Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

2. VIE SENTIMENTALE ET FAMILLE

2.5. Napoléon II, l’Aiglon

François-Charles-Joseph-Napoléon Bonaparte (1811-1832), fils et héritier de Napoléon et de Marie-Louise d’Autriche, titré Roi de Rome à sa naissance, puis prince de Parme, proclamé Napoléon II en 1814 et à la fin des Cent-Jours en juin-juillet 1815 (il est de droit empereur des Français en l’absence de Napoléon pendant deux semaines), enfin François/Franz duc de Reichstadt par son grand-père maternel, l’empereur François I er, en 1818. Napoléon abdique en sa faveur, mais sa mère l’emmène en exil à la cour d’Autriche, au palais de Schönbrunn où il grandit sous la surveillance étroite du prince de Metternich, jadis l’ennemi acharné de son père. Sa mère l’abandonne sur place et gagne son duché de Parme où elle règne à titre viager, flanquée de son amant et futur mari, le comte de Neipperg. L’empereur d’Autriche traite son petit-fils Franz comme un membre de sa famille, le faisant élever parmi les archiducs d’Habsbourg-Lorraine, mais l’adolescent apprend le français et redécouvre son père en lisant notamment Le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases. Il est très proche de sa tante par alliance, l’archiduchesse Sophie de Bavière, une fervente bonapartiste qui n’a que six ans de plus que lui et est déjà mère du futur empereur François-Joseph (la sœur aînée de Sophie, Augusta de Bavière, avait épousé Eugène de Beauharnais). Son seul ami intime est Antoine de Prokesch-Osten. En juillet 1830 en France, la lassitude face à la Restauration des Bourbons est à son comble, et le nom quasi mythique du fils de Napoléon résonne comme la promesse d’un monde nouveau : héros malgré lui, le duc de Reichstadt canalise tous les espoirs – et toutes les peurs des gouvernements européens. Érigée en royaume, la Belgique, puis la Pologne en révolte, l’Italie et la Grèce envisagent sa candidature au trône (novembre 1830).
Deux ans plus tard, peurs et espoirs sont balayés par la tuberculose qui emporte le fils de l’Aigle à l’âge de 21 ans. Metternich aurait empêché sa guérison en refusant qu’il rejoigne sa mère en Italie. Son corps sera transféré aux Invalides sur ordre d’Adolf Hitler le 15 décembre 1940, date programmée jour pour jour 100 ans après le retour de l’Empereur aux Invalides, afin de promouvoir la collaboration avec Pétain.
Son surnom l’Aiglon lui a été attribué à titre posthume par Victor Hugo et popularisé par L’Aiglon d’Edmond Rostand, drame en six actes en alexandrins qui prend son envol triomphal le 15 mars 1900 grâce à Sarah Bernhardt, 56 ans, dans le rôle-titre, et Lucien Guitry en grognard Flambeau (Théâtre Sarah Bernhardt, place du Châtelet à Paris) ; la pièce est jouée pendant deux ans consécutifs au Châtelet devant des salles combles ; dans le rôle de l’Aiglon, Sarah Bernhardt totalisera près de mille deux cents représentations à travers le monde. – Cf. aussi le drame musical éponyme d’Arthur Honegger et Jacques Ibert, d’après un livret d’Henri Cain qui reprend les grandes lignes de la pièce de Rostand (1937) ; dans le quatrième acte, à Wagram, Honegger utilise partiellement la musique de sa partition pour le Napoléon d’Abel Gance (1927).

Nota bene : La prétendue liaison de Fanny Elssler avec le duc de Reichstadt est une légende propagée par les bonapartistes français à l’occasion de la première tournée de la fameuse danseuse viennoise à Paris, en 1834. La concernée se garda bien de démentir les faits, pour des raisons de publicité.
1910Le Roi de Rome (FR) d’André Calmettes
Le Film d'Art. – av. Rolla Norman (Napoléon II), Henri Desfontaines. – Réalisateur du film, André Calmettes a interprété Metternich à la première mondiale de L’Aiglon au Théâtre Sarah Bernhardt. – DE : Der König von Rom.
1910L’Aigle et l’Aiglon – 1811-1832 (FR) d’André Calmettes
Le Film d’Art, 320 m. – av. PHILIPPE GARNIER (Napoléon), Jacques Guilhène (Napoléon II adulte [le duc de Reichstadt]), Magda Simon (Marie-Louise d’Autriche), Renée Pré (Napoléon II enfant [le Roi de Rome]), Gabriel Signoret (Claude François de Ménéval).
Calmettes (cf. supra) remet ça, à partir d’un scénario d’Henri Lavedan (un ami d’Edmond Rostand), de l’Académie française, et Gaston Lenôtre. Garnier et Guilhène sont tous deux de la Comédie-Française, Signoret vient du Théâtre Réjane et Magda Simon du Palais-Royal. – US : The Eagle and the Eaglet.
1911Le Duc de Reichstadt (1811-1832) (FR) de Georges Denola (?)
Pathé Frères S.A. (Paris), 270 m./env. 15 min. – av. Gabriel de Gravone (Napoléon II, duc de Reichstadt), Berthe Bovy (la fille du sergent).
Chétif et malade, le Roi de Rome s’épuise à Schönbrunn dans l’évocation des gloires paternelles. Dans une auberge viennoise, le jeune prince surprend le sergent Roger (Flambeau ?), un vieux grenadier de Napoléon, en train d’ourdir un complot pour lui rendre le trône et reprend espoir. Une brève idylle avec la fille du sergent ensoleille ses derniers jours. – Un lointain démarcage de la pièce d’Edmond Rostand. – US : The Duke of Reichstadt.
1911L’Empereur et le Roi de Rome (FR)
Établissements Gaumont S.A. (Paris), 168 m. – av. Frédéric Abélard (Napoléon II).
Le petit Roi de Rome, cinq ans, joue dans la salle d’état-major avec son père. La comtesse de Courbille se fait annoncer et apporte à l’Empereur une missive dans laquelle elle le supplie d’épargner son fils, condamné à mort pour avoir participé à une conjuration. Napoléon refuse de l’écouter. Elle sort et s’effondre en pleurs devant le Roi de Rome qui joue aux petits soldats. L’enfant l’écoute, intercède auprès du père qui le renvoie sèchement, puis regrette sa dureté, console son fils, lit la lettre de la comtesse et fait gracier le conspirateur.
Le Roi de Rome donne la lettre de pardon à la comtesse reconnaissante.
Une saynète teintée de comédie dans laquelle, pour la plus grande joie des spectateurs, le petit Abélard imite les attitudes de son père. – DE : Der König von Rom, US : The Young King of Rome ; The Little King of Rome, or Napoleon and His Son.
