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– la rome impériale 
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jeté en prison où Samarra tente de lui faire abjurer pu-
bliquement sa foi. Micah refuse, s’évade et participe à la
révolte du peuple affamé par les spéculations des prêtres. La
foule massacre Nahreeb et détruit le temple de Baal. Lapi-
dée, Samarra tombe dans le brasier destiné aux sacrifices
humains tandis que Micah retourne dans son village où
son père et Ruth l’accueillent à bras ouverts.
Projet MGM le plus ambitieux de l’année (5 millions de
$), ce lointain remake du film muet de Walsh aboutit à
un cumul carnavalesque de kitsch en Technicolor et Cine-
maScope, de sexe, de sadisme et de religiosité qui, de sur-
croît, laisse les spectateurs indifférents : ce sera un des échecs
publics majeurs de la décennie et l’avant-dernier rôle de
Lana Turner sous l’égide du lion. Pourtant, tout n’est pas
à jeter, loin s’en faut, dans ce music-hall pseudo-biblique
qui reste jouissif au deuxième degré, en particulier pour les
adorateurs de la star. La démarche très « glamour » de cette
déesse blonde platinée, altière, narcissique et sensuelle (elle
descend les escaliers comme une Ziegfeld Girl), habillée –
ou plutôt dénudée – par Herschel McCoy, reste un morceau
d’anthologie. Les fabuleux décors achéménides du temple
d’Astarté ont été conçus à partir des fouilles alors récentes
de l’Iranian Archeological Service à Persépolis sous la di-
rection d’André Godard et Ali Sami. Salles hypostyles, bas-
reliefs et portes de palais sculptés, inscriptions cunéiformes,
merlons crénelés ornant les escaliers, reliefs émaillés et poly-
chromes à la babylonienne ont servi d’inspiration à Cedric
Gibbons, qui reproduit notamment le harem supposé d’Ar-
taxerxès. La salle des sacrifices humains est dominée par
une énorme statue de Baal bicornu, la main droite enser-
rant un serpent, la gauche une massue. Devant le parvis du
temple, des pavillons abritant des couples enlacés renvoient
à la prostitution sacrée propre aux rites d’Isthar / Astarté,
tandis que des prêtres organisent une loterie dont les prix
sont des vierges, des courtisanes et des nains. Tout cela met
la Legion of Decency hors d’elle et la MGM doit s’engager
à montrer en détail dans les dernières minutes l’annihila-
tion par les honnêtes gens de ces lieux infâmes. Samarra,
le tortionnaire Rakhim et la statue de Baal sont englou-
tis par les flammes (de l’enfer). Polythéisme équivalant à
stupre et tyrannie, monothéisme à foi profonde et démo-
cratie, le film alterne séquences « condamnables » et ima-
ges vertueuses (le repas sanctifié de la famille de Micah à
Joppé est cadré exactement comme la Sainte-Cène de Léo-
nard). La révolte des esclaves contre les adorateurs des faux
dieux peut être lue comme un rappel de la guerre froide
ainsi qu’une mise en garde aux « délinquants juvéniles »,
ces fils prodigues des temps modernes tentés par la remise
en question des valeurs familiales chrétiennes (les émules
de Marlon Brando, Elvis Presley et James Dean font alors
frémir les chaumières bien-pensantes). Déjà responsable
du premier film CinemaScope de la maison (
The Knights
of the Round Table
en 1953), Richard Thorpe tourne sa
fresque entièrement à Culver City, Hollywood. A l’origine,
elle devait se faire en Terre Sainte avec Ava Gardner (Sa-
marra) et Vittorio Gassman (Nahreeb). Peu porté sur la
subtilité et le bon goût, mais fort habile à diriger les scènes
d’action et de spectacle, Thorpe filme avec brio le soulève-
ment de la population de Damas, les éclairs de violence (le
sacrifice humain d’un jeune éphèbe, Nahreeb et l’esclave
Elissa périssant par un poignard lancé dans la gorge, Micah
terrassant un vautour dans la fosse aux morts). La censure
catholique américaine décrète le film «morally objec-
tionable », mais la MGM a sciemment défié le Code Hays
pour séduire les Européens. Aux yeux d’Hollywood, le mar-
ché du Vieux Continent a gagné en importance, la télé-
vision n’y ayant pas encore opéré les ravages constatés aux
Etats-Unis.
La prêtresse Samarra (Lana Turner) préside la grande cérémonie païenne dans le temple de Baal à Damas (
The Prodigal
de R. Thorpe, 1955)
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