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l'antiquité au cinéma
ATTILA ET LES HUNS
En 427 en Pannonie (Hongrie), le roi Ruga / Roas unifie les Huns, un agrégat de tribus nomades originaires
d’Asie et de langue probablement turcophone (leur identité exacte demeure mystérieuse) mêlé à diverses
populations et vassaux germaniques tels que les Ostrogoths, les Gépides ou les Alains. L’arrivée des Huns
rompt l’équilibre aux frontières de l’Empire et entraîne de vastes mouvements de migration. A la mort de
Ruga en 435, ce sont ses deux neveux, Attila (né vers 390) et Bleda qui se partagent le trône. Le premier tue
le second en 445 et devient seul maître d’un empire qui s’étend jusqu’au montagnes de l’Oural, menaçant
Valentinien III, empereur d’Occident, et Théodose II à Byzance. Ce dernier se protège en lui versant tribut.
En 451, Attila lance ses cavaliers mongols, turco-iraniens et germains contre la Gaule. Il pille Metz, mais
échoue devant Lutèce et ne peut s’emparer d’Orléans qu’il assiège en vain. Les légions romaines du général
Flavius Aetius (petit-fils de Théodose le Grand) et leurs alliés wisigoths défont les Huns à l’ouest de Troyes,
au lieu dit Mauriacus ou «Champs catalauniques ». Attila peut se retirer sans être poursuivi. Mais en 452,
les Huns retraversent le Danube pour envahir l’Italie du Nord ; ils prennent Aquilée, Milan, Pavie, Padoue
et Vérone. Près du lac de Garde, Attila rencontre le pape Léon Ier (saint Léon le Grand) qui le dissuade
de marcher sur Rome. Attila retourne en Pannonie et, l’année suivante, il décède lors de ses noces avec
Ildico /Hildico, une concubine germanique, probablement des suites d’une hémorragie nasale. Après sa
mort, l’empire hunnique se disloque.
S
ur Attila, on a tout écrit – et son contraire. La source historiographique la plus sérieuse à son sujet reste
Priscus, diplomate grec envoyé par Byzance à la cour des Huns en 449, et qui a connu personnellement le
souverain. Son témoignage
(L’Histoire byzantine)
ne subsiste qu’en partie, mais les autres récits – Jordanès, Cas-
siodore, Grégoire de Tours – sont non seulement plus tardifs, mais aussi idéologiquement teintés. Les Pères de
l’Eglise ont surnommé Attila « flagellum Dei », le fléau de Dieu, voyant dans les ravages provoqués par ses raids
meurtriers en Gaule et en Italie une punition divine. Les populations lésées par les innombrables exactions du
système impérial y ont plutôt vu une juste vengeance. Isidore de Séville parle de « l’instrument de la correction
des fidèles, la verge de la fureur de Dieu » (VI
e
s.). Diabolisé dans la tradition médiévale, le roi des Huns va
devenir une sorte d’incarnation de l’Antéchrist, faisant écho à Néron ou à Hérode au début de l’ère chrétienne.
Les
Vies de saints
lui attribuent la mort de quantités de martyrs généralement postérieurs aux événements (Ni-
caise, Mémorius), sans parler des fameuses « onze mille vierges » prétendument massacrées à Cologne, victimes
imaginaires de l’hagiographie ecclésiastique. En outre, Attila a menacé Rome, berceau de la nouvelle religion,
et cette tentative d’atteinte à la Ville sainte relève quasiment du sacrilège. La postérité ne lui pardonnera pas
l’affront, alors que, curieusement, elle oubliera les pillages en règle de la cité par les Wisigoths ou les Vandales.
Les Nibelungen et les Huns
Les premières représentations poétiques des Huns remontent au VI
e
siècle, dans un texte latin anonyme. Attila
apparaît ensuite dans l’un des plus anciens fragments de l’
Edda
, le
Chant d’Attila
(IX
e
s.). L’antique poème
nordique le présente, rebaptisé Atli, comme un être cupide, cruel et trompeur. Son épouse teutonne Gudhrun
venge ses frères burgondes qu’il a exterminés pour s’emparer de leurs trésors en lui offrant à boire le sang de leurs
deux jeunes enfants, puis en le tuant, ivre, dans son lit. Ce portrait entièrement négatif sera encore repris en
1808 par la tragédie
Attila, König der Hunnen
de Zacharias Werner. Un portrait différent, basé sur la tradition
ostrogothe, en fait un monarque doux, tolérant, paternel, hospitalier. Ici, c’est la princesse burgonde Kriemhild,
son épouse, qui attire ses propres frères dans un guet-apens et leur réclame le trésor de son premier époux
Siegfried, assassiné par leurs soins. Les Huns exterminent les Burgondes dans un bain de sang qui emporte
aussi le jeune fils d’Attila, Ortlieb, élevé dans la religion chrétienne. La vengeance de Kriemhild est au cœur
du légendaire
Chant des Nibelungen
(XII-XIII
e
s.), qui inspirera entre autres la tétralogie de Richard Wagner
(1856 / 1876) et la trilogie dramatique de Friedrich Hebbel (1861)
1
. Le roi des Huns, souverain bienveillant,
de grande renommée et immensément riche, y porte le nom d’Etzel, peut-être une contraction d’Attila et de
son principal adversaire et ancien ami Aetius. Car quoique située visuellement dans le Haut Moyen Age, la
légende des Nibelungen appartient de toute évidence à l’Antiquité tardive. Son noyau historique est double. Il
est lié d’abord à la disparition du royaume burgonde à Worms (qui dura de 413 à 443). Souhaitant agrandir ses
s
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