6a – rome : de romulus à césar
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1553). La dramaturgie baroque du XVII
e
siècle souligne sa noblesse et sa grandeur d’âme (La Calprenède, Cor-
neille), réhabilitant progressivement Cléopâtre en tant que personnage tragique, beauté fatale dont la vie est
hantée par les signes avant-coureurs de la mort. Comme le relève Myriam Poiatti, la polysémie interprétative
transcende la figure historique pour devenir « indice d’un imaginaire sur le féminin étroitement lié au contexte
socioculturel qui l’encadre et le produit »
1
. Au XIX
e
siècle, sous l’influence du romantisme et de l’orientalisme
colonial, et appuyée par la peinture de Salon (Cabanel, Rixens, Arthur, Böcklin), la reine du Nil atteint le
sommet de sa popularité. Ses amours fascinent un public bourgeois que sa fin néfaste rassure et qui frissonne à
la vision du charme vénéneux d’une Vénus-Cléopâtre affrontant les valeurs morales. Sarah Bernhardt s’illustre
dans la
Cléopâtre
mélodramatique de Victorien Sardou (1890). Suivent d’innombrables drames, nouvelles (
Une
nuit de Cléopâtre
de Théophile Gautier, 1838), ballets (
Une nuit d’Egypte
de Michel Fokine, 1908, repris à Paris
par les Ballets russes de Diaghilev avec Ida Rubinstein, le ballet pantomime
Rêve d’Egypte
interprété par une
Colette nue, 1907) et opéras (Jules Massenet, 1914)
2
.
Les médias modernes prennent la relève avec une énergie décuplée : on dénote près de 80 films ou téléfilms
sur le sujet, adaptations de Shakespeare et Shaw comprises. Tout en rendant une pseudo-archéologie vivante
et accessible au grand public, la proximité et la suggestivité de l’image cinématographique imposent définiti-
vement Cléopâtre comme symbole sexuel. En 1913, sur fond d’expansion coloniale en Libye, l’Italien Enrico
Guazzoni vilipende encore la reine « orientale » et privilégie le spectacle de la conquête positive de l’Egypte par
Rome
(
Marcantonio e Cleopatra
)
. Quatre ans plus tard, à Hollywood, la provocante Theda Bara confère à la
souveraine une image de vamp irrésistible et destructrice, célébrant Eros et Thanatos à l’ombre d’un sphinx
géant. En 1934, Cecil B. DeMille remplace cette imagerie à la Gustave Moreau par un portrait plus moderne :
Claudette Colbert est la délicieuse reine d’une comédie romantique sophistiquée, la « femme nouvelle » de la
société américaine, décontractée et ludique. Après-guerre, Cléopâtre devient tour à tour femme-enfant sponta-
née, innocente et rouée (Vivien Leigh dans
Caesar and Cleopatra
, 1945, d’après Shaw), nymphomane (Sophia
Loren dans
Due notti con Cleopatra
, 1953), créature létale de film noir (Rhonda Fleming dans
Serpent of the
Nile
, 1953), égoïste et désemparée (Linda Cristal dans
Le legioni di Cleopatra
, 1959) ou gazelle rusée (Pascale
Petit dans
Una regina per Cesare
, 1962). Seul Joseph L. Mankiewicz, dans la titanesque et incontournable
Revêtue de sa robe d'or, la reine d'Egypte entame son ultime voyage : Elizabeth Taylor dans
Cleopatra
de Joseph L. Mankiewicz (1963)