I - LE ROYAUME DE FRANCE

7 . LA GUERRE DE CENT ANS (1339 à 1453)

7 .3 . Guérilla sans pitié - Du Guesclin et le Prince Noir

Connétable de France au service de Charles V, Bertrand du Guesclin (1320-1380) débarrasse le pays des Grandes Compagnies, ces mercenaires d’origine anglaise ou gasconne démobilisés par la trêve et qui ravagent l’Hexagone dont ils rançonnent des régions entières. Puis il malmène les Anglais à travers une harassante guerre d’escarmouches et de terre brûlée, en évitant prudemment toute bataille rangée.
De son côté, le prince Edward d’Angleterre (1330-1376), fils d’Edward III, surnommé le Prince Noir, mène depuis l’Aquitaine une suite d’expéditions redoutables destinées à ébranler la résistance française ; sa réputation légendaire, il la doit à sa capture du roi de France lors de la bataille de Poitiers.
Séducteur du cinéma français, Fernand Gravey s’enlaidit pour ressembler au redoutable capitaine breton (1948).
1948*Du Guesclin (FR) de Bernard de Latour et Pierre Billon
Gaston Graza-Les Films du Verseau, 1h40 min. – av. Fernand Gravey (Bertrand du Guesclin), Noël Roquevert (l’écuyer Jagu), Gérard Oury (Charles V), Junie Astor (Tiphaine Raguenet, Dame du Guesclin), Léon Barry (Charles de Blois), Ketti Gallian (Jeanne de Malemains, mère de Bertrand), Howard Vernon (Henry de Grosmont, duc de Lancastre), Michel Salina (Thomas de Canterbury), Paul Amiot (Louis Ier, duc d’Anjou), Louis de Funès (l’astrologue Darian), Jacques Mercier (Bertrand enfant), Marcel Delaître (Sir John Chandos, connétable de Guyenne), Gisèle Casadesus (la comtesse de Penthièvre), Suzanne Nivette (Sœur Anne-Marie). André Marnay (Robin Raguenet), Roger Vincent (Edward de Galles, le Prince Noir).
Synopsis : En 1405, devant le gisant de Du Guesclin à la basilique de Saint-Denis, le vieil écuyer Jagu raconte la vie de son maître… Enfant terrible, Bertrand du Guesclin est « mauvais comme un dogue » : il se bat contre les galopins de La Motte-Broons, près de Dinan, et brutalise ses propres frères et sœurs. Sept ans plus tard, il participe incognito au tournoi de Rennes qu’a organisé Charles de Blois et en défait tous les chevaliers en lice. Il se jette ensuite sur les brigands réfugiés dans la forêt de Brocéliande, et rançonne les Anglais qui s’y aventurent. Bertrand n’en sort que pour s’agenouiller au lit de mort de sa mère, déplorant de n’avoir pu s’en faire aimer. Adoubé, le « Dogue noir de Brocéliande » devient capitaine des armées de Bretagne et de France au service de Jean le Bon. A la suite du combat courtois qu’il remporte contre l’Anglais Thomas de Canterbury (1359) sur la place du Marché à Dinan, il épouse la belle Tiphaine, férue d’astrologie et qui a lu sa victoire dans les astres. Bertrand est blessé et prisonnier à la bataille d’Auray, Tiphaine vide ses coffres pour aider à financer sa rançon. Quand il la rejoint enfin, un nouvel ordre de Charles V le charge de mâter les Grandes Compagnies, des armées de pillards assassins qui ravagent le royaume. Du Guesclin emmène ces irréguliers combattre l’Anglais en Espagne (1365). A la bataille de Navarette (1367), il est capturé par le prince de Galles, dit le Prince Noir. Ayant payé une nouvelle rançon exorbitante, Charles V le fait connétable (1370). Tiphaine vend ses derniers bijoux pour payer la solde de ses troupes. Elle meurt dans sa maison de Mont-Saint-Michel en lui donnant son anneau, à remettre à « une jeune fille qui vient de l’Est ». Un soir de juillet 1380, alors qu’il assiège les Anglais devant Châteauneuf-de-Randon, Du Guesclin tombe malade. Il fait des adieux émouvants à ses compagnons et remet au roi l’anneau que Charles VII passera au doigt de Jeanne d’Arc, « jeune fille venue de l’Est ».

