Les folies amphithéâtrales de Commode classées (cf. 6b.8.3), le cinéma comme la scène peinent à trouver
des sujets nouveaux, forts et rassembleurs, tant la période des trois siècles qui suivent est confuse. Certes, la nou-
veauté vient avec le christianisme en tant que religion autorisée, puis progressivement imposée comme religion
d’Etat (IV
e
siècle), mais la représentation de ce processus bascule souvent dans l’édifiant et la légende dorée.
Auparavant, on aura eu droit à la plus grande persécution chrétienne de l’histoire de Rome, celle mise en œuvre
par Dioclétien et qui s’étend sur presque dix ans
3
. C’est pendant cette décennie que le cardinal Wiseman situe
son roman apologétique
Fabiola ou l’Eglise des Catacombes
(1854), qui ne suscite pas moins de six adaptations
à l’écran. La plus célèbre, le
Fabiola
d’Alessandro Blasetti avec Michèle Morgan et Michel Simon, est mise sur
pied en 1948 / 49 pour panser les plaies de l’après-fascisme. Saint Sébastien, devenu une icône gay à partir de
la Renaissance, y trouve la mort au pilori, son corps athlétique criblé par un essaim de flèches (phalliques ?). En
1976, Derek Jarman fera du prétorien converti le héros homosexuel de
Sebastiane
, une curiosité parlée latin.
La valse de martyrs photogéniques oblitère bien sûr les efforts spectaculaires de Dioclétien pour résoudre le pro-
blème de l’instabilité du pouvoir, pour mettre fin aux usurpations militaires et réunifier ainsi l’Empire. D’ori-
gine dalmate (illyrienne), Dioclétien instaure le système de la tétrarchie, un gouvernement de deux empereurs
(« augustes ») dont l’un garde la suprématie de l’ensemble, et de deux vice-empereurs (« césars ») pourvu de règles
de succession enfin claires. La décentralisation territoriale du pouvoir entraîne une gestion plus efficace, permet
de mieux maîtriser l’espace et ainsi de mieux faire face aux menaces extérieures. La sacralisation de l’empereur
(identification symbolique à Jupiter) renforçant son prestige, Dioclétien impose simultanément le dominat,
une monarchie absolue de type oriental, celle-là même qui avait séduit jadis Caligula, Néron, Domitien, Com-
mode et Héliogabale, tous taxés de tyrannie et assassinés. Son programme est simple : un monarque, un empire
et une religion – logiquement celle de la Rome traditionnelle.
Constantin le Grand, « premier empereur chrétien », a laissé une image fortement brouillée. Baptisé à la
veille de sa mort après une carrière et une vie intime tout sauf charitables, il choisit dès 312 le christogramme
pour garant de ses victoires et de la prospérité de l’Empire. Sa conversion ne tient sans doute pas uniquement
d’un calcul politique mais aussi d’une démarche authentiquement religieuse, ce qui ne l’a pas empêché aupara-
vant de livrer aux fauves ses ennemis, d’exterminer onze membres de sa famille et de mettre à mort cruellement
son fils Crispus et, à tour de rôle, ses deux épouses, Minerva et Fausta. C’est la peur de déplaire au dieu de
Jésus qui le poussera finalement à la clémence et à la mansuétude. On relève à l’écran quelques tentatives peu
convaincantes de cerner personnalité aussi complexe. Avec Cornel Wilde sauvant un enfant chrétien des crocs
d’un fauve (
Costantino il grande
, 1960), on est certes très loin du compte ! Son neveu Julien, que les chrétiens
ont surnommé l’Apostat, reste, lui aussi, une silhouette problématique qui continue à diviser les esprits
4
. Py-
thagoricien lettré et intelligent, il fut voué à la géhenne par l’Eglise au IV
e
siècle pour avoir tenté de rétablir les
cultes anciens tout en tolérant le nouveau. La figure de l’Apostat servira tantôt de porte-drapeau de l’anticléri-
calisme pour Ugo Falena dans
Giuliano l’apostata
(1919), tantôt d’épouvantail eschatologique après les ravages
de la Seconde Guerre mondiale (
L’Apocalisse
de G. M. Scotese, 1947). Hormis le jeune Romulus Augustule (cf.
infra), Julien est le dernier empereur romain d’Occident à séduire les caméras. Les autres font de la figuration
occasionnelle, otages de la nouvelle guerre des sectes entre chrétiens ou opposés à quelque envahisseur nordi-
que. L’Apostat disparu, Valens se met à persécuter les païens, tandis que son successeur, le pieux Théodose le
Grand, fait du christianisme la religion d’Etat et interdit tout autre culte, fût-ce en privé. (Ce même Théodose
fera massacrer de sang-froid dix mille de ses sujets à Thessalonique pour réprimer une émeute.) Dépourvue de
la magnificence, de l’extravagance de l’époque augustéenne, la Rome tardive apparaît autoritaire et cléricale. En
385, l’Eglise rend sa première sentence de mort : l’évêque d’Avila, Priscillien, est exécuté pour hérésie, malgré
les protestations de saint Martin de Tours et de saint Ambroise. Mais au cinéma comme au théâtre, les produc-
teurs favorisent les matières déjà connues ; or le public sait peu de ces siècles de réformes, de mutations et de
controverses dogmatiques depuis longtemps tombées dans l’oubli. Les cinéastes préféreront donc se pencher
sur certaines destinées emblématiques : Roberto Rossellini évoque par exemple saint Augustin pour la télévision
(
Agostino d’Ippona
, 1972), Claudio Bondi décrit le long périple du poète païen Claudius Rutilius Namatianus
à travers une Gaule politiquement déliquescente (
De reditu
, 2003) et Alejandro Amenabar parle de la belle Hy-
patie d’Alexandrie, une philosophe néoplatonicienne assassinée par des moines fanatiques (
Agora
, 2008 / 09).
Les Barbares aux portes de Rome
Dès le début du V
e
siècle, le pouvoir impérial d’Occident se trouve incapable d’endiguer le flot des populations
étrangères en provenance de Gaule, de Germanie et des Balkans. A l’écran, les ultimes soubresauts de l’Empire
sont noyés dans la poussée incoercible des Wisigoths, Ostrogoths, Vandales et autres barbus hirsutes qui mal-
mènent les belles architectures de la Péninsule. Le cinéma s’en délecte, sans toutefois s’attarder sur ce qui peut
bien distinguer ces diverses nations vêtues uniformément de peaux de bêtes et, souvent, de casques ailés ou à
cornes (qui n’ont existé que dans l’imagination des peintres du XIX
e
siècle). Le Barbare n’a pas de profil déter-
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l'antiquité au cinema