Ia - NAPOLÉON ET L'EUROPE

6. L’EMPIRE FRANÇAIS (1804 à 1815)

En 1954, le célèbre tableau du sacre peint par David est reconstitué à l’identique à Paris par Sacha Guitry dans Napoléon avec Raymond Pellegrin et Michèle Morgan (en haut), et à Hollywood par Henry Koster dans Désirée avec Marlon Brando et Merle Oberon.

RAPPEL HISTORIQUE

Le 2 décembre 1804, à la cathédrale de Notre-Dame à Paris, Napoléon se fait sacrer empereur de France afin de barrer définitivement la route aux Bourbons et écarter la menace d’une restauration monarchiste. L’Empire inaugure un système politique alors inédit en France. Selon les articles du sénatus-consulte qui fondent sa souveraineté, Napoléon choisit le titre d’empereur et non celui de roi, d’une part pour ménager la susceptibilité des révolutionnaires, de l’autre par sa référence à Charlemagne, empereur d’Occident ; le 7 septembre 1804, il s’est recueilli sur la tombe de ce dernier à Aix-la-Chapelle, puis a invité le pape Pie VII à venir le sacrer à Paris (la papauté doit l’existence des États pontificaux au père de Charlemagne). Le Saint Père préside le sacre, mais, acte politique clair, Napoléon se couronne lui-même, car les républicains ne veulent rien devoir à l’Église et l’Église veut ménager les royalistes. Ainsi, tout le monde est content. Napoléon considère le rétablissement d’une nouvelle monarchie héréditaire comme nécessaire à la réintégration de la France dans le concert des nations et ce pas lui permet de parler dorénavant d’égal à égal avec les monarques du continent.
En une décennie, le nouvel Empire napoléonien affronte successivement cinq coalitions européennes, des guerres héritées de la Révolution, initiées et financées en majorité par l’Angleterre qui ne peut tolérer ni la présence française en Belgique ni son hégémonie croissante sur le continent. Ces guerres provoquées par les tenants de l’Ancien Régime pour endiguer la propagation des idées libertaires suscitent au fil des ans l’éclosion d’une ferveur nationaliste de nature insurrectionnelle dans plusieurs pays occupés. L’Empire, qui se dessine progressivement comme un vaste projet paneuropéen sous l’égide de Paris, est miné par une contradiction fondamentale : en voulant réaliser l’unité du continent par la politique des nationalités, Napoléon réveille, bien malgré lui, les forces qui vont déchirer l’Europe pendant un siècle et demi. Jusqu’en 1814, les frontières françaises sont épargnées par les conflits, la Grande Armée allant surprendre ses ennemis à marches forcées sur leur propre territoire. La première année du règne de Napoléon est couronnée par l’éclatante victoire sur l’Autriche et la Russie à Austerlitz (chap. 10.1), mais voit également l’anéantissement de sa flotte à Trafalgar (chap. 9.4) qui laisse l’Angleterre maîtresse absolue des mers. La Prusse est écrasée l’année suivante à Iéna (chap. 11.1). La Russie étant à nouveau battue à Eylau et à Friedland en 1807, Napoléon et le tsar Alexandre se partagent le continent européen lors du traité de Tilsit. En France, Napoléon fait oublier sa dictature en donnant au pays la gloire militaire – dont il sait secrètement que c’est sa seule réelle légitimité face à un adversaire qui continue à le considérer comme un « aventurier » ou « l’usurpateur corse » – et une prospérité économique fallacieuse qui se fonde sur une politique protectionniste tributaire de la guerre.
Le 21 novembre 1806, il a signé le décret mettant en œuvre le Blocus continental contre l’Angleterre, acte de guerre économique qui met en branle un engrenage aux conséquences funestes, car pour pouvoir l’appliquer efficacement, il faut pouvoir l’imposer à l’Europe entière. Les deux erreurs majeures de Napoléon en découlent : l’ingagnable guerre d’Espagne à partir de 1808 (chap. 13.1) et la catastrophique campagne de Russie en 1812 (chap. 14.2) provoquent sa chute. Ce sont les deux seuls conflits qu’il a lui-même déclenchés.
Le 1er mars 1808, Napoléon crée la noblesse impériale, hiérarchie de princes, ducs, comtes et chevaliers autorisés, après constitution d’un majorat, à transmettre leur titre à leur fils aîné. Une nouvelle noblesse fondée sur les mérites et non plus sur les privilèges, qui paye ses impôts comme les autres. Cette initiative, suivie du mariage autrichien de l’Empereur avec l’archiduchesse Marie-Louise, annoncent un changement de cap, un virage à droite des institutions politiques vers un autoritarisme despotique (1810) : renforcement de la surveillance de l’imprimerie, réduction du nombre des journaux, rétablissement des prisons d’État, etc. Toutefois, le nombre des arrestations n’atteindra jamais un dixième des chiffres comptabilisés précédemment au nom de la Révolution, sans parler de l’Ancien Régime. En 1811/12, à son apogée géographique, l’Empire napoléonien est constitué de 134 départements (hors provinces illyriennes), compte plus de 44 millions d’habitants et s’étend sur 750 000 kilomètres carrés, de Brest à Hambourg, d’Amsterdam à Rome et à Trieste. Ses vassaux du royaume d’Italie, de la Confédération du Rhin, de la Confédération suisse, du grand-duché de Varsovie, du royaume de Naples et de celui de Westphalie représentent près de 40 millions d’habitants.