Héros des manuels scolaires, Du Guesclin est boudé par les caméras
Alors qu’il appartient au panthéon des figures historiques transmises par l’enseignement scolaire, le héros le plus populaire de la guerre de Cent Ans n’a jamais eu les honneurs de l’écran auparavant (il y eut juste un projet sans suite de la Gaumont en 1913, « *La Rançon de Bertrand Du Guesclin »), et même les divers films espagnols sur le conflit dynastique entre Henri de Trastamare et Pierre le Cruel en Castille, où il joua un rôle déterminant, ne le mentionnent pas. On le retrouvera en marge de « The Dark Avenger » (cf. infra) en 1955 comme principal adversaire du Prince Noir anglais. Mentionnons encore le court métrage burlesque « Le Dernier Preux » (1933) de Pierre-Jean Ducis dans lequel Jules Moy interprétait Du Guesclin sur un plateau de cinéma. Tel quel, « Du Guesclin » se présente comme une biographie relativement fidèle. Né vers 1320 à La Motte-Broons, près de Dinan, le légendaire capitaine breton est issu d’une modeste famille de barons campagnards. Il se fait vite remarquer par son énergie, sa turbulence et sa combativité. Adulte, il devient gouverneur de Pontorson et capitaine souverain du duché de Normandie. C’est le champion des coups de main, des coups fourrés, des embuscades, des attaques surprises. Face à la supériorité numérique de l’ennemi, il préfère le harcèlement aux grandes batailles coûteuses en hommes, une guerre à « l’économie » qui séduit le roi Charles V. Nommé connétable de France, Du Guesclin va consacrer son existence à délivrer le pays des armées anglaises et des Navarrais. À sa mort, les Anglais, chassés de Normandie, ne possèdent plus que quelques territoires en Aquitaine et dans le Nord. Son épouse Tiphaine Raguenet, fille de Robin Raguenet, vicomte de La Bellière, et de Jeanne de Dinan, était effectivement une astrologue réputée.

La France entre occupation étrangère et maquis
« Du Guesclin » est l’unique film de chevalerie français des années 1920 à 1950, entre « Le Miracle des loups » muet de Raymond Bernard en 1924 (cf. 8) et son remake d’Hunebelle en 1961 (en ne tenant pas compte des sujets médiévaux plus généraux). C’est là sa première particularité. En outre, la guerre de Cent Ans, prototype des guerres civiles européennes à venir, est un chapitre peu prisé après 1918 – le combat de Jeanne d’Arc mis à part, que le XIXe siècle a assimilé anachroniquement à une « guerre de libération » nationaliste – tant son approche est épineuse du point de vue social et politique. Initialement, il s’agit de la concrétisation d’un projet de Bernard de Latour (adaptation et dialogues) annoncé en 1946 sous le titre grandiloquent de « *Le Mystère du Grand Connétable – une merveilleuse page d’histoire sur Bertrand du Guesclin ». Mis en scène prévue par René Jayet et Latour lui-même, avec une musique de Pierre Blois et des chants de Marguerite Monnot, le film aurait contenu des allusions claires à l’occupation de la France par la Wehrmacht. Latour, qui a été producteur, exploitant, mais aussi assistant de Jacques Deval et de Jean Delannoy, envisageait d’aborder le sujet en 1938 déjà ; la guerre l’en empêcha, et peut-être aussi la censure : en haut lieu à Vichy, on était curieusement soucieux de ménager la « perfide Albion ».
Du Guesclin (Fernand Gravey) est nommé connétable de France par le roi Charles VI (Gérard Oury).
