne), Georges Rollin (Louis X le Hutin), Henri Rollan (Charles de Valois), Maurice Escande (Enguerrand de Marigny), Jeanne Fusier-Gir (Gillonne), Daniel Sorano (Lancelot Birgonne), Colette Régis (Mabel), Marcel Lupovici (Stragildo), Françoise Soulié (Myrtille), Paul Demange, Nadine Olivier, Pierre Magnier.
Synopsis (d’après Michel Zévaco) : Fille d’Enguerrand de Marigny, le premier ministre du roi qui dépouille et pressure sans pitié le peuple, Myrtille est aimée du chevalier Jean Buridan. Le frère du roi, Charles de Valois, convoite la jeune fille qu’il fait enlever. A la Tour de Nesle, la reine Marguerite se livre à des orgies où elle fait périr ses amants d’une nuit. Buridan qui a repoussé ses avances est victime de sa haine, sa tête est mise à prix. S’étant réfugié à la Cour des Miracles, il parvient à éclairer le roi sur les agissements de son entourage, la turpide de son épouse, les exactions de Marigny et la félonie des Valois. Louis X fait assassiner son épouse par Charles de Valois qui sera, lui, tué en duel par Buridan. Le monarque ordonne la pendaison d’Enguerrand et plus rien ne s’oppose au bonheur des deux jeunes gens.
Couzinet, le roi du nanar franchouillard et jubilatoire (« Le Club des fadas », 1939, « Mon curé champion du régiment », 1956, ou « Le Congrès des belles-mères », 1954), qui fit débuter Robert Lamoureux et Jean Carmet, se penche exceptionnellement sur un sujet historique, à savoir les deux romans de Michel Zévaco (cf. film de 1923). Comme d’habitude, il tourne à la va-vite dans ses nouveaux studios de la Côte d’Argent à Bordeaux (avec maquettes de la Tour, du Louvre et de Notre-Dame), en extérieurs au château-fort de Bonaguil (Lot-et-Garonne) et à Saint-Émilion. Mais s’il paie ses techniciens au lance-pierre, le « Zanuck de la Gironde », essentiellement actif dans le Sud-Ouest de l’Hexagone, s’offre un casting supérieur à sa moyenne. Le rôle-titre est confié à Jacques Torrens, un fidèle de sa troupe qui se spécialisera dans le doublage français. Clarisse Deudon (la reine) est une disciple de Jean-Louis Barrault et sociétaire de la Comédie-Française, tout comme Henri Rollan et Maurice Escande. Jeanne Fusier-Gir et Daniel Sorano (dans son premier rôle au cinéma) ont droit à des apparitions pittoresques, proches de la dérision. Engagée pour exhiber sa poitrine, « Miss Cinémonde » aurait exigé un cachet trop élevé et Couzinet, jamais à court d’idées pour faire des économies, s’en sort en ne montrant qu’un seul sein ! Le reste est à l’avenant. La bande attire néanmoins 637'000 spectateurs. – IT : La torre dei miracoli.
Les trois alcôves mortelles – un rappel de la Polyvision ? Abel Gance donne libre cours à son imagination dans sa « Tour de Nesle » (1955).
1954/55*La Tour de Nesle / La torre del piacere / La torre di Nesle (FR/IT) d’Abel Gance
Les Films Fernand Rivers, Paris-Costellazione Produzione, Roma-Zebra Films, Roma, 2h. – av. Pierre Brasseur (Jehan Buridan), Silvana Pampanini (Marguerite de Bourgogne), Michel Bouquet (Louis X le Hutin), Michel Etchevery (Enguerrand de Marigny), Paul Guers (Gaultier d'Aulnay), Lia Di Leo (Blanche d’Artois), Cristina Grado (Jeanne de Bourgogne), Nelly Dominique [=Nelly Kaplan] (Alice, la femme de chambre), Jacques Toja (Philippe d’Aulnay), Marcel Raine (l’aubergiste Orsini), Constant Rémy (Landry, son acolyte), André Gabriello (le gros ménestrel), Claude Sylvain (Nicolette, servante à la taverne d’Orsini), Jacques Meyran (le troisième ménestrel), Rellys (le petit ménestrel), Philippe Mareuil (Hector de Chevreuse), Rivers Cadet (le tavernier), Paul Demange (le premier conseiller), Louis Viret (le chef des assassins), Hugues Wanner (le sénéchal), Charles Bayard (Joinville), Lucien Guervil (le deuxième conseiller), Jacques Mafioli, Stéphane Henry, Vincent Fury, Catherine Valnay.
