6b – la rome impériale 
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programme pour la suite des réjouissances, un gladiateur
fait un pied-de-nez à son adversaire sous les fous rires, une
mégère est insatisfaite de son siège trop éloigné du specta-
cle, un badaud a oublié son ticket d’entrée. Sans le chariot
encombré de cadavres dans l’arène et la désinfection du
sable entre deux « numéros » sanglants, on se croirait à un
match de base-ball. Claudette Colbert, habituée aux comé-
dies légères, tient avec Poppée son premier rôle de séductrice
malfaisante et roucoulante, capable de retourner son impé-
rial époux comme un gant. DeMille fait venir de Londres
Charles Laughton (qu’il a admiré sur scène), mais sa po-
sition à la Paramount n’est plus assez forte pour contrain-
dre le comédien à interpréter Néron comme un tyran clas-
sique. Au grand dam du cinéaste homophobe, Laughton,
qui a dévoré Suétone et Sienkiewicz, fait du dernier Julio-
Claudien un satrape ostensiblement gay, infantile et psycho-
tique. Laughton supervise son propre maquillage (sourcils
épilés, rouge à lèvres, faux nez romain), s’affiche partout à
l’écran flanqué d’un gigolo athlétique et imite la gestuelle
mussolinienne. (Coïncidence : depuis mai 1931, le torchon
brûle entre le Vatican et les fascistes.)
Selon DeMille,
The Ten Commandments
(1923) illus-
tre la transmission de la Loi,
King of Kings
(1927) son
interprétation et
Sign of the Cross
sa préservation. Le ci-
néaste, qui a racheté les droits du vieux mélo victorien de
Barrett à Mary Pickford, voit une analogie entre la Rome
orgiaque de Néron et les Etats-Unis de la grande dépres-
sion, où les masses sont écrasées par des lois et des impôts
iniques, traumatisées par le chômage et le désastre écono-
mique, tandis que gouverne une minorité dans le luxe.
Décadence et martyre. Laughton est étonnant en tyran
lâche, cauteleux et sournois, étalant ses chairs molles sur des
coussins (« le corps d’une femme, le cœur d’une hyène, l’âme
d’un serpent », dit la publicité). Le tyran parle un anglais
classique, son adversaire Marcus Superbus a l’accent amé-
ricain : DeMille est le premier à introduire ces paradigmes
linguistiques qui vont marquer les fresques hollywoodien-
nes pendant des décennies. A la fin du film, alors que le
couple monte au supplice, une immense croix de lumière
se dessine sur la porte qui mène à l’arène. Ce message de
foi et d’espoir répond au pessimisme des Américains avant
le «New Deal ».
Réédité en 1944, le film sera affublé d’un prologue de 9
minutes situé dans un bombardier B-17 qui survole Rome
pour y lancer des tracts anti-allemands. (Dans la publicité
illustrée, la formation de l’Air Force dessine une croix dans
Marcus (Fredric March) défend les chrétiens devant Néron (Charles Laughton) et Poppée (Claudette Colbert) dans
Sign of the Cross
(1932)
Poppée dans son bain de lait d'anesse (
Sign of the Cross
, 1932)
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