7 – royaumes mythiques imaginaires 
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L
e titanisme populaire à l’antique est au départ un phénomène essentiellement italien, provoqué par le
succès international des deux premiers
Hercule
interprétés par Steve Reeves,
Le fatiche di Ercole
et
Ercole
e la regina di Lidia
en 1957 / 58 (cf. 5a.6). De 1960 à 1965, les producteurs rivaux alignent une longue
série de films d’aventures historico-mythologiques dont le héros est campé par un culturiste (souvent d’origine
américaine ou un Italien dont le nom a été américanisé). Le personnage lui-même est interchangeable (comme
son interprète) et prend un autre patronyme selon le pays où le produit est distribué : inconnu outre-Atlan-
tique, Maciste y devient par exemple Goliath, Samson, Hercule, Atlas ou Colossus. En Allemagne,
Maciste
contro i mostri
est rebaptisé
Germanicus aux enfers
et
Sansone
devient
Hercule dans les filets de Cléopâtre
 !
Les intrigues, situées parfois à des époques ou dans des continents très différents, sont calquées sur un schéma
toujours identique : dans un royaume tyrannisé par un impitoyable usurpateur (reconnaissable à sa barbe noire
en collier), ces « fils d’Hercule » dépourvus d’origine divine mais intemporels, torses nus, sont convoités par de
voluptueuses aristocrates, toutes intrigantes, lascives, noiraudes et maîtresses du vil despote, mais ils leur pré-
fèrent invariablement des jeunes filles proches du peuple, vierges et blondes, qu’ils serrent dans leurs bras une
fois les traîtres exterminés grâce à un spectaculaire « tour de force » à coups de biceps, accompagné ou suivi d’un
soulèvement populaire. Les scènes à grande figuration, quand il y en a, sont empruntées incognito à des films
financièrement mieux dotés. Souvent, ces justiciers bodybuildés ne relèvent pas de l’Antiquité classique gréco-
romaine : ils visitent des royaumes anciens, certes, mais aux contours imprécis (quand ils ne s’autorisent pas des
sauts temporels de plusieurs siècles). Les aventures de Samson et de Goliath sont coupées de leur contexte vété-
rotestamentaire. Quant au personnage de Maciste, le plus prisé de ces Héraclides, il remonte aux années 1910 :
c’est le prototype du « bon géant » à l’âge d’or du cinéma muet italien, le champion apolitique – mais vaillant
patriote – du prolétariat local. Tradition oblige, les vétérans Carlo Campogalliani ou Guido Brignone, déjà ar-
tisans de ces exploits muets, se retrouvent au générique des films des années 1960. Très prisé par les foules que
rebutent les œuvres élitistes d’un Antonioni ou Pasolini, cet univers simpliste, artistiquement bâclé et assumant
sans complexe son absence de crédibilité, est comme une réaffirmation ingénue du droit à la fantaisie, un retour
aux sources du cinéma populaire 
1
. Domenico Paolella, qui a signé une demi-douzaine d'
Hercule
et de
Maciste
,
explique, lui, le succès surprenant de ce type de films par l'effet libérateur et fortifiant qu'il exerce sur un public
non intellectuel, puisque son objectif ultime serait « la création d'une galerie de personnages d'exception, héros
ou scélérats, toujours d'une valeur exemplaire dans le bien comme dans le mal. » A une époque dominée par la
technique, affirme Paolella, le spectateur aliéné retrouverait dans les films mythologiques et d'aventures l'état
originel, « une remise en valeur gigantesque et tout à fait exagérée de la force musculaire de l'homme ; comme
si l'équilibre perdu se rétablissait. » L'individu y est confronté à des images faisant partie du langage universel
des rêves : il se débat au milieu de monstres (les fabriques, les usines, les bureaux), d'ennemis innombrables (les
autres), de souterrains inquiétants et de fleuves de feu (le trafic), d'un monde hostile, hérissé d'obstacles et semé
de pièges. «Au film mythologique se rend la foule la plus humble : les victimes, les moins mûrs, ceux qui ont
été blessés par la vie et sa réalité. Et, malheureusement, ils sont la majorité. Le film « fantastique » (
fantastoria
)
est la psychanalyse du pauvre. » 
2
Cette production trouve son équivalent aux Etats-Unis dans la bande dessinée
américaine et ses prolongements de série B hollywoodienne dont les superhéros, à défaut d’un passé lointain
et d’une culture antique inexistants, affrontent l’avenir, la science-fiction, d’autres galaxies ou le fantastique
(Superman, Flash Gordon, Batman, Spiderman, etc.). Les cinémas-bis d’origine turque, indienne et extrême-
orientale fabriquent, eux, leurs propres avatars « invincibles » à partir des modèles italiens, immergés dans les
moments forts de leur histoire nationale.
Le genre, baptisé «muscle opera » en pays anglo-saxon, s’étiole à partir de 1965. Une quinzaine d’années
plus tard, la vogue des héros culturistes revient toutefois à la mode sous un nouveau label anglophone, «Heroic
Fantasy » ou « Sword & Sorcery », lorsque le phénoménal succès en librairie du cycle de
The Lord of the Rings
(Le seigneur des anneaux)
de J. R. R. Tolkien, publié initialement en 1954 / 55 (cf. 7.2.3), et le film
Conan the
Barbarian
de John Milius, adaptation des romans de l’Américain Robert E. Howard (cf. 7.2.2), changent la
donne. Certes, sur le plan de l'édition, le genre de l'«Heroic Fantasy » n'est pas nouveau ; on le fait remonter aux
écrivains britanniques William Morris (
The Wood Beyond the World
, 1894), Lord Dunsay alias Edward Plunkett
(
The King of Elfland's Daughter
, 1924) et E. R. Eddison (
Mistress of Mistresses
, 1935), sans oublier les
Tarzan
d'Edgar Rice Burroughs (1912 ss). L'illustration des couvertures de « pulp novels » et la bande dessinée (Burne
Hogarth, Frank Frazetta) contribuent à la propagation d'un domaine longtemps confiné à la paralittérature.
Sorti sur les écrans en 1982,
Conan the Barbarian
est un succès mondial. Ce sont les années du libéralisme
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