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 l’antiquité au cinéma
du Sud des USA refusent de le projeter. Pourtant, l’histo-
rien sait que la sexualité polymorphe était alors la norme :
le conquérant macédonien revu par Stone partage sa couche
en priorité avec des hommes (son ami d’enfance Héphaes-
tion, nouveau Patrocle, focalise sa tendresse) et se marie sur
le tard avec Roxane, créature feulante et fort peu aristocrate
pour une princesse de Bactriane (Afghanistan), mais qui
permet d’établir des parallèles troublants avec Olympias, la
mère du souverain. (Barsine Stateira, Parysatis et ses autres
épouses ou concubines sont passées sous silence.)
On a tendance à l’oublier :
Alexander
est une superproduc-
tion indépendante de 155 millions de $, montée loin des
grands studios d’Hollywood, avec des capitaux allemands
(Thomas Schühly, l’ex-financier de Fassbinder), britanni-
ques, français et coréens. Elle est filmée au Maroc, à Es-
saouira (Perse, Afghanistan), dans le désert de Lakhfa-
ouna près de Marrakech (Gaugamèles), dans le Moyen
Atlas (Hindu Kush), à Malte (Alexandrie), aux ateliers de
Pinewood et Shepperton à Londres (Babylone), enfin au
Saraburi et à Ubon Ratchathani en Thaïlande (Inde). Le
film prend de vitesse un projet similaire de Martin Scor-
sese, une série tv HBO de dix heures conçue par Mel Gib-
son et surtout celui, plus avancé, de Baz Luhrmann pour
Dino De Laurentiis, avec Leonardo De Caprio (Alexan-
dre) et Nicole Kidman (Olympias).
Le film débute en flash-back, 40 ans après la mort du
conquérant, commenté par le vieux Ptolémée, son compa-
gnon de route, qui dicte ses mémoires depuis la bibliothè-
que d’Alexandrie, et qui avertit d’emblée son public : cha-
cun voit Alexandre à sa manière. Sa narration en off sape
toute construction dramatique classique, écarte le suspense,
mais elle permet à Stone de multiplier les points de vue et
de se distancer de son sujet : la voix du diadoque ne dit pas
toujours ce que l’image montre, suscitant une dichotomie
entre la jouissance guerrière et l’espoir d’harmonie entre
les peuples que véhicule le film. Stone passe rapidement sur
la jeunesse à Pella, l’intimité avec Héphaestion, le conflit
ouvert avec Philippe qui le bannit (Val Kilmer cyclopéen,
dominateur et braillard), les manipulations d’Olympias
(Angelina Jolie en adepte dionysiaque quasi incestueuse et
possessive). Le « nœud de vipères » familial est rappelé par
le leitmotiv du serpent (forme qu’aurait prise Zeus, « père
divin » d’Alexandre selon la légende). Pour Stone, qui ap-
puie lourdement ses thèses par des flash mentaux, des ra-
lentis, etc., la volonté de puissance d’Alexandre ne serait
que la tentative de se libérer de la double emprise paren-
tale. Traumatisé par la haine que se vouent ses géniteurs
et leurs conseils de se méfier du monde entier, il devient à
la fois Œdipe et Hamlet, cherche à conserver la pureté des
idéaux que lui a inculqués son précepteur Aristote et finit
par se laisser corrompre par la vie, le pouvoir et la guerre.
« Il voulait être Achille et devient Prométhée » (Stone). Sa
soif de gloire se résume à une fuite en avant, celle d’un
homme qui teste constamment ses limites, à l’instar d’autres
héros hystériques du cinéaste (par ex. Jim Morrison dans
The Doors
, 1991).
Pour l’essentiel, le film se concentre sur la période des gran-
des conquêtes en Asie (résumées en deux batailles très dif-
L’entrée triomphale des Macédoniens dans Babylone (
Alexander
d’Oliver Stone, 2004)
Alexandre et son amant Héphaestion (
Alexander
, 2004)
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