 En 1948/49, lorsque la production obtient enfin le feu vert, d’autres allusions à l’actualité s’imposent : il reste la douleur de l’Occupation, certes, mais l’intérêt supérieur de la Nation, l’unité du pays et le retour à l’ordre (avec la mise au pas musclée d’une certaine Résistance) priment sur l’esprit revanchard. L’interprète de Lancastre, l’ennemi en chef, est le Suisse Howard Vernon qui vient de percer à l’écran en officier allemand « sympathique » de « Le Silence et la mer » de Jean-Pierre Melville. Étant les libérateurs en 1945, les Anglais sont plutôt bien traités et parlent dans leur langue avec sous-titres. Cela dit, la guerre de harcèlement du « patriote » Du Guesclin contre une puissante armée d’occupation renvoie évidemment à la guérilla du maquis ; Pierre Guibbert et Marcel Oms voient dans l’acheminement des embarrassantes Grandes Compagnies vers un théâtre d’opération extérieur (la Castille) une allusion à la « difficile intégration des éléments turbulents des FFI dans l’armée de De Lattre et le départ de ces unités pour l’Indochine » (L’Histoire de France au cinéma, CinémAction, Paris 1993, p. 47). Plus subtil est le parallèle que l’on peut tirer avec le général de Gaulle : à la fois noble, pauvre et provincial, Du Guesclin est « l’homme providentiel » voué à l’ingratitude une fois le territoire libéré, puis contraint de reprendre du service en raison de la défaillance de la classe politique. Pour son scénario, Latour se base à présent sur l’ouvrage Bertrand du Guesclin, un récit historique de Roger Vercel paru chez Albin Michel en 1932, puis réédité à Paris en 1944 avec des aquarelles de Fred Back. Professeur à Dinan, prix Goncourt en 1934, Vercel est gâté par le cinéma – « Remorques » de Jean Grémillon (1941) et « Capitaine Conan » de Bertrand Tavernier (1996) – et il se révèle ici également excellent dialoguiste.

Grand séducteur de l’écran, Fernand Gravey s’enlaidit
Comme la logistique du film s’annonce importante et que Latour est un nouveau venu, la profession exige un superviseur. Ce sera Pierre Billon, réalisateur aguerri, artisan appliqué, récemment responsable de grands films de prestige en costumes comme « Ruy Blas » (1947) avec Jean Marais et Danielle Darrieux, et c’est à lui qu’on doit la facture très soignée du film (il engage aussi sa propre épouse, Ketti Gallian). Nicolas Toporkoff (« Napoléon » d’Abel Gance) est à la caméra, Maurice Thiriet compose la musique. Aucun portrait ne subsiste de Du Guesclin, la plupart des chroniques le concernant sont d’au moins cent ans postérieures à sa mort ; elles se bornent à le décrire petit et laid, le nez retroussé en « pied-de-marmite », la coupe de cheveux monacale. « Un homme dur, hautain, brutal, parfaitement illettré, un mélange de grand seigneur, de paysan madré et de guerrier » selon Roger Vercel, qui ne veut d’abord rien savoir du comédien belge Fernand Gravey, alors une star de retour d’Hollywood (Johann Strauss dans « The Great Waltz » de Duvivier, 1938) et un séducteur patenté (« Le Capitaine Fracasse » de Gance, 1942), « trop beau garçon » pour le rôle. Gravey applique un maquillage qui l’enlaidit, se rase la moustache et se fait couper les cheveux au bol. Sa performance toute en force a la truculence, la sensibilité, le franc parler, la rudesse et la vaillance souhaités. Passionné de la chose militaire, l’acteur possède chez lui le heaume de Du Guesclin et collabore également aux recherches historiques préalables. Latour confie le rôle de Dame Du Guesclin à sa propre épouse, Junie Astor (« L’Éternel retour » de Jean Delannoy), dont c’est la dernière interprétation marquante. Louis de Funès fait une quadruple apparition (en mendiant, guerrier espagnol, chef de la Grande Compagnie et astrologue), réuni à l’affiche avec son réalisateur fétiche des années 1970, Gérard Oury, qui, lui, campe un roi de France avare et superstitieux.

Tiphaine, Dame Du Guesclin (Junie Astor) et Jagu, le fidèle écuyer (Noël Roquevert) dans « Du Guesclin ».
