Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

5. LE CONSULAT (1799 à 1804)

À L’ÉCRAN

Le Consulat a suscité peu de films marquants : les temps de paix et de restructurations politiques sont rarement propices au spectacle en costumes. Et, du moins quant à son apparence, Bonaparte n’est pas encore Napoléon. Le coup d’État militaire du 18-Brumaire qui intronise ce dernier fait l’objet de séquences assez fouillées dans le Napoléon de Sacha Guitry (avec Daniel Gélin, 1954) et le feuilleton Joséphine ou La Comédie des ambitions de Robert Mazoyer (1979, avec Daniel Mesguich) ainsi que d’un épisode de 52 minutes de l’intelligente télésérie internationale Napoléon et l’Europe de Pierre Lary (avec Jean-François Stévenin, 1990). Toutes ces représentations, parfois un peu rébarbatives aux yeux du spectateur lambda, coïncident pour dépeindre un jeune loup visionnaire, épris d’ordre et las des bavardages en tribune. La guerre en coulisses, les conspirations, les complots d’assassinat sont le lot de la majorité des autres bandes : les manigances de Cadoudal et Pichegru sont illustrées à quatre reprises, le plus sérieusement dans les téléfilms Cadoudal de Guy Seligman (1974) et L’Attentat de la rue Saint-Nicaise de Victor Vicas (1978). C’est un chapitre où l’ORTF se distingue notamment avec un des meilleurs feuilletons de l’époque, inspiré d’Alexandre Dumas : Les Compagnons de Jéhu de Michel Drach (1966), coproduit avec le Canada et la RFA. Bonaparte et son jeune aide de camp Roland de Montrevel, revenu d’Égypte, y mettent fin aux agissements de brigands masqués au service de la cause royaliste en Bresse et en Vendée (où sévit Cadoudal), une action trépidante agrémentée par une magnifique photo en noir et blanc de Michel Kelber. L’émission « La Caméra explore le temps » produit Le Mystérieux Enlèvement du sénateur Clément de Ris (1958) où Stellio Lorenzi enquête sur un sinistre fait divers juridique mis en scène par Fouché et Talleyrand pour effacer leur projet d’élimination de Bonaparte si celui-ci avait été défait à Marengo. Des cinq évocations de l’affaire du duc d’Enghien (la première, signée Albert Capellani, date de 1909), c’est également celle de Lorenzi, L’Exécution du duc d’Enghien en 1958, qui parvient le mieux à restituer le drame dans toute sa tragique complexité, aidé en cela par Georges Descrières, émouvant en victime ducale, et William Sabatier en Bonaparte accablé par le fardeau d’un crime d’État qu’il juge néanmoins nécessaire. Jean-François Poron fait, lui aussi, un très convaincant duc d’Enghien dans le téléfilm Les Fossés de Vincennes (1972) où Pierre Cardinal restitue efficacement le climat de paranoïa qui secoue la France à ce moment et prépare l’accession de Bonaparte au trône impérial.
Quant aux productions anglo-saxonnes, elles rivalisent dans les intrigues d’espionnage rocambolesques ou absurdes telles que Invitation to the Waltz (1935) de Paul Merzbach qui promène la star Lilian Harvey, ici une danseuse britannique, entre Venise et Stuttgart, où le Premier Consul lui sauve la vie alors que la paix avec l’Angleterre vient d’être rompue. Anthony Adverse (1936) de Mervyn LeRoy illustre les amours contrariées d’un aventurier écossais (Fredric March) pour une cantatrice italienne, Mademoiselle George, devenue maîtresse en titre de Bonaparte à Paris. En 1955, dans The Purple Mask (Le Cavalier au masque) de Bruce Humberstone, le Premier Consul condamne à la guillotine tous les royalistes qui lui tombent sous la main ; heureusement, en émule bondissant du Mouron Rouge, Tony Curtis les sauve à la pointe de sa rapière – affaire de dépanner des scénaristes trop paresseux pour ouvrir un livre d’histoire !
En 1952, bien avant que la matière devienne politiquement correcte, Pierre-Dominique Toussaint Louverture, chef charismatique de la révolte des esclaves noirs dans les Antilles françaises (cf. chap. 5.2), fait une brève apparition dans un film hollywoodien en Technicolor, Lydia Bailey de Jean Negulesco. On le voit en brave vieillard idéaliste (donc naïf), adulé par ses frères haïtiens, qu’un Américain terre à terre empêche de tomber dans les rets du fourbe général Leclerc, beau-frère dictatorial du Premier Consul. Le contexte de la guerre froide, la politique états-unienne du containment face à l’extension mondiale du communisme sont ici clairement lisibles. Le ton change après la décolonisation, la guerre du Vietnam, le Mouvement des droits civiques aux états-Unis et le réveil politique de l’Afrique. En 1989/90, lors du troisième Sommet de la Francophonie de Dakar, et dans le cadre des manifestations du bicentenaire de la Révolution, un spectacle télévisé de Claude Moreau, Toussaint Louverture ou la Révolution d’un esclave africain devenu général de la République, évoque la première abolition de l’esclavage en 1794 et sa réinstauration partielle sous Bonaparte (Daniel Mesguich) en 1801, pour des raisons extrêmement embrouillées. C’est l’occasion d’une révision douloureuse du passé, d’une dénonciation certes justifiée, mais parfois imprégnée aussi de considérations anachroniques, liées à l’ère et aux enjeux postcoloniaux. Coproduction cubano-franco-russe, l’émouvante fresque télévisuelle Le Siècle des Lumières (1993) de Humberto Solás, adaptée du fameux roman d’Alejo Carpentier, examine avec une certaine flamboyance l’impact de la Révolution française, du Consulat et de l’Empire sur les Antilles françaises. Ballottés des deux côtés de l’Atlantique, ses trois jeunes protagonistes participent à titres divers aux soulèvements à Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Guyane, mais sont également les témoins désenchantés des ravages de la guillotine, des dérives du pouvoir et de la trahison des idéaux. Sucre amer de Christian Lara, réalisé en 1998 et sorti quatre ans plus tard, conte le massacre des insurgés guadeloupéens par le corps expéditionnaire français du général Richepanse en 1802. Le film, original, souvent passionnant, fait comparaître devant un tribunal de l’Histoire le commandant Joseph Ignace, chef noir de la résistance locale accusé de haute trahison pour avoir combattu cette République blanche qui devait le priver de liberté. En revanche, Toussaint Louverture, téléfilm de trois heures de Philippe Niang (2012), construit en flash-backs, n’est pas à l’abri de reproches en matière historique. Mais il a le mérite d’exister : c’est à ce jour l’unique fiction consacrée au grand héros haïtien, un personnage flamboyant et ambigu, autocrate comme son ennemi Bonaparte, décédé pitoyablement dans sa prison au Fort de Joux (massif du Jura). Jimmy Jean-Louis, l’ex-mannequin haïtien devenu une célébrité à Hollywood, prête son imposante stature à ce « Spartacus noir ».