1914L’Aiglon (FR) d’émile Chautard
Henry Hertz/Société Le Théâtre-Société Française des Films Eclair-Association des compositeurs et auteurs dramatiques (ACAD)-Les Films Louis Aubert, 4000 m. – av. Jacques Guilhène (Napoléon II, duc de Reichstadt), Maxime Desjardins (le prince Klemens Wenzel von Metternich), Louis Ravet (le grenadier Jean-Pierre Séraphin Flambeau), Henri Roussell (comte Anton von Prokesch-Osten), A. LAROCHE (Napoléon), Emmy Lynn (Thérèse de Lorget), Jules Mondos (comte Sedlinsky), G. Maury (François Ier d’Autriche), Catherine Fonteney (Élisa Napoléone Baciocchi, comtesse Camerata), Pepa Bonafé (Fanny Elssler), Jeanne Kerwich (Marie-Louise d’Autriche), Marie-Louise Derval (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche), Paul Guidé (Tiburce de Lorget), Philippe Garnier (l’archevêque).
Synopsis, cf. film de 1931. – Le producteur Henry Hertz (directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris et patron de la société cinématographique « Le Théâtre ») s’étant réservé les droits d’adaptation à l’écran de toute l’œuvre de Rostand, cette première adaptation filmique (muette) de L’Aiglon fait jaser. Parti d’un scénario du romancier Pierre Veber et de Rostand lui-même, Chautard transforme les six actes du drame en 154 tableaux, illustrant également toutes les scènes décrites ou simplement évoquées dans le dialogue (comme la bataille de Wagram que le duc de Reichstadt fait reconstituer par son régiment de chasseurs tyroliens). Le tournage a lieu au printemps 1914 dans les studios d’Epinay-sur-Seine avec des artistes choisis dans les troupes de la Comédie-Française et de l'Odéon. Le moment semble bien choisi, le climat politique international est tendu, le sujet réveille les vertus nationales, la gloire du passé et un certain esprit revanchard dirigé contre la puissance germanique. Le film sort le 3 juin sur le plus grand écran de Paris, celui du Théâtre du Châtelet, accompagné par quarante musiciens. Sarah Bernhardt, créatrice de L’Aiglon en 1900, a acquis le monopole des représentations de la pièce à Paris et s’offusque de cette concurrence déloyale, le film étant programmé dans une salle située en face de son propre théâtre. Pour la calmer, Rostand lui abandonne la totalité de ses droits sur les projections. Le conseil municipal de Paris ainsi qu’une délégation étrangère assistent à l’une des séances, mais cette intrusion des gens de théâtre dans l’univers cinématographique est un four. La critique juge le film ennuyeux, interminable (plus de deux heures), et il doit être déprogrammé après vingt jours. Cédé à Louis Aubert, il sera entièrement remanié et exploité en deux épisodes en 1916 sous les titres de Les Ailes qui s’ouvrent et Les Ailes brisées.
1915I soldatini del Re di Roma (IT) d’Eleuterio Rodolfi
Società Anonima Ambrosio, Torino, 785 m. – av. Fernanda Negri-Pouget (Napoléon II, duc de Reichstadt), ANTONIO GRISANTI (Napoléon), Cesira Lenard (Marie-Louise d’Autriche), Eleuterio Rodolfi (le prince Klemens Wenzel von Metternich), Angelo Pezzaglia (l’espion).
« Les petits soldats du Roi de Rome » est un scénario original d’Arrigo Frusta tourné dans les nouveaux studios Ambrosio de la Via Mantova à Turin. Fernanda Negri-Pouget, une des grandes divas du cinéma muet italien (Béatrice dans Dante e Beatrice et l’aveugle Nidia dans Gli ultimi giorni di Pompei en 1913), incarne l’Aiglon à l’écran, perpétuant la tradition selon laquelle le duc de Reichstadt peut être incarné par une femme, à l’instar de Sarah Bernhardt qui créa le rôle au début du siècle.
1920Der Herzog von Reichstadt (Le Duc de Reichstadt) (AT) de Hans Otto Löwenstein
Historia-Film Wien, 6 actes. – av. RAINER SIMONS (Napoléon), Olaf Fjord (Napoléon II, duc de Reichstadt/Alexandre Wronsky), Käte Schindler (Marie-Louise d’Autriche), Maria Mindszenty (Hermine von Metternich), Annemarie Steinsieck (Helene Favour), Hugo Werner-Kahle (le prince Klemens Wenzel von Metternich), Mlle Pittner (Fanny Elssler), Souzal (François Ier d’Autriche), Maria Pünkösdy (Marja), Paula Marki (comtesse Schönstein), Robert Balajthy (Duval), Franz Weissmüller (Monthalva), Herr Roth (vieux domestique).
Tourné à Vienne, au château de Schönbrunn (dans les appartements privés de l'empereur François I er d’Autriche jusqu’alors fermés au public) d’après un scénario original d’Alfred Deutsch-German, ce film est projeté en France en dépit de sa nationalité, deux ans après la fin du conflit mondial ; le distributeur précise toutefois que les interprètes sont autrichiens, italiens et français, mais qu’il n’y a aucun Allemand au générique ! Et comme le sujet concerne aussi la France ... « Ce qui milite en faveur de ce film, dit un critique parisien, c’est le respect pour ainsi dire religieux avec lequel ont été mises en scène toutes ces situations historiques où la France, son drapeau et son Empereur évoqués semblent ressusciter. Il y a deux scènes fort belles et d’un patriotisme français des plus élevé. La présentation du drapeau des grenadiers de la Garde au jeune Roi de Rome, et la révolte de cet exilé, de cet orphelin, de ce prisonnier, le duc de Reichstadt, lorsqu’il jette aux pieds de Metternich son épée d’officier autrichien, jetant à la face ce cri du cœur : « Avant tout, je suis Français ! » (Cinémagazine, 29.4.21). Le réalisateur Löwenstein s’attaquera à deux autres sujets napoléoniens, Les Comédiens de l’Empereur (Die Schauspieler des Kaisers) en 1921 (cf. p. 142) et Napoleon in Schönbrunn en 1922 (p. 325). Quant à la pièce d’Edmond Rostand (rebaptisée Herzog von Reichstadt), elle sera montée au Burgtheater à Vienne en 1926 seulement, où, malgré des coupures, elle suscitera des protestations, puis une interdiction (dans le rôle-titre : Ida Roland alias la comtesse Koudenhove-Kalergi).
1920Die Erlebnisse der berühmten Tänzerin Fanny Elssler [Les Aventures de la célèbre danseuse Fanny Elssler] (DE) de Friedrich Zelnik
Zelnik-Mara-Film GmbH (Berlin)-Artistic, 5 actes. – av. Lya Mara (Fanny Elssler), Rudolf Forster (Friedrich von Gentz), Ernst Hofmann (Napoléon II, duc de Reichstadt), Heinrich Peer (prince Klemens Wenzel von Metternich), Josef Reithofer (Lord Ebester), Ilka Grüning, Karl Platen, Karl Harbacher, Hilde Arndt.