Après douze ans d’absence des écrans, ou plus exactement de chômage forcé, Abel Gance reprend du service. L’ayant jugé trop excessif, trop génial, trop grandiose, le cinéma français boude le créateur du mythique « Napoléon » (1927), et le sonore n’a jamais réussi à le « formater » à la besogne sagement commerciale. Les mégaprojets inaboutis sur le Christ, la Divine Tragédie, Christophe Colomb, le Cid, etc. encombrent son petit appartement. Grâce au soutien moral de Nelly Kaplan, fervente admiratrice fraîchement débarquée d’Argentine, Gance retrouve le courage de refaire surface, et c’est son vieil ami et producteur Fernand Rivers, pour qui il réalisa avant-guerre « Le Maître des forges » et « La Dame aux camélias » (1933/34), lui-même scénariste, comédien et réalisateur dans les années dix, qui lui donne sa chance. La presse de l’Hexagone salue le retour à la mise en scène de Gance comme un événement. Certes, le sujet choisi pour ces retrouvailles enthousiasme moins (la pièce de Dumas & Cie a toujours prêté flanc à la raillerie, cf. 1909), mais Gance va prouver qu’à 65 ans, il est capable de diriger une coproduction en couleur avec l’Italie sans dépassement de devis ni de temps, et de surcroît engranger des recettes. Enfin, les délires dumasiens autorisent bien des libertés artistiques, et le cinéaste (dont le scénario pour « La Reine Margot », autre sujet de Dumas que tourne Jean Dréville, vient d’être entièrement modifié, cf. 10.1) obtient carte blanche sur le plateau.
Truculent, bruyant et ripailleur, Buridan (Pierre Brasseur) se fait respecter par les malfrats (« La Tour de Nesle », 1955).
 Un mélo dépoussiéré qui annonce le retour d’un génie du cinéma
Son approche dépoussière le grand-guignol en introduisant de nouvelles considérations et affiche même une certaine audace. Le film s’ouvre sur des images du Paris moderne, à l’endroit où se dressait jadis la tour maudite. Le « chant des assassins » (« La tour, prends garde ! ») entonné par des lavandières nous transporte au XIIIe siècle ; un cadavre, encore un, flotte dans la Seine, victime de la « sirène ». Imposée par la coproduction, Silvana Pampanini, la pulpeuse Miss Italie 1946 – elle fut Poppée dans « OK Nerone » (1951) et la Pompadour dans « Le avventure di Mandrin » (1952) de Mario Soldati – métamorphose Marguerite de Bourgogne en goule aux yeux verts, passionnée jusqu’à la folie, marquée par un traumatisme sexuel de jeunesse et qui ne peut s’empêcher de se venger sur les hommes qui croisent sa route. Le capitaine Buridan – Pierre Brasseur, auquel Gance laisse un peu trop la bride sur le cou – est décriminalisé : c’est ici un mercenaire truculent, bruyant et ripailleur, qui attend depuis vingt ans l’occasion de revoir son amour de jeunesse devenue reine de France, et retrouver les enfants qu’il a eus avec elle, tout en atteignant les plus hautes sphères de l’État par le chantage. Après avoir rossé les truands dans le coupe-gorge d’Orsini (un combat rondement mené par Claude Carliez), l’addition se résume à « cinq morts et trois pichets ». Au dernier acte, il réussit à filer entre les mailles de la police du roi, et une citation de François Villon le concernant clôt le récit.
Jeune muse de Gance, Nelly Kaplan en soubrette se laisse lutiner par Buridan alias Pierre Brasseur.
