II - LE ROYAUME D’ANGLETERRE

10. HENRY V ET LA VICTOIRE D’AZINCOURT (1413 à 1422)


Né en 1387, fils d’Henry IV Lancaster (Bolingbroke) et de Mary de Bohun. Marié à Catherine de Valois. En 1415, profitant des dissensions qui déchirent la France divisée entre Armagnacs et Bourguignons, et qu’augmente encore la maladie mentale de Charles VI en France, Henry V rompt le traité de paix qu’avait signé Richard II en 1396 et relance le conflit armé en 1415. Surnommé « Harry le belliqueux », il traverse la Manche, s’empare d’Harfleur après un intense pilonnage de bouches à feu et anéantit l’armée française des Armagnacs le 25 octobre à Azincourt. C’est une victoire anglaise écrasante (3000 Français morts et des centaines de prisonniers, dont Charles d’Orléans) – pour une guerre sans issue. Cette victoire entraîne une alliance entre la Bourgogne et l’Angleterre. Henry V lance une conquête méthodique de la Normandie et se trouve bientôt aux portes de Paris. En épousant Catherine de Valois, la fille de Charles VI, le jeune roi d’Angleterre se fait nommer régent et s’impose héritier de la couronne de France. Mais il meurt deux ans plus tard (un mois et demi avant Charles VI), emporté par une maladie foudroyante, et laisse sur le trône vacillant de France un fils âgé de quelques mois. La porte est alors ouverte à la reconquête du royaume par celui qu’une partie de la population considère désormais comme le roi légitime, Charles VII, le dauphin écarté par le « honteux traité de Troyes ».cf. « The Life of King Henry V », drame de William Shakespeare (1599).

Nota Bene : la liste des captations et dramatiques tv des pièces de Shakespeare n’est pas exhaustive.
1915England's Warrior King (GB) d’Eric Williams
Eric William’s Speaking Pictures-Yorkshire Cinematograph Company, 1 bob. – av. Eric Williams (Henry V). – Le roi harangue la troupe avant la bataille d’Azincourt en 1415, une scène de Henry V de William Shakespeare (cf. film de 1944), animée par un bonimenteur récitant le texte devant l’écran. Des soldats du régiment des Royal Scots Greys, stationnés à York, font de la figuration pour cette bande aux accents patriotiques, produite en pleine Première guerre mondiale.
1935® Royal Cavalcade (GB) de Thomas Bentley, Herbert Brenon, W. P. Kellino, Norman Lee, Walter Summers, Marcel Varnel. – av. Matheson Lang (Henry V).
1937(tv) Henry V / Henry the Fifth (GB) de George More O’Ferrall
BBC Television Service (BBC 5.2.37), 14 min. – av. Henry Oscar (Henry V), Yvonne Arnaud (Catherine de Valois).
Victorieux à Azincourt en 1415, Henry V fait la cour à la princesse Catherine, fille du roi de France (acte V, scène II du drame de Shakespeare, cf. film de 1944). Diffusé live depuis les Studios BBC d’Alexandra Palace à Londres dans le cadre des programmes expérimentaux de la télévision britannique.
1943/44*** Henry V / The Chronicle History of King Henry the Fift with His Battell fought at Agincourt in France (Henri V) (GB) de Laurence Olivier [et Reginald Beck]
Filippo Del Giudice, Laurence Olivier, J. Arthur Rank/Two Cities Films Ltd.-Rank Film Org., 2h17 min. – av. Laurence Olivier (Henry V, roi d’Angleterre), Robert Newton (Ancient Pistol), Renée Asherson (Catherine de Valois), Leo Genn (Charles Ier d’Albret, connétable de France), Felix Aymler (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Harcourt Williams (Charles VI, roi de France), Esmond Knight (le capitaine gallois Fluellen), George Robey (Sir John Falstaff), Ralph Truman (Montjoie, le héraut français), Robert Helpmann (John Fordham, évêque d’Ely), Leslie Banks (Chorus), Max Adrian (le dauphin de France), Valentine Dyall (Philippe, duc de Bourgogne), Francis Lister (Charles, duc d'Orléans), Janet Burnell (la reine Isabelle de Bavière), Gerald Case (Ralph Neville, comte de Westmoreland), Griffith Jones (Thomas Montagu, comte de Salisbury), Morland Graham (Sir Thomas Erpingham, capitaine des archers), Nicholas Hannen (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Niall MacGinnis (l’Irlandais MacMorris), Michael Shepley (Gower), Michael Warre (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), Ernest Thesiger (Jean Ier, duc de Berry), Frederick Cooper (le caporal Nym), Russell Thorndike (Jean Ier, duc de Bourbon), John Laurie (le capitaine écossais Jamie), Freda Jackson (Mistress Quickly).
Dernier de la série des drames historiques de Shakespeare, Henry V chante la geste héroïque d’un monarque connu principalement pour son expédition militaire en France et que le barde orne de toutes les vertus royales et chevaleresques. Plus proche de l’épopée nationale que du drame (car son intérêt majeur se concentre sur l’épisode guerrier, la complexité psychologique du « prince Hal » ayant déjà été traitée dans Henry IV), la pièce est destinée à réveiller le patriotisme du public anglais. Impitoyable pour les insurgés, mais protecteur du peuple qui l’adule, Henry V (1387-1422) profite des dissensions entre Armagnacs et Bourguignons qui déchirent l’Hexagone pour réclamer le trône de France et relancer le conflit armé. Ayant remporté la victoire d’Azincourt (25 octobre 1415), il s’empare de la Normandie lors d’une deuxième campagne (1417/19) et signe en 1420 le traité de Troyes qui lui donne pour épouse Catherine de Valois, la fille de Charles VI le Fol et d’Isabeau de Bavière. Ce mariage le désigne comme héritier au trône français au préjudice du dauphin (Charles VII), mais la mort prématurée de « Great Harry » deux ans plus tard, à l’âge de trente-quatre ans, ruine les espérances anglaises et marque un tournant décisif dans la guerre de Cent Ans. Le monarque laisse un fils de quelques mois, le futur Henri VI.
 Laurence Olivier en Henry V à Azincourt, du Shakespeare au sous-texte fortement actualisé (1943/44).
Shakespeare débute son récit à Londres, où l’archevêque de Canterbury et l’évêque d’Ely complotent pour empêcher le roi de confisquer des terres de l’Église en l’encourageant à combattre les Français sur le continent. S’estimant insulté par le dauphin (Ier-IIe acte), Henry traverse la Manche, assiège Harfleur en Haute-Normandie (IIIe acte) et, après avoir harangué sa petite armée (« We few, we happy few, we band of brothers »), écrase l’ennemi à Azincourt (IVe acte). A Troyes, il courtise Catherine de Valois, qu’il séduit et qui accepte de l’épouser (bien qu’elle ne parle pas l’anglais), inaugurant une ère de paix entre les deux pays (Ve acte). L’histoire, bien sûr, est moins romantique : l’hyménée final n’était qu’un calcul politique sans états d’âme, et le roi est montré bien plus honorable qu’il ne le fut en réalité ; sa motivation n’était pas la réparation d’un outrage (l’envoi de balles de jeu de paume par le dauphin), mais la conquête pure et simple, au cours de laquelle Henry V se révéla plutôt sanguinaire.
