6a – rome : de romulus à césar 
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la pièce à Broadway, en costumes modernes, et il rêvait de
réparer les erreurs commises. Il se propose de prendre de
vitesse Welles, qui prépare justement sa propre version, fi-
nancée par le roi Farouk au Caire, avec Richard Burton
(projet inabouti).
Le film de Mankiewicz, dont le sujet fondamental est la
soif du pouvoir, est conçu comme un thriller politique pré-
sentant le moins de concessions spectaculaires possibles, afin
de ne pas divertir le spectateur de la puissance du texte et
des interprètes à son service : plans rapprochés, images en
noir et blanc (le cinéaste vise à l’intensité, non à la gran-
deur), décors limités, armures déjà utilisées dans
Quo Va-
dis
, costumes et coiffures stéréotypés (ce qui vaudra au film
les sarcasmes quelque peu déplacés de Roland Barthes, dans
Mythologies
). La bataille de Philippes est bouclée en une
minute (à Bronson Canyon, les uniques extérieurs hors
de Culver City excepté le Forum édifié à Iverson Ranch,
Chatsworth) et ressemble plutôt à une embuscade de Far
West. On peut regretter ce puritanisme, car Shakespeare,
qui ne crachait pas sur les effets de scène et s’adressait à tous
les publics, n’aurait sûrement pas renoncé à une telle sé-
quence s’il en avait eu la possibilité. De même pour la ca-
valcade désespérée de Titinius, où il faut se contenter de
la description que Pindare en fait à Cassius. Mankiewicz
charge Bernard Herrmann de la musique, mais pour des
raisons budgétaires (Houseman ne dispose que de 2 mil-
lions de $), le studio refuse sa superbe partition et utilise
celle de Miklos Rozsa, sous contrat à la MGM.
Le noir et blanc des images veut aussi rappeler les actualités
récentes montrant Mussolini et Hitler en train de haranguer
les masses, car l’intention du film est clairement politique et
peut être déchiffrée à la lumière des campagnes maccarthys-
tes (Mankiewicz subit alors les attaques des superpatriotes
d’Hollywood comme Cecil B. DeMille). Si Louis Calhern
fait un César déroutant, peu majestueux et imbu de lui-
même, c’est que le cinéaste le voit en chef de gangsters sorti
d’
Asphalt Jungle
, entouré de ses hommes de main. (Aveu-
glé par son stalinisme, l’historien français Georges Sadoul
s’offusquera de la représentation «mollement arrogante »
du dictateur.) C’est Brutus, défenseur de la liberté et de
la pureté politique, qui est le pivot du drame. Le film est
porté par James Mason en républicain idéaliste et inquiet
(le rôle était initialement prévu pour Paul Scofield), mais
la grande révélation (et le pari gagné de Mankiewicz) reste
Marlon Brando en Marc Antoine, manipulateur sans pa-
reil, stupéfiant dans la célèbre scène du discours funèbre
qui documente la terrifiante versatilité des foules. Au Fo-
rum, le noble Brutus en appelle au peuple avec des argu-
ments rationnels, tandis que Marc Antoine, roué comme
son maître César (les deux sont filmés en contre-plongée),
mobilise les émotions et se révèle un démagogue accompli :
à la fin du discours, il se tourne discrètement vers la caméra
en esquissant un sourire de satisfaction qui remplace toute
une tirade ! D’abord ambigu, le Marc Antoine de Brando
devient un jeune loup que le pouvoir corrompt à son tour,
plus machiavélique même que son adversaire Cassius, un
ambitieux envers qui le spectateur éprouvait d’abord peu
de sympathie. A New York, le
National Board of Review
couronne le film, unanimement encensé par la critique.
Nominé quatre fois à l’Oscar (dont la catégorie « best pic-
ture ») ; il remporte la statuette d’or pour la photographie
et les décors. La British Film Academy prime Gielgud et
Brando.
Habile orateur, Marc Antoine séduit la foule (
Julius Caesar
, 1953)
La bataille de Philippes scelle le sort des conspirateurs républicains
(haut). Le vainqueur, Marc Antoine (Marlon Brando), devant le
cadavre du noble Brutus (James Mason), dans
Julius Caesar
, 1953
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