 Michel Bouquet, dans un de ses premiers rôles au cinéma, campe un Louis X le Hutin (c’est-à-dire « le querelleur ») benêt et colérique, adonné corps et âme au jeu de paume. On ne peut que regretter les balourdises vaudevillesques de Gabriello, Meyran et Rellys en ménestrels poltrons, sensées détendre l’atmosphère, et la prestation médiocre des jeunes Guers et Toja (les frères d’Aulnay), pourtant sociétaires de la Comédie-Française. Les nuits d’amour à la Tour s’achèvent à l’aube, quand la douzaine d’archers d’Orsini (qui portent tous des noms de fleurs) criblent leurs victimes de flèches. Le sujet promet des tableaux osés, et Gance s’applique à érotiser les orgies, fabriquant deux versions, l’une déshabillée pour la France, l’autre un peu moins pour l’exportation en Italie, en Amérique latine et dans les pays arabes. Les trois alcôves royales, luxueux antres du péché protégés de voilages et entourés de grilles de fer forgé en gothique flamboyant, se présentent de face, comme pour une composition en Polyvision (triple écran). Nelly Kaplan, dont c’est la première collaboration concrète avec le cinéaste, dévoile, costumée en servante, son buste à Pierre Brasseur. À la Centrale catholique du cinéma et autres défenseurs de la morale en émoi (car le film, qualifié de « pornographie », dépasse largement en nudités ce qu’on a alors l’habitude de voir, même si cela prête à sourire aujourd’hui), Gance rétorque malicieusement : « si nous avions les coudées franches pour l’érotisme, nous ferions les plus beaux films du monde ! » Ce n’est pas Belen (nom de plume de Nelly Kaplan) qui le contredirait.
Gance applique les trucages du Pictographe, procédé de son invention pour introduire des maquettes dans un décor réel.
 Les merveilleux trucages du Pictographe de Gance
Le cinéaste tente de transformer le mélodrame en tragédie, mais sans toujours parvenir à conserver l’estampille romantique de l’original, admettra-t-il à regret. En mode ironique ou burlesque, l’œuvre serait devenue sa propre caricature, aussi adopte-t-il une totale franchise de ton, prenant la pièce au sérieux, jouant le jeu sans détour, poussant le sujet à son extrême limite mélodramatique, à son paroxysme expressif. Il n’hésite pas à en accentuer la frénésie, que ce soit à travers les échanges délirants entre Buridan et Marguerite au Châtelet, divers épisodes sanglants ou les outrances de l’interprétation. Cette option de « naïveté » assumée se marie étrangement bien avec la précarité manifeste des moyens matériels. Gance tourne son film aux studios Éclair à Épinay-sur-Seine (assisté par Michel Boisrond), et ses figurants évoluent dans un décor miniature que le cinéaste dynamise grâce à une utilisation ingénieuse des éclairages et de la photo d’André Thomas en Gevacolor (dérivé belge de l’Agfacolor) : le terne coloriage du cinéma de l’Hexagone des années 1950 fait place à un jeu chromatique très vivifiant d’ombres et de lumières, soutenu par un montage contrasté. À l’intérieur des plans, le mouvement est constant. Quelques éléments de décor sont empruntés à « La Reine Margot » de Dréville, tourné simultanément dans l’autre moitié du studio. En plein tournage, l’Union Française des inventeurs décerne à Gance la Médaille d’or pour sa technique du Pictographe, appliquée ici avec brio ; c’est un procédé de son invention (perfectionné depuis « Le Capitaine Fracasse » en 1942) consistant en un jeu de 18 lentilles convergentes et divergentes placées devant l’objectif. Fixées à la distance voulue, elles permettent de réaliser un certain nombre de trucages, comme insérer de petites maquettes photographiques dans un décor réel devant lequel évoluent les acteurs, sans perte de netteté, et à égale profondeur de champ. La sinistre tour édifiée en décors extérieurs à Épinay, ses murs sévères se mirent dans les eaux glauques de la Seine en un tableautin plein de mystère et de menace.
Le résultat emballe les futurs tenants de la Nouvelle Vague. Jacques Doniol-Valcroze parle d’une « œuvre fraîche, alerte, vive, amusante, agréable de couleurs et traitée dans un style un peu Gustave Doré tout à fait savoureux » (France Observateur, 17.3.55), tandis que François Truffaut salue « un film d’une santé et d’une jeunesse extraordinaire », comparant élogieusement les plans réalisés avec l’aide du Pictographe aux enluminures tant célébrées du « Henry V » de Laurence Olivier (Arts, 23.3.55). Bref, le sujet est sauvé par la mise en scène, malgré le jeu outré des interprètes et un érotisme qui prête aujourd'hui à sourire. L’écho public assez correct (le film sort à Lille, Nice et Bordeaux, bien avant Paris, et attire 2,2 millions de spectateurs) enterre les projets peut-être irréalistes dont Gance rêvait pour sa Polyvision, mais lui permet, une fois le pied à l’étrier, de mettre en chantier « Austerlitz » (1960). – GB : The Tower of Lust, RFA : Der Turm der sündigen Frauen, RDA : Turm der Sünde.
