480
l'antiquité au cinéma
de l’héritage d’Auguste. A Corinthe, sa passion excessive pour la culture grecque l’amène à accorder à la Grèce
la liberté et l’exonération d’impôts, ce qui lui vaut une immense popularité sur place, mais la colère en Italie
et dans d’autres provinces qui doivent compenser la perte fiscale. Le terme « débauche » se réfère surtout à la
question vestimentaire : le jeune empereur, surnommé « Barberousse » (Ahenobarbus), porte les cheveux longs
et des tuniques courtes et fleuries au lieu de la toge traditionnelle. Suétone le taxe de mauvais Romain car, en
véritable hédoniste, il a la faiblesse de s’intéresser aux arts et aux plaisirs, occupations indignes d’un souverain,
plutôt qu’à la gestion de l’Etat. En revanche, le petit peuple de Rome l’affectionne tant qu’il fleurira sa tombe
pendant des décennies. Néron se montre partisan de l’aide aux défavorisés, prend en compte les plaintes des
esclaves maltraités par leurs maîtres et n’usera que très modérément de représailles lors des complots d’assassinat
dirigés contre sa personne. (Il ne signa que dix-sept sentences de mort sur plus de quarante personnes, séna-
teurs et prétoriens, impliquées lors de la conjuration de Pison – une mansuétude inconnue chez ses confrères
impériaux.) Que Néron adhère plus à la philosophie épicurienne qu’à la stoïcienne, voilà un reproche que son
mentor Sénèque est mal placé de lui faire, lui qui n’applique que rarement ce qu’il enseigne. Quant aux aména-
gements spectaculaires de la cité, ils sont connus. Lors de la construction de la «Maison dorée (Domus Aurea) »
au Palatin, un palais luxueux au cœur de Rome, on a parlé de folie. Les archéologues modernes y voient plutôt
la concrétisation d’un fantasme religieux lié à la fascination de Néron pour l’Orient (à l’instar de son ancêtre
Marc Antoine), et qui corroborerait la tentative de transformation du principat augustéen en monarchie théo-
cratique à l’égyptienne, déjà tentée par Caligula, et placée sous l’égide du Soleil.
Ses crimes ? Des doutes subsistent quant aux causes réelles de la mort du jeune Britannicus, le demi-frère
de Néron, décès causé officiellement par une crise d’épilepsie (dont il souffrait bel et bien), mais qu’Agrippine
pourrait, selon certains, avoir agencé pour se débarrasser d’un garçon dont elle avait déjà tué le père. Des études
récentes ont démontré qu’aucun poison connu à l’époque ne pouvait provoquer les symptômes rapportés et que
par conséquent le diagnostic du Palatin était probablement juste (une rupture d’anévrisme, selon la médecine
moderne). Tant pis pour Racine.
Autoritaire et abusive, Agrippine a amené son fils au trône pour régner à travers lui, et Tacite pense que
c’est afin de retrouver son ascendant sur lui qu’elle l’aurait soi-disant poussé à l’inceste, l’interdit suprême (une
affirmation calomnieuse de Cluvius que Tacite conteste). C’est vraisemblablement Poppée, dont l’empereur est
follement épris et dont il désire un enfant, qui manigance l’assassinat d’Agrippine, car celle-ci s’oppose à son
mariage. Le matricide, une manière radicale de couper le cordon ombilical, aurait été encouragé par Sénèque
lui-même (selon Dion Cassius), en raison des risques de guerre civile qu’induisait le comportement séditieux
de l’impératrice-mère
1
. Quant à Poppée, c’était une femme libre qui refusait les conventions de son temps et
scandalisa en cela Tacite comme Sénèque
2
. Elle mourut à 33 ans d’une hémorragie suite à une fausse couche,
laissant Néron effondré et sans successeur. A nouveau, une rumeur mit ce décès sur son compte. Néron ne
la fit pas incinérer à la romaine, mais embaumer à l’égyptienne (toujours selon le modèle de la monarchie
ptoléméenne), un nouvel outrage aux coutumes sacrées de l’Urbs. Puis, tiraillé entre ses instincts profonds et
l’influence pernicieuse du milieu dans lequel il a grandi, Néron tombe progressivement sous la coupe du préfet
du prétoire sicilien Tigellin, méprisé par l’élite sénatoriale, dépourvu d’honnêteté morale et prêt à l’enfermer
dans ses penchants masochistes. Entre 63 et 68, Néron sombre dans le despotisme, une fin de règne empêtrée
dans la jalousie, les ambitions déçues, les dépenses inconsidérées, la psychose de l’assassinat et la solitude. Voilà
pour l’Antéchrist.
En résumé, outre sa mère et sa première femme Octavie, Néron a fait exécuter ou a contraint au suicide
une trentaine de personnalités qui complotaient sa mort ou étaient soupçonnées de l’avoir fait, ainsi que trois
membres de sa propre famille, des rivaux potentiels au trône. Un bilan maigrelet comparé aux milliers de vic-
times romaines de Jules César ou d’Octave-Auguste, ou même aux assassinats ordonnés par son père adoptif
Claude. Néron, de toute évidence, était moins porté sur la cruauté que ses prédécesseurs ... et que certains de ses
successeurs, comme Constantin le Grand, premier empereur « chrétien » (cf. commentaire 6c).
L’incendie de Rome et le supplice des premiers chrétiens
Alors que Néron se trouve dans sa ville natale d’Antium (à 190 km de la capitale), de retour d’une tournée de
chant dans le sud de l’Italie, se déclenche l’effroyable incendie qui ravagera Rome pendant neuf jours. C’est le
plus grand incendie connu de l’Antiquité, dont l’ampleur a été seulement dépassée par le déluge de bombes
incendiaires sur Hambourg et Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale. Néron y perd des trésors qui lui
sont particulièrement chers, à commencer par le palais qu’il vient de se faire construire, la Domus Transitoria
avec ses précieux meubles et toutes les collections d’œuvres d’art accumulées par lui et ses prédécesseurs. La
thèse de sa responsabilité dans l’incendie (une rumeur rapportée par Tacite, qui la met d’ailleurs en doute)
n’est depuis longtemps plus prise au sérieux par les historiens. En l’an 6, après plusieurs sinistres, Auguste avait