 Les studios parisiens étant toujours en mauvais état suite aux pénuries dues à l’Occupation, la production organise trois mois de tournage en extérieurs et en décors réels en Bretagne, dans les côtes d’Armor, notamment au château de la Duchesse Anne à Dinan, dans l’enceinte de la vieille cité et au cloître de Léhon, soit sur les lieux mêmes où s’illustra le chevalier. Le film retrace le siège de Melun où il fit une chute de douze mètres, la bataille d’Auray (qui nécessite le concours du 71e Régiment d’infanterie « Notre-Dame-Du-Guesclin »), le tournoi de Rennes et le combat singulier contre Thomas de Canterbury, animés par les cascadeurs de Gilles Delamare. La lice et les tribunes du tournoi sont installées dans un hall long de 150 mètres du Palais des Expositions de la Porte de Versailles où évoluent 600 figurants et cavaliers harnachés, scène réglée par Billon. Un ancien manège de cavalerie devient le camp de Chateauneuf-de-Randon en Lozère (c’est là qu’expire Du Guesclin, mort de fièvre pendant le siège). La salle du Trône de l’hôtel Saint-Paul à Paris est reconstituée sur les plateaux de Franstudio à Saint-Maurice. Enfin, pour l’anecdote, le lit dans lequel meurt l’épouse du connétable et tout l’ameublement ont été prêtés par la famille de Bellière, les authentiques descendants de Tiphaine.

Effort décalé dans le paysage d’après-guerre
Pour le cinéma français à peine sorti de la guerre, la mise sur pied de « Du Guesclin » signifie donc un effort assez surprenant. On y dénote des séquences violentes, réminiscences des horreurs nazies (entassement de cadavres nus dans les champs, atrocités diverses des Grandes Compagnies, mutilations explicites, viols). Mais aussi un essai estimable de retrouver le « ton médiéval » à travers des tournures d’ancien français et divers détails insolites : les rituels des tournois où les adversaires doivent prêter serment sur la Bible de ne pas utiliser de sorcellerie, l’intervention régulière des astrologues au XVe siècle, les tactiques de siège (tortue). Afin que Du Guesclin puisse se remettre de sa chute dans les douves glacées de Melun, on déshabille et couche le semi noyé dans le fumier chaud, d’où il ressort en costume d’Adam pour se ruer au combat avec son épée ! Les cadrages de Toporkoff sont serrés (à l’instar du budget), les décors naturels plutôt bien mis en valeur ; quant à la réalisation, elle balance entre le dynamisme de trop rares travellings et fondus enchaînés et un académisme pédagogique figé autour des répliques et situations emblématiques transmises par la chronique de Cuvelier (XIVe siècle). L’ensemble se voit sans ennui, mais aussi sans passion : calqué linéairement sur l’exposition d’un manuel scolaire, le récit manque de progression et de tension dramatiques (Du Guesclin guerroyant du début à la fin) et par conséquent d’émotion, car on n’y trouve ni aventure, ni romance, ni même message clairement perceptible. On se demande quel intérêt le public d’après-guerre, ébranlé et gavé de pâtisseries hollywoodiennes, pouvait bien trouver à matière aussi décalée. Quant aux idéaux chevaleresques que Du Guesclin incarne (il était déjà un des derniers de son époque, d’ailleurs), fussent-ils méritoires, ils se heurtent à l’indifférence générale, après le travestissement qu’en ont fait les idéologies fascistes. Le film est un grave échec financier et coule la société de production.
1955*The Dark Avenger / The Black Prince / US: The Warriors (L'Armure noire) (GB/US) de Henry Levin
Walter Mirisch/Associated British Pictures-Allied Artists-20th Century-Fox, 1h25 min. – av. Errol Flynn (Edward de Galles, dit le Prince Noir), Michael Hordern (Edward III, son père), Joanne Dru (Lady Joan Holland [Jeanne de Kent]), Peter Finch (le comte Robert de Ville), Noel Willman (Bertrand du Guesclin), Yvonne Furneaux (Marie), Rupert Davies (Sir John Chandos), Patrick Holt (Sir Ellys), Vincent Winter (John Holland), Richard O’Sullivan (Thomas Holland), Leslie Linder (François Le Clerc), Robert Urquhart (Sir Philip), Moultrie Kelsall (Sir Bruce), Fanny Rowe (Geneviève), Alastair Hunter (Sire Lebeau), Ewen Solon (D’Estell), Jack Lambert (Dubois), Christopher Lee (un capitaine de la garde française), Patrick McGoohan (un chevalier anglais).