Le film étonnant que Laurence Olivier tire de ce drame – ses débuts derrière la caméra et la toute première adaptation de Shakespeare à l’écran qui soit pleinement satisfaisante – naît de circonstances très particulières. En 1937, dans le cadre des balbutiements de la télévision britannique, la BBC diffuse quelques scènes de Henry V, et le réalisateur Dallas Bower rédige une première adaptation de la pièce pour le petit écran, mais l’entrée en guerre ferme les studios. Bower devient responsable du secteur film du Ministère de l’Information (M.O.I.) et sollicite Olivier en 1942 pour lire les harangues d’Henry V (le discours de la « Saint-Crépin ») à la radio. Le producteur Filippo Del Giudice, un réfugié italien antifasciste, fondateur de Two Cities Films et pourvoyeur récent de remarquables films de guerre (In Which We Serve / Ceux qui servent en mer de Noel Coward et David Lean), suit l’émission intitulée « Into Battle » et invite Olivier à porter la pièce à l’écran, avec le soutien de Dallas Bower comme producteur associé. Shakespeare doit servir la propagande de guerre, exalter le patriotisme. Mobilisé dans la Fleet Air Farm de la Royal Navy, Olivier obtient un congé spécial. La production veut établir des parallèles avec le combat que l’Angleterre mène alors pratiquement seule contre l’Allemagne hitlérienne. Au premier abord, il peut sembler curieux de choisir un monarque belliciste, utilisant un quelconque prétexte pour envahir la France, comme antidote idéologique aux nazis. Mais la victoire presque miraculeuse d’Azincourt face à un ennemi arrogant, flambeur et d’une supériorité militaire écrasante peut servir d’allégorie pour démontrer ce que le courage britannique est capable d’accomplir en des circonstances aussi défavorables. Les scènes de feux de camp à la veille de la bataille expriment les angoisses et les doutes du fantassin, des épisodes comiques réunissent des représentants de tout le royaume (Irlandais, Écossais, Gallois avec accents et idiosyncrasies) et les propos rassembleurs d’Henry V trouvent leur écho dans les discours de Winston Churchill. Enfin, qui sait, on pourrait lire dans son expédition outre-Manche une anticipation du débarquement allié tant attendu. La pièce a toujours été appréciée en temps de crise nationale, et pendant la Première guerre mondiale, l’« Old Vic » l’a programmée chaque année.
 La chevalerie française est stoppée net pas les redoutables archers anglais (Henry V, 1934/44).
Échaudé par son expérience shakespearienne décevante avec As You Like It / Comme il vous plaira (Paul Czinner, 1936) et peu sûr de lui, Olivier veut confier la réalisation du film à son mentor William Wyler (qui le dirigea dans Wuthering Heights / Les Hauts de Hurlevent à Hollywood), alors en service à l’U.S. Air Force en Grande-Bretagne. Wyler refuse, prétextant ne rien connaître à Shakespeare, suivi par Carol Reed et Terence Young. Olivier se résigne donc à diriger le film lui-même, Del Giudice lui accordant une totale liberté artistique ; Reginald Beck, son monteur, assume toutefois la direction technique et diverses scènes où l’acteur est devant la caméra. Alan Dent, un critique de théâtre, aide Olivier à raccourcir la pièce de plus d’un tiers, éliminant près de 1500 vers afin de rendre l’œuvre plus accessible à un vaste public. On inclut brièvement Falstaff, agonisant, le coeur brisé après son rejet par jeune roi (scène inexistante chez Shakespeare), suivi du récit de sa mort par Mistress Quickly. À la suggestion de Churchill, les passages peu flatteurs pour l’image du monarque (la pendaison de son ancien compagnon Bardolph, le massacre des prisonniers français, les menaces d’égorger toute la population d’Harfleur) ou pour sa politique nationale (les machinations douteuses du clergé à l’origine de l’invasion, la conspiration de Richard de Cambridge, Thomas Grey et Lord Scroop, la menace écossaise, etc.) sont écartés. La conclusion de l’épilogue est également passée sous silence, elle qui annonce l’échec à moyen terme, la tragique futilité de toute cette entreprise militaire : « Henri VI, couronné au berceau roi de France et d’Angleterre, succéda à ce roi et ils furent si nombreux à diriger l’État qu’ils perdirent la France et firent saigner l’Angleterre… »
Afin de conférer au récit épique un éclat particulier, il est décidé de le tourner en couleurs, sous la direction de l’as de la photo que deviendra l’Australien Robert Krasker (Senso de Luchino Visconti, 1954), assisté de Jack Hildyard (The Bridge on the River Kwai de David Lean, 1957) ; ils manient l’unique caméra Technicolor trouvable en Angleterre. Henry V va devenir la réalisation britannique la plus coûteuse des années de guerre (£ 475,000/2 millions $), et les dépassements feront perdre à Del Giudice le contrôle de sa société Two Cities au profit d’Arthur Rank.
Déterminé à ne pas masquer l’origine théâtrale du texte, Olivier développe un concept alors totalement innovateur de « film dans une pièce dans un film », rejoignant par là les recherches les plus modernes sur le théâtre, tout en spéculant sur l’imagination proto-cinématographique de Shakespeare. Son opération – qui inquiète d’abord les producteurs – aboutit à une cohabitation à la fois ingénieuse et parfaitement homogène des deux médias, sans le statisme inhérent au théâtre filmé. En un long panoramique, la caméra survole Londres et les rives de la Tamise à l’ère élisabéthaine (le joli modèle miniature en plâtre de la cité, d’une grandeur de 15 x 21 mètres, a coûté quatre mois d’efforts). Afin d’introduire en douceur son public dans l’univers shakespearien, l’action débute au Théâtre du Globe le 1er mai 1600. On assiste au début de la représentation, la caméra se mêle aux spectateurs de l’époque en nous faisant pénétrer dans les coulisses, reproduit le jeu ampoulé des histrions déclamant leurs tirades, le public passagèrement arrosé par la pluie, etc. À Southampton, sur les navires bondés de soldats et devant les remparts d’Harfleur, le décor du Globe (érigé par Paul Sheriff dans les studios de Denham) fait place aux fausses perspectives, aux proportions forcées, aux erreurs d’échelle (châteaux trop petits), aux paysages peints et bidimensionnels des Livres d’Heures d’un Jean Fouquet ou des frères de Limbourg.
L’irréalisme assumé de ces séquences stylisées disparaît dans la plaine d’Artois près d’Azincourt (Pas-de-Calais), où l’image acquiert une soudaine profondeur de champ et le théâtre devient pleinement cinéma. L’affrontement qui suit doit être tourné en extérieurs, à l’abri d’éventuels raids de la Luftwaffe et des fusées V1. Il est hors de question de retirer des troupes du front pour sa mise en scène. Olivier déplace donc son équipe en Irlande républicaine et neutre, dans la propriété de Lord Powerscourt à Enniskerry (comté de Wicklow), au sud de Dublin. 650 figurants de la région (de l’Eireann Home Guard) et 200 chevaux y donnent l’illusion d’une bataille qui aurait opposé 30'000 Anglais à 60'000 Français (des chiffres fortement contestés par l’historiographie moderne qui opterait plutôt pour 9000 Anglais, dont 5000 archers, contre 15'000 Français). La participation costumée de membres du Sinn Fein suscite des quolibets ironiques dans la presse locale, et le Premier ministre irlandais Éamonn de Valéra (jadis un « terroriste » pourchassé par Londres), en visite sur le tournage, aurait affirmé avoir eu du plaisir « en dépit de la victoire anglaise » ! Comble de l’ironie : lorsque la pièce fut créée, en 1599, le public élisabéthain identifiait les Français d’Henry V aux Irlandais, l’ennemi acharné du moment, rebelle à l’invasion protestante venue de Londres.
Victorieux, Henry V (Laurence Olivier) courtise Catherine de France (Renée Asherson) à Troyes.
