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l’antiquité au cinéma
planétaire. L’anhistoricité règne en maître, les protagonistes du drame sont souvent réduits à la caricature : Pilate
est un sadique efféminé (le sadisme étant l’apanage des gays et des aristocrates selon un ancien stéréotype de
la culture populaire), etc. L’écran fait massivement appel aux Evangiles apocryphes (
Jesús, María y José
, 1969 ;
Un bambino di nome Gesú
, 1988) ou hérétiques (
The Gospel of Judas
, 2006), à la comédie musicale hippie
ou rock’n’roll (
Jesus Christ Superstar
,
Godspell
, 1973), à la dérision (
Monty Python’s Life of Brian
, 1979) ou
à la parodie iconoclaste (
The Thorn
, 1971 ;
Así en el cielo como en la tierra
, 1995), à la vie inconnue de Jésus
entre 12 et 30 ans, à ses séjours supposés dans des pays lointains (
In Search of Historic Jesus
,
1980 ;
I Giardini
dell’Eden
, 1998 ;
Jesus Goes to India
, 2000). Le Nazaréen est représenté tantôt comme humain, trop humain,
un prédicateur angoissé qui cherche à échapper à sa lourde mission et rêve de s’unir à Marie-Madeleine (
The
Last Temptation of Christ
de Martin Scorsese, 1988), tantôt comme un opportuniste politique mettant en scène
sa propre mort pour confondre Rome (
The Passover Plot
, 1976), un joyeux homosexuel (
The Garden
, 1989)
ou un terroriste érotomane (
Jesus vender tilbage
, 1992). On le retrouve chez les mormons (
The Testaments
,
2000), en Inde (
Man of Compassion
,
1978) et, surprise, même chez les musulmans, à la télévision iranienne
(
Saint Mary
en 2002 et
The Messiah
en 2005). Enfin, il devient noir, persécuté pour des raisons raciales dans
Color of the Cross
(2006) de Jean-Claude La Marre. Dénonçant implicitement deux mille ans de civilisation
chrétienne comme une simple imposture des clercs, et tablant sur l’inculture des nouvelles générations en la
matière, les médias populaires du XXI
e
siècle naissant se complaisent dans la révélation de grands mystères et de
complots. Cela donne, une fois de plus, la passion secrète de Jésus pour Marie-Madeleine et autres balivernes
dans le sillon du
Da Vinci Code
de Dan Brown. En réaction à ces dérives fourre-tout, Mel Gibson, issu du ter-
reau fondamentaliste, fétichise le réalisme jusqu’à l’excès en s’attardant sur les souffrances de Jésus, toutes chairs
défaites, pantelant et disloqué, à l’image des tableaux doloristes d’un Rubens ou de Grünewald : le mariage
pervers de la théologie et du voyeurisme (
The Passion of the Christ
, 2004). La flagellation du Messie rachète les
péchés du monde, proclame Gibson. Mais la prétendue authenticité de sa représentation dégénère en élément
de marketing.
La relève de la télévision et du cinéma de paroisse
Le désastre tant artistique que commercial de
The Greatest Story Ever Told
en 1965 sonne le glas des onéreuses
et consensuelles « vies du Christ », destinées prioritairement au grand écran. A quelques exceptions près, les bio-
graphies de Jésus deviennent le domaine quasiment exclusif de la télévision, dont les premiers avatars remon-
tent d’ailleurs à 1939 en Grande-Bretagne
(
Caesar’s Friend
)
et à 1949 aux Etats-Unis
(
A Child Is Born
)
, et dont
l’œuvre culminante reste
Gesù di Nazareth
, série luxueuse en cinq épisodes de Zeffirelli mise sur pied en 1977
avec la bénédiction papale. Ce phénomène est aussi lié à un changement de public, la jeunesse se détournant
des Eglises traditionnelles et les spectateurs plus âgés (ou les familles) privilégiant le cinéma-fauteuil à domicile.
Dès 1993, le consortium international Lux Vide-Lube-Kirchmedia engage des stars de renom comme Ben
Kingsley, Omar Sharif, Anouk Aimée ou Christopher Lee pour une grande série biblique destinée au marché
familial et paroissial (VHS, DVD) ; Jésus et le Nouveau Testament y font leur entrée en 1999. A cela s’ajoute
une pléiade de docu-fictions anglo-saxonnes du genre
Bible Mysteries
, fabriquées par la BBC, Discovery Chan-
nel, Atlantic Productions ou National Geographic Channel. Au total, le petit écran, principalement américain
et italien, diffuse près de 150 téléfilms ou dramatiques sur Jésus.
Le bilan ne serait pas complet sans l’apport des sociétés évangéliques, une production de films de patronage
peu connue, car réservée en priorité à des circuits fermés, quoiqu’elles fassent parfois appel à des professionnels
d’Hollywood. De 1915 à 1958, ces organismes financent quelque 2200 films à message religieux en 16 mm,
répartis entre 366 Eglises américaines, salles paroissiales, centres missionnaires ou synagogues
4
. Dès 1950, la
chaîne privée Family Theater Television du redoutable révérend Patrick Payton (plus tard « Father Payton’s
Family Theater ») s’attaque à des récits christiques plus ou moins apocryphes, imitée en 1951 par la Cathedral
Films du révérend James Kempe Friedrich («The Living Christ Series », etc.). En Italie, la Société San Paolo,
congrégation fondée par Dom Giacomo Alberione et bénéficiant de l’appui direct du Vatican, se lance dans
le cinéma dévotionnel exploité en salle dès 1951
(
Mater Dei
;
Il figlio dell’uomo
)
; elle abordera aussi l’Ancien
Testament avec Jacob, Samson, Saül et David en 1963-65. Plus modestes, en Grande-Bretagne entre 1935 et
1950, Religious Films et Hake & Walker Productions (parrainés par le méthodiste J. Arthur Rank) sortent
une vingtaine de courts métrages prosélytes mettant en scène le Messie ou ses apôtres. A partir des années
1970 / 80, à mesure que la sécularisation l’emporte dans la vie publique, on constate une offensive massive de
certaines chapelles, pour lesquelles Jésus devient la star d’une évangélisation frénétique par l’audiovisuel. En
1976, Jimmy Carter, diacre de l’Eglise baptiste (il enseignera le catéchisme tout au long de sa carrière politique)
est élu président des Etats-Unis. Cette même décennie voit plusieurs traductions américaines de la Bible et les
succès en librairie de Billy Graham, le télévangéliste tonitruant proche de la Maison-Blanche. L’International