Synopsis : Après le désastre de Poitiers, Jean II le Bon et son fils cadet Philippe sont prisonniers à Londres, le royaume de France est décapité. Roi d’Angleterre, Edward III a remporté une succession de victoires sur la chevalerie française, mettant un terme à la première partie de la guerre de Cent Ans. En 1358, près d’Auray, en Bretagne, au soir d’une ultime bataille, il libère plusieurs nobles du pays en concordance avec la trêve décrétée et déclare une amnistie générale si ses anciens adversaires déposent les armes. Le comte Robert de Ville refuse de prêter serment et organise secrètement la résistance à l’envahisseur. Edward III devant retourner en Angleterre, il confie à son fils Edward de Woodstock, prince de Galles, la gestion des terres conquises. Les effectifs armés de ce prince-gouverneur d’Aquitaine et de Gascogne sont limités, en fait juste de quoi défendre sa propre forteresse ducale. Une délégation de villageois vient se plaindre des exactions des seigneurs français avoisinants menés par de Ville : recrutements forcés, entraînement militaire clandestin, taxes illicites. Edward y met fin. Lady Joan de Kent, la cousine et amie d’enfance d’Edward, à présent veuve, s’installe avec ses deux enfants dans un château proche. De Ville tente en vain de faire assassiner le prince par des sicaires déguisés en paysans, puis, ayant fait enlever Lady Joan et ses fils, il attire Edward et ses chevaliers dans une embuscade en rase campagne. Ayant échappé à la tuerie, le prince prend le maquis avec son capitaine, Sir John Chandos. Les Français le cherchent partout. Grâce à la complicité d’une servante d’auberge, il s’empare d’une armure noire (d’où le surnom de « Prince Noir » que lui donnera la postérité) et se fait engager incognito dans l’armée rebelle après avoir défait en combat singulier Lebeau, un chevalier français. Admiratif, de Ville le prend dans son état-major et lui révèle l’arrivée imminente des troupes de Bertrand du Guesclin, connétable de France. À l’occasion d’une joute nocturne, du Guesclin reconnaît Edward et celui-ci s’enfuit tout en libérant Lady Joan. Barricadé dans son château, il en organise la défense à un contre dix. Les bombardes mobiles françaises ont raison de la barbacane, mais Edward piège l’ennemi par le feu et ses archers. Du Guesclin est capturé tandis qu’un jet de hache d’Edward tue de Ville. Le « Prince Noir » épouse Lady Joan.

Errol Flynn dans un « western en armure »
Production anglo-américaine à la traîne de la grande vague des aventures chevaleresques made in Hollywood, « The Dark Avenger » est mitonné sur mesure pour Errol Flynn, 46 ans, dont c’est le dernier film en costumes (il mourra quatre ans plus tard). Ayant perdu toute sa fortune en produisant "The Adventures of William Tell", film réalisé par Jack Cardiff mais demeuré inachevé, il se voit contraint d'accepter le rôle du Prince Noir pour rembourser ses dettes. Trop âgé à son goût pour ce genre de gymnastique (et bouffi par l’alcool), il apparait néanmoins fougueux et princier dans son armure de métal noire, le visage protégé par un bassinet à bec pointu. Le duel à l’épée de quatre minutes qu’il livre contre Christopher Lee dans un estaminet a de la tenue (Lee en gardera une cicatrice permanente à la main), quoiqu’il soit - comme dans la majorité des scènes de combat du film - doublé de loin par le champion britannique d’escrime au sabre Raymond Paul, nettement plus agile ! Yvonne Fourneau résiste aux avances de Christopher Lee; elle le retrouvera, plus effrayant, en 1959 dans "The Mummy/La Malédiction des Pharaons" de Terence Fisher. C’est Henry Levin, prolifique et souvent médiocre homme à tout faire, – on lui doit toutefois une des meilleures adaptations de Jules Verne au cinéma (« Journey to the Center of the Earth / Voyage au centre de la terre » avec James Mason, 1959) – qui signe la réalisation, de juillet à octobre 1954. La superbe forteresse normande de Torquilstone érigée jadis en grandeur nature sur le « backlot » des studios anglais d’Elstree à Borehamwood pour l’« Ivanhoé » de Richard Thorpe (1952) se mue en château ducal d’Edward en Aquitaine, assiégé par la chevalerie française ; il s’agit ici bien sûr d’une licence poétique, puisque le Prince Noir et du Guesclin ne se sont affrontés que dix ans plus tard, en Espagne. Vieillie de deux cents ans, la place-forte est affublée d’une vaste enceinte qui pourrait abriter une ville (Bordeaux ?), de parapets, de corbeaux, de mâchicoulis et de tours à bec du XIVe siècle. De quoi soutenir un siège spectaculaire et rondement mené.
