90
l’antiquité au cinéma
très loin) William Faulkner ne comporte à l’exception du
Premier ministre Hamar, que des personnages égoïstes, or-
gueilleux, cupides et calculateurs. On est en effet loin du
«western égyptien » dont rêvait Hawks : l’Antiquité n’est
pas ici un monde peuplé de héros légendaires, mais un uni-
vers âpre, aride, violent, où le machiavélisme est roi. Les
faibles y sont sacrifiés à la folie des puissants.
Cette deuxième incursion hollywoodienne dans l’Egypte
pharaonique (
The Egyptian / Sinouhé l’Egyptien
de Mi-
chael Curtiz est sorti l’année précédente – cf. 3.2.2) utilise
à dessein des interprètes alors peu connus du grand public
comme Jack Hawkins ou la débutante Joan Collins, 22 ans
(le premier choix de Hawks s’était porté sur une autre dé-
butante, Ursula Andress, 17 ans, mais qui n’était plus li-
bre). Il s’agit de concentrer l’intérêt sur la construction de
la pyramide elle-même, suivant les théories alors les plus
récentes de l’égyptologie (transports de blocs de pierre sur
le Nil, rampes frontales géantes en brique crue avec incli-
naison variable, etc.). Hawks s’est assuré les conseils de l’ar-
chéologue français Jean-Philippe Lauer, grand spécialiste
de Saqqarah. Cette approche sérieuse – filmée en Warner
Color avec 16 caméras CinemaScope – lui confère un as-
pect quasi documentaire (malgré la présence anachronique
de dromadaires) et l’authenticité des paysages comme de la
figuration indigène sont un atout considérable par rapport
à
The Egyptian
de la Fox fabriqué en Californie. Cepen-
dant chaque fois qu’il revient à ses intrigues de boudoir
convenues, le film perd de son impact. L’art de Hawks est
fondé sur le dialogue, les gestes, le comportement, et le fait
de ne pas savoir « comment parle ou réagit un pharaon »
(le cinéaste s’en plaignit souvent) prive sa mise en scène des
nuances et de la spontanéité de ses chefs-d’œuvre. On peut
regretter aussi que Hawks, individualiste pragmatique et
homme d’action, n’ait pas la fibre suffisamment «métaphy-
sique » pour faire transparaître dans son évocation les pré-
occupations eschatologiques si particulières de cette civili-
sation. La fin, stupéfiante, mérite à elle seule le détour : se
croyant devenue souveraine du royaume, l’épouse meurtrière
déclenche elle-même le formidable mécanisme par écoule-
ment de sable qui provoque la fermeture hermétique de
toutes les issues et couloirs de la pyramide : elle est emmu-
rée vivante. Spectateurs claustrophobes s’abstenir. Visant à
Jack Hawkins (Chéops) et Joan Collins, le couple maudit de
Land of
the Pharaohs
de Howard Hawks (1955)