XX
 l'antiquité au cinéma
Bref historique du péplum
Le tout premier film sur l’Antiquité, intitulé
Néron essayant des poisons sur des esclaves
, est tourné
par les frères Lumière en 1896, quelques mois seulement après la première projection publique au
boulevard des Capucines à Paris, et dure un peu moins d’une minute. Dès que le cinématographe
balbutiant quitte les tentes des forains, vers 1906/07, il cherche à se fabriquer une respectabilité en
se concentrant sur des sujets chers à la bourgeoisie, susceptibles d’intéresser également le corps en-
seignant (Homère, Shakespeare, Racine, les mythes classiques) et l’Eglise (les Saintes Ecritures). Ce
sont ces films à costumes de 10 à 25 minutes, correspondant aux trois genres nobles de la peinture
académique – historique, mythologique et biblique – qui remportent la première victoire du sep-
tième art, une forme de légitimation culturelle. Et la fidélisation d’un public plus vaste. En France,
on adapte le répertoire du théâtre mondain (Théâtre Réjane, Théâtre Sarah-Bernhardt, la Comé-
die-Française, le Châtelet) ; à Berlin, les innovations scéniques d’un Max Reinhardt influencent les
premiers films à grande figuration. Partout, les livrets d’opéra deviennent une source d’inspiration
majeure (Aïda, Salomé, Sémiramis), tandis que les fastes exotiques des Ballets Russes incitent cos-
tumiers et accessoiristes à se surpasser. Les Anglais se penchent sur Richard III et les Tudor.
Les Italiens, eux, placent leur production au service de l’édification nationale. La Péninsule est alors
dominée par la gauche libérale et les idées du Risorgimento ; or, l’ancienne Rome, c’est aussi la pre-
mière unification de l’Italie. Le péplum muet à l’italienne est un retour aux sources, une exaltation
de la romanité païenne (sécularisée) et de l’expansion coloniale : la « conquête de l’Ouest » version
antique 
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. Il suscite de grands rêves collectifs, de force, de puissance, d’identité : on rêve d’être plus
fort que ne le permettent les circonstances politiques du moment. Dès 1910, les producteurs vi-
sent à monter des films plus longs, plus étoffés, capables à présent de concurrencer sérieusement le
théâtre et l’opéra, ce qui implique la construction de vastes studios et l’investissement de capitaux
importants. Le cinéma se mue en industrie.
Quo Vadis
d’Enrico Guazzoni, en 1913, dure déjà
deux heures, et le
Cabiria
de Giovanni Pastrone, l’année suivante, trois heures. Des poètes pres-
tigieux comme Gabriele D’Annunzio, des peintres, des architectes, des musiciens de renom sont
invités à collaborer, tandis que des têtes couronnées d’Europe assistent émerveillées aux premières
mondiales de ces fresques « colossales » où la petite histoire vivifie la grande. La formule s’impose
sur le plan international, imitée, reprise et développée en particulier par les Américains.
Si le cinéma primitif peine à digérer l’héritage du drame musical avec ses tableaux statiques, l’am-
pleur croissante et la complexité des mises en scène contraignent bientôt les cinéastes à l’inventi-
vité. Le succès commercial et critique des premiers péplums tient en effet moins à leur contenu
qu’à leur capacité à démontrer la puissance imaginative des mécanismes cinématographiques à un
moment où le nouvel art était encore violemment attaqué. Il est un fait que le film historique a,
dès ses débuts, joué un rôle déterminant pour l’évolution technique et les possibilités d’articula-
tion narrative du cinéma qui le démarquent indiscutablement du théâtre : quête d’authenticité ou
de vraisemblance, élaboration de vastes décors tridimensionnels savamment éclairés et arpentés
par une caméra devenue mobile, utilisation spécifique des espaces et de la profondeur de champ,
dynamisation des foules, trucages optiques de plus en plus compliqués ; les fréquents sauts spatio-
temporels du récit épique, la confrontation passé-présent défient scénaristes et monteurs, etc. En
1953 encore, ce sera un péplum,
The Robe (La tunique)
, qui imposera l’écran panoramique. En
1999,
Gladiator
marquera la percée éclatante de la reconstitution digitale à l’écran.
Le Première Guerre mondiale paralyse l’industrie cinématographique européenne, mettant fin
à cette première vague de films en costumes franco-italiens. Hormis quelques sursauts dans la
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Cf. Irmbert Schenk, «The Cinematic Support to Nationalist(ic) Mythology : The Italian Peplum 1910-1930 », in :
Globalization, Cultural Iden-
tities and Media Representations
, éd. Natascha Gentz, Stefan Kramer, State University of New York Press, Albany 2006.
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