1966(tv) La Tour de Nesle (FR) de Jean-Marie Coldefy
ORTF (1e Ch. 2.8.66), 1h45 min. – av. Bernard Noël (Jehan Buridan), Nelly Benedetti (Marguerite de Bourgogne), Robert Benoit (Philippe et Gaultier d'Aulnay), Hubert de Lapparent (Louis X le Hutin), Edmond Beauchamp (Engerrand de Marigny), Pierre Vernier (Landry, aide d’Orsini), Richard Fox (Richard), Henri Gegand (Monthléry), Roger Desmare (Simon), Corinne Lepoulain (Charlotte), Michel Bardinet (Savoisy), Gabriel Gobin (Pierrefonds), Alain Nobis (St. Julien), François Trimmerman (Raoul).
Dramatique d’après la pièce d’Alexandre Dumas, Frérédic Gaillardet et Jules Janin (cf. film de 1909), adaptée par Jacques Champreux et enregistrée en noir et blanc aux studios des Buttes-Chaumont. Bernard Noël, qui incarnera un mémorable « Vidocq » dans le feuilleton à succès de Marcel Bluwal l’année suivante, a été l’amant d’« Une femme mariée » de Jean-Luc Godard. Sa partenaire Nelly Benedetti a déjà incarné une souveraine prétendument nymphomane, la reine Margot, dans le téléfilm « Qui a tué Henri IV ? » de Stellio Lorenzi (1960) (cf. 10).
Un amant lâchement assassiné sur la couche de la reine de France (« La Tour de Nesle » de François Legrand/Franz Antel, 1968).
1968Der Turm der verbotenen Liebe / Le dolcezze del peccato / La Tour de Nesle (Mieux vaut faire l'amour) (DE/IT/FR) de François Legrand [=Franz Antel], Fritz Umgelter et Léo Joannon
Wolfgang C. Hartwig/Rapid Film, München-Filmes Cinematografica, Roma-Films E.G.E. S.a.r.l. (Raymond Eger), Paris, 1h29 min. – av. Terry Torday (Marguerite de Bourgogne), Jean Piat (Jehan Buridan alias le comte de Bournonville), Uschi Glas (Blanche du Bois), Jacques Herlin (Louis X le Hutin), Veronique Vendell (Jeanne de Bourgogne), Frank Olivier [=Armando Francioli] (Orsini), Dada Galotti (Fleurette), Bal. Kosztelanyi (Philippe d'Aulnay), George Markos (Gaultier d'Aulnay), Rudolf Forster (le comte Honoré de Latour), Karl Mecs (Hector de Latour), Karlheinz Fiege (Hilaire de Sullois, duc de Saint-Lorrain), Marie-Ange Aniès (Catherine), Jörg Pleva (le sicaire Artémis).
Cette nouvelle mouture du mélo d’Alexandre Dumas et Frédéric Gaillardet (cf. 1909) est produite par Wolf C. Hartwig, un des papes allemands du film porno (la série des « Schulmädchen-Report ») qui s’essaie à présent dans le film historique dénudé (« Lady Hamilton » avec Michèle Mercier, 1968). La réalisation – sous le pseudonyme de François Legrand – est de Franz Antel, un vieux routier de la guimauve viennoise, également recyclé dans l’érotisme ras-les-paquerettes. C’est dire ce qu’on peut en attendre. Le téléaste allemand Fritz Umgelter, co-scénariste, met également la main à la pâte. Léo Joannon, autrefois champion du kitsch saint-sulpicien (« Le Défroqué », 1953), en assume la version française comme « conseiller à la réalisation », sa dernière occupation, curieusement distribuée dans l’Hexagone par Les Films Fernand Rivers, les producteurs du film d’Abel Gance (cf. supra). Le casting est cosmopolite, avec Jean Piat de la Comédie-Française, Casanova à la rapière élégante, encore auréolé de son Lagardère télévisuel (1967), l’Hongroise Terry Torday, actrice fétiche d’Antel, et Uschi Glas, une starlette révélée cette même année dans la comédie érotique « nouvelle vague » « Zur Sache, Schätzchen » de May Spils. Rudolf Forster, jadis le Mackie Messer de « L’Opéra de quat’ sous » de G. W. Pabst (1931), complète une distribution très hétérogène.