Errol Flynn (avec Joanne Dru) revêt l’armure d’Edouard de Galles, dit le Prince Noir (« The Dark Avenger »).
 Henry Levin voit en « The Dark Avenger » non pas une leçon d’histoire mais un « western en armure », genre dont il reprend certains principes : rythme, action soutenue et prédominance des extérieurs (dans les parages de Tring, à 50 km au nord de Londres). Cavalcades, poursuites et échauffourées se succèdent en plans généraux dans les dunes verdoyantes du Hertfordshire que le CinemaScope et le Technicolor du chef opérateur Guy Green mettent admirablement en évidence. Le guet-apens en pleine campagne, où Edward et son escorte sont assaillis par une cinquantaine de chevaliers en armure lourde, n’est pas sans rappeler les manœuvres entre Tuniques bleues et Indiens, le panache en plus. Les batailles – avec 100 cascadeurs et 88 chevaux – sont réglées par le réalisateur écossais Alex Bryce (« The Black Tulip » d’après Dumas, 1937) qui a dirigé les scènes d’action des récents films d’aventures historiques produits par Walt Disney en Angleterre (« Robin Hood and his Merry Men », « The Sword and the Rose », « Rob Roy », « Treasure Island »). L’ensemble est donc plutôt jouissif et ne mérite aucunement l’oubli dans lequel le film a sombré après des recettes moyennes en Grande-Bretagne et un flop aux États-Unis, où Flynn n’est plus populaire. Le scénario de Daniel B. Ullman (« Wichita » de Jacques Tourneur) est sans surprises, mais il aligne avec adresse tous les ingrédients espérés. Le camp français n’y est ni caricatural ni diabolisé : du Guesclin est dépeint avec respect à défaut de sympathie, et Robert de Ville (personnage fictif) parle clairement de « ces Anglais installés dans les châteaux et sur les fiefs qu’ils nous ont volés, » justifiant par là l’insurrection.
La forteresse d’« Ivanhoé » se mue en château ducal d’Aquitaine, pris d’assaut par Du Guesclin (« The Dark Avenger »).
 Un personnage moins chevaleresque que sa légende
Certes, l’authentique Edward de Woodstock, dit « the Black Prince » (1330-1376), prince de Galles et duc de Cornouailles, n’avait rien d’un noble défenseur de veuves et d’orphelins ni d’un Robin des bois prenant les humbles paysans d’Aquitaine sous sa défense ! Il tient son surnom de son armure noire et de ses chevauchées sanglantes en territoire ennemi. Spécialiste du pillage en règle (selon la pratique inaugurée par son père), on lui doit plusieurs massacres notables, à Limoges et ailleurs, perpétrés avec ses vassaux gascons – de véritables campagnes de terreur destinées à ébranler l’unité et affaiblir l’économie adverses. Chef de guerre redoutable, adulé en Angleterre, il s’illustre dès seize ans à la bataille de Crécy et remporte celle de Poitiers, où il capture le roi de France (1356). Ayant épousé sa cousine Joan, comtesse de Kent (surnommée « The Fair Maid of Kent », 1328-1385), il tient à Bordeaux, capitale de sa principauté d’Aquitaine, une des cours les plus brillantes de son temps. En 1367, il défait du Guesclin à Najera, en Castille. Ruiné financièrement par cette expédition et rongé par la maladie, il est ramené en Angleterre où il décède une année avant son père, laissant l’Aquitaine en pleine débâcle. Il meurt à 46 ans … l’âge d’Errol Flynn à l’écran. – BE : Le Prince noir, DE, AT : Der schwarze Prinz, IT : Il vendicatore nero, ES : El principe negro.
