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  l’antiquité au cinéma
Q
uoique fondateur reconnu de l’Empire, Gaius Octavius Augustus savait que le système impérial qu’il allait
installer sous le nom de Principat ne pouvait être toléré par les Romains qu’à travers l’absence de toute
référence monarchique, leçon que le jeune homme d’à peine 20 ans avait tirée de l’assassinat de son grand-
oncle, Jules César. C’est par cette ruse qu’il s’assura le trône (« imperator » était au départ un titre essentiellement
militaire, signifiant commandant suprême). Les soldats lui prêtaient serment personnellement. Au début de son
règne, Auguste entreprit de restaurer les mœurs. Peine perdue : il eût fallu, pour que son action aboutisse, qu’à
la tête de l’Etat, et par conséquent dans son propre camp, l’exemple fût présent ! Mari adultère multirécidiviste,
il eut l’impudence d’introduire la peine de mort pour l’adultère d’autrui. A ce titre, sa propre fille unique et sa
petite-fille furent exilées à vie sur des îles lointaines. Son épouse Livia, qu’il arracha à un premier mari, se mon-
tra soumise et toléra ses innombrables infidélités, mais elle prit sa revanche en devenant une véritable « dame de
fer », sournoise et intrigante. Ovide, l’auteur de l’
Art d’aimer,
fut banni sur les rives glaciales de la mer Noire.
L’Octave du triumvirat fut sans pitié avec ses ennemis, « clément, mais après le massacre » railla Sénèque : il ef-
faça des familles entières ; on recense 300 sénateurs et 2000 chevaliers (equites) assassinés. L’ancienne cité étrus-
que de Pérouse, où il affronta Marc Antoine en –40, fut anéantie par ses soins, toute sa population passée par le
fil de l’épée. Il se présentait entouré de tueurs professionnels, tel un parrain mafieux. Devenu Auguste, il assura
cependant à Rome quarante années de grandeur (« je laisserai une ville de marbre là où j’ai trouvé une ville de
brique ») et, en garantissant la stabilité intérieure, la fameuse « Pax Augusta », créa un cadre de gouvernement et
de société qui allait durer plusieurs siècles. Son biographe, Tite-Live, n’a qu’un seul lecteur : son maître. Dans
ses écrits édifiants, les grands Romains du passé préparent l’apothéose d’Auguste. Prudent, menteur, hypocrite
de génie, militaire effacé mais diplomate avisé, le princeps de l’Empire était peu charismatique, et le cinéma le
lui a bien rendu. Tous les films sur Cléopâtre le malmènent – un juste retour des choses pour celui qui a tant
souillé l’image de la souveraine lagide. Octave-Auguste n’y fait que de la figuration, et pas toujours flatteuse.
On retiendra en particulier l’Octave glacial et distant de Roddy McDowall dans le
Cleopatra
de Mankiewicz
(1963) : il dort à Actium, laissant son amiral gagner la bataille, puis fait sournoisement exécuter l’enfant que la
reine d’Egypte avait eu de César. Dans
Julius Caesar
, Shakespeare eut l’élégance de ne pas montrer sa couardise
à Philippes (où Antoine combattit seul). Un unique téléfilm, à peine diffusé, lui est consacré en 2003,
Augustus
.
Il y est interprété successivement par Benjamin Sadler et Peter O’Toole (le politicien jeune et le vieux). Deux
ans plus tard,
Empire
, médiocre feuilleton pour teenagers, le travestit en héros d’aventures rocambolesques sous
les traits de Santiago Cabrera.
Auguste a conduit plus de guerres qu’aucun Romain avant lui, avec beaucoup de victoires mais aussi
beaucoup de pertes humaines. En quarante ans de règne, l’étendue des territoires soumis « dépassa toutes les
conquêtes antérieures accomplies dans un même laps de temps » 
1
. Ce sont finalement ses campagnes militai-
res, à nouveau menées par d’autres, qui ont retenu l’attention des caméras. C’est le cas de l’écrasement des
Cantabres en Espagne (
Los Cantabros
, 1980), mais surtout celui de l’anéantissement traumatisant des légions
de Varus par le prince chérusque Arminius (Hermann), en Germanie. En l’an 9 de notre ère, ce Vercingétorix
germain orchestra dans la forêt de Teutberg une des plus écrasantes défaites de l’Empire, qui mit définitivement
fin aux rêves d’expansion de Rome au nord du Danube et à l’est du Rhin (l’expansion romaine au Proche-
Orient fut, elle, arrêtée sur l’Euphrate par la débâcle de Crassus contre les Parthes en 53 av. JC). La poignée de
films qui se réfère à Arminius s’inscrit dans une longue tradition d’instrumentalisation idéologique. Depuis la
découverte au XVI
e
siècle du manuscrit
Germania
dans les
Annales
de Tacite, savants et historiens établissent
une continuité (partiellement abusive) entre anciens Germains et Allemands contemporains. Arminius renaît à
AUGUSTE, L’EMPEREUR SANS TITRE
40 av. JC/ 14 apr. JC
Gaius Octavius, né en 63 av. JC. Epouse : Livia Drusilla. Ayant mis fin aux guerres civiles, Octave défait
Marc Antoine et Cléopâtre à Actium et écarte Lépide du pouvoir. Après la conquête de l’Egypte (–31),
il est le maître unique de tout le bassin méditerranéen. Petit-neveu et fils adoptif de Jules César (« Augustus
Imperator Caesar Divii Filius »), il devient le « Premier des Sénateurs » sous le nom d’Auguste, concentrant
entre ses mains tous les pouvoirs d’un empereur (grand prêtre d’Apollon, tribun de la plèbe, etc.), mais
sans en porter le titre. Ainsi s’instaure un règne totalitaire qui voit la réorganisation en profondeur du
monde romain.
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