2 – les hébreux
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Empêtrée dans les dépassements de budget délirants du
Cleo-
patra
de Mankiewicz et confrontée à une grève des scéna-
ristes qui menace les salles de fermeture, la Century-Fox
demande àWalsh, 73 ans, de tourner un film au plus vite.
On ressuscite un projet inabouti d’Henry King datant de
1950 / 51,
*
The Story of Esther
, d’après un scénario de
Frank et Doris Hursley. Réalisé aux studios Titanus Ap-
pia à Cinecittà, à l’Istituto LUCE et en extérieurs au bord
du lac de Fogliano près de Latina (Agro Pontino),
Esther
and the King
commence avec une armée perse victorieuse
(sur les Egyptiens en –484) et s’achève avec une armée dé-
faite (par les Grecs à Salamine en – 480). Entre ces deux
extrêmes, une histoire d’amour et une histoire de trahison,
dans une mise en scène rigoureuse et dépouillée, soutenue
par une photo ultra-symbolique de Mario Bava (qui co-
réalise la version italienne et filme la séquence de l’assas-
sinat de la reine Vashti, rajoutée après le départ de Walsh)
avec des éclairages rouges et verts un peu appuyés. Un cas-
ting inégal : quoique parfois émouvante, Joan Collins n’est
pas vraiment à la hauteur de son rôle, et Richard Egan im-
berbe n’a rien d’achéménide.Walsh (également producteur
et coscénariste) focalise son attention sur Assuérus, l’homme
le plus puissant de la terre, malheureux en amour et réduit
à tourner comme un lion en cage dans son palais, théâtre
d’intrigues et de trahisons permanentes. Les seuls endroits de
répit sont à l’extérieur, au village hébreu et dans les ruines
de la nécropole. Le cinéaste nous prive des batailles atten-
dues et ridiculise l’inévitable bacchanale de service (« quel
est le courtisan imbécile qui a conçu un spectacle aussi af-
fligeant ? » s’exclame le roi). Humilié par les subterfuges
d’Aman, puis par la débâcle en Grèce, Assuérus voit ses rê-
ves de domination universelle s’effondrer, mais il gagne la
tendresse d’Esther, nouvelle « esclave libre » de Walsh qui
signe ici un péplum méditatif non dénué de beauté, mal-
gré d’évidentes imperfections. Aux Etats-Unis, le film est
condamné par la Catholic Legion of Decency pour l’« exces-
sive sensualité des danses et costumes », tandis que le comité
du Motion Picture Project, chargé depuis 1947 de veiller à
la bonne image des Juifs à l’écran, déplore que le sens pro-
fond de l’épisode disparaisse dans « un méli-mélo de séquen-
ces à grand spectacle et de scènes d’amour intempestives ».
Xerxès-Assuérus (Richard Egan) reçoit la Juive Esther (Joan Collins) à sa cour dans
Esther and the King
de Raoul Walsh (1960)