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l'antiquité au cinéma
nisme, introduit des prières à Junon, Minerve et Apollon et
truffe ses dialogues de références à la politique du moment
(le suicide de Boadicée en Bretagne, etc.). Marcus Vinicius
se convertit pendant l’incendie de Rome. Huston veut éta-
blir une parallèle entre Néron et Hitler, deux artistes ratés
saisis de la folie de la création par la destruction ; l’un ab-
horre les chrétiens, l’autre hait les juifs. Les difficultés s’ac-
cumulent, Huston se fâche avec Mayer qui désapprouve
son script, pas assez religieux à son goût, et lorsque Gre-
gory Peck est atteint d’une infection aux yeux, les travaux
sont arrêtés après presque deux millions de $ dépensés. Dé-
pités, Huston et Hornblow Jr. échangent la Rome antique
contre les pavés d’
Asphalt Jungle (Quand la ville dort)
.
En 1950, nouveau départ, toujours à Cinecittà, cette fois
avec Mervyn LeRoy aux commandes (Rouben Mamou-
lian ayant refusé le poste), le producteur Sam Zimbalist
(responsable du futur
Ben-Hur
), un autre casting et un
scénario plus « premier degré », axé sur les martyrs, le faste
et la décadence impériales en Technicolor : la splendeur de
Rome prime sur l’intrigue échevelée de Sienkiewicz. «On
ne refuse pas deux mille ans de publicité », aurait dit Cecil
B. DeMille à LeRoy. Peck est remplacé par Robert Taylor,
plus à l’aise dans le port du costume historique (il sera un
Ivanhoé idéal, Lancelot et Quentin Durward dans les an-
nées 1950), et le rôle de Lygie revient à une jeune actrice
écossaise inconnue aux Etats-Unis, Deborah Kerr.
C’est le tout premier film en couleurs réalisé à Cinecittà,
et aussi la première incursion d’Hollywood sur les rives du
Tibre – depuis la désastreuse expérience du
Ben-Hur
muet
(dont les dix chars sont acheminés de Californie). Six mois
de travail, des moyens considérables mis en action (5500
figurants, dont la débutante Sophia Loren, une esclave
chrétienne priant dans les catacombes, et Liz Taylor dans
l’arène). Détail piquant : Néron révèle à ses courtisans mé-
dusés un modèle réduit de ce que sera la ville de Rome après
sa destruction par les flammes, un modèle d’Italo Gismondi
prêté à la MGM par le gouvernement italien et qui fut
fabriqué sur ordre de Mussolini pour la Mostra Augustea
della Romanità en 1937. Anthony Mann, non crédité,
tourne pendant 24 nuits les scènes grandioses de l’incendie
de Rome. Le résultat est colossal à souhait – l’entrée des lé-
gions victorieuses à Rome filmée depuis les hauteurs du pa-
lais impérial, le Circus Maximus avec ses torches humaines,
le combat d’Ursus contre l’auroch qui menace d’éventrer
Lygie attachée à une colonne – du jamais vu depuis les
Néron joue de la cithare tandis que Rome brûle (
Quo Vadis
, 1951)
Pleutre, paranoïaque et cruel : le Néron inoubliable de P. Ustinov