Robin des Bois à la française : Thierry la Fronde (Jean-Claude Drouot) harcèle l’Anglais en Sologne dans un long feuilleton pour la jeunesse.
1963-66(tv) Thierry la Fronde (FR) de Robert Guez (1-2e série) et Pierre Goutas (3-4e série)
Roger Deplanche/Telfrance-ORTF (1e Ch. 3.11.63-26.4.64, 20.12.64-21.3.65, 24.12.65-27.3.66), 52 x 25 min. – av. Jean-Claude Drouot (Thierry de Janville, dit Thierry la Fronde), Jacques Couturier (Edward, le Prince Noir et Edward III), Gilbert Gil (Bertrand du Guesclin), Jean Magnan (Geoffrey Chaucer), Pierre Nègre (Jean II le Bon), Christine Simon (Marguerite de Bourgogne), Jacques Harden (Sir John Chandos), Jean Gras (Bertrand), Robert Rollis (Jehan), Céline Léger (Isabelle), Robert Bazil (Boucicault), Jean-Claude Deret (Florent), Clément Michu (Martin), Bernard Rousselet (Pierre), Fernand Bellan (Judas), Quentin Milo (Philippe de Navarre), Marcel Charvey (duc de Kent), Georges Beauvilliers (duc de Lancastre), Maurice Chevit (Tristan de Chalussais), Bernard Gentil (Gaston Phoebus, comte de Foix), Saddy Rebot (Charles le Mauvais, roi de Navarre), Joël Séria (le dauphin, futur Charles V), Marc Bellan (Philippe de Craon, filleul du roi), Gilles Guillot (Louis d’Anjou), Nicole Chausson (Marie de Blois).
Synopsis : Sologne en 1360. Le roi Jean le Bon est prisonnier en Angleterre et le prince de Galles, Edward dit le Prince Noir (cf. « The Dark Avenger », 1955), occupe le centre de la France, tandis que son capitaine, John Chandos, fait régner la terreur. Le jeune Thierry de Janville, qui songeait à faire évader le roi, est dénoncé à Chandos et celui-ci le prive de ses terres. Il s’évade et prend le maquis avec une équipe de sympathiques hors-la-loi pour défendre la veuve et l’orphelin contre l’occupant anglais ; il croise ainsi Bertrand du Guesclin, Gaston Phoebus, etc. Son arme principale est un redoutable lance-pierre, symbole de l’esprit « frondeur » de ses compatriotes … Précisons que le principal adversaire du jeunot à la fronde a bel et bien existé : Sir John Chandos (mort en 1369), vicomte de Saint-Sauveur, connétable d’Aquitaine/Guyenne et sénéchal de Poitou, était un ami proche du Prince Noir dont il était le chef d’état-major, un brillant stratège qui passe pour avoir été responsable des trois victoires anglaises les plus marquantes de la guerre de Cent Ans : Crécy, Poitiers et Auray. Il est le héros de plusieurs fictions en Grande-Bretagne (notamment les romans de chevalerie d’Arthur Conan Doyle).
