278
  l’antiquité au cinéma
res géométriques, entassées sur les parvis d’édifices gigan-
tesques et photographiées en plongée. Alessandro Blasetti et
Augusto Genina sont envisagés comme réalisateurs, mais
c’est Carmine Gallone, auteur de la dernière superproduc-
tion du cinéma muet italien,
Gli ultimi giorni di Pompei
en 1926, qui l’emporte. Gallone, qui a une carrière inter-
nationale derrière lui, souhaite Fredric March ou Pierre
Blanchar pour incarner Scipion. March, sous contrat à
la Warner Bros., refuse, et l’opinion publique italienne
bientôt alertée s’offusque qu’un étranger puisse incarner
son héros. C’est l’acteur de théâtre Annibale Ninchi, his-
trion plutôt médiocre et au ton déclamatoire, qui est dési-
gné. Le casting est exclusivement italien. Devenu spécialiste
du film d’opéra et sans doute paralysé par la responsabilité
qui lui incombe, Gallone ne trouve ni le souffle épique ni
l’imagination pour dynamiser un récit qui manque cruel-
lement d’unité narrative. Le scénario a été confié à Camillo
Mariani Dell’Anguillara, un écrivaillon du régime réputé
pour sa phraséologie emphatique, et au poète hermétiste
S. A. Luciani. On n’y évite guère le ridicule (Sophonisbe
à Massinissa : « Je te remercie, ô mon maître, de me lais-
ser mourir en reine ... »). Une grande partie de cette fres-
que politique n’est qu’une suite de proclamations officielles
sur fond colossal, soutenue par les accords martiaux d’Ilde-
brando Pizzetti (qui signa jadis la musique de
Cabiria
).
Elle s’anime toutefois dans la dernière demi-heure avec le
clou final de la bataille de Zama, l’une des plus longues,
des plus mouvementées et des plus spectaculaires séquences
de bataille du cinéma, mobilisant 12000 fantassins, 3500
cavaliers « numides » et 18 éléphants du cirque Amar sur
les rives du lac de Sabaudia, au sud de ces marais Pontins
dont l’assainissement fut une des victoires marquantes du
régime fasciste (58 autres pachydermes en papier mâché
sont poussés sur des roulettes, à l’arrière-fond). Un tournage
éprouvant, car les extérieurs « africains » sont filmés en dé-
cembre-janvier sous une pluie battante et avec des chevaux
paniqués par les éléphants. Pour plaire au Duce, Gallone le
laisse diriger quelques légions de Scipion du sommet d’un
échafaudage tandis que les opérateurs font semblant de fil-
mer ! Les trois régiments d’infanterie mis à disposition des
caméras (dont le fameux «Piemonte Reale ») sont cantonnés
à Littoria en attendant leur embarquement pour l’Ethio-
pie : une fois de plus, la réalité rejoint la fiction ... Le rôle
décisif de la cavalerie numide, qui a rallié Scipion et scellé
le sort d’Hannibal, est bien illustré, mais pour des raisons
évidentes, il n’est pas possible de montrer comment les 80
éléphants de Carthage se retournèrent effrayés et piétinè-
rent les soldats de leur propre camp. Pour la flotte d’inva-
sion romaine, on fait reconstruire dix galères complètes (dix
autres figurent en demi-relief ), amarrées dans le port de
Livourne (lui-même affublé d’un phare sur la jetée). Gior-
gio Ferroni et Domenico Paolella, futurs réalisateurs de pé-
plums, sont les assistants de Gallone, Mario Bava dessine
les titres du générique. Mais malgré la bénédiction osten-
tatoire du Duce et le grand prix de la Biennale de Venise
1937 («Coppa Mussolini »), le film est un échec public en
Italie où la propagande à l’écran n’a plus la cote. Acculée à
la faillite, la firme productrice parvient de justesse à rentrer
dans ses frais grâce à la vente à l’étranger (
Karthagos Fall
dans le Reich). Partout,
Scipione l’Africano
est ressenti
comme une vision écrasante, édifiante et trop sérieuse de
l’histoire romaine (pas d’érotisme !). La fresque de Gallone
restera la seule incursion spectaculaire dans l’Antiquité de
l’ère mussolinienne. Le projet d’un
*Giulio Cesare
refera
toutefois surface à la veille de la guerre. L’auteur dramati-
que Giovanni Forzano, qui avait déjà signé avec le Duce
en 1934 un
Campo di Maggio (Les Cent-Jours)
d’après
sa propre pièce, se propose cette fois de montrer César en
précurseur du fascisme, un condottiere détruisant le système
démocratique corrompu de la République. Mussolini serait
coauteur du scénario – mais l’invasion de la Pologne par
Hitler met fin à ces chimères.
1954 (tv)
The Roman and the Renegade
(US) Roy Kellino ;
Nat Holt Prod., «The Schlitz Playhouse of the Stars »
nº 148 (CBS 6.8.54), 30 min. – av. Scott Forbes (Han-
nibal), Faith Domergue (Marcella), Peter Hansen
(Claudius Fabian), Ian Keith (Fabius Maximus), Ro-
bert Bice (capitaine carthaginois), Nancy Evans (por-
teuse d’eau), Richard Avonde (sentinelle d’Hannibal),
Robert Sherman, Guy Prescott, Tom McKee. –
Mar-
cella, une belle espionne romaine, s’introduit dans le cam-
pement d’Hannibal et y sème le trouble ... Faith Domer-
gue, qui fut la Colomba de Mérimée à Hollywood en 1950
(
Vendetta
de Mel Ferrer) perturbe Scott Forbes, le futur
Jim Bowie de la télévision. Un script de Walter C. Brown
photographié par le grand Paul Ivano, jadis chef-opérateur
de Stroheim, Sternberg et Siodmak.
1955
Jupiter’s Darling
(La chérie de Jupiter)
(US) George
Sidney ; GeorgeWells-Metro-Goldwyn-Mayer, 96 min.
– av. HowardKeel (Hannibal), EstherWilliams (Amytis),
Scipion (Annibale Ninchi, au centre) parle pour Mussolini dans la
fresque fasciste
Scipione l’Africano
de Carmine Gallone, 1937
Hannibal (Howard Keel) et sa belle Romaine (Esther Williams) dans
la comédie musicale
Jupiter’s Darling
de George Sidney, 1955
I...,268,269,270,271,272,273,274,275,276,277 279,280,281,282,283,284,285,286,287,288,...674