 Olivier détaille les préparatifs de part et d’autre ; l’immobilité attentiste des archers gallois d’un côté, tandis que de l’autre, les chevaliers français engoncés dans leurs lourdes armures sont hissés sur leurs montures par des treuils, sous applaudissements et accolades triomphalistes, puis un travelling de huit cents mètres suit leur charge massive sur le modèle des Teutoniques d’Alexandre Newski d’Eisenstein, cavalcade impétueuse brisée par une pluie de flèches meurtrières (le sifflement des traits est incorporé dans la splendide musique de William Walton). Les armures chatoyantes de l’aristocratie piégée contrastent avec les tenues plus ternes de l’adversaire. En raison de la pénurie de métal, les armes sont en bois peint et toutes les cotes de mailles ont été tricotées en laine grise, puis enduites d’aluminium. Rappelons que Shakespeare ne montre pas la bataille, mais uniquement ce qui la précède et la suit. Il ne livre aucun détail sur son déroulement tactique (pourtant connu et décrit dans les Chroniques de Raphael Holinshed), se contenant d’épisodes anecdotiques qui éclairent la personnalité ambivalente du roi ou des moments parodiques : un soldat anglais (Pistol) qui a suivi le roi pour s’enrichir capture un Français couard (M. Le Fer) dont il espère tirer une rançon ; il négocie avec lui quand il apprend que le roi a exigé de tuer tous les prisonniers. Frustré, Pistol décide de vivre désormais de brigandage. Rien de tel chez Olivier : ce sont de vastes mouvements de foule en plans généraux, chorégraphie roborative et exaltante sous un ciel bleu, sur fonds de verts pâturages. Pas de plans scabreux ni de violence explicite. Après cette mêlée exemplaire, un morceau de bravoure digne d’Hollywood rehaussé par la flamboyance bigarrée des étendards et armoiries ainsi que la luminosité du Technicolor, les scènes à Troyes retrouvent la naïveté plastique et la délicieuse préciosité des enluminures des Riches Heures du duc de Berry ou de la peinture d’un Paolo Uccello, avant que les épousailles du vainqueur nous renvoient sur les tréteaux du Globe à Londres. La fade Renée Asherson y remplace Vivien Leigh, la femme d’Olivier, dans le rôle de la princesse Catherine, le producteur David O. Selznick ayant refusé de libérer sa star d’Autant en emporte le vent pour une scène si courte.
Les protagonistes français du drame ne sont guère flattés, le héraut Montjoie excepté, mais Olivier a ignoré les sarcasmes du barde relatifs à la traditionnelle « frivolité gauloise » pour rejeter l’entière responsabilité sur la couronne : le dauphin est affecté et vain, son père Charles VI mentalement confus et facilement intimidé (ce qui correspond à une certaine réalité). Shakespeare attribue l’écrasante défaite française à la décadence de la cour, à la fougue des Britanniques et à l’intelligence du jeune roi. Les historiens nuancent : L’ost français, réuni en hâte, obéissait à plusieurs commandants. Les Anglais, quoiqu’affamés et épuisés par la dysenterie, possédaient une armée entraînée sous commandement unique. La plupart étaient des archers, des hommes du peuple méprisés par la noblesse française qui recherchait plutôt le combat avec des pairs que l’on pouvait capturer et rançonner. Munis de leurs redoutables arcs longs (« longbows »), les Anglais pouvaient tirer six flèches à la minute, soit cinq mille traits toutes les dix secondes. Contraints de charger l’archerie qui les décimait, les chevaliers français empalèrent leurs montures sur des pics de trois mètres soigneusement dissimulés. La boue d’une nuit de pluie intense, mais aussi le surnombre des combattants français paralysa les manœuvres. Incapables de lever leurs armes dans cette mêlée trop serrée, ils furent ensuite taillés en pièces au corps-à-corps par la piétaille. Revenant le lendemain matin sur le champ de bataille, Henry V fit achever tous les blessés français qui avaient survécu. (Notons que la splendide charge montrée dans le film est en fait absurde : les chevaux n’auraient pas supporté le poids des armures à une telle cadence et sur une pareille distance.)
La lecture du film s’opère à trois niveaux, celui de l’action évoquée, celui de sa représentation sur scène presque deux siècles plus tard et celui de sa portée allégorique en tant qu’appel aux armes au moment du tournage, de juin 1943 à janvier 1944. Or Henry V sort en novembre 1944, après l’invasion alliée en Normandie et le désastre d’Arnhem, dédié néanmoins « aux troupes britanniques de débarquement et aéroportées ». C’est un peu tard pour l’effort de guerre strictu sensu, mais pas pour William Shakespeare, rendu enfin accessible aux foules du samedi soir (à la stupéfaction des distributeurs), et encore moins pour le prestige international de la cinématographie anglaise, alors à son zénith. À Londres, après un départ laborieux, Henry V reste onze mois à l’affiche, de même qu’à New York – du jamais vu pour un film britannique. Le festival de Venise de 1946 lui décerne une « Mention spéciale ». Aux États-Unis, Laurence Olivier obtient le prix du National Board of Review et le New York Film Critics Circle Award (1946), quatre nominations à l’Oscar (Olivier, décors, musique, film) et, en 1947, un Oscar honorifique créé spécialement pour récompenser son travail exceptionnel. Cette même année, l’œuvre est admirée au festival de Cannes, mais hormis les critiques, l’accueil public de cette superbe tapisserie mouvante et colorée en France est plutôt mitigé. Au théâtre, le drame de Shakespeare restera inédit dans l’Hexagone jusqu’en 1999, quand Jean-Louis Benoit le mettra en scène au Festival d’Avignon, avec Philippe Torreton dans le rôle-titre, non sans heurter la susceptibilité cocardière d’une partie des spectateurs. – DE, AT : Heinrich V., IT : Enrico V, ES : Enrique V.
1951(tv) The Life of Henry V (GB) de Royston Morley et Leonard Brett
« BBC Sunday-Night Theatre » (BBC 22.4.51), 2h15 min. – av. Clement McCallin (Henry V), Varvana Pitoeff (Catherine de Valois), Norman Claridge (Charles VI), Willoughby Gray (Pistol), Viola Johnstone (Isabeau de Bavière), Moultrie Kelsall (Charles d’Albret, connétable de France), Paul Martin (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), Olaf Pooley (le dauphin de France), John Stevens (Ralph Neville, comte de Westmoreland), John Van Eyssen (Montjoie), George Woodbridge (Thomas Bardolph), Geoffrey Wearing (le gouverneur d’Harfleur), Gordon Whiting (Sir Thomas Gray), Richard Bebb (Charles, duc d’Orléans), Oliver Burt (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Richard Caldicot (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Michèle Clément (Alice), Cyril Conway (Lord Henry Scroop of Marsham).
Le drame de William Shakespeare (cf. film de 1944).
1953(tv) Henry V (GB) de Michael MacOwan et John Barton (th)
BBCtv-The Elizabethan Theatre Company, 1h30 min. – av. Colin George (Henry V), Bernadette Sorel (Catherine de Valois).
Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944) produit dans le cadre des festivités du couronnement d’Elisabeth II.
1953(tv) Henry V (GB) de Peter Watts
BBCtv-Elizabethan Theatre Company, Oxford (BBC 19.5.53), 1h30 min. – av. John Clements (Henry V), John Garside (Charles VI), Kay Hammond (Catherine de Valois), John Laurie (Pistol).
Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944) produit dans le cadre des festivités du couronnement d’Elisabeth II.
1953(tv) Henry V (US) Ford Foundation-Columbia Broadcasting System
Série « Omnibus » (CBS 11.1.53). – av. Brian Aherne (Henry V), Viveca Lindfors (Catherine de Valois).
Victorieux à Azincourt en 1415, Henry V fait la cour à la princesse Catherine, fille du roi de France (acte V, scène II du drame de Shakespeare, cf. film de 1944).
1957(tv) The Life of Henry V (GB) de Peter Dews
«Television World Theatre», pour « BBC Sunday-Night Theatre » (BBC 29.12.57), 120 min. – av. John Neville (Henry V), Patricia Cree (Catherine de Valois), Bernard Hepton (Chorus), Walter Hudd (Charles VI), John Wood (le dauphin de France), Edgar Wrefold (Montjoie), Michael Bates (Thomas Bardolph/Williams), Geoffrey Bayldon (Pistol), Dudley Jones (Fluellen), Geoffrey Lewis (Jean Ier, duc de Bourbon), Richard Coe (le duc de Bedford), Tony Church (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Richard Palmer (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), George Selway (Ralph Neville, comte de Westmoreland).
Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944).
Henry V (Robert Hardy) fait la cour à Catherine de Valois (Judi Dench) dans « An Age of Kings » (1960).
1960(tv) An Age of Kings. A Pageant of English History – Henry V. Part 7: Signs of War – Part 8: The Band of Brothers (GB) de Michael Hayes
Peter Dews/BBRC-BBCtv (BBC 21.7.+4.8.60), 2 x 60 min. – av. Robert Hardy (Henry V), Judi Dench (Catherine de Valois), Stephanie Bidmead (Isabeau de Bavière), Alan Rowe (Charles VI), John Warner (le dauphin de France), George A. Cooper (Pistol), Kenneth Farrington (Fluellen), Patrick Garland (Jean, duc de Bedford), Julian Glover (Ralph Neville, comte de Westmoreland), Gordon Gostelow (Thomas Bardolph), Adrian Brine (Jean Ier, duc de Bourbon), Tony Garnett (Sir Thomas Grey), Noel Johnson (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Cyril Luckham (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), John Ringham (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), William Squire (Chorus), Jerome Willis (Charles, duc d’Orléans), Frank Windsor (le comte de Cambridge), George Selway (Charles Ier d’Albret, connétable de France), Brian Smith (Lord Scroop), Angela Baddeley (Mistress Quickly), Jeremy Bisley (Gower), Robert Lang (Montjoie).
La pièce de Shakespeare (cf. film de 1944). Programme très ambitieux de la BBC réunissant pour la première fois les drames royaux de Shakespare relatifs à Richard II, Henry IV, Henry V, Henry VI et Richard III, en parcourant 86 ans d’histoire anglaise, de 1377 à 1485. Eric Crozier a découpé et adapté les drames en 15 épisodes de 60 à 75 minutes, chaque partie étant budgétée à £ 4000. Parmi le casting nécessaire à 600 rôles parlants, on découvre ici Judi Dench en Catherine de Valois (elle sera la reine Elisabeth dans Shakespeare in Love de John Madden en 1998) et le jeune Sean Connery (qui apparaît notamment dans Henry IV).
1963(tv) The Picardy Affair (GB) de Peter Derrick Newington
BBCtv (BBC 25.10.63). 60 min. – av. Esmond Knight, Michael Culver, Robert Hardy (scénario et narration).
Une brillante analyse tactique de la bataille d’Azincourt en 1415, avec reconstitutions.
1965(tv) Held Henry / Heinrich V. (DE) de Peter Zadek (th) et Heribert Wenk (tv)
Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF 3.1.65), 120 min. – av. Friedhelm Ptok (Henry V), Traugott Buhre (Chorus/Thomas Bardolph), Christa Witsch (Catherine de Valois), Ernst Rottluff (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Erich Keddy (Charles VI), Rolf Becker (Montjoie), Eberhard von Gagern (John Fordham, évêque d’Ely), Erwin Wirschaz (Lord Henry Scroop of Marsham), Sieghold Schröder (Richard, comte de Cambridge), Alfred Kirchner (Sir Thomas Grey), Willy Ress (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Waldemar Vogelgesang (Ralph Neville, duc de Westmoreland), Heinrich Kastner (le duc d’Erpingham), Helmut Erfurth (le capitaine Fluellen), Hubert Kronlachner (Pistol), Jan Meyer (Jean Ier, duc de Bourbon), Peter Neubauer (le dauphin de France), Jochen Rathmann (Charles, duc d’Orléans), Theo Staats (Charles Ier d’Albret, connétable de France), Vadim Glowna (Bates).
Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944). Cet « Henry le héros », traduit par Erich Fried et mis en scène par Zadek au Théâtre de Brême (Theater der Freien Hansestadt Bremen) en 1964, est un collage pacifiste, un show multimédia anhistorique dirigé contre l’héroïsme et le militarisme. La pièce est respectée dans ses grandes lignes, mais la mise en scène démontre que le patriotisme est une notion fabriquée et que tout « héros » est le produit d’un culte et de manipulations idéologiques. Henry V salue par exemple la Wehrmacht entrant à Paris (images documentaires).
1966(tv) Henry V (CA) de Lorne Freed, Michael Langham et George Bloomfield
CFTO-TV Toronto-CTV, 2h. – av. Douglas Rain (Henry V), Diana LeBlanc (Catherine de Valois), William Hutt (Chorus), Jean Gascon (Charles VI), Bernard Behrens (Fluellen), Eric Donkin (John Fordham, évêque d’Ely), Powys Thomas (Pistol), Barry MacGregor (Williams), Tony Van Bridge.
Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944) enregistré dans le cadre du Stratford Festival of Canada, Ontario. Douglas Rain, l’interprète du roi (nommé prince Hal dans sa jeunesse) est passé à la postérité cinématographique en faisant la voix du robot Hal (sic) dans le 2001 – A Space Odyssey de Stanley Kubrick.
1979(tv) The Life of Henry the Fift (GB/US) de David Giles
« The BBC Television Shakespeare », Cedric Messina/BBCtv-Time Life Television (BBC 23.12.79), 2h46 min. – av. David Gwillim (Henry V), Jocelyne Boisseau (Catherine de Valois), Thorley Walters (Charles VI), Keith Drinkel (le dauphin de France), Alec McCowen (Chorus), Pamela Ruddock (Isabeau de Bavière), David Rowlands (Sir Thomas Grey), Rob Edwards (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), Roger Davenport (duc de Clarence), Julian Glower (Charles Ier d’Albret, connétable de France), David Buch (Ralph Neville, comte de Westmoreland), Rob Edwards (duc de Bedford), Trevor Baxter (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), John Abinieri (John Fordham, évêque d’Ely), Gordon Gostelow (Thomas Bardolph), Robert Harris (Philippe, duc de Bourgogne), Derek Hollis (Edward, duc d’York), George Howe (Sir Thomas Erpingham), Clifford Parrish (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Ian Price (Lord Henry Scroop of Marsham), Bryan Pringle (Pistol), Martin Smith (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), William Whymper (Richard, comte de Cambridge), Robert Ashby (Thomas Montagu, comte de Salisbury).
Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944) dans le cadre d’une série prestigieuse de la BBC visant à filmer la totalité des pièces du grand barde. Celle-ci, mise en scène par David Giles (qui vient de tourner la série I, Claudius), n’hésite pas à montrer un monarque complexe, brutal (l’assassinat des prisonniers français) et calculateur, à l’instar du film de Kenneth Branagh en 1989. Seule la bataille est filmée en extérieurs. David Gwillim joue aussi le jeune prince Hal dans l’épisode précédent, Henry IV de David Giles (cf. supra).
Kenneth Branagh dans la peau d’un monarque très ambivalent, copromis par ses origines (Henry V, 1989).
1989*** Henry V (Henri V) (GB) de Kenneth Branagh
Stephen Evans, Bruce Sharman/Renaissance Films PLC-BBC-Curzon Film Distributors, 2h17 min. – av. Kenneth Branagh (Henry V, roi d’Angleterre), Derek Jacobi (Chorus), Robert Stevens (Pistol), Emma Thompson (Catherine de Valois), Richard Easton (Charles Ier d’Albret, connétable de France), Charles Kay (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Paul Scofield (Charles VI, roi de France), Ian Holm (le capitaine Fluellen/Llewelyn), James Larkin (le duc de Bedford), James Simmons (Edward, duc d’York), Christopher Ravenscroft (Montjoie), Alec McCowen (John Fordham, évêque d’Ely), Daniel Webb (Gower), Michael Maloney (Louis, le dauphin de France), Harold Innocent (le duc Philippe de Bourgogne), Richard Clifford (Charles, duc d'Orléans), Janet Burnell (la reine Isabeau de Bavière), Paul Gregory (Ralph Neville, comte de Westmoreland), Brian Blessed (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Simon Shepherd (Humphrey de Lancastre, duc de Gloucester), Fabian Cartwright (Richard, comte de Cambridge), Nigel Greaves (Jean Ier, duc de Berry), Robert Coltrane (Sir John Falstaff), Geraldine McEwan (Alice), Jeffrey Hutchings (le caporal Nym), Edward Jewesbury (Sir Thomas Erpingham), David Lloyd Meredith (le gouverneur d’Harfleur), Judi Dench (Mistress Nell Quickly), Jimmy Yuill (le capitaine Jamie), Richard Briers (Thomas Bardolph), Stephen Simms (Lord Henry Scroop of Marsham), Michael Williams (Williams), Nicholas Ferguson (Richard Beauchamp, comte de Warwick), Tom Whitehouse (Sir John Talbot), Julian Gartside (le duc Jean de Bretagne), Christian Bale (Robin de Luggage-Boy), Shaun Prendergast (Bates), John Sessons (MacMorris).
