2 – les hébreux
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du palais royal et les remparts de Rabbah près de Nogales,
en Arizona, et le reste dans les studios Fox à Westwood. Le
vétéran Henry King, cinéaste attitré de la Fox et de Gre-
gory Peck (six films ensemble, dont les inoubliables
Twelve
O’Clock High / Un homme de fer
et
The Gunfighter / La
cible humaine
en 1949), réalise une œuvre raffinée, au
rythme pondéré, admirablement photographiée en Techni-
color par Leon Shamroy qui privilégie les tonalités pastel,
les jeux d’ombres tout en douceur, très éloignés de la chro-
mophonie criarde en cours. Cette délicatesse d’approche se
retrouve dans la mise en scène même : l’atmosphère prime
sur l’événementiel. Le récit prend son temps, s’attarde pen-
dant de longues minutes sur le visage du roi esseulé, fra-
gilisé, plongé dans ses souvenirs de la mort de Jonathan et
de Saül au mont de Gilboé (Bethsabée l’observe de loin,
muette et émue), puis saisit des instants d’intense tendresse
entre les amants dont il capte parfois la pureté des regards
comme le fit jadis un Frank Borzage. King affirmera qu’il
n’a jamais voulu réaliser un film à grand spectacle, mais
une histoire d’amour (
Positif
, mars 2008, p. 109). Foca-
lisée sur la passion royale, l’intrigue ignore la majorité des
épisodes turbulents ou épiques de la vie de David, ce qui ne
saurait surprendre : la censure du Breen Office a surveillé
la production de très près, rejeté un premier script et excisé
tout ce qui pouvait choquer la morale américaine. Néan-
moins, le scénario de Dunne (en vers blancs) tranche sur
le cinéma biblique courant par la modernité de certains
propos et portraits.
Le rôle du roi est confié à Gregory Peck, capable d’incarner
un meneur d’hommes au caractère ambivalent, à la fois bon
et mauvais : un être humain et pas uniquement un person-
nage mythique. Maussade, harassé par la guerre contre les
Ammonites, constamment harcelé par un prophète ponti-
fiant et pharisaïque, le roi est devenu étranger à sa femme
Mikal (qui n’est pas sa seule épouse, précise-t-on, mais les
autres n’apparaissent pas). Elle lui reproche de n’avoir ja-
mais aimé que lui-même. En déplaçant l’épisode miracu-
leux de Goliath à la fin, alors que, totalement culpabilisé
par le meurtre d’Urie, mais aussi au désespoir de perdre
Bethsabée, David adulte souffre l’agonie d’un monarque
déchu (jeu porté aux nues par Martin Scorsese), le réalisa-
teur donne la mesure du parcours intérieur de son person-
nage. Francis X. Bushman, jadis le Messala du
Ben-Hur
muet, interprète son prédécesseur Saül. C’est une triangu-
lation de « film noir » que l’on retrouve avec David, Beth-
sabée et Urie, ce dernier étant un sot misogyne qui re-
fuse d’honorer son épouse, n’hésiterait pas à la faire tuer si
elle le trompait et aspire à une mort glorieuse au combat
(« l’honneur est tout, l’amour n’est rien »). Comment lui
refuser pareille faveur ? Au prophète Nathan, sempiternel
inquisiteur, David oppose une solide dose de scepticisme.
Quand celui-ci lui rapporte les dernières sentences de Ja-
hvé, il répond invariablement par un « puisque tu le dis ! »
qui ne masque ni sa lassitude ni son irritation croissante.
«Dieu punit les innocents » constate-t-il lorsqu’un soldat
meurt foudroyé en touchant, ô sacrilège, le Tabernacle qui
menaçait de se renverser. Mais peut-être n’était-ce qu’un
arrêt du cœur, et non une punition divine comme le pré-
tend Nathan. Adolescent, David croyait en un Dieu bon
et miséricordieux. Adulte, privé de cet état de grâce, il en-
visage le meurtre et même la fuite en Egypte avec sa bien-
aimée. Le cinéaste, un protestant méthodiste attiré par le
catholicisme (il signa l’émouvant
Song of Bernadette
en
1943) place ce père fouettard de Nathan dans une lumière
doublement négative, en tant que représentant d’une léga-
lité sans âme et de cette intolérance militante qui caracté-
rise les intégristes de tous bords.
Elégiaque et romantique,
David and Bathsheba
est ciné-
matographiquement un des meilleurs films tirés de l’An-
cienTestament. Des paroissiens de la Church of Christ ten-
tent néanmoins d’en boycotter la sortie à Los Angeles pour
irrespect envers les Saintes Ecritures et accusent Gregory
Peck et Philip Dunne, de bons libéraux, d’être des com-
munistes. Dans le Tennessee, plusieurs séquences relatives
à l’adultère royal sont excisées. Mais globalement, Peck et
Hayworth garantissent des rentrées substantielles (7 mil-
lions de $), et leur film est un des plus grands succès com-
merciaux de l’année 1951, récoltant de surcroît cinq no-
minations à l’Oscar (dont meilleur scénario et photo). Ce
bilan réjouissant encourage Zanuck à mettre en chantier
une autre fresque religieuse,
The Robe (La tunique)
, qui
entrera dans l’histoire du cinéma à titre de premier film
en CinemaScope (1953 – cf. 6b.4).
1958 (tv)
Uriel
(FR) François Gir [d’apr. Jacques Deval]
(1
e
Ch. RTF 15.4.58). – av. Gianni Esposito (David),
Junie Astor (Bethsabée), Aimé Clariond (Uriel), Lucien
Barjon, Samson Fainsilber, Jean Galland, René Génin,
Jacques Harden. –
Uriel voue un culte à son roi, mais
celui-ci s’éprend de son épouse et l’envoie à la mort.
1958 Ø
The Living Bible :The OldTestament – 10. Samuel,
a Dedicated Man – 11. David, a Young Hero – 12.
David, a King of Israel
(US) Edward Dew ; Family
Films Production-Concordia Films St. Louis, Missouri
(Sam Hersh & Victor B. Growcock), 3× 15 min. – av.
Nelson Leigh. –
cf. Genèse 2.1.1.
1959
David e Golia /David and Goliath (David et Goliath)
(IT/US /YU) Richard Pottier, Ferdinando Baldi [et Or-
son Welles] ; Emimmo Salvi-Ansa Produzione-Beaver
Champion Attractions, Inc.-Jadran Films, 113 min. –
av. OrsonWelles (Saül), Ivo Payer (David), Kronos (Go-
liath), Giulia Rubini (Mikal), Pierre Cressoy (Jonathan,
fils de Saül), Eleonora Rossi Drago (Mérab, fille aînée
de Saül), Hilton Edwards (le prophète Samuel), Mas-
simo Serato (gén. Abner), Furio Meniconi (Asrod, roi
des Philistins), Luigi Tosi (Benjamin de Guibéa). –
Sous
l’influence du général Abner, Saül est devenu un roi dé-
pravé et les Philistins se sont emparés de l’Arche d’alliance.
A Bethléem, le prophète Samuel découvre en la personne
du berger David, jeune fils de Jessé, le futur roi d’Israël.
Le prophète Nathan (Raymond Massey) tance son roi accusé
d’adultère dans
David and Bathsheba
(1951)