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  l’antiquité au cinéma
technique moderne et de la possibilité de réunir une figura-
tion aussi nombreuse que disciplinée. Perspectives truquées
et miniatures font le reste. Les décors de rues proviennent, à
peine modifiés, de
Die Sklavenkönigin
de Michael Curtiz
(1924). Le palais d’Hamilcar s’élève à 40 m. du sol. Ma-
rodon mobilise les danseuses duWiener Staatsoper (les prê-
tresses de Tanit) et 3000 chômeurs pour animer scènes de
rue et de combats. Le carnage au défilé de la Hache où les
mercenaires de Spendius sont anéantis est reconstitué dans
une carrière de pierres proche de la capitale. Pour la bataille
finale de Rhadès, Marodon a disséminé douze opérateurs,
certains enterrés afin de filmer les charges de cavalerie en
contre-plongée (l’opérateur Léonce-H. Burel signera l’an-
née suivante la photo du
Napoléon
de Gance).
Après le succès mondial remporté par
L’Atlantide
de Jacques
Feyder (1921) et obsédé par l’idée d’un cinéma pan-euro-
péen, le producteur Louis Aubert mise sur Flaubert pour
concurrencer les Etats-Unis. L’œuvre est projetée en grande
pompe à l’Opéra de Paris (qui ouvre pour la seconde fois ses
portes au cinéma après
Le miracle des loups
de Raymond
Bernard), accompagnée d’une musique symphonique ori-
ginale de Florent Schmitt, un disciple de Maurice Ravel
spécialisé dans les tonalités orientalisantes ... puis sombre
dans l’oubli. La critique note unanimement que sa parti-
tion est plus proche du roman que le film lui-même. Mal-
gré des atouts spectaculaires très réels (des plans composés
comme des tableaux, une orgie d’Art déco, des costumes
extravagants signés Remigius Geyling), la gestuelle théâtrale,
le manque de charisme de la vedette principale, des raccords
et un découpage maladroits, enfin surtout la redondance
constante des intertitres (des citations de Flaubert) qui an-
noncent ce que l’image va montrer, sabordent l’ensemble.
On n’échappe pas toujours au ridicule. Pourtant, le grand
André Antoine, père du théâtre naturaliste et cinéaste, sa-
luera l’exploit de Marodon en raison de sa fidélité au roman
et du respect qu’il témoigne pour son auteur. La barbarie,
la sauvagerie et le sadisme du texte transparaissent en effet
plus d’une fois à l’écran : au fond du défilé de la Hache où
les mercenaires en sont réduits au cannibalisme, un soldat
découpe la jambe d’un cadavre tandis qu’un autre tente de
sectionner le bras d’un mort qui n’était qu’évanoui ; Spen-
dius égorge un prêtre avec deux poignards ; le peuple de
Carthage s’acharne férocement sur Mâtho jusqu’à ce que
le grand-prêtre de Moloch lui arrache le cœur et l’offre en
holocauste au soleil. L’alliance par le sang entre Mâtho et
Narr’Havas (égorgement réel d’une brebis, la main san-
glante du premier posée sur la poitrine nue du second) cho-
que tant les spectateurs de l’Opéra qu’elle sera supprimée
pour les présentations ultérieures. L’érotisme est également
au rendez-vous, notamment lorsque Salammbô s’apprête à
séduire Mâtho (elle se baigne entièrement nue, de dos, puis
s’exhibe en silhouette et joue avec un serpent). Le lendemain
matin, elle renonce à poignarder son amant d’une nuit,
affairé à couvrir sa main gauche de baisers tandis qu’elle
tient une arme dans la droite. Cette entreprise plus proche
de l’illustration que de la mise en scène est un échec public
Mâtho, le mercenaire, s’introduit dans le sanctuaire de la déesse Tânit pour y voler le voile sacré (
Salammbô
de Pierre Marodon, 1925)
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