La défaite des chevaliers français à Azincourt en 1415 et les épousailles du vainqueur, le roi Henry V, avec Catherine de Valois à Troyes – selon le drame de William Shakespeare (cf. film de 1944). En 1989, l’année du décès de Laurence Olivier, un autre jeune prodige des tréteaux anglais prend la relève en portant le drame de Shakespeare pour la deuxième fois à l’écran, également à titre de producteur, réalisateur, adaptateur et interprète principal. Né à Belfast, Kenneth Branagh, 28 ans, est déjà un ancien pensionnaire de la prestigieuse Royal Shakespeare Company pour laquelle il a joué Henry V en 1984, dans une mise en scène d’Adrian Noble. Deux ans plus tard, il crée sa propre troupe, The Renaissance Theatre, puis la société Renaissance Films lorsqu’il décide de se lancer dans la réalisation. Branagh veut un film populaire, accessible à tous, pas une pièce de musée. Plusieurs membres de sa troupe participent à la production, qui réunit, outre son épouse Emma Thompson, divers grands noms de la scène et du cinéma : Derek Jacobi, qui commente l’action (Chorus), Paul Scofield (auréolé d’Oscars pour A Man for all Seasons/Un homme pour l’éternité de Fred Zinnemann en 1966, et King Lear de Peter Brook, 1969) qui fut Henry V sur les tréteaux en 1946, Ian Holm, interprète de Henry V en 1964, et Judi Dench dans le rôle de la compagne de Falstaff. Branagh filme dans l’ordre chronologique aux studios de Shepperton et en extérieurs à Crowlink et Birling Gap, East Sussex (en Technicolor et Panavision). Le prince Charles, qui a longuement discuté la matière avec Branagh et visité le plateau, parraine en quelque sorte l’entreprise, financée majoritairement par des investisseurs privés. Contrairement au film d’Olivier en 1944, le budget est cette fois relativement serré (7,5 millions $/4 millions £), ce qui signifie une durée de tournage et un nombre de figurants et de chevaux limités.
Cette restriction répond aux options artistiques de Branagh, qui aspire à une œuvre intimiste plutôt que spectaculaire, réaliste plutôt que stylisée : ce n’est pas la matière historique avec ses accents patriotards qui l’interpelle, mais le personnage très ambivalent du roi. « Henry est empli de culpabilité, explique-t-il, il doit sa couronne à un père qui l’a usurpée. C’est un homme compromis par ses origines qui doit trouver une façon honorable de vivre » (Le Monde, 17.1.91). (Son père, Henri Bolingbroke, était devenu roi à la suite d’un coup d’État, en chassant Richard II.) Doutant de la légitimité de sa cause, il a du mal à supporter sa charge et attribue ses succès davantage à la Providence qu’à son talent de stratège. Comme Branagh lui-même, le jeune roi « est terrifié à l’idée que l’on découvre son incapacité à mener à bien ce qu’il entreprend », de sorte que la pièce se révèle « une étude passionnante du métier de chef. » Sa première apparition – il entre de dos, ses conseillers d’âge mûr se lèvent et s’inclinent respectueusement devant la caméra – donne le ton : traits juvéniles, visage poupin, la bouche sans lèvres, le regard défiant, il murmure ses directives d’une voix basse mais menaçante, ferme et dure. La colère rentrée, la fragilité affleurante, la solitude tourmentée. Ce jeu d’une intensité tranquille, loin de la déclamation héroïsante de Laurence Olivier, exprime l’autorité d’un manipulateur-né capable d’explosions de violence, voire de sauvagerie – comme il le démontrera notamment sous les murs d’Harfleur (« let’s imitate the action of the tiger »). Il devient retors et cruel avec les traîtres à Southampton, puis teste, encapuchonné dans une capeline qui le dissimule, le moral de ses soldats boursouflés de fatigue dont il cherche inconsciemment l’affection. Branagh suggère plus qu’il ne montre son humanité, par son soupir de soulagement lorsque Harfleur se rend et qu’il ne doit pas mettre à exécution sa menace d’exterminer la population, ou par les larmes coulant sur ses joues quand il fait pendre Bardolph, son vieux compagnon de beuveries surpris en train de piller une église en Artois. (Le cinéaste introduit par deux fois des plans en flash-back de Bardolph et de Falstaff provenant du drame Henry IV.)
Les soldats ont perdu leur superbe, on compte les morts après le carnage : Kenneth Branagh dans « Henry V ».
 À l’instar du film d’Olivier, la version Branagh part d’un lieu clos, diégétiquement extérieur au drame, pour élargir ensuite l’espace et le champ d’action : Derek Jacobi récite son prologue en arpentant un plateau de cinéma qu’illuminent des projecteurs, puis ouvre une porte sur un intérieur de Windsor Castle. À partir de là, tout sépare les deux films. Visuellement, Branagh cadre ses personnages en plans rapprochés (il n’y a jamais plus d’une trentaine de personnes à l’image, même à Azincourt) ou, quand il filme le roi, en gros plans : une manière de prendre le spectateur au collet et, en dirigeant son regard, à le forcer à partager ses émotions. Toutes les pièces sont sombres, éclairées parcimonieusement par des torches ou des bougies, une tonalité brunâtre et la pénombre dominent. En extérieurs, le ciel est bas, quand il ne fait pas nuit noire (le siège d’Harfleur signalé par explosions et incendies). Branagh réinsère tous les passages qu’Olivier avait sciemment exclus, n’hésitant pas à mettre en évidence les raisons cousues de fil blanc de la campagne en France, simple manœuvre de l’archevêque de Canterbury et de l’évêque d’Ely pour éviter la confiscation de terres de l’Eglise par la couronne, etc.