Les aventures rocambolesques et bon enfant du maquisard français sont mises sur pied par Jean-Claude Deret pour concurrencer, sinon carrément démarquer les séries d’« Ivanhoé », « Lancelot », « Guillaume Tell » et « Robin des Bois » de la télévision britannique qui ont envahi les petits écrans de l’Hexagone. Tournées à la va-vite avec des bouts de ficelle, en noir et blanc, dans les forêts de Meudon et de Fontainebleau et en studio aux Buttes-Chaumont, elles ne sont jamais à la hauteur de leurs modèles anglo-saxons. Mais elles suscitent un formidable engouement du public (leur diffusion sur l’unique chaîne de la RTF chaque dimanche en fin d’après-midi et la prestance juvénile du Belge Jean-Claude Drouot n’y sont pas pour rien), au point d’être suivies de trois séries à 13 épisodes supplémentaires, avec quelques rajouts cocasses (prisonnier de Thierry, Geoffrey Chaucer compose un poème en l’honneur de la douce Isabelle). Après 52 épisodes, Jean-Claude Drouot jette l’éponge et saborde une cinquième série déjà annoncée. Le feuilleton est également exploité avec succès à la télévision québecoise, Thierry y devenant le vaillant défenseur de la francophonie ! En octobre 2012, la société WE Productions (Guillaume Lubrano) en rachète les droits et annonce la préparation d’un épisode pilote en deux parties de 52 minutes chacune. Elle promet une version plus moderne et surtout plus sombre que l’original. À suivre.
Episodes : Saison 1 – 1. « Hors-la-loi » 2. « Les Compagnons de Thierry » – 3. « Le Sabot d’Isabelle » – 4. « Le Fléau de Dieu » – 5. « Le Trésor du prince » – 6. « Le Filleul du roi » – 7. « La Trahison de Judas » – 8. « Thierry et le fantôme » – 9. « La Trêve de Pâques » – 10. « Ogham » – 11. « Le Duel des sept chevaliers » – 12. « Les Prisonniers » – 13. « Les Compagnons à Paris » – Saison 2 : 1. « Les Reliques » – 2. « L’Héritage de Pierre » – 3. « Le Royaume des enfants » – 4. « Pierre précieuse et perle fine » – 5. « Nous irons à Pontorson » – 6. « Thierry contre les compagnons » – 7. « Thierry et l’archiprêtre » – 8. « Les Espions » – 9. « La Chronique oubliée » – 10. « L’Enfant d’Edouard » – 11. « La Bague du dauphin » – 12. « Une journée tranquille » – 13. « Brétigny » – Saison 3 : 1. « Le Retour de Thierry » – 2. « Les Héros » – 3. « Le Château mystérieux » – 4. « Le Diable ne meurt jamais » – 5. « Toque y si gausses » – 6. « La Mission secrète de Taillevent » – 7. « Les Tuchins » – 8. « Le Signe du sagittaire » – 9. « Thierry mourra demain » – 10. « La Chanson d’Isabelle » – 11. « Les Secrets du prieur » – 12. « La Ville morte » – 13. « La Route de Calais » – Saison 4 : 1. « Fausse monnaie » – 2. « Arsenic et damoiselle » – 3. « L’Échafaud » – 4. « La Dent de saint Liphard » – 5. « Moi, le roi » – 6. « L’Ogre de Brocéliande » – 7. « Jouets dangereux » – 8. « Échec au roi » – 9. « La Fourche du diable » – 10. « Le Trésor des Templiers » – 11. « Ces dames de Pontorson » – 12. « Le Drame de Rouvres » – 13. « La Fille du roi ».
1989® (tv) Pedro I, el Cruel (ES) de Francisco Abad. - av. Manuel Torremocha (Bertrand du Guesclin, connétable de France et de Castille), Francisco Vidal (Charles V).
1997(tv) Bertrand du Guesclin et le Prince Noir – Frères ennemis (FR/GB) de Ludi Boeken
série « Les Chevaliers », Planète-Raphaël Films-R&B Pictures-BBC-CNC, 53 min. – av. Steve Evans (Bertrand du Guesclin), Darrel Marsh (Edward, le Prince Noir), Hugh Hayes (Sir John Chandos), Karin Eva (Jeanne de Kent, princesse de Galles), Nicholas Palliser. – Docu-fiction avec reconstitutions, réalisée par un ancien grand reporter à la BBC, producteur de Robert Altman (« Vincent & Theo ») et de Jacques Fansten (« La Fracture du myocarde ») en 1990. La série « Les Chevaliers », conçue avec Eugène Rosow, explique les codes de la chevalerie, ses origines et conte les exploits de ses représentants les plus illustres, du Cid à Federico da Montefeltro.