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– rome : de romulus a cesar
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cet épisode de l’histoire romaine explique la rareté des écrits de l’époque : Salluste en aurait rendu compte (son
texte est partiellement perdu), on en trouve quelques bribes chez Florus et Cicéron; deux siècles plus tard, Plu-
tarque en parle par la bande dans sa
Vie de Crassus
, et Appien dans les
Guerres civiles
. On ne sait presque rien
des buts et des ambitions du véritable Spartacus. Plutarque et Appien le dépeignent comme un bon tacticien
mais un négociateur naïf, un meneur sans but politique clair. Probablement ne voulait-il que favoriser le retour
des esclaves étrangers dans leurs patries respectives, et non pas le renversement du système social romain, ni
surtout être le champion des classes opprimées, une idée abstruse pour l’époque. Une chose semble certaine :
ce sont les conceptions divergentes sur le sens du soulèvement qui provoquèrent des dissensions multiples, puis
l’affaiblissement fatal de son armée.
Comme tous les héros de soulèvements populaires (par ex. Guillaume Tell), Spartacus va devenir le sujet
d’une instrumentalisation outrancière, au service d’idéologies fort diverses. Le personnage sortira de l’ombre
pour être idéalisé à partir du Siècle des Lumières seulement, lorsque les révolutionnaires français accaparent
l’iconographie et la rhétorique de la Rome républicaine. Auparavant, Bernard Joseph Saurin aura consacré
à ce champion de la liberté une tragédie en cinq actes (1760), l’historien Charles de Brosses aura décrit ses
exploits en s’inspirant de Salluste (1768) et Voltaire aura mentionné la « guerre juste » de Spartacus dans son
Encyclopédie
(1771)
1
. Un autre drame intitulé
Spartacus
d’Hippolyte Magen est publié à Paris en 1847. Cette
même année paraît l’
Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité
d’Henri Wallon. Karl Marx voit Spartacus comme le
représentant de l’ancien prolétariat, figure clé de l’historiographie marxiste. A Berlin en 1916, les communistes
Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg en feront un drapeau (les « Spartakistes »). Aux Etats-Unis, le personnage
apparaît sur scène en 1831 dans
The Gladiator
de Robert Montgomery Bird, sous les traits d’Edward Forrest, à
une époque où l’abolition de l’esclavage est à l’ordre du jour et les guerres coloniales contre l’Angleterre encore
dans toutes les mémoires. De surcroît, la geste devient une métaphore de la révolution plébéienne d’Andrew
Jackson contre l’oligarchie des aristocrates au pouvoir à Washington. Déjà les fondateurs de la jeune Amérique
ont, à l’instar des Jacobins français, pris la République romaine comme modèle : Spartacus représente pour eux
démocratie et égalité raciale. Au Canada, c’est la romancière Susannah Strickland Moodie qui écrit en 1823
Spartacus : A Roman Story
(1823), tandis qu’à Londres, Jacob Jones fait paraître un
Spartacus or the Roman
Gladiator
(1837).
Les deux premiers films sur le gladiateur de Thrace, fabriqués en Italie (1909 et 1913), sont adaptés d’un
roman immensément populaire de Raffaello Giovagnoli (
Spartaco. Racconto storico del secolo VII dell’era romana
,
Kirk Douglas porte le flambeau de la révolte des esclaves dans
Spartacus
de Stanley Kubrick (1960), d’après le roman de Howard Fast