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l'antiquité au cinéma
nitoire de Kriemhild selon les principes du cinéma abstrait
est confiée à l’avant-gardiste Walter Ruttmann (
Berlin,
Symphonie einer Grossstadt
). 400 cavaliers russes exé-
cutent la charge des Huns sur un terrain vague à Reber-
gen.
Die Nibelungen
, fresque de presque cinq heures qui
nécessite deux ans de travail et 31 semaines de tournage,
est alors le film le plus cher fabriqué en Allemagne (8 mil-
lions de Reichsmark), mobilisant les meilleurs spécialistes
du trucage photographique. Le dragon mécanique, d’une
longueur de 22 mètres, est animé par 17 techniciens ca-
chés à l’intérieur. Seul
Metropolis
, deux ans plus tard,
dépassera cette fresque en ampleur – et en coûts.
Ce diptyque, chantant la fidélité et l’obéissance au clan
jusqu’à la mort sacrificielle (Hagen), le cœur de pierre et la
volonté de fer de Kriemhild (« le sang réclame le sang »), la
noblesse des guerriers aryens, n’est pas à l’abri de la récupé-
ration nationaliste. Séduits par sa dimension mythique, sa
perspective de destin collectif, Hitler et Goebbels le citent en
modèle. Pourtant, dans sa fureur dévastatrice, Kriemhild
est plus cruelle que le barbare Etzel / Attila, dont le cam-
pement chaotique, agité, fourmillant de silhouettes diffor-
mes, grimaçantes et rampantes (représentations implicite-
ment racistes) est plongé dans une oppressante pénombre.
Si la première partie des
Nibelungen
fascine les tenants du
Troisième Reich par son panégyrique du héros allemand
victime d’une honteuse trahison (la paix imposée en 1918),
envoûte par son alliance entre un romantisme magique
et l’ordre glacé des formes, de la lumière et de l’espace, le
ou la forêt du dragon sont, eux, vivifiés par une drama-
turgie expressionniste du clair-obscur (références pictura-
les à l’illustrateur viennois Carl Otto Czeschka, à Arnold
Boecklin et à Max Klinger). Un environnement entière-
ment stylisé et figé qui a tendance à engloutir les personna-
ges : l’opulence des vêtements, l’immensité des forteresses et
des arbres hauts comme une cathédrale transforment peu
à peu le décor en tombeau de tout un peuple. Le tournage
intégral aux studios Decla-Bioscop-Ufa à Berlin-Neuba-
belsberg confère à ces images, outre leur beauté plastique,
une impressionnante unité. La réalisation du rêve prémo-
Haut et bas : la princesse burgonde Kriemhild (Margarethe Schön) veille son époux assassiné et jure de le venger (
Die Nibelungen
, 1924)