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l'antiquité au cinéma
patriciens). Elle le bat personnellement à la course. Justi-
nien la convoque au palais et l’épouse. Autrefois le jouet des
nobles de l’Empire, il se laisse désormais influencer par cette
femme bien décidée à lui faire entendre la voix du peuple.
Jean de Cappadoce, chef des patriciens, intrigue pour la
perdre, suscitant la jalousie chronique de Justinien à tra-
vers Arcas (frère de lait et amoureux éconduit de l’impéra-
trice), puis en soulevant les Bleus contre le trône (sédition
Nika). Théodora pousse le peuple à lutter contre la révolte
jusqu’à l’arrivée des bucellaires goths du général Bélisaire.
Les fauves sont lâchés dans la ville au milieu des incendies
et des combats. Soupçonnée d’adultère, l’impératrice est in-
nocentée in extremis, et, dix ans plus tard, en 547, dans la
basilique San Vitale à Ravenne, le couple vieillissant songe
au passé glorieux de leur règne commun ...
Exactement 500 ans après la prise de Constantinople par
les Ottomans (1453), Byzance ressuscite le temps d’un été.
Dans les grandes lignes, le film de Riccardo Freda semble
fidèle à l’histoire, même s’il ne parle pas de l’enfance de
Théodora, fille d’un montreur d’ours, ni de sa jeunesse de
courtisane (métier qu’elle pratiqua avec ses deux sœurs),
ni de sa conversion radicale au monophysisme pendant
son séjour à Alexandrie, doctrine chrétienne condamnée
au Concile de Chalcédoine sous la pression du pape. On
ne relève pas non plus le fait que Justinien obtint d’abord
que la loi fût modifiée pour épouser Théodora, car un per-
sonnage de rang sénatorial n’avait pas le droit de contrac-
ter un mariage légal avec une « actrice ». Jean de Cappa-
doce tient le mauvais rôle : après le bain de sang de Nika,
dont il était partiellement responsable, Théodora ruina ce
favori de l’empereur, préfet du prétoire d’Orient haï par
le peuple pour ses exactions. Elle l’obligea à entrer dans les
ordres, puis le contraignit à l’exil. En revanche, il va de soi
que ni Théodora ni Justinien ne conduisaient des attelages
de course, une licence poétique (et un spectacle réussi) qui
montre que la future impératrice est une véritable femme
de tête. En même temps, la séquence à l’hippodrome permet
de révéler l’importance de la manifestation et de ses enjeux
à Constantinople : les cochers, d’origine servile, étaient de
véritables vedettes dans le monde romain, adulés par leurs
partisans (en une seule course, un cocher pouvait gagner
autant que cent avocats). Les factions qui divisaient le pu-
blic étaient devenues l’équivalent de partis politiques et les
affrontements dans les gradins pouvaient être particulière-
ment violents, comme le démontra la sédition Nika. Poli-
tiquement, Théodora était Bleue et non Verte, le premier
parti l’ayant accueillie avec compassion quand elle était
dans la misère.
Haut et bas : la future impératrice (Gianna Maria Canale) se mesure à Justinien I
er
dans l'hippodrome de Constantinople (
Teodora
, 1953)