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l'antiquité au cinéma
tourné cette fois in situ, en Italie. (Film perdu, comme tous
les précédents.) La Fox loue les studios de la Nova-Film dans
la banlieue romaine où John D. Braddon édifie de superbes
décors tels que le palais impérial au Palatin. Le stade de
la capitale est camouflé en Circus Maximus (où se déroule
une course de chars et où sont lâchés 30 lions du zoo de
Hambourg). L’incendie final est enregistré par 26 caméras
avec la nouvelle pellicule panchromatique, beaucoup plus
sensible. Pour les extérieurs, on aménage en particulier les
jardins de la Villa d’Este à Tivoli, tandis que d’autres sé-
quences sont filmées dans les Alpes italiennes et sur le Vé-
suve. Afin de réunir sa prodigieuse figuration, Edwards
aurait survolé la capitale en avion et lâché des milliers de
prospectus invitant la population romaine à participer au
film (on se vante d’avoir fait travailler 65000 personnes).
Une production compliquée qui connaît en Italie des dif-
ficultés similaires à celles que rencontrera le premier
Ben-
Hur
de la MGM deux ans plus tard (cf. 6b.3.2), et des
recettes décevantes en raison des interprètes pour la plupart
inconnus aux Etats-Unis (notamment plusieurs comédiens
français comme Grétillat en Néron, Paulette Duval et Su-
zanne Talba). Cela n’empêchera pas Edwards de tenter à
nouveau sa chance dans les studios italiens avec la fresque
biblique sur David,
The Shepherd King
, l’année suivante
(cf. 2.4.1).
1924 Ø
QuoVadis
(IT) Georg Jacoby, Arturo Ambrosio, Ga-
briellino D’Annunzio. – av. Emil Jannings (Néron). –
cf. 6b.6.2.
1925
Nero
(US) William H. Watson ; série «Hysterical His-
torical Comedies », Universal, 1 bob. – av. William Ir-
ving (Néron). –
Parodie du film de J. Gordon Edwards
(1922).
1930 [épisode romain comique :]
Nerone
(IT) Alessandro Bla-
setti [d’apr. Ettore Petrolini] ; Stefano Pittaluga-Cines,
78 min. – av. Ettore Petrolini (Néron), Grazia Del Rio,
Mercedes Brignone (Claudia Acté), Elma Krimer (Pop-
pée Sabine), AlfredoMartinelli (Pétrone), MarioMazza.
–
Comédie loufoque moderne avec un épisode antique de
20 min. dans lequel Petrolini et sa fameuse troupe de la
Commedia dell’arte singent la cour impériale de Néron,
grand amateur de cyclisme, avec Tigellin grimé en « nègre »
(la farce est filmée dans les tout nouveaux studios sonores
Cines-Pittaluga à Rome). Urbaniste raté, l’empereur a dé-
cidé de brûler Rome pour la reconstruire en béton armé
(à l’exemple du Duce). Acteur bouffon et auteur dramati-
que, Petrolini joue son numéro de Néron sur scène depuis
1918, mais à l’écran en 1930, en se livrant à une satire
caustique de l’homme de pouvoir, il se moque ouvertement
de Mussolini. Son immense popularité et l’admiration sans
bornes que lui voue le dictateur le protègent.
1930
Nay, Nay, Nero
(US) Roy Mack ; Vitaphone-Warner
Bros., 1 bob. – av. Hugh Cameron (Néron), Bobby
Watson, Nora Swinburne, Joe Lewis, Omar Glover, Le-
nita Lane. –
Comédie : Néron surprend un commerçant
qui flirte avec l’impératrice.
1932
The Sign of the Cross (Le signe de la croix)
(US)
Cecil B. DeMille [d’apr. Wilson Barrett] ; Paramount,
124 min. – av. Fredric March (Marcus Superbus), Elissa
Landi (Mercia), Charles Laughton (Néron), Claudette
Colbert (Poppée Sabine), Ian Keith (Ophonius Tigelli-
nus). Harry Beresford, Arthur Hohl (Titus), Ferdinand
Gottschalk, Vivian Tobin. –
Alors que Rome achève de
se consumer, Marcus Superbus, préfet de Rome, don juan
patenté et favori de la cour, s’éprend d’une chrétienne au
point de la suivre dans la mort ... La troisième et plus cé-
lèbre adaptation de la pièce victorienne deWilson Barrett,
une variante à peine déguisée du
Quo Vadis ?
de Sien-
kiewicz, déjà portée à l’écran en 1904 et en 1914 (synop-
sis, cf. supra). Le retour de DeMille à la Paramount après
un conflit avec le grand patron Adolf Zukor et l’échec de
ses rêves d’indépendance se fait par la petite porte : pour ce
projet « colossal » planifié en 1929 déjà, mais qui sera le
premier péplum américain du parlant, le studio lui alloue
un budget limité de 690000 $ et seulement huit semaines
de tournage aux ateliers de Marathon Street et en extérieurs
à Fresno. Mitchell Leisen économise sur les décors (le pa-
lais est une miniature, seul le trône, son rebord de marbre
et un escalier sont à l’échelle 1 / 1), un objectif prismati-
que « double » optiquement le nombre des figurants (filmés
en plans serrés), les scènes de nuit sont éclairées à la torche.
A l’écran toutefois, rien ne trahit ces mesures d’austérité :
DeMille concentre dans un pan du Circus Maximus de
40 mètres de hauteur musiciens, gladiateurs, nains, ama-
zones géantes, lions, tigres, ours, éléphants et un taureau.
Le clou : le bain de lait d’ânesse de Poppée, l’impératrice à
demi nue dans la mousse, une servante concupiscente à ses
côtés, deux chats se délectant au bord de la piscine, tandis
qu’à l’extérieur, des esclaves font la chaîne pour apporter
le lait fraîchement trait.
Plusieurs plans jugés « sadiques » ou « pervers » sont élimi-
nés par la censure pudibonde (ils seront réintroduits plus
tard) : une demi-douzaine de crocodiles qui se jettent af-
famés sur une chrétienne ligotée, tandis qu’une autre da-
moiselle dévêtue est livrée à la concupiscence d’un orang-
outang ; des éléphants qui piétinent leurs victimes ; des nains
décapités ou embrochés ; une danseuse lesbienne essayant
de tourner la tête de la pure Mercia lors d’une soirée dyo-
nisaque sabotée par les cantiques chrétiens entendus par
la fenêtre, etc. Le film combine sadisme, sexe, religiosité
et une distorsion sophistiquée de l’histoire et, comme sou-
vent chez DeMille, le meilleur y côtoie le pire. Tout ce qui
a trait au spirituel est insupportablement bigot, creux et
théâtral, mais les apartés entre les deux sexes sont jouissifs
et les scènes de foules stupéfiantes : le moindre figurant y
développe une activité précise, possède un profil. Pendant
les jeux du cirque, les strapontins grouillent d’une vie breu-
ghelienne. DeMille montre les indifférents, les parieurs, les
bailleurs, les blasés, les hilares, les amoureux seuls au monde.
Alors que la plèbe autour d’eux hurle à la mort, une bour-
geoise détourne la tête face à tant d’horreurs et consulte le
Ettore Petrolini et Elma Krimer singent la cour de Néron dans une
farce qui se moque de Mussolini,
Nerone
d'A. Blasetti (1930)