Mais c’est dans la représentation de la bataille d’Azincourt qu’il se démarque le plus de son glorieux aîné, dont le spectacle fastueux respirait la nostalgie de la grandeur britannique. Branagh remplace les altercations comiques entre Pistol et Le Fer par un tumulte âpre et sale, la confusion, la crasse et les atrocités du corps-à-corps, créant la plus longue séquence du film (20 minutes) à partir de tout ce que Shakespeare s’était refusé de montrer. Ce n’est plus l’Eisenstein abstrait et graphique d’Alexandre Newski qui sert de modèle, mais le Kurosawa désenchanté des Sept Samouraïs. Le champ de bataille n’est ici qu’un vaste marécage, un territoire inondé par la pluie battante où des effets de brume, diminuant la profondeur de champ, privent le spectateur de repères spatiaux ou topographiques. Les soldats de part et d’autre ont perdu leur superbe, l’héraldique ses couleurs. L’avancée mortelle de la cavalerie française se lit en gros plan sur les faciès grimaçants, angoissés, hurlants. Une dizaine d’envolées de flèches, la culbute des chevaux, les chevaliers ensevelis dans la boue, achevés par les coupe-gorges, les corps empalés, les bras et jambes sectionnés : Branagh parcourt frénétiquement ce pêle-mêle caméra à la main, filmant la tuerie de près, comme le reportage télévisé d’un correspondant de guerre (fonction assumée par Jacobi, le « chœur » du récit). Le Vietnam et le conflit des Malouines sont passés par là. Des ralentis soulignent l’effort physique, l’épuisement, la souffrance de ce cauchemar en terrain hostile dans lequel se débat Henry en titubant, le visage vérolé de sang et de glaise, comme tous ses compagnons d’armes. Azincourt est devenu un lieu de chaos où plus rien ne peut être contrôlé, un affrontement dont on ne perçoit plus ni les tenants, ni les aboutissants, ni les pertes, ni les gains. Exténué, le roi demande au héraut français qui a gagné… Le décompte des victimes est affligeant : dix mille tués français, vingt-neuf anglais (chiffres inventés par Shakespeare). Une seule explication à cela, déclare Henry à ses soldats silencieux, atterrés par l’ampleur partisane du carnage : « Dieu a combattu pour nous », puis il leur ordonne de chanter le Non nobis et le Te Deum. C’est une victoire au goût amer, pas un triomphe. La différence fondamentale d’approche entre Olivier et Branagh saute aux yeux dans leur utilisation respective du travelling à Azincourt. Olivier l’utilise en entrée, de droite à gauche, pour nous faire découvrir la plaine en accompagnant l’attaque flamboyante des chevaliers français au son d’une musique martiale. Branagh l’utilise en clôture, de gauche à droite, au son d’une lamentation chantée par les Anglais, révélant pour la première fois au spectateur toute l’étendue du champ de bataille – et de la boucherie : une longue marche funèbre à pied traversant un espace parsemé de dépouilles baignant dans des flaques d’eau rougie, de détrousseurs de cadavres et de veuves éplorées. Henry porte sur son épaule son page mort. Exit la « guerre noble ».
Tiraillé entre la puissance de sa fonction et l’incertitude de sa condition d’homme, le roi trouve la paix et l’ordre dans un final aux cadrages très hiératiques qui rappelle Les Nibelungen de Fritz Lang (la reddition à Troyes) et qu’enjolive sa malicieuse demande en mariage. Le film s’achève par le commentaire désabusé de Shakespeare sur la débandade anglaise après la mort du roi. Coup d’essai et coup de maître, cet Henry V qui parvient à universaliser son propos exhale en premier lieu l’énergie phénoménale et le talent de son interprète-réalisateur. Branagh réussit à ne pas idolâtrer son monarque autocrate ni à ridiculiser ses ennemis. Nombre de Français sont des matamores inconscients, certes, loyaux cependant et valeureux face à la mort. Le Charles VI de Paul Scofield est particulièrement réussi, vieillard soucieux, subtil, dépassé par les événements mais d’une dignité qui force le respect. Le British Film Institute décerne à Henry V le prix du meilleur film britannique de l’année 1990, et Hollywood deux nominations à l’Oscar (acteur, réalisateur) ainsi qu’une statuette d’or pour les costumes. En France, les distributeurs font d’abord la sourde oreille – Azincourt n’est pas Austerlitz ! – , mais Gérard Depardieu découvre le film aux États-Unis, s’enthousiasme, en rachète les droits pour la diffusion dans l’Hexagone et double Branagh dans la version française que rédige Jean-Michel Deprats, le traducteur de Shakespeare à la « Pléiade ». Un hommage de taille. – DE, AT : Heinrich V., IT : Enrico V, ES : Enrique V.
1991(vd) The Wars of the Roses – Henry V (GB) de Michael Bogdanov
Série “The Shakespeare Collection”, John Paul Chapple, Andy Ward, Tim Milson, Jim Reeve, Russ Russell, John Kelleher/English Shakespeare Company (Michael Bogdanov, Michael Pennington)-Portman Productions-BBC & Open University-Time Life. – av. Michael Pennington (Henry V), John Darrell (le duc d’Orléans), Andrew Jarvis (le Dauphin Charles), Clyde Pollitt (Charles VI, roi de France), Francesca Ryan (Catherine de Valois), June Watson (Mistress Quickly), Ian Burford (le duc d’Exeter), Paul Brennen (Pistol), Philip Bowen (Monjoy), Ben Bazell (le comte de Westmorland), Colin Farrell (Sir Thomas Erpingham), Phil Rees (Sir Thomas Grey), Sion Probert (capitaine Fluellen).
Épisode de l’octologie des chroniques royales de Shakespeare, Richard II, Henry IV, Henry V, Henry VI et Richard III, montées en 1989 à l’Old Vic à Londres et filmées en 1990 sur video par le fondateur de l’English Shakespeare Company au Grand Theatre de Swansea.
1993(tv) Agincourt 1415 : The Triumph of the Longbow (GB) de Graham Holloway
Série « The History of Warfare », Bob Carruthers/Cromwell Films (Sky TV 1994), 60 min. – av. Toby Merrell (Henry V), Ian Brooker (Jean Frossart), Philip Rosch (Thomas Elmham), Brian Blessed (narration).
Docu-fiction qui détaille la victoire anglaise sur l’immense armée française à Azincourt grâce à l’efficacité de l’arc long. Le récit fait intervenir les chroniqueurs Thomas Elmham (1364-1427), aumônier de Henry V qui assista à la bataille, et Jean Froissart (v. 1337-1404), une des sources les plus importantes sur la première moitié de la guerre de Cent Ans. Une reconstitution onéreuse pour un téléfilm (budget : un millions de £).
1997(tv) Henry V at Shakespeare’s Globe (GB) de Richard Olivier et Steve Ruggi
Debra Hauer, Jac Venza Prod. (Channel Four 15.6.97 / BBC 5.11.97 / PBS 6.11.97), 20 min. – av. Mark Rylance (Henry V), Matthew Sourfield (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), John McEnery, Vincent Brimble, William Russell, Brian Cox (Chorus), David Fielder, David Lear, Craig Pinder, Steven Skybell, Chrstian Camargo, Nick Fletcher, Vincent Brimble, Rory Edwards, Rick Young, Zoë Wanamaker (le Prologue).
Une captation de l’acte IV de la pièce (cf. film de 1944), tournée lors de l’inauguration du nouveau Globe Theatre à Londres. Brûlé en 1613, l’édifice a été entièrement reconstruit à l’initiative de l’acteur-réalisateur américain Sam Wanamaker (décédé en 1993, avant la fin des travaux). Rylance, l’interprète d’Henry V, est aussi le directeur artistique du Globe.
2003Henry V (US) de Neal J. Gauger
Ad’Hoc Productions-Honad Productions. – Le drame de Shakespeare (cf. film de 1944) tourné à Philadelphie.
2004* (tv) The Battle of Agincourt. A Friday in Hell / La Bataille d’Azincourt. Un vendredi en enfer / Die Schlacht von Azincourt. Ein Freitag in der Hölle (GB/FR/DE) de Pascal Guissot et Robert Coldstream
Arte France-Gedeon Programmes-Channel Four-Juniper Productions-CNC (Channel Four 4.10.04 / Arte 27.11.04), 54 min. – av. Grant Aylward, Peter Brent, Nick Musker, Oakley Turvey, David Barrass, Craig Karpel, Jonathan Oliver.
Docu-fiction totalement réussi, avec commentaires, analyses d’exégètes franco-anglais, cartes, parchemins, images infographiques et reconstitution de divers épisodes de la bataille du 25 octobre 1415, où les hommes du roi Henry V affrontent une armée française de beaucoup supérieure en nombre (les chiffres varient fortement selon les sources, entre 9 à 15'000 Anglais contre 15 à 50'000 Français), et du carnage qui s’en suivit. Encombrés par leurs lourdes armures et piétinant dans la boue, les chevaliers français se battirent sans aucune discipline et sans plan stratégique. La fin humiliante et les pertes très élevées des Français (de six à dix mille morts) marque aussi le début de la longue guerre entre les Bourguignons, qui se rangent dès l’année suivante aux côtés des Anglais, et le parti royal des Armagnacs. Ce désastre porta à la noblesse française un coup dont elle ne se releva pas. Un panorama instructif et très convaincant qui décrit la victoire d’un corps d’armée uni et de sa stratégie contre l’idéal chevaleresque et sa seule bravoure.
