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– rome : de romulus a cesar 
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liation que les nationalistes de la Péninsule ont peine à digérer : en mai 1881, par le traité du Bardo, la Tunisie
est passée sous protectorat français, à la colère de l’Italie qui revendiquait l’ancienne patrie carthaginoise pour
elle (la Grande-Bretagne également). Rome se rattrape en 1911 / 12 avec la guerre italo-turque et la prise de
Tripoli. C’est son entrée dans le club des Etats colonialistes en annexant la Libye que l’Italie fête à travers le mé-
morable
Cabiria
de Giovanni Pastrone, un jalon dans l’évolution du septième art. La Rome antique y éradique
la barbarie de Carthage au soulagement de la vraie civilisation. Même schéma après l’invasion de l’Ethiopie en
1935 / 36, lorsque sort, fort opportunément, la fresque fasciste
Scipione l’Africano
de Carmine Gallone, cou-
ronnée à Venise par la Coupe Mussolini. Comme par hasard, c’est aussi en 1937 que paraît l’édition italienne de
l’essai de Werner Schur,
Scipio Africanus und die Begründung der römischen Weltherrschaft
, publié à Leipzig dix
ans plus tôt
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. Les thuriféraires du Duce affrontent métaphoriquement les éléphants d’Hannibal en bombardant
Addis-Abeba. Même en 1960, dans le médiocre
Salammbô
italo-français de Sergio Grieco (1960), le mercenaire
gaulois Mâtho traite les Carthaginois de « peuple dégénéré », et le film montre (très allusivement) le sacrifice
quotidien de dix vierges pour calmer la colère de la déesse Tânit après le vol du voile sacré.
Cartagine in fiamme
(1959), d’après Salgari, est censé représenter la fin de la civilisation punique. Or que voit-on à l’écran d’un siège
qui prit trois ans et fut, pendant plus d’une semaine, le spectacle d’un carnage génocidaire ? Cette guerre totale,
d’extermination, déclarée par Rome avec un cynisme révoltant, se résume ici à un grand incendie : obéissant au
Sénat, la soldatesque romaine boute sagement le feu à la ville mais ne lève pas une seule fois son glaive contre la
population ! Ainsi, à dessein ou par ignorance, le cinéma perpétue-t-il la lecture romano-centriste du passé.
Quant au grand Hannibal, son portrait à l’écran reste mitigé : le cinéma italien le montre longtemps
comme une silhouette menaçante, altière et peu avenante, le tient à distance des caméras, hésitant entre un
rejet mêlé de fascination pour l’insolent basané qui poussa l’Urbs au bord de l’abîme d’une part, et de l’autre
l’admiration muette pour le phénoménal stratège, sacrifié par les siens. Après tout, à Cannes, il infligea aux
Romains la plus cuisante défaite de leur histoire. La droite nationaliste ne peut que saluer un militaire de cet
acabit, fût-il africain et borgne, et son lâchage par les édiles carthaginois renforce tous les préjugés envers son
pays natal. L’Hannibal que campe Victor Mature dans le film de C. L. Bragaglia en 1960 (
Annibale
) demeure
l’unique représentation entièrement positive et sympathique du personnage, si l’on excepte l’approche neutre
mais informative proposée par l’excellent téléfilm britannique
Hannibal, Rome’s Worst Nightmare
d’Edward
Bazalgette pour la BBC en 2006 (et un Howard Keel chantant dans
Jupiter’s Darling
, la comédie musicale
Les sacrifices humains et l’immolation des jeunes filles, un cliché de la propagande anticarthaginoise (
Cabiria
de Giovanni Pastrone, 1914)
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