Le tout est mitonné en Eastmancolor sur les terrains des studios Mafilm à Budapest et Fót, aux châteaux de Schlossberg et Vajdahunyad et sur les rives du Danube. L’intrigue se démarque légèrement de Dumas. Ainsi, l’âme damnée de la reine, Orsini, est aux ordres d’un certain duc de Saint-Lorrain, conseiller du roi (rôle qui correspond à celui d’Enguerrand de Marigny dans la pièce), jadis l’assassin du père de Marguerite. À la fin, poursuivie par les soldats du roi, la reine traquée escalade la dernière plate-forme de la tour où elle poignarde Saint-Lorrain qui l’a rejointe. La tour prend feu et sur les quais, les Parisiens voient brûler la « sorcière de Nesle ». Buridan contemple le spectacle, serrant dans ses bras Blanche du Bois, une dame de compagnie à la cour et son amie d’enfance. Ce salmigondis visuellement assez laid est réalisé sans goût ni style, dans des costumes Renaissance, avec des rapières du XVIIe siècle et un Louis X le Hutin moustachu et homosexuel. – US : Tower of Screaming Virgins, GB : She Lost Her… You Know What.
2021La Tour de Nesle (FR) de Noël Herpe
Tamara Films-Ciné Patrimoine Concept, 111 min. - av. Jézabel Carpi (Marguerite de Bourgogne), Noël Herpe (Jehan Buridan), Baudouin d'Huart (Philippe et Gaultier d'Aulnay), Michka Assayas (Louis X le Hutin), Arthur Dreyfus (Richard et Savoisi), Axel Würsten (Simon et Pierrefonds), Thierry Paret (l'aubergiste Orsini), Vincent Chenille (Landry son acolyte), Thomas Clerc (Enguerrand de Marigny), Benjamin Hameury (un garde).
Adaptation fidèle de la pièce d'Alexandre Dumas dans lequel le comédien, réalisateur, critique à Positif et historien du cinéma Noël Herpe (Université de Paris 8) concentre l'action sur la guerre sans merci que se livrent la reine assassine, amatrice de chair fraiche, et l'aventurier Buridan, son ancien amant prêt à tout pour conquérir l'argent et le pouvoir, y compris à faire chanter le reine de France. Pour Herpe, passionné du répertoire théâtral populaire oublié (la pièce de Dumas n'a jamais été montée à la Comédie-Française), le drame est un mélange de sado-masochisme inconscient et d'innocence absolue. Il est habité par une femme dominatrice, phallique, au milieu d'hommes alanguis voire effémines, tandis que Buridan, lui, est à la fois masochiste et ambitieux, maître chanteur et victime de son propre machiavélisme; c'est un "homme qui se donne en spectacle, prend des masques, il est ambivalent, caméléonesque, satanique" au coeur d'une tragédie qui "comme un piège se referme sur les personnages." Cette pièce est pour lui "l'exploration de la folie (...). L'outrance, la folie, l'emphase et l'invraisemblance nourrissent la passion folle du récit, qui tient debout par la force de la langue de Dumas et des personnages." (Cahiers de l'Herpe no. 131, novembre 2020, no. spécial "Alexandre Dumas"). Les références visuelles de Herpe sont la dramatique télévisuelle des l'ORTF des années 1960 où domine un sentiment d'enfermement, voire d'étouffement. Le tournage a lieu en 2018 dans le studio d'artiste de l'auteur, dans le 11e arrondissement de Paris; le Louvre et ses abords y sont représentés par des décors de toiles peintes inspirées de Jacques Callot ou des découvertes en trompe-l'oeil, selon les conventions scéniques du XIXe siècle, une esthétique primitive, archaïque (avec caches en iris du cinéma des premiers temps), antinaturaliste et naïve qu'il revendique: c'est un Moyen Âge tel que l'on rêvé les romantiques, avec ses troubadours en chausses moulantes et ses prisons tortueuses. Les manants et les courtisans sont joués par les mêmes acteurs, tout comme les deux frères d'Aulnay. Du "ciné-théâtre de poche" (Télérama) un peu bricolé mais qui réactive le plaisir du texte.