2007William Shakespeare’s Henry V (US) de Peter Babakitis
P. Babakitis/Image Garden Productions, 2h37 min. – av. Peter Babakitis (Henry V), Gwyneth Horobin (Catherine de Valois), Duncan Maddux (Louis, le dauphin de France), Gibson Towns (Charles VI), Brian Narelle (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Sabaa Rehmani (Chorus), Phil Sheridan (Pistol), Howard Dillon (Montjoie), Paul Spitale (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Erin-Kate Whitcomb (Alice), Christopher Grey (Williams), Robert Lundy-Paine (Charles, duc d’Orléans), Peter Penhallow (Thomas Bardolph), Alexander Babakitis (le garçon), John Sugden, Howard Dillon, Douglas Van Leuven.
Production indépendante dont Babakitis est à la fois le réalisateur, l’adaptateur, le producteur, la vedette et le musicien, cet Henry V capte les exploits d’un « guerrier, champion, terroriste et roi » (publicité). « Je ne serai pas roi d’Angleterre sans être celui de la France » s’exclame ce monarque si populaire dont Babakitis veut dénoncer « la monstruosité et l’ambition aveugle », tout en établissant des parallèles hasardeux avec l’héritage colonialiste occidental et la présence américaine en Irak. Le film utilise à cet effet une technologie de cinéma d’avant-garde, une caméra agitée et des images sous-éclairées pour aboutir à un opéra d’effets infographiques d’une rare laideur, où des zébrures de couleurs saturées se heurtent à la grisaille floue des fonds. Pour la reconstitution des combats à Harfleur et à Azincourt, diverses associations en costumes (The Skirmishers, The Saint Sebastians, The Oxford Household) lui prêtent main-forte, et Babakitis fabrique avec leur appui des images de synthèse, mi-stylisées mi-naturalistes, mais ce cirque visuel ne cache à aucun moment l’inanité de l’interprétation ni l’amateurisme de l’entreprise. Une tentative prétentieuse de démythologiser le nationalisme et la royauté dont l’exploitation se limite au marché DVD.
2012* (tv) The Hollow Crown : Henry V (Le Cercle creux de la couronne: Henri V) (GB/US) de Thea Sharrock
Sam Mendes, Pippa Harris, Rupert Ryle-Hodges, Gareth Neame, Ben Stevenson/BBC Two-Neal Street Productions-NBC Universal Television-WNET Thirteen (BBC Two 21.7.12), 2h15. – av. Tom Hiddleston (Henry V), Geraldine Chaplin (Alice), Paul Freeman (Sir Thomas Erpingham), Tom Georgeson (Bardolph), Richard Griffiths (Philippe, duc de Bourgogne), Paterson Joseph (Edward, duc d’York), James Laurenson (comte de Westmoreland), Anton Lesser (Thomas Beaufort, duc d’Exeter), Paul Ritter (Pistol), Malcolm Sinclair (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Owen Teale (cpt. Fluelen), Mélanie Thierry (Catherine de Valois), Lambert Wilson (Charles VI, roi de France), Julie Walters (Mistress Nell Quickly), John Hurt (Chorus), Edward Akrout (Louis, dauphin de France), Tom Brooke (caporal Nym), Richard Clothier (comte de Salisbury), Nigel Crooke (John Fordham, évêque d’Ely), Jérémie Covillault (Montjoie), John Dagleish (John Bates), Philippe de Brugada (gouverneur d’Harfleur), Maxime Lefrançois (Charles Ier d’Albret, connétable de France), Simon Russell Beale (Sir John Falstaff), Stanley Weber (Charles, duc d’Orléans).
Synopsis cf. le film de Laurence Olivier (1944). – The Hollow Crown est une série de sept téléfilms shakespeariens produite à grand frais pour la BBC (dans le cadre des « Cultural Olympiad ») par le prestigieux cinéaste britannique Sam Mendes qui a décroché l’Oscar et le Golden Globe pour American Beauty en 2000, auteur de Road to Perdition, de deux James Bond avec Skyfall et Spectre, de 1917, etc.). BBC Worldwide ayant rejeté le projet par crainte d’un manque à gagner, Mendes mobilise sa propre société (Neal Street Productions) et, sa réputation aidant, décroche une participation substantielle de fonds américains via Universal Television, représenté par Gareth Neame (producteur des séries Downton Abbey et Rome). La série, filmée entièrement en extérieurs et décors authentiques, se décline en deux saisons : la première, datant de juin-juillet 2012, comprend Richard II, les deux parties de Henry IV et Henry V. La deuxième saison, diffusée en mai 2016, porte le sous-titre de The Wars of the Roses et contient les trois parties de Henry VI suivies de Richard III. Démarrant en 1399, ces drames historiques nous emmènent de la Cour de Westminster jusqu’aux champs de bataille de France et d’Angleterre pendant seize années de jeux de pouvoirs politiques et monarchiques, puis au travers de la Guerre civile des Deux-Roses jusqu’à la bataille de Bosworth en 1485, quand disparaît le dernier monarque Plantagenet. Pour plus de détails sur cette remarquable série, cf. commentaires sur le premier segment de la série, sous le règne de Richard II (2012).
Réalisatrice et metteur en scène de théâtre britannique, Thea Sharrock tourne la majorité de ses séquences en extérieurs et en décors naturels, le palais de Charles VI à Penshurst Place (Kent), tandis que St David’s Cathedral devient Westminster Hall. Pour la bataille d’Azincourt, reconstituée dans le parc de Squerryes Court à Westerham (Kent), la technique digitale permet de démultiplier un lot de 80 figurants en une armée de 8000 hommes. Hélas, Hiddleston n’a pas la fougue d’un Branagh en 1989 et le téléfilm est souvent desservi par un rythme trop lent. Après la victoire à Azincourt, un carton final signale que Henry V est mort de la dysenterie à l’âge de 35 ans et que son fils perdra toutes les terres acquises en France, une conclusion maussade qui correspond au ton désillusionné de toute la série.
2011-13[en projet] Agincourt (US/GB) de Michael Mann. – En projet : adaptation d’un roman homonyme de Bernard Cromwell (créateur de la série à succès des Sharpe) paru en 2008 : le destin d’un condamné à mort anglais, dont les aptitudes au tir à l’arc attirent l’attention du roi Henry V, et qui devient un redoutable archer, se distinguant à la bataille d’Azincourt. Scénario en cours d’écriture (Stuart Hazeldine), sous la direction de Michael Mann (Heat<, The Last of the Mohicans).
2016-2018® (tv) The Windsors (GB) série parodique d’Adam Miller et Amanda Blue. – av. Jolyon Coy (Henry V).
2017® (tv) La Guerre des trônes – 4. Le Roi fou et la Pucelle (1392-1453) (FR) série d’Alain Brunard et Vanessa Pontet. – av. François David Cardonnel (Henry V). – cf. France.
Dans « The King », le jeune Henry V (Timothée Chalamet) n’a rien du « Harry le belliqueux » entré dans l’histoire.
