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l’antiquité au cinéma
le British Board of Film Censors a banni toute représentation de Jésus à l’écran de 1913 à 1961, décret égale-
ment valable pour le théâtre (l’exploitation du
King of Kings
muet nécessita une autorisation exceptionnelle).
Le cinéma américain, lui, a d’emblée choisi l’approche directe, répondant au souhait de l’Occidental moderne,
matérialiste et sceptique, de « connaître » aussi le Christ physiquement, représenté au centre d’un cadre histo-
rique déterminé. Le catéchisme des foules prime sur l’interprétation lyrique, quitte à sombrer plus d’une fois
dans l’impétueuse naïveté du spectacle forain.
Sur le plan visuel, les recherches novatrices sont rares. Des réalisateurs ambitieux et cultivés comme De-
Mille, George Stevens
(
The Greatest Story Ever Told
)
ou Franco Zeffirelli
(
Gesù di Nazareth
)
croient faire œu-
vre de piété en décalquant la peinture traditionnelle (l’incontournable mais peu vraisemblable Sainte Cène de
Leonardo Da Vinci, les toiles de Piero Della Francesca, Rembrandt, Mantegna, du Corrège). Nicholas Ray, au
contraire, veut se détacher de l’influence picturale convenue en travaillant des cadrages panoramiques inusités
(
King of Kings
version 1960), tandis qu’un Pasolini ou un Rossellini rejettent en bloc toute création de studio
pour retrouver la poésie des grands peintres dans la simplicité naturelle des visages et des paysages. En ce qui
concerne l’authenticité historique, les cinéastes ont peine à contredire une iconographie millénaire, fût-elle
archi-fausse, car le public pourrait refuser leurs rectificatifs. Ainsi en est-il de la croix de la Passion que le Christ
porte en entier, alors que les suppliciés de l’époque, sans vêtements, n’en portaient que la branche horizon-
tale. Les femmes de Judée, quant à elles, étaient affublées d’anneaux dans les narines, et les prêtres du Temple
vaquaient pieds nus à leurs activités sacrées ...
A l’instar de dix siècles de peinture, le cinéma révèle un Christ aux multiples facettes. Patriarcal chez De-
Mille, tourmenté et écorché vif chez Julien Duvivier (Le Vigan campe le premier Jésus « parlant » dans
Golgo-
tha
, en 1936), jeune et véhément chez Ray, byzantin et angélique chez Stevens, âpre et accusateur chez Pasolini,
dépouillé, sans emphase chez Rossellini. Les Mexicains, qui produisent sept films sur le sujet, confient le rôle
de Jésus à des histrions espagnols : ils parlent la langue « pure » des premiers missionnaires venus de Castille.
L’Espagne de Franco, sous la chape du national-catholicisme, cultive le film religieux avec une ferveur toute
dogmatique, tandis que dans les autres pays d’Europe, la sécularisation et la séduction des idéologies totalitaires
détournent les foules.
Golgotha
est le dernier long métrage français consacré au Christ (si l’on excepte une vie de
Paul de Tarse en 1949,
Le chemin de Damas
de Max Glass). Aux Etats-Unis, le « procès de singe » très médiatisé
opposant évolutionnistes et créationnistes chrétiens au Tennessee (1925) et l’étau de la prohibition imposée
par le lobby puritain accompagnent un net recul de la religion en milieu urbain. Traumatisé par la Dépression
Le kitsch hollywoodien : la Sainte Cène hiératique peinte par Léonard de Vinci s'anime dans
Quo Vadis
de Mervyn LeRoy (1951)