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l'antiquité au cinéma
débridé, du pillage sans états d’âme de la planète et de la démonstration de puissance tous azimuts, l’ère inau-
gurée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. L’hypertrophie donne le ton, dans la vie comme au cinéma. Les
sympathiques Maciste et consorts cèdent la place à une engeance autrement plus brutale, moins chevaleresque,
sans foi ni loi. Ces épopées sauvages d’une époque où la terre peuplée de créatures cauchemardesques n’aurait
été régie que par la violence et les forces magiques voient triompher les « fils de Conan », des aventuriers-justi-
ciers en général solitaires, sorte de samouraïs aux pectoraux bombés et habillés de peaux de bêtes (Hawk, Ator,
Dar, Gunan, Thor, etc.). Primitifs, instinctifs plutôt que cérébraux, ils sont un mélange du noble sauvage rous-
seauiste et du surhomme nietzschéen. On les flanque occasionnellement de compagnes guerrières non moins
redoutables, masculinisées, exhibant leurs attraits sexuels comme des armes (Red Sonja). Ils ne s'embarrassent
pas de scrupules, leur motivation est en général personnelle et égoïste (argent, vengeance). A cette élite blanche
virtuellement indestructible, le genre oppose un ennemi maléfique, infernal, exotique et souvent difforme,
propageant une vision binaire de l'univers aux relents fascistoïdes. Ce monde barbare est historiquement indé-
finissable, assimilé parfois – et par pure convenance – à la légendaire Hyperborée. Il ne s’agit bien sûr pas ici de
mythes authentiques, transmis de la nuit des temps, mais de contrefaçons modernes, d’inventions littéraires,
d’une nébuleuse de pseudo-mythes qui reflète les mentalités, le marasme culturel, l’infantilisme et les fantasmes
d’aujourd’hui : on y croise pêle-mêle des éléments de légendes celtes ou scandinavo-germaniques, du fantasti-
que prémédiéval (elfes, fées, gnomes, sorciers, magiciennes), du kung-fu chinois et de vagues références à l’âge
du bronze. Le surnaturel y côtoie à l’occasion l’uchronie et même la science-fiction – dans le sillage plus ou
moins avoué des « space opera » pour adolescents d’un George Lucas (
Star Wars / La guerre des étoiles
, dès
1977) ou de l’univers graphique d’un James Gurney (
Dinotopia
, 1992). Visuellement, ces films se rattachent
au péplum traditionnel par les costumes, l’armement et l’habitat, ce qui explique leur présence dans ce chapi-
tre. Mais en raison de leur total manque d’assise historique, ils sont traités ici de manière succincte, sans souci
d’exhaustivité
3
.
1
Le phénomène de Maciste et consorts a été abordé pour la première fois dans le dossier « Le carnaval des demi-dieux», réuni par Vittorio Spinazzola,
in:
Cinéma 64
n
o
85, avril 1964 (Paris), pp. 42-82. Les Italiens ont consacré trois ouvrages aux « giganti buoni » signés V. Martinelli, M. Quarngnolo,
M. Giordano, A. Farassino et T. Sanguinetti, cf. note 2 du commentaire sur « La Grèce mythologique » (5a) ; cf. aussi Stephen Flacassier,
Muscles, Myths
and Movies
, Rabbit's Garage (USA), 1994. Nous avons sciemment exclu de notre énumération le personnage légendaire d'Antar, héros de nombreux
films d'aventures italiens, égyptiens, syriens et libanais qui appartient au Proche-Orient préislamique (Haut Moyen Age).
2
« La psychanalyse du pauvre», in :
Midi Minuit Fantastique
n
o
12, mai 1965 (Paris), pp. 1-10.