Synopsis : La danseuse Fanny Elssler, maîtresse de Friedrich von Gentz, homme politique et secrétaire personnel de Metternich, est introduite à la cour à Schönbrunn. La mort dans l’âme, Gentz lui transmet les ordres de son chef : Fanny est priée de séduire le duc de Reichstadt et de le détourner ainsi de ses rêveries politiques en France. Fanny est révoltée par tant de cynisme, mais ne peut résister à faire la connaissance de l’Aiglon et danser la valse avec lui ; au cours d’une promenade nocturne dans le parc du château, elle lui révèle sa mission secrète et le met en garde contre les machinations de Metternich. Le duc, dont la santé semble fragile, tombe amoureux de la ballerine, mais, après quelques tourments sentimentaux, celle-ci lui fait comprendre que seule sa carrière lui importe et elle se réconcilie avec Gentz avant de partir en tournée à l’étranger, laissant l’Aiglon à son sort.
Fille du valet et copiste de Joseph Haydn, la danseuse étoile viennoise Fanny (Franziska) Elssler (1810-1884) fit une carrière internationale (Naples, Berlin, Londres, Paris, Amérique du Nord, Cuba) et suscita, entre autres, l’admiration de Théophile Gautier. Elle était effectivement liée avec le politicien, diplomate, écrivain et publiciste Friedrich von Gentz, un des adversaires européens de Napoléon les plus actifs, et resta à ses côtés jusqu’à sa mort, en 1832. Pour leur film, le producteur-réalisateur Friedrich Zelnik et son épouse, la star polonaise Lya Mara, s’inspirent de l’opérette posthume Die Tänzerin Fanny Elssler de Johann Strauss fils, arrangée par Bernard Grun et Oskar Stalla d’après le livret de Hans Adler. La scénariste Fanny Carlsen modifie légèrement l’intrigue en éliminant le personnage du baron fictif François Fournier (cf. infra, 1965). En 1922, les époux Friedrich Zelnik-Lya Mara aborderont un deuxième sujet lié à la progéniture de l’Empereur, Die Tochter Napoleons (La Fille de Napoléon) (cf. p. 85). – IT : La danza che uccide.
1920/21® L’Agonie des Aigles : 1. Le Roi de Rome (FR) de Dominique Bernard-Deschamps [et Julien Duvivier]. -
av. SÉVERIN-MARS [= Armand-Jean de Malafayde] (Napoléon / le colonel comte de Montander), Denise Séverin-Mars (l’impératrice Marie-Louise), Maxime Desjardins (gén. Jean-Martin Petit / cdt. Doguereau), Jean Rauzéna (Napoléon II, roi de Rome), Legall (Joseph Fouché), Moreno (le prince Klemens Wenzel von Metternich). - Première version cinématographique de Les Demi-Solde (1899), un roman très populaire du « poète de l’Empire » Georges d’Esparbès (cf. chap. 15.5: "La Terreur blanche"). – Synopsis : Prisonnier à Sainte-Hélène, Napoléon se meurt. Les anciens grognards de la Grande Armée, les « demi-solde » traqués par le nouveau régime, préfèrent une existence misérable à l’allégeance aux Bourbons. Le colonel comte de Montander, vétéran de la Garde impériale, reçoit de Napoléon un message secret pour son fils en Autriche. Le colonel et deux de ses fidèles, Doguereau et Goglu, décident de se rendre à Schönbrunn, où l’Aiglon, onze ans, à présent duc de Reichstadt, est retenu prisonnier sur ordre de Metternich. Ils rencontrent clandestinement l’enfant, lui racontent « leur vérité » sur les hauts faits de son père et lui confient le but de leur mission : ramener à celui-ci une mèche de ses cheveux. Ils sont mis en fuite par la garde du château et s’embarquent peu de temps après pour Sainte-Hélène. Parvenus à destination, les officiers remettent la mèche à Napoléon agonisant, qui rend l’âme après avoir baisé les cheveux de son fils. Montander fait le serment de ne jamais abandonner le petit roi de Rome et décide d’organiser une conspiration avec des régiments qui sont dévoués à la cause impériale pour prendre d’un seul coup les places fortes de la frontière et rétablir le fils de l’Empereur sur le trône impérial. Alors qu’il tente de recruter des volontaires pour libérer le jeune roi de sa prison dorée en Autriche, Montander est dénoncé et tous les conspirateurs sont fusillés.
1931*L’Aiglon (FR) de Victor Tourjansky
Adolphe Osso/Société des Films Osso, 109 min. – av. Jean Weber (Napoléon II, duc de Reichstadt), Jeanne Heldia (Marie-Louise d’Autriche), ÉMILE DRAIN (Napoléon), Jaro Fürth (François Ier d’Autriche), Victor Francen (le grenadier Jean-Pierre Séraphin Flambeau), Henri Desfontaines (le prince Klemens Wenzel von Metternich), Henri Kerny (comte Sedlinsky), Georges Colin (maréchal Auguste de Marmont), Jeanne Boitel (Élisa Napoléone Baciocchi, comtesse Camerata), Roger Blum (comte Anton von Prokesch-Osten), Fordyce (Fanny Elssler), Gustave Berthier (Friedrich von Gentz), Nilda Duclos (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche).
