« Le mythe d'Arthur. Des bardes celtes à la culture de masse »
Collection « Savoir suisse » (no. 144), Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2019, 159 pages, format 12 x 18 cm.
ISBN 978-2-8891-5332-9
La saga arthurienne, qui hante l'imaginaire européen depuis plus de mille ans, est « l'unique mythe créé par l'Occident chrétien » (Claude Lévi-Strauss). Or le sort de ce mythe - ou ce qu'il en reste - à l'ère de la globalisation audio-visuelle semble particulièrement instructif. Le terme « mythe » dérive de la racine indo-européenne meudh qui évoque le souvenir et la pensée, et fait référence à la remémoration. Tout le monde a entendu parler de Camelot, d'Excalibur, ne fût-ce qu'à travers quelques approximatifs souvenirs d'enfance ; beaucoup croient connaître le sujet sans vraiment en mesurer l'ampleur ni surtout l'extrême complexité, accrue par le cloisonnement des disciplines universitaires qui, hélas, en handicapent l'hypothétique décryptage. Celui-ci ne peut ignorer des sources ou des renvois menant jusqu'au Proche-Orient, en Perse zoroastrienne ou chiite, voire en Inde, en passant par les légendes celtes, le folklore irlandais, les néoplatoniciens et le christianisme gnostique d'avant l'an mil. Par la suite, le présent ouvrage tente d'exposer les multiples travestissements ou instrumentalisations que lui ont fait subir au fil des siècles politiciens, écrivains, religieux, philosophes, philologues, archéologues, psychiatres, peintres, musiciens et aujourd'hui plus généralement les cinéastes. Car les médias modernes, promouvant nolens volens une diffusion planétaire des contenus, ont remâché et reformaté ces récits qui, dans leur nouvelle forme, tendent à devenir l'unique référence, l'unique source du « savoir » branché. Dans le cas de la Table Ronde et de l'énigmatique quête du Graal, la fabrication collective, et par conséquent consensuelle du cinéma induit non pas des vérités immuables à l'aune du mythe mais une source d'informations sociologiques sans équivalent sur notre présent, source totalement détachée d'un quelconque rapport avec la matière originale. Le phagocytage imagé du mythe s'est transformé en un miroir singulièrement révélateur de notre époque.
Table des matières
- La mémoire en péril
- Les personnages et leur univers : Arthur et Merlin à Camelot – Perceval et la quête du Graal – Tristan et Iseut
- Une légende immense pour un roi inconnu : Quelques traces dans l'Histoire – Le passage de l'oralité à l'écrit – Du mythe au roman : Chrétien de Troyes - La version enrichie de Wolfram von Eschenbach – Une surprenante interpénétration culturelle
- Littérature imaginaire, mythe historique ou récit symbolique ? – Les fonctions supposées du cycle arthurien – Observations sur la nature et la portée des mythes – Celtisme et christianisme – Le cas de Merlin
- Hypothèses à propos du Graal et de la Table Ronde : Trésors perdus et devoir de mémoire – La Table Ronde, représentation symbolique de l'univers – La chevalerie universelle et ses enjeux – Le Graal, réceptacle de nourriture céleste – Des prototypes préchrétiens de la légende – Un savoir réservé
- Instrumentalisation à tous vents : Au service des Plantagenêts – Oubli et renaissance calculée – L'Angleterre de la reine Victoria et son « médiévalisme » - Réserves françaises et éblouissements germaniques
- Vertiges de l'interprétation : Les égarements d'une perspective misogyne – Souveraines, fées et magiciennes – La reine et son Chevalier de la Charrette – Sexualité et « faux adultères » - L'innocence d'Iseut et le sacrifice de Tristan – Arthur entre littérature moderne et sectes pseudo-ésotériques
- Les écrans s'emparent de Camelot : De la représentation visuelle – Une absence pour raisons idéologiques – L'Amérique d'Eisenhower s'aventure dans la lice – Cinéma et comic strips au service de la guerre froide – L'empreinte controversée de Wagner – Subversions et désillusions – L'Hexagone entre burlesque et sécularisation
- La « tolkienisation » du récit arthurien : Le raz-de-marée d'un best-seller – Boorman ou le matin des magiciens
- Rupture avec l'héritage culturel : Une fabrication de « fake myths » - Féminisme, paganisme et culturisme kung-fu revisitent Camelot – Tristan et Iseut privés de philtre d'amour
- Deux œuvres antinomiques en guise de conclusion : De la perplexité hilare au rejet, les Monty Python et Éric Rohmer – Une affaire de choix
- Glossaire et bibliographie
Écho critique
« Lassé de voir maltraiter, au cinéma et à la télévision, la légende arthurienne, Hervé Dumont consacre un essai alerte et savant aux récits qui se sont développés autour de la quête du Graal. En historien conscient de l'amnésie croissante, il commence par évoquer les personnages que tout le monde connaît, mais plutôt par ouï-dire, dessins animés ou séries. Le cycle a passé de l'oralité à l'écrit, il a connu plusieurs versions et se nourrit lui-même à d'autres mythologies. (...) À travers les nombreuses et diverses versions de Camelot, lieu nodal du cycle, Dumont montre avec brio comment elles servent les fluctuations de la politique. »
Isabelle Rüf, Le Temps (Lausanne), 7.12.1919