2019(ciné-tv) * The King (Le Roi) (GB/HU/US/AU) de David Michôd
Brad Pitt, Joel Edgerton, David Michôd, Dede Gardner, Jeremy Kleiner, Liz Watts/Netflix-Plan B Entertainment-Porchlight Films-Blue Tongue Films-Pioneer Stilking Films-Yoki (Netflix 1.11.19), 133 min. – av. Timothée Chalamet (Henry, prince de Galles dit Hal, futur Henry V), Tom Glynn-Carney (Harry Percy, dit Hotspur), Tom Fisher (Henry Percy, comte de Northumberland), Ben Mendelsohn (Henry IV Bilingbroke), Joel Edgerton (Sir John Falstaff), Tom Lawrence (Ralph Neville, comte de Westmoreland), Steven Elder (Thomas Beaufort, comte de Dorset, duc d’Exeter), Sean Harris (William Gascoigne, Chief Justice), Edward Ashley (Richard of Conisburgh, duc de Cambridge), Stephen Fewell (Sir Thomas Grey), Ivan Kaye (Lord Henry Scrope), Josef Davies (Beale), Niké Kurta (Molly), Andrew Havill (Henry Chichele, archevêque de Canterbury), Dean-Charles Chapman (le prince Thomas de Lancaster, frère cadet du roi), Tara Fitzgerald (Hooper), Philip Rosch (Lord Chamberlain), Lucas Hansen (Eric, roi du Danemark), Thomasin McKenzie (Philippa, reine du Danemark et soeur de Henry V), Vincent La Torre (Jean d’Estouteville), Robert Pattinson (Louis de Guyenne, troisième dauphin de France), Thibault de Montalembert (Charles VI, roi de France), Lily Rose Depp (Catherine de Valois), Alex Reed (le baron des Cinq-Ports), Tom Lacroix (Gilrich), Jeremy Chevillotte (Lord Steward), Rachel O’Shaughnessy (Elizabeth).
Synopsis : Peu disposé à succéder à son père Henry IV Bolingbroke que sa tyrannie et ses manoeuvres politiciennes répugne, le prince Hal a tourné le dos à la vie de cour et séjourne parmi le petit peuple de Londres, auprès de son mentor débauché, Sir John Falstaff à Eastcheap. Le roi le convoque et lui annonce que son frère cadet, Thomas, va hériter du trône à sa place et affronter la rébellion de Hotspur. Hal le précède sur le champ de bataille à Shrewsbury et tue Hotspur, suscitant la jalousie de son frère qui décède peu après en affrontant les Gallois. En 1413, Hal devient Henry V, à contrecoeur mais bien déterminé à se démarquer du règne paternel. Il opte pour la paix et la réconciliation générale dans le royaume, ce que ses adversaires prennent pour de la faiblesse. Le Dauphin de France ayant cherché à l’humilier publiquement lors du couronnement et Charles IV même payé des assassins pour le tuer, Henry déclare la guerre à la France après avoir fait exécuter le duc de Cambridge et Lord Grey, soudoyés par l’ennemi. Contraint de prendre les armes, il nomme Falstaff, le seul homme en qui il ait confiance, maréchal responsable de la stratégie des armées. Après le siège d’Harfleur, qui se déroule sans versement de sang, le Dauphin cherche vainement à provoquer Henry. Aux abords d’Azincourt, le comte de Dorset veut persuader le roi de se retirer devant l’écrasante supériorité numérique des Français, mais Falstaff propose de piéger l’adversaire dans la boue où il sera à la merci de ses archers. Henry veut se mesurer avec le Dauphin en combat singulier pour éviter un bain de sang général, mais ce dernier refuse. L’Anglais remporte la victoire, le Dauphin périt avec ses hommes. Auparavant, Henry a donné l’ordre de tuer tous les prisonniers français, ordre que Falstaff a refusé d’exécuter. Charles VI se rend et donne au vainqueur la main de sa fille Catherine de Valois. De retour en Angleterre après les noces, Catherine somme son époux de lui expliquer les raisons de l’invasion britannique en France. Elle conteste ses explications et innocente son père comme son frère qui n’ont jamais provoqué Londres. Henry se rend compte que l’insulte et l’agression française étaient une manoeuvre mise au point par William Gascoigne, le Grand Juge du royaume d’Angleterre (avec la complicité de l’archevêque de Canterbury), pour contraindre le roi à prendre les armes. Henry confronte Gascoigne qui admet l’avoir dupé, car « la paix ne vient qu’après la victoire ». Fou de rage, Henry le tue. Il supplie ensuite Catherine de toujours lui dire la vérité.
Louis de Guyenne, dauphin de France (Robert Pattinson) personnage rendu arrogant et ridicule (« The King », 2019).
 Un scénario des Australiens David Michôd et Joel Edgerton dont l’intrigue s’inspire très superficiellement des chroniques d’époque et des drames Henry IV et Henry V de Shakespeare, pour un film distribué et diffusé brièvement en salle, puis à la télévision par Netflix. Le tournage de cette fresque post-Brexit (juin-août 2018) s’est déroulé principalement en Hongrie, à Szilvásvárad (massif du Bükk), au village de Páty (Pest) et à Komárom ; Azincourt est recréé dans la puszta avec 300 figurants et 80 chevaux, tandis que le reste des extérieurs est enregistré en Angleterre, dans le Lincolnshire, au château de Berkeley (Gloucestershire), à Battle Abbey (East Sussex) et dans la cathédrale de Lincoln (pour Westminster Abbey). La première de The King a lieu à la Mostra de Venise 2019 (hors compétition), suivi d’une projection au BFI London Film Festival. Le film récolte plusieurs distinctions (13 nominations aux AACTA Awards à Sydney, dont quatre statuettes pour Joel Edgerton en Falstaff, la photo, les décors et les costumes) et un prix du London Film Critics’ Circle pour Robert Pattinson (rôle du Dauphin). L’accueil public est unanimement chaleureux, car la production est fort bien ficelée, interprétée souvent avec maestria, et ne manque pas de tenue ni de panache dans ses séquences guerrières (avec quelques bizarreries comme ces rangées de fantassins en armure de chevaliers).
En revanche, le film subit un déluge de reproches pour ses trop nombreuses falsifications ou inventions sur le plan historique, dignes d’un sous-produit costumé de Cinecittà. Outré, Christophe Gilliot, directeur du Musée d’Azincourt, parle carrément de « francophobie », car ce qui est accepté à titre de licence poétique chez Shakespeare (auteur conditionné par la propagande des Tudors et privé d’historiographie sérieuse) n’a pas sa place dans un produit international de culture de masse contemporain qui s’affirme documenté. À moins d’y lire un manifeste post-Brexit radicalisé sous l’influence populistico-trumpienne du Premier ministre Boris Johnson. Ainsi, Henry V qu’interprète Timothée Chalamet, le petit prince gracile du cinéma américain (star de A Rainy Day in New York de Woody Allen), n’était ni un humaniste ni un pacifiste soucieux de menager ses armées, mais au contraire belliqueux, cruel et agressif : sa campagne en France, après vingt ans de trêve, suivait la politique extérieure de ses aïeux. À l’issue d’Azincourt, et contrairement à toutes les règles de chevalerie, il fit tuer tous les prisonniers français, brûlés vifs dans des granges, égorgés ou la tête écrasée à coups de masses. « Harry le belliqueux », comme on le surnommait, affama la population de Rouen en 1418/19, faisant 35’000 morts en six mois de siège. Le Grand Juge Gascoigne ne fut pas tué par le jeune roi, mais renvoyé dès le début de son règne en raison de sa trop grande proximité avec son père. Son frère cadet Thomas ne mourut pas au Pays de Galles mais en France, huit ans après le couronnement. Le Dauphin de France, Louis de Guyenne, dix-huit ans, n’était présent ni à Harfleur ni à Azincourt. Décédé deux mois après ce désastre militaire, c’était un jeune homme pieux, effacé et de santé fragile, tout le contraire de la brute arrogante, vulgaire et clownesque du film qui trouve une mort ridicule dans la boue. Enfin, contrairement au souverain du drame de Shakespeare, Henry V n’a jamais mené une vie de débauche dans sa jeunesse et n’a pas défié ni tué Hotspur en duel à Shrewsbury (où il fut blessé par une flèche qui lui laissa une horrible cicatrice); après Azincourt, il lui fallut attendre encore cinq ans et le traité de Troyes avant de pouvoir obtenir la main de Catherine de Valois. Quant à faire du paillard Falstaff – personnage inventé de toutes pièces par Shakespeare – le génial tacticien d’Azincourt, cela se passe de commentaire. Il ne manque plus que les extraterrestres.