Synopsis : En 1830, Pendant que, dans sa somptueuse villa, l’ex-impératrice Marie-Louise s’entoure de courtisans et mène une vie marquée par les plaisirs aux côtés de son amant Neipperg, le duc de Reichstadt passe en revue ses soldats hongrois. Mais Metternich, le redoutable « arbitre de l’Europe », surveille étroitement celui qui fut le Roi de Rome et qui n’est plus maintenant qu’un jeune prince exilé, frêle et nostalgique. La comtesse Camerata, la fière et farouche cousine de l’Aiglon (fille d’Élisa Bonaparte), l’approche sous le costume d’une essayeuse qui accompagne un tailleur (agent secret bonapartiste), cherche vainement à le faire retourner en France et à monter sur le trône de son père. L’Aiglon ne s’en sent pas encore la force, hésite, répond évasivement. Un an plus tard, dans le salon où il révise ses cours de tactique militaire, il trouve ses petits soldats de bois autrichiens peinturlurés en grenadiers français, l’œuvre du grognard Flambeau, un ancien de la Grande Armée entré au service du duc comme laquais (par l’entremise de la comtesse Camerata). La danseuse Fanny Elssler instruit secrètement l’Aiglon des hauts faits de Napoléon ; on la croit sa maîtresse, mais en vérité, elle se contente de lui révéler ce que Metternich aurait tant voulu lui cacher. On introduit auprès de lui le maréchal Marmont qui lui exprime ses rancœurs vis-à-vis de l’Empereur. Le duc se fâche et Flambeau, la voix « des petits, des obscurs, des sans-grades », donne une rude leçon au maréchal qui déserta en 1814. La nuit, tel un fantôme, vêtu de son uniforme de la Vieille Garde, Flambeau échappe aux coups de feu de la garde que Metternich, terrorisé, a lancé contre lui. Le lendemain, Metternich place l’Aiglon devant un miroir et lui explique qu’il ne peut songer à succéder à son père, n’ayant ni son énergie ni son génie. Ne voit-il pas que tout en lui trahit le sang des Habsbourg ? Il porte un coup fatal au jeune homme qui, se sentant inutile, n’attend désormais plus que la mort. Mais les conspirateurs ne se découragent pas. Pendant un bal, et alors que la comtesse Camerata a pris l’uniforme du duc pour donner le change, le jeune homme s’enfuit, accompagné de Flambeau. Avant de gagner la France, il veut revoir Wagram, le champ de bataille où son père écrasa l’armée autrichienne. Et là, assailli par les souvenirs, l’Aiglon, une fois de plus, doute de lui-même. Son ami Prokesch survient : la comtesse Camerata est en péril, démasquée par Tiburce de Lorget, un émigré français. Chevaleresque, l’Aiglon envisage de retourner à Schönbrunn pour la sauver, atermoie, perd un temps précieux. La police de Metternich accourt et Flambeau se donne la mort pour ne pas tomber vivant entre ses mains. Les mois passent. De plus en plus faible, se sachant condamné par la tuberculose, le duc demande qu’on installe contre son lit le berceau d’or dont jadis Paris lui avait fait cadeau. Fanny accourt à son chevet. Revêtu de son uniforme blanc, il écoute les airs français que lui chante son amie Thérèse de Lorget (lectrice de Marie-Louise) et s’éteint entre les bras des femmes qui l’ont aimé, pendant la lecture qu’on lui fait du récit de son baptême.
C’est, à la lettre près, le drame d’Edmond Rostand qui est restitué dans ce film sonore, production de prestige réalisée en deux versions pendant les mois de février-mars 1931 aux studios Pathé-Natan à Joinville, de Francœur et de Billancourt (Paris), puis en extérieurs à Nice (la fausse bataille de Wagram) et à Vienne et environs (Schönbrunn). Pierre-Gilles Veber l’a adapté, avec coupures et rajouts, en soulignant adroitement le conflit de ce lointain parent de Hamlet, héritier impuissant de l’ardeur paternelle comme du sang appauvri des Habsbourg, et entouré de conspirateurs surtout dilettantes et romantiques. Cinéaste russe émigré en France, Victor Tourjansky a connu le succès avec le grandiose Michel Strogoff interprété par Ivan Mosjoukine en 1926, et a réalisé des scènes du siège de Toulon et de la Convention pour le Napoléon de Gance. Il exige une diction moins scandée des vers de Rostand et des temps assez longs entre les répliques, afin de rendre l’ensemble plus réaliste. Fin, joli garçon délicat et élégant, Jean Weber, de la Comédie-Française, reprend le rôle immortalisé par Sarah Bernhardt en travesti et lui confère une ambiguïté androgyne qui contraste avec la masculinité appuyée de Victor Francen en grenadier Flambeau. L’interprète français de Metternich, Henri Desfontaines, étant décédé pendant le tournage, plusieurs scènes doivent être modifiées, d’où des différences notables entre les versions française et allemande. Maurice Lehmann, directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin et détenteur des droits exclusifs des tournées en langue française, s’offusque de ce « drame en vers au cinéma » et fait un procès aux héritiers pour concurrence déloyale ; il est débouté, mais le procès fait jurisprudence. La critique est bien sûr très divisée (le débat cinéma ou théâtre ?) ; le succès public, lui, ne se démentit pas. Aujourd’hui, le film, forcément bavard, accuse son âge. La réalisation un peu impersonnelle est toutefois rehaussée ça et là par une belle photo (Léonce-Henri Burel qui travailla, lui aussi, sur le Napoléon de Gance, Franz Planer, Toporkoff) et des décors impressionnants signés Serge Piménoff, le directeur artistique du Napoléon de Gance. Dans son genre, un document. – ES : L’Aiglon (El aguilucho).
1931Der Herzog von Reichstadt (Der Gefangene von Schönbrunn) (FR/DE) de Victor Tourjansky
Adolphe Osso/Société des Films Osso, 89 min. – av. Walter Edthofer (Napoléon II, duc de Reichstadt), Lien Deyers (Marie-Louise d’Autriche), Jaro Fürth (François Ier d’Autriche), Eugen Klöpfer (le grenadier Jean-Pierre Séraphin Flambeau), Erwin Kalser (le prince Klemenz Wenzel von Metternich), Eugen Jensen (comte Sedlinsky), Kurt Ehrle (maréchal Auguste de Marmont), Margarete Hruby (Élisa Napoléone Baciocchi, comtesse Camerata), Ekkehard Arendt (comte Anton von Prokesch-Osten), Grete Natzler (Fanny Elssler), Alfred Abel (Friedrich von Gentz), Kitty Aschenbach (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche), Eugen Burg (comte Bombelles), Jack Mylong-Münz (Tiburce de Lorget), Gertrud Kanitz, Hans Heinrich von Twardowski, Alfred Beierle.
[version allemande du précédent :] Un casting entièrement allemand pour une mise en scène et des décors strictement identiques à la version française (le système de synchronisation n’étant pas encore au point) – sauf pour le personnage de Napoléon qui est absent de l’écran. Le scénario a été revu par Adolf Edgar Licho et Wolfgang Goetz. La pièce de Rostand a été montée pour la première fois en Allemagne en 1925 sous le titre Der junge Aar, avec Lothar Müthel. – AT : Der Herzog von Reichstadt, Der junge Aar.
1937Fanny Elssler (Ballerina) (DE) de Paul Martin
Max Pfeiffer/Universum-Film AG (Ufa), Berlin, 83 min. – av. Lilian Harvey (Fanny Elssler), Willy Birgel (Friedrich von Gentz), Rolf Moebius (Napoléon II, duc de Reichstadt), Paul Hoffmann (le prince Klemenz Wenzel von Metternich), Liselott Schaak (Therese Elssler, sœur de Fanny), Ernst Karchow (comte Moritz von Dietrichstein), Walter Werner (prof. Foresti), Ernst Sattler (Lindner), Erwin Biegel (Vernan, directeur de l’Opéra de Paris), Hubert von Meyerinck (préfet de police), Werner Kepich (un révolutionnaire français).
