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– la rome impériale
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premier scénario, rédigé par l’écrivain Robert Ardrey, était
tiré du roman biblique
The Good Tidings
que Dieterle
avait écrit lui-même sous le pseudonyme de William Sid-
ney (New York, 1950). Le cinéaste germano-américain y
contait la trajectoire de Jean-Baptiste (dont le père aurait
été brûlé vif par les Romains), liée à celle d’une amie d’en-
fance et de son fiancé zélote. Mais Salomé n’y jouait qu’un
rôle épisodique, de sorte que Jesse Lasky, jadis bras droit de
DeMille, fut chargé de développer une autre histoire, qui
va donner la migraine aux théologiens – et faire retourner
Oscar Wilde dans sa tombe !
Pas question, en effet, de donner à la vedette numéro un
du studio un rôle négatif qui pourrait susciter l’opprobre
des fans, voire choquer leur sensibilité religieuse. Le film
est le dernier produit par la compagnie de Rita Hayworth,
la Beckworth Corporation. Selon le scénario ultra-sage de
Lasky, la douce princesse Salomé aurait grandi à Rome, loin
des intrigues de la cour d’Hérode. Lorsqu’elle fait tourner
la tête d’un neveu de Tibère, ce dernier renvoie la « Bar-
bare » de mauvaise réputation animer les soirées dansan-
tes en Galilée. Ponce Pilate et son compagnon d’armes en
Grande-Bretagne, le beau centurion Claudius, sont chargés
de l’escorter. Arrivé au Proche-Orient, Claudius fait épar-
gner la vie de Jean-Baptiste qui invective les Romains et
émeut la princesse. A Tibériade, Hérodiade, délaissée par
son époux volage, frustrée et assoiffée de pouvoir, utilise la
beauté de sa fille pour manipuler Hérode et faire incarcérer
le prophète qui l’insulte publiquement. A Béthanie, Jésus
(vu de dos) guérit un aveugle, Lazare ressuscite. Boulever-
sés par le message d’amour christique, Salomé et son cen-
turion se font baptiser, conspirent, et la princesse danse ...
non pour obtenir la tête de Jean-Baptiste, mais pour
essayer de le
sauver
du bourreau ! Trop tard, Hérodiade
a déjà donné ses ordres. Révolté par tant de cruauté,
le couple protochrétien quitte pour toujours le palais et se
console en assistant au Sermon sur la Montagne ...
Harry Cohn, le dictateur tonitruant de la Columbia, se
dédouane par cette distorsion bien-pensante de l’opprobe de
l’extrême droite maccarthyste, lui qui ne se prive pas d’em-
ployer des cinéastes mis à l’index comme Fritz Lang ou jus-
tement Dieterle, des anti-fascistes accusés alors de sympa-
thie pour Moscou. Le comité du «Motion Picture Project »
chargé depuis 1947 de veiller sur l’image des Juifs au ci-
néma, demande que tout rappel du «massacre des Inno-
cents » soit éliminé, qu’Hérode lui-même apparaisse claire-
ment comme non-juif (vêtements, barbichette assyrienne)
et que le procès de Jean-Baptiste soit présenté comme une
affaire politique et non religieuse (pas de Sanhédrin). Cu-
rieusement, Dieterle fait de l’anachorète un exalté intraita-
ble qui récuse les membres du Conseil réunis pour l’enten-
dre (« vous n’êtes pas le peuple de Judée ») et somme Hérode
de renoncer au trône en faveur du Messie. Claudius et ses
complices tentent de sauver cet illuminé suicidaire mal-
gré lui. L’invraisemblance du script et ses approximations
handicapent tout le récit (qui débute par « Après la mort
de Jules César, Rome était gouvernée par le dictateur Ti-
bère ... » – et Auguste, alors ?), récit auquel le metteur en
scène ne parvient guère à insuffler vie. Des dialogues pom-
piers, des décors bariolés et clinquants à souhait (malgré de
beaux éclairages) et trop de transparences de studio enkylo-
sent cette superproduction de deux millions de $. Dieterle
cherche à se rattraper par certains portraits psychologiques :
Hérodiade amère et desséchée (jouée par Judith Anderson,
la terrifiante gouvernante de
Rebecca
de Hitchcock), ou Pi-
late, une brute confinée dans son palais de Césarée. Laugh-
ton et Miss Hayworth sauvent le film de l’insignifiance
soporifique. Le premier en campant avec subtilité un Hé-
rode pathétique, une sorte de Quisling, collabo doucereux,
matois et inquiétant, harcelé par son épouse. Après le drame,
il se jette épouvanté aux pieds du grand-prêtre Ezra tan-
dis qu’Hérodiade éclate d’un rire hystérique. Quant à la
star, dont la beauté illumine l’écran, elle mime tant bien
que mal une Salomé déchirée entre la loyauté à son sang,
sa sensualité amoureuse et son trouble spirituel. Le film
s’anime miraculeusement à l’instant où elle se met à dan-
ser vêtue de voiles couleur chair, lorgnée par l’adipeux roi-
telet. Quelques minutes de pur enchantement qui valent
le coup d’œil.
1954 / 55 [sortie :1959]
La peccatrice del deserto /De
sert Desperadoes / Flight Into Egypt /The Sinner (La
pécheresse)
(IT /US) Gianni Vernuccio (vers. ital.) et
Steve Sekely (vers. US) ; Venturini Film-Express-John
Nasht-Franchise-RKO, 85 min. – av. Ruth Roman (Je-
zebel), Akim Tamiroff (le marchand), Gianni Glori (le
centurion Fabius), Arnoldo Foà (Chaldéen), OtelloToso
(Verrus), Alaln Furlan (Rais), Nino Marchetti (Metul-
lus). –
Sous le règne d’Hérode le Grand, une caravane sus-
pecte en route de Judée vers Alexandrie recueille une pros-
tituée babylonienne que courtisent un marchand avare et
un centurion romain. L’inconnue contrecarre les plans du
marchand qui cherche à trahir ses voyageurs (parmi les-
quels se trouve un couple avec un nouveau-né qui pour-
rait bien être l’enfant Jésus) en les livrant aux sbires d’Hé-
rode. Tournage fauché dans les studios Titanus Farnesina
à Rome, sur la plage d’Anzio et en Egypte avec deux co-
médiens américains, la starlette Ruth Roman et Akim
Tamiroff, l’acteur fétiche d’Orson Welles. A l’origine, le
La danse des sept voiles exécutée par Rita Hayworth (1952)