Synopsis : Tout Vienne est aux pieds de la danseuse Fanny Elssler (cf. supra, film de 1920). Le prince Metternich souhaite l’utiliser pour espionner et distraire le duc de Reichstadt (« un joli jouet pour le petit Napoléon »). Le baron Gentz (qui est amoureux d’elle) essaie de la convaincre de signaler les contacts du duc avec les bonapartistes à Paris, ce qu’elle refuse catégoriquement. Elle rencontre toutefois l’Aiglon, qui se fait passer pour le lieutenant Franz von Mödling, lors d’une promenade. Elle devient son premier amour et sa confidente. Craignant un complot pour renverser les Bourbons en France, Metternich fait éloigner la danseuse en lui ordonnant d’accepter un engagement à l’opéra de Paris. Juillet 1830. À Paris, Fanny rencontre secrètement l’Aiglon, qui s’est enfui pour la revoir (« la garde de Schönbrunn n’a pas osé ouvrir le feu sur le petit-fils de l’empereur ... »). Ses partisans préparent son accession au trône. Elle est prête à devenir sa maîtresse, dit-elle, s’il ne peut l’épouser pour des raisons dynastiques. L’Aiglon assiste incognito dans la foule à un défilé de bonapartistes au son de la Marseillaise, la population brandit pancartes et banderoles (« Vive le duc de Reichstadt », « Vive l’empereur François Napoléon »), un meneur harangue la foule au nom de la révolution à venir – dans un ton, une gestuelle, et avec un vocabulaire qui rappellent d’ailleurs furieusement les discours de Goebbels. La cavalerie charge et disperse la manifestation, fin du rêve. Fanny est interpellée par la police. Gentz intercepte le duc avant qu’il ne se rende aux autorités pour la sauver. « Vous avez opté pour la France, mais la France n’a pas opté pour vous ... , lui annonce-t-il, c’est Louis-Philippe d’Orléans qui a été élu, rentrez en Autriche. » Gentz fait relâcher Fanny sous la menace de divulguer le fait que l’Aiglon séjournait dans la capitale à l’insu de la police française. Déprimé, l’Aiglon retourne à Schönbrunn où il se laisse mourir. Ignorant le décès de son amoureux et ayant appris qu’elle pouvait rentrer à Vienne, Fanny exécute pour le public parisien la danse la plus émouvante de sa carrière.
Un scénario délirant d’Eva Leidmann et Paul Martin (alors le compagnon et réalisateur favori de Lilian Harvey) qui voit l’Aiglon impliqué dans un coup d’État à Paris ! Fanny est ici clairement l’amante du duc de Reichstadt, et non du baron Gentz (comme ce fut le cas dans la réalité). Martin est un spécialiste du « Revuefilm » berlinois, un genre très populaire, calqué fortement sur les modèles musicaux hollywoodiens. La star anglo-allemande, qui débuta elle-même dans le ballet, travaille avec les danseurs Hubert Jan Stowitts (un Américain), Kurt Lenz et le chorégraphe Jens Keith. Lors du tournage – de juin à septembre 1937 aux ateliers Ufa à Neubabelsberg et en extérieurs à Berlin-Wannsee, à Tempelhof et à Vienne (Schönbrunn, Hofburg) – Keith, accusé d’homosexualité, est arrêté par la Gestapo ; Lilian Harvey intervient personnellement auprès de Goebbels pour obtenir sa libération (sans Keith, dit-elle, le film ne peut être terminé), paie sa caution et l’aide à fuir en Suisse. Elle-même se fait payer en devises étrangères et s’établit en Hongrie, dans un domaine à Tetétlen (elle quittera le Reich en février 1939 pour s’installer en France, à Antibes, puis en 1942 à Hollywood). Décrété « de valeur artistique », le fim remporte un joli succès public, mais la critique relève à raison que les danses de Miss Harvey ont été traitées avec plus de soin que le scénario (le numéro dansant du début fait sept minutes, celui de la fin six). – US, GB : Fanny Elssler, ES : La ballarina vienesa.
1953(tv) L’Aiglon / The Eaglet (GB) de Rudolph Cartier
« BBC Sunday-Night Theatre », Rudolph Cartier/BBCtv (BBC 12.4.53), 143 min. – av. Martin Starkie (Napoléon II, duc de Reichstadt), Milton Rosmer (François Ier d’Autriche), Eileen Peel (Marie-Louise d’Autriche), André Van Gyseghem (le prince Klemenz Wenzel von Metternich), Wilfrid Lawson (le grenadier Jean-Pierre Séraphin Flambeau), William Devlin (gén. comte Hartmann), Henry Oscar (comte Sedlinsky), John Gabriel (Friedrich von Gentz), Raymond Young (comte Bombelles), Eric Messiter (maréchal Auguste de Marmont), Peter Wyngarde (comte Anton von Prokesch-Osten), Charles Hodgson (Tiburce de Lorget), Sheil Shand Gibbs (Thérèse de Lorget), Margot Van der Burgh (Élisa Napoléone Baciocchi, comtesse Camerata), Ian Collin (Louis Charles Victor de Riquet de Caraman, ambassadeur de France), Peggy Simpson (Fanny Elssler), Maxine Audley (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche).
Le drame d’Edmond Rostand adapté en anglais par Clemence Dane (diffusion « live ») et mis en scène pour la télévision par Rudolph Cartier alias Rudolf Katscher, un ancien émigré viennois établi à Londres. Tournage aux Lime Grove TV Studios à Shepherd’s Bush (West London).
1956(tv) Franz (FR) de François Châtel
Radio-Télévision Française (RTF) (1re Ch. 28.7.56), 95 min. – av. Estella Blain (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche), Jacques Chabassol (Napoléon II, duc de Reichstadt), Jacqueline Monsigny, Jacques Mauclair, Jacques Bernard, Henri Grange, André Maheux, Michel Bernardy.
L’amour malheureux de l’archiduchesse Sophie de Bavière (1805-1872, mère du futur empereur François-Joseph d’Autriche) pour Franz, le duc de Reichstadt, une liaison secrète qui a donné naissance aux rumeurs – très peu vraisemblables – selon lesquelles Maximilien de Habsbourg, qui périra fusillé au Mexique quelques décennies plus tard, aurait été leur enfant commun ... Une pièce du romancier Kléber Haedens (pilier de l’Action française et l’un des secrétaires particuliers de Charles Maurras), parue chez Robert Laffont en 1944. Le drame fut d’abord crée à la radio en 1941 sous le titre Le Duc de Reichstadt. Le téléfilm a été enregistré au château normand d’Omonville.
1959*(tv) Le Véritable Aiglon (FR) de Stellio Lorenzi
Série « La Caméra explore le temps » (S. Lorenzi, André Castelot, Alain Decaux) no. 19, Radio-Télévision Française (RTF) (1re Ch. 27.2.59), 125 min. – av. Joël Flateau/Jean-François Poron (Napoléon II enfant/le duc de Reichstadt adulte), Jacques Castelot (prince Klemenz Wenzel von Metternich), Claude Gensac (Marie-Louise d’Autriche), Claude Baltazar (comte Anton von Prokesch-Osten), William Sabatier (Charles-Tristan de Montholon), Lucien Barjon (le roi Louis-Philippe), Hugues Wanner (gén. comte Hartmann), Lucien Nat (François Ier d’Autriche), Étienne Bierry (gén. Adam Albert von Neipperg), Pierre Asso (comte Moritz von Dietrichstein, le précepteur), Guy Kerner (comte Antoine Apponyi, ambassadeur autrichien à Paris), Fernand Fabre (Louis Charles Victor de Riquet de Caraman, ambassadeur de France), Robert Federici (Gustav von Neipperg), René Blancard (gén. Augustin Daniel Belliard), Jean Allain (le valet), François Maistre (Delarue), Pierre Leproux (Dr. Malfatti), Roland Menard (le récitant).
Une reconstitution rigoureuse des événements d’après un scénario de Stellio Lorenzi, Alain Decaux et André Castelot (dialogues) qui se base sur des documents récemment découverts. Decaux introduit le téléfilm en direct depuis Munich où s’est déroulée le matin même la vente de la correspondance de l’Aiglon (119 lettres en allemand et, pour les dernières, en français) avec sa mère Marie-Louise ainsi que des lettres de son entourage (le précepteur Dietrichstein, le docteur Malfatti) remis par les descendants de la famille Neipperg-Montenuovo. Cet ensemble de documents, dont Rostand ne pouvait avoir connaissance, va aussi servir de base pour l’ouvrage L’Aiglon : Napoléon II d’André Castelot en 1959 et le film de 1961 (cf. infra).
La dramatique de deux heures (filmée, comme toute la série de « La Caméra explore le temps », en noir et blanc dans les studios exigus des Buttes-Chaumont) montre souvent des personnages en train d’écrire et comporte des passages de lettres lues en voix off. L’Angleterre a pris l’Aigle – et l’Autriche, l’Aiglon. En 1815/16, Marie-Louise écrit à son père qu’elle veut faire de son rejeton un prince allemand, ce que le comte Dietrichstein confirme : le petit Franz doit être considéré comme un prince autrichien et élevé à l’allemande. L’enfant proteste auprès de son grand-père, François/Franz I er : « Pourquoi ne m’appelle-t-on plus Napoléon ? Franz, c’est vilain ... » L’empereur exige le départ des nourrices françaises, mais désapprouve le fait de cacher à l’enfant ses origines ; il s’opposera ainsi plus d’une fois à son chancelier Metternich, politicien soucieux de l’équilibre européen sous l’égide réactionnaire de Vienne et à l’austère « pion » Dietrichstein, censeur borné ; Lorenzi montre le vieux monarque très affectueux, tendre et compréhensif envers son petit-fils qui, dans sa terrible solitude, désespère de ne jamais revoir sa mère et se morfond en questions sur ses origines et la nature de son si fascinant géniteur fantôme. Toute affairée à la gestion de son duché et l’éducation de sa nouvelle progéniture, Marie-Louise en a oublié l’Aiglon, fils de celui qu’elle a « cru aimer ». Son amant Neipperg, un général autrichien qui ne peut dissimuler son admiration pour le triple vainqueur d’Arcole (1796), d’Austerlitz (1805) et de Wagram (1809), lui reproche en vain cet oubli. Les politiciens de l’Ancien Régime comme Metternich haïssent « l’usurpateur déchu » qui les a humiliés jusque dans Vienne même (deux fois occupée), mais les militaires le respectent.
En mars 1827, le comte Apponyi, ambassadeur d’Autriche à Paris, interdit à Montholon de remettre au duc de Reichstadt, 16 ans, les divers objets que lui a légués Napoléon. « Le duc est heureux et sans ambition, dit-il, il ne rêve qu’à devenir officier dans l’armée autrichienne. » Une demi-vérité. L’adolescent considère Neipperg, qu’il admire et dont il fréquente le fils d’un premier mariage, Gustave, comme un fidèle ami et conseiller de sa mère ; il ne sait pas ce que le général borgne est en réalité pour la veuve de Napoléon et, à la mort de celui-ci au printemps 1829, c’est à l’empereur qu’incombe la tâche douloureuse de révéler à son petit-fils ce que lui-même a longtemps ignoré : Marie-Louise a eu deux enfants du décédé alors qu’elle était toujours officiellement mariée à Napoléon, et a épousé son amant en 1821. Perturbé, il découvre dans la bibliothèque les ouvrages de Las Cases et Montholon sur l’exil à Saint-Hélène, ainsi que les dernières volontés de Napoléon le concernant, et en apprend des passages entiers par cœur (« Il vaut mieux pour mon fils que je sois ici ; s’il vit, mon martyr lui vaudra une couronne » ou « Mon fils ne doit pas songer à venger ma mort. Qu’il fasse éclore tout ce que j’ai semé et n’oublie jamais qu’il est né prince français. »). Il les récite à son grand-père qui, ému, l’implore de pardonner à sa mère, « sacrifiée » jadis pour la monarchie et désemparée en 1814 : « C’est dur à accepter, mais il faut souffrir pour devenir un homme digne de la mémoire de ton père. »
En juillet 1830, l’envoyé de Louis-Philippe confie en secret à Metternich que l’Orléanais n’est qu’un pis-aller, car la France attend l’Aiglon. Le chancelier constate que « tant qu’il vivra, le fils de Napoléon ne sera qu’un élément de trouble et de révolution » en Europe, mais aussi que « la grandeur passe rarement de père en fils ». Au courant des aspirations bonapartistes par son ami Prokosch, le jeune duc se confie à son grand-père qui lui conseille d’attendre encore quelques années, ce type de conspiration n’étant pas digne de lui. Lorsque des insurgés bonapartistes menacent sa mère à Parme, il veut la secourir avec son bataillon, mais se trouve devant un dilemme, car il devrait pour cela affronter ses propres partisans. Metternich est déterminé à envoyer la troupe pour garder l’Italie sous sa coupe, et lorsque Louis-Philippe fait mine de s’y opposer, il menace de placer le fils de Napoléon sur le trône de Modène – un danger potentiel pour le royaume de France. Devenu contre sa volonté un instrument de la haute politique, le duc de Reichstadt, las de toujours dissimuler et mentir (Prokesch a été éloigné à Bologne), s’affaiblit. Pressentant sa mort, il demande par lettre des explications à sa mère (Marie-Louise : « On ne se marie pas, on nous marie. Alors un jour, j’ai voulu vivre pour moi. N’ai-je pas gagné ce bonheur ? » – Franz : « Je vais faire semblant de vous croire parce que vous êtes la seule que j’ai aimé. ») Il crache ses poumons, refuse la visite de Metternich. À Marie-Louise qui accourt de Parme, il confie : « Tout ce passé m’écrase, me ronge. Seule la mort peut me guérir. Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire. Entre ma naissance et ma tombe, il y a un grand zéro ... » Une fois mort, on constate que son visage « ressemble étrangement à celui du Premier Consul Bonaparte ».
« L’histoire est plus belle que la légende », promet Decaux en introduction – cette légende du pauvre prince coupé de son père, de son pays et « germanisé » de force, forgée par Auguste Marseille Barthélemy et Joseph Méry dans un long poème romantique intitulé Le Fils de l’Homme (1829). À la lumière de témoignages irrécusables, le téléfilm de Lorenzi comme l’ouvrage consécutif de Castelot présentent le jeune homme, héros malgré lui, sous un éclairage plus humain, moins emphatique et cocardier que la pièce datée de Rostand. L’hostilité de la cour à Schönbrunn est à la fois relativisée et apparaît politiquement justifiée. Metternich est ici accusé non d’avoir empoisonné l’embarrassant fils de Napoléon, mais – simple hypothèse – d’avoir sciemment ignoré les avertissements de Dietrichstein et laissé le docteur Malfatti soigner chez le jeune duc une hypothétique maladie du foie. Quoi qu’il en soit, un séjour sous le soleil de Parme n’aurait probablement rien changé. On mesure à cet éclairage bannissant toute effusion pourquoi ce téléfilm – malgré ses insuffisances techniques et l’indigence du décorum – peut être considéré comme une référence, un barème d’objectivité.
1961Napoléon II, l’Aiglon (FR) de Claude Boissol
Georges Glass/Les Films Matignon, 100 min. – av. Bernard Verley / J. Pascal Duffard (Napoléon II, duc de Reichstadt adulte / enfant), René Dary (comte Moritz von Dietrichstein, son précepteur), Jean Marais (Charles-Tristan de Montholon), Georges Marchal (gén. Adam Albert von Neipperg), JEAN-MARC THIBAULT (Napoléon), Marianne Koch (Marie-Louise d’Autriche), François Maistre (le prince Klemenz Wenzel von Metternich), Josef Meinrad (François Ier d’Autriche), Danièle Gaubert (la danseuse Thérèse Pêche), Paul Hubschmid (le comte Anton von Prokesch-Osten), Liliane Patrick (Élisa Napoléone Baciocchi, comtesse Camerata), Sabine Sinjen (l’archiduchesse Sophie de Bavière), Jean-Pierre Cassel (Gustav von Neipperg), Jacques Jouanneau (le comte Maurice d’Esterházy), Anthony Stuart (Henry Wellesley, Lord Cowley, ambassadeur d’Angleterre), Paul Cambo (Louis Charles Victor de Riquet de Caraman, ambassadeur de France), Raymond Jérôme (le comte Antoine Apponyi), Jacques Fabbri (Dr. Malfatti).
Synopsis : À la naissance du Roi de Rome en 1811, l’Empereur pleure de joie. En 1814, à la veille de la campagne de France, Napoléon, à genoux sur un tapis des Tuileries, joue pour la dernière fois avec son fils. En 1821 à Vienne, apprenant que son père est décédé à Sainte-Hélène, l’Aiglon sombre dans un chagrin qui émeut son précepteur, Moritz von Dietrichstein. De son côté, François I er réprimande furieusement sa fille Marie-Louise dont il vient d’apprendre qu’elle a épousé Neipperg à son insu et lui a donné deux enfants, avant même leurs noces, soit encore du vivant de son premier époux. En 1827, à l’âge de seize ans, le duc de Reichstadt valse à la Hofburg avec l’archiduchesse Sophie, cette jeune tante à peine plus âgée que lui. L’empereur l’a nommé capitaine de son régiment de chasseurs tyroliens, et le duc fait manœuvrer ses soldats avec un brio qui étonne – ou inquiète son entourage. La nuit, il s’introduit dans la bibliothèque impériale où il dévore les Mémoires de François Antommarchi, le dernier médecin de son père à Sainte-Hélène. Pour l’éloigner de la politique, Metternich place sur son chemin Thérèse Pêche, une ballerine. La comtesse Camerata, cousine de la famille Bonaparte, le général Montholon et le comte Prokesch, son meilleur ami, lui font comprendre que « Paris l’attend », on crie son nom dans les rues. Montholon : « Sans vous, nous sommes faibles, avec vous, nous sommes invincibles ! » La visite de l’ancien champ de bataille de Wagram décide l’Aiglon à tenter la fuite, mais Metternich, d’entente avec Caraman (l’ambassadeur de Louis-Philippe), éloigne son entourage perturbateur. À l’envoyé de Paris, le ministre rappelle que les bonapartistes sont victimes d’une illusion lorsqu’ils créditent le fils des qualités du père : le duc de Reichstadt est certes doué de brillantes qualités, « mais il n’y a rien derrière cette façade, sinon de molles rêveries, de vagues aspirations ». Au concerné, il explique (avec un indéniable bon sens) que sa candidature au trône de France repose sur un malentendu : ce n’est pas la gloire napoléonienne que veulent les Français, mais la liberté et l’égalité. Le premier enthousiasme passé, le duc restera toujours à leurs yeux un « prince allemand », et il finira broyé. La maladie affaiblit le jeune homme : ses médecins lui découvrent un dysfonctionnement du foie alors qu’il est atteint d’une grave affection pulmonaire. Dietrichstein préconise un séjour prolongé à Parme auprès de Marie-Louise, mais Metternich fait la sourde oreille : l’Italie, dit-il, est en pleine insurrection, les carbonari se font tuer au cri de « Viva Napoleone Duo », et même sur une civière, la seule présence du duc là-bas mettrait le feu à l’Europe. Marie-Louise, qui a si longtemps délaissé son fils, arrive de justesse de Parme pour recueillir son dernier soupir. Avant de mourir, l’Aiglon lui demande pardon de l’avoir jugée : « Comme cela devait être difficile d’être sa femme ... aussi difficile que d’être son fils. Il nous a laissé un héritage bien lourd à porter. »
Ancien assistant de Jacques Becker, Claude Boissol décide d’adapter avec Paul Andréota la biographie éponyme de l’Aiglon écrite par André Castelot. Couronné du prix Richelieu 1959, l’ouvrage est basé sur des documents authentiques découverts tout récemment – les archives épistolaires de Marie-Louise – et déjà utilisés par Stellio Lorenzi dans l’émission « La Caméra explore le temps » trois ans auparavant (cf. supra). En fait, le film – auquel Castelot parcitipe au niveau du scénario – reprend 80% des situations et dialogues du téléfilm de 1957, mais en les aérant et en leur donnant un lustre que le petit écran ne pouvait s’offrir, avec un coûteux tournage en Eastmancolor aux studios de Saint-Maurice, dans les environs de Paris, à Versailles (Grande Écurie) et à Vienne (Hofburg, Schönbrunn, Bibliothèque impériale, École d’équitation espagnole, reconstitution de l’ancien Prater). Les fans de l’émission un peu aride de Lorenzi étant constitués de passionnés d’histoire française, il s’agit cette fois de rendre la matière digestible voire plaisante pour un public moins averti et surtout international, ce qui implique des concessions au spectacle et une « sentimentalisation » générale de l’intrigue. Non seulement l’historiographie moderne, mais la réconciliation franco-allemande à travers Adenauer et de Gaulle sont passés par là : la collaboration avec la RFA (société Bavaria) et l’Autriche est très étroite et la moitié des comédiens sont germanophones. Le producteur Georges Glass, un Autrichien natif de Linz mais naturalisé américain, tient à ce que chacun, ou presque, parle la langue de son rôle. Chez Rostand, l’Aiglon était une victime de la perfidie metternichienne et des anciens ennemis de Napoléon, plus un symbole qu’une personne de chair et de sang. Le nouveau scénario a éliminé l’emphase et la ferveur patriotique qui l’entourait ; il met l’accent sur les circonstances historiques de l’affaire et le profil psychologique du jeune duc qui se découvre « un obstacle pour tout le monde » (Français compris) et se sait, bien avant que la maladie ne se déclare, de santé fragile. Fanny Elssler disparaît (à juste titre) du paysage, mais comme il faut bien un zeste de romance pour le tiroir-caisse, elle est substituée par une quelconque ballerine imaginaire, Thérèse Pêche. Les liens affectifs ou amoureux de l’Aiglon avec l’archiduchesse Sophie (un aspect qui aurait bien mérité quelques développements) sont à peine esquissés et le peu qui subsiste de l’imagerie romantico-héroïque de Rostand manque de panache. Claude Boissol ne parvient pas à insuffler de vie et encore moins d’originalité dans son récit qui reste désespérément sage, sans relief et, plus d’une fois, décousu. Quant au jeune débutant Bernard Verley, 21 ans, joli cœur, mèche blonde, s’il possède l’élégance mélancolique, l’amertume et la gaucherie timide requises, son absence de charisme (due sans doute à l’inexpérience) frappe d’autant plus qu’il est entouré de la crème du cinéma et de la scène franco-germano-autrichienne. Sorti au moment où la Nouvelle Vague plafonne, le film fait un four, son sujet n’intéresse plus grand monde et Boissol se recycle à la télévision. – DE : Kaiserliche Hoheit, IT : Il re di Roma, Aquila imperiale.
1965(tv-mus) Die Tänzerin Fanny Elssler (DE) d’Arthur Maria Rabenalt
Intertel Television GmbH-Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF 1.1.65), 115 min. – av. Ingeborg Hallstein (Fanny Elssler), Robert Lindner (Friedrich von Gentz), Peter Minich (le baron Franz Fournier), Karl Paryla (Johann Elssler, le père), Wolf Albach-Retty (le prince Estherházy), Michael Münzer (Napoléon II, duc de Reichstadt), Christiane Klein (Aranka), Christine Buchegger (Désirée, patriote française).
Briscard du cinéma allemand d’avant-guerre et célèbre metteur en scène d’opéra, Rabenalt adapte pour la télévision l’opéra-comique posthume de Johann Strauss fils (créé à Berlin en 1934), œuvre dont s’était déjà inspiré F. Zelnik pour son film muet Die Erlebnisse der berühmten Tänzerin Fanny Elssler (cf. supra, 1920). Ici, le livret de Hans Adler est respecté à la lettre : la fameuse ballerine, qui n’est pas l’amante de Friedrich von Gentz (comme elle le fut en réalité – et dans le film muet), mais celle du baron fictif Fournier, doit obéir aux ordres de Gentz, le bras droit de Metternich, et tourner la tête du duc de Reichstadt. En échange, elle devient la star de la Hofoper à Vienne. Désirée (sic), une patriote française, lui ouvre les yeux, et elle révèle la machination du gouvernement autrichien à l’Aiglon ; tous deux décident de renoncer à leur amour naissant et poursuivre un but plus élevé : le jeune duc va tenter de fuir, tandis que Fanny, réconciliée avec Fournier (qu’elle croyait responsable du complot), le rejoint en mission diplomatique à Paris, où elle se produira sur scène. – Nota bene : Les amours imaginaires du duc de Reichstadt avec la danseuse étoile Fanny Elssler et la tentative de l’Aiglon de s’enfuir en France sont le sujet d’une autre opérette viennoise, Hofball in Schönbrunn d’August Pepöck, livret de Josef Wenter (1937).
1965(tv) L’Aiglon (FR) de Pierre Badel
ORTF (1re Ch. 1.1.65 / 2e Ch. 11.6.66), 155 min. – av. Serger Ducher (Napoléon II, duc de Reichstadt), Pierre Dux (le grenadier Jean-Pierre Séraphin Flambeau), Raymond Gerome (prince Klemenz Wenzel von Metternich), Nadine Alari (Marie-Louise d’Autriche), HENRI NASSIET (Napoléon), Claudine Coster (Élisa Napoléone Baciocchi, comtesse Camerata), Colette Castel (Fanny Elssler), Danièle Volle (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche), René Alone (maréchal Auguste de Marmont), François Thimmerman (comte Anton von Prokesch-Osten), Jean Ozenne (Friedrich von Gentz), Catherine Hubeau (Thérèse de Lorget), Andrée Champeaux (Scarampi), Jacques Mauret (Tiburce de Lorget), Robert Audran (Thalberg), Robert Drancourt (l’ambassadeur Henry Wellesley, Lord Cowley), Jean Obe (Moritz von Dietrichstein), Alain Nobis (gén. comte Hartmann), Pierre Leproux (d’Obénans).
Dramatique d’après la pièce d’Edmond Rostand (1900) enregistrée dans les studios des Buttes-Chaumont à Paris.
1973Δ (tv) Les Mohicans de Paris (FR) de Gilles Grangier ; Maintenon Films-ORTF (1re Ch. 25.9.-30.10.73), 26 x 13 min. – av. Robert Etcheverry (Conrad de Valgeneuse, dit Salvator), France Valérie (Sophie de Bavière, archiduchesse d’Autriche), Bernard Jeantel (le duc de Reichstadt, Napoléon II, duc de Reichstadt), Robert Lombard (gén. comte Hartmann, chef de la police à Vienne), Raymond Loyer (le général bonapartiste Le Bastard de Prémont), Brigitte Fossey (Olympe de Rieul). – Paris et Schönbrunn en 1827: des conspirateurs carbonari et bonapartistes qui sévissent dans les catacombes pour renverser Charles X tentent vainement de faire évader le duc de Reichstadt, plan contrecarré par la police secrète autrichienne. Leur chef est un jeune aristocrate bonapartiste surnommé Salvator, ancien lieutenant de la Garde. Première partie d’un feuilleton d’aventures divertissant, écrit par André Cerf et tourné à Senlis (Oise) par un vieux routier du cinéma populaire français d’après le roman éponyme